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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 3 juillet 2024, n° 22/01536

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Almetis (SAS)

Défendeur :

Mars (ès qual.), Almetis CS (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me Farrugia, Me Debord, Me Regnier

T. com. Paris, 13e ch., du 2 nov. 2021, …

2 novembre 2021

FAITS ET PROCEDURE

La SAS Almétis CS exerçait, jusqu'à sa liquidation judiciaire prononcée par jugement du tribunal de commerce de Versailles du 7 mai 2020 désignant Maître [O] [C] (Selarl Mars) en qualité de liquidateur, des activités de développement et de commercialisation de services dans le domaine des systèmes d'information (conseil, formation, maîtrise d'ouvrage, ingénierie, hébergement d'applications et de données, maintenance, assistance technique, gestion du cycle de vie des produits et des services), d'édition et de commercialisation de logiciels, progiciels, applications, et services web ainsi que des services associés, de conception, d'industrialisation, de fabrication, et de commercialisation de produits informatiques, électroniques et électromécaniques, ainsi que de recherche scientifique dans le domaine des technologies de l'information et de la communication.

La SAS Almétis exerce une activité principale d'éditeur et d'intégrateur de solutions de gestion d'identité numérique, de signature électronique et de conservation sécurisée de documents et a ainsi développé en 2008 une technologie de sécurisation et de signature de documents au format PDF utilisée comme base dans plusieurs de ses produits (Almetis Essential, Almetis SignCeter, Almetis SignServer et LiveConsent).

Par contrat de distribution du 30 novembre 2011, la SAS Almétis a accordé à la SAS Almétis CS le droit de commercialiser les solutions Almétis depuis les boutiques internet de la première ainsi qu'une licence exclusive d'exploitation de la boutique en ligne accessible par le nom de domaine almetis.com (article 1). Ces droits étaient accordés sur le territoire français pour une durée de trois ans renouvelable par tacite reconduction sauf dénonciation d'une partie avec un préavis de trois mois (article 12).

Les parties ont engagé fin décembre 2018 des pourparlers ayant pour objet la détermination des modalités de poursuite de la relation. Les négociations ayant échoué, la SAS Almétis a, par courrier du 14 août 2019, notifié à la SAS Almétis CS la « résiliation » du contrat de distribution avec un préavis de trois mois expirant le 30 novembre 2019. Un flux d'affaires persistait néanmoins jusqu'en mai 2020.

C'est dans ces circonstances que la SAS Almétis CS a, par acte d'huissier signifié le 27 décembre 2019, assigné la SAS Almétis devant le tribunal de commerce de Paris sur le fondement des articles L 442-1 II du code de commerce et 1382 du code civil.

Par jugement du 2 novembre 2021, le tribunal de commerce de Paris a :

- condamné la SAS Almétis à payer à la SAS Almétis CS, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la somme de 18 911,43 euros ;

- condamné la SAS Almétis à payer à la SAS Almétis CS, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté les parties de leurs autres demandes ;

- condamné la SAS Almétis aux entiers dépens.

Par déclaration reçue au greffe le 18 janvier 2022, la SAS Almétis a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique 22 novembre 2023, la SAS Almétis demande à la cour :

- de déclarer recevable et bien fondé l'appel de la SAS Almétis ;

- en conséquence, d'infirmer le jugement rendu le 2 novembre 2021 par le tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions ;

- statuant à nouveau, de constater l'existence d'un écrit mettant fin aux relations commerciales et de dire que le préavis contractuel de trois mois a été appliqué par la SAS Almétis dans le cadre de la notification de la cessation des relations ;

- subsidiairement, de :

* dire que le préavis raisonnable indemnisable dans le cadre d'une action fondée sur les dispositions de l'article L 442-6 5° du code de commerce est tout au plus de 3 mois dont 3 ont déjà été exécutés ;

* constater que 5 mois de préavis complémentaires ont été accordés résultant des commandes et des livraisons effectives sur la période de décembre 2019 à mai 2020 ;

* dire qu'en l'absence de justification de la perte de marge brute, le préjudice indemnisable n'est pas démontré ;

- en tout état de cause, de :

* débouter la SAS Almétis CS, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, de l'intégralité de ses demandes ;

* condamner la SAS Almétis CS, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, au paiement de la somme de 3 000 euros à la SAS Almétis par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

En réponse, dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 12 juillet 2022, la SAS Almétis CS, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, demande à la cour, au visa des articles 562 et 954 alinéa 3 du code de procédure civile, L 442-1 II du code de commerce et 1382 (ancien) du code civil,

- de juger qu'elle n'est saisie d'aucune demande ou prétention de la part de l'appelante et, en conséquence, de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a limité le préjudice de la SAS Almétis CS à la somme de 18 911,43 euros ;

- de déclarer recevable et bien fondée la SAS Almétis CS, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, en son appel incident ;

- y faisant droit, d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a limité le préjudice de la SAS Almétis CS à la somme de 18 911,43 euros ;

- statuant à nouveau sur ce chef, de condamner la SAS Almétis à verser à la SAS Almétis CS, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la somme de 58 863,05 euros au titre du préjudice causé par la rupture brutale de leur relation commerciale ;

- en tout état de cause, de débouter la SAS Almétis de l'ensemble de ses demandes ;

- y ajoutant, de condamner la SAS Almétis à payer à la SAS Almétis CS la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens dont distraction au profit de Maître Bruno Régnier.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 avril 2024. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l'arrêt sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile.

MOTIVATION

1°) Sur l'effet dévolutif et l'objet du litige

Moyens des parties

La SAS Almétis CS, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, soutient que, si les premières conclusions d'appelant visent explicitement dans leur dispositif l'infirmation du jugement entrepris, elles ne comprennent aucune demande de rejet des prétentions adverses. Elle en déduit que, faute pour la SAS Almétis de présenter une demande, la Cour ne peut que confirmer le jugement sauf à faire droit à son appel incident en majorant l'indemnisation accordée en première instance.

En réponse, la SAS Almétis expose que ses premières conclusions d'appelant, dont le dispositif n'a pas à reprendre la liste des chefs de jugement critiqués, comportait une demande d'infirmation. Elle ajoute que ces écritures formulaient des prétentions tendant à ce « qu'il soit jugé que le préavis contractuel de trois mois a été appliqué par la société ALMETIS dans le cadre de la notification de la cessation des relations, qu'il y a eu un écrit mettant fin aux relations commerciales, que le préavis raisonnable indemnisable dans le cadre d'une action fondée sur les dispositions de l'article L 442-6 5° du code de commerce est tout au plus de 3 mois dont 3 ont déjà été exécutés, que 5 mois de préavis complémentaires ont été accordés résultant des commandes et des livraisons effectives sur la période de décembre 2019 à mai 2020, que le préjudice sollicité par ALMETIS CS n'est pas démontré et que ALMETIS CS soit condamné à la somme de 3000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ».

Appréciation de la cour

En application de l'article 542 du code de procédure civile, l'appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel.

En outre, en vertu des articles 908, 910-1 et 954 du code de procédure civile, à peine de caducité de la déclaration d'appel, relevée d'office, l'appelant dispose d'un délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel pour remettre ses conclusions au greffe, conclusions qui, adressées à la Cour et notifiées dans les délais prévus, déterminent l'objet du litige et comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l'énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu'un dispositif récapitulant les prétentions.

Ainsi, les articles 908 et 954 devant être lus ensemble, des conclusions ne répondant pas aux exigences du second de ces textes, en particulier si leur dispositif ne comprend aucune demande d'infirmation du jugement attaqué, ne peuvent être regardées comme des écritures remises dans le délai prescrit par le premier (en ce sens, 2ème Civ., 31 janvier 2019, n° 18-10.983).

Et, il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que l'appelant doit, dans le dispositif de ses conclusions, mentionner qu'il demande l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement ou l'annulation du jugement. En cas de non-respect de cette règle, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement, sauf la faculté qui lui est reconnue à l'article 914 du code de procédure civile de relever d'office la caducité de l'appel. Lorsque l'incident est soulevé par une partie ou relevé d'office par le conseiller de la mise en état, ce dernier ou, le cas échéant, la cour d'appel statuant sur déféré, prononce la caducité de la déclaration d'appel si les conditions en sont réunies (en ce sens, 2ème Civ., 4 novembre 2021, n° 20-15.757). Néanmoins, l'appelant qui sollicite, dans le dispositif de ses conclusions, la réformation de la décision entreprise et formule plusieurs prétentions, n'est pas tenu de reprendre, dans celui-ci, les chefs de dispositif du jugement dont il sollicite l'infirmation (en ce sens, 2ème Civ., 3 mars 2022, n° 20-20.017).

Mais, si l'acte d'appel opère dévolution des chefs critiqués du jugement et détermine ainsi le périmètre de l'effet dévolutif de l'appel (en ce sens, 2ème Civ., 30 janvier 2020, n° 18-22.528), seules les dernières conclusions fixent, dans les limites de l'article 910-4 du code de procédure civile qui ne sont pas excédées ici, l'objet du litige au sens de l'article 4 du code de procédure civile.

Les premières conclusions d'appelant notifiées par la voie électronique le 19 avril 2022 développent le dispositif suivant :

Il est demandé à la Cour d'appel de Paris de :

- Déclarer recevable et bien fondé l'appel de la société ALMETIS ;

En conséquence,

- Infirmer le jugement rendu le 2 novembre 2021 par le Tribunal de Commerce de PARIS, en toutes ses dispositions ;

Et statuant à nouveau,

- Constater l'existence d'un écrit mettant fin aux relations commerciales ;

- Dire que le préavis contractuel de trois mois a été appliqué par la société ALMETIS dans le cadre de la notification de la cessation des relations ;

Subsidiairement,

- Dire que le préavis raisonnable indemnisable dans le cadre d'une action fondée sur les dispositions de l'article L 442-6 5° du Code de Commerce est tout au plus de trois mois dont trois ont déjà été exécutés ;

- Constater que 5 mois de préavis complémentaires ont été accordés résultant des commandes et des livraisons effectives sur la période de décembre 2019 à mai 2020 ;

- Dire qu'en l'absence de justification de la perte de marge brute, le préjudice indemnisable n'est pas démontré ;

En tout état de cause,

- Condamner la SELARL MARS es qualité de liquidateur de la société ALMETIS CS au paiement de la somme de 3 000 € par application des dispositions de l'article 700 du CPC ;

- Ordonner l'exécution provisoire.

Ainsi que l'admet la SAS Almétis CS, ces écritures comprennent explicitement une demande d'infirmation du jugement, qui constitue une prétention au sens de l'article 4 du code de procédure civile. Elles sont sur ce plan conformes aux exigences des dispositions combinées des articles 908 et 954 du code de procédure civile, les chefs du dispositif concernés n'ayant pas à être récapitulés. Et, s'il est exact qu'elles ne comportent aucune demande de rejet des demandes adverses, les demandes de « donner acte », de « dire et juger » ou de « constat », expressions synonymes n'ayant, en ce qu'elles se réduisent en réalité à une synthèse des moyens développés dans le corps des écritures, aucune portée juridique (en ce sens : 3ème Civ., 16 juin 2016, n° 15-16.469) et ne constituant pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile, les dernières écritures de la SAS Almétis, qui seules sont à prendre en considération avec les dernières conclusions d'intimée pour déterminer l'objet du litige, formulent, « en tout état de cause » une demande expresse de rejet de l'intégralité des demandes adverses

En conséquence, la Cour est valablement saisie du rejet de l'intégralité des prétentions de la SAS Almétis CS, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, sollicité par la SAS Almétis.

2°) Sur la rupture brutale de la relation commerciale

Moyens des parties

Au soutien de son appel, la SAS Almétis, qui explique, sans pour autant ériger ce manquement contractuel en faute grave fondant une rupture brutale, que la SAS Almétis CS violait l'article 7 du contrat de distribution lui imposant de lui communiquer, au titre de chaque année écoulée, un document justificatif du chiffre d'affaires et de volumes facturés par commande, précise qu'elle a respecté les stipulations contractuelles encadrant la résiliation du contrat en notifiant la rupture par écrit et en respect un préavis de trois mois. Elle ajoute que la résiliation du contrat n'emportait pas rupture de la relation commerciale qui s'est poursuivie jusqu'en mai 2020, notamment dans le cadre de l'exécution de la convention distincte de mise à disposition du personnel ou des commandes confiées ponctuellement à la SAS Almétis CS en qualité de sous-traitante. Elle conteste toute dépendance économique de la SAS Almétis CS en soulignant la faiblesse de ses parts de marché sur le marché très concurrentiel de la signature électronique. Elle estime le préavis contractuel de trois mois suffisant et précise qu'il a été augmenté par une poursuite effective des relations pendant cinq mois, durée complémentaire qui doit intégrer tant l'appréciation du caractère raisonnable du préavis accordé que le calcul du préjudice allégué. Elle indique que ce dernier, qui doit en outre être déterminé en considération de la seule activité rattachée au contrat de distribution, n'est pas démontré, le résultat de la SAS Almétis CS étant négatif avant la notification de la rupture, et que la marge brute, dont l'assiette est erronée, n'est pas justifiée.

En réponse, la SAS Almétis CS, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, expose que la relation commerciale encadrée par le contrat de distribution a duré huit ans et représentait plus de 90 % de son chiffre d'affaires, ce dont elle déduit le caractère établi des relations et son état de dépendance économique, son activité étant exercée sur un marché de niche (« la protection des données, la maîtrise de la diffusion de l'information et la traçabilité des échanges électroniques ») peu favorable à sa reconversion. Soulignant l'inconsistance des griefs qui lui ont été tardivement adressés et l'imprévisibilité de la rupture notifiée parallèlement à des pourparlers relatifs aux conditions de la poursuite des relations et de conclusion d'un nouveau contrat, elle estime le préavis accordé insuffisant et soutient que les commandes postérieures à la rupture, acceptées pour ne pas nuire aux clients, sont indifférentes à la détermination de la durée du préavis éludé qu'elle fixe à huit mois (soit une insuffisance de cinq mois). Elle ajoute enfin que la relation à prendre en considération n'est pas exclusivement celle encadrée par le contrat de distribution.

Réponse de la cour

En application de l'article L 442-1 II du code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels. En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois. Ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

Sur les caractéristiques de la relation commerciale

Au sens de ce texte, la relation, notion propre du droit des pratiques restrictives de concurrence qui n'implique aucun contrat (en ce sens, Com., 9 mars 2010, n° 09-10.216) et n'est soumise à aucun formalisme quoiqu'une convention ou une succession d'accords poursuivant un objectif commun puisse la caractériser, peut se satisfaire d'un simple courant d'affaires, sa nature commerciale étant entendue plus largement que la commercialité des articles L 110-1 et suivants du code de commerce comme la fourniture d'un produit ou d'une prestation de service (en ce sens, Com., 23 avril 2003, n° 01-11.664). Elle est établie dès lors qu'elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu'elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l'avenir, une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial (en ce sens, Com., 15 septembre 2009, n° 08-19.200 qui évoque « la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation commerciale »).

Les parties s'accordent sur le caractère établi des relations commerciales ainsi que sur leur durée mais débattent de sa consistance et de la portée de la rupture.

Les relations commerciales ont débuté avec la conclusion du contrat de distribution le 30 novembre 2011 qui constitue la seule convention susceptible de générer un flux d'affaires entre les parties, le contrat de mise à disposition de personnel conclu le 1er octobre 2013 entre les parties étant sur ce point indifférent (pièce 23 de l'appelante). Les documents financiers et comptables produits par les parties ainsi que leurs correspondances (pièces de l'appelante 7, 13 à 16 et, pour la période postérieure à l'expiration du préavis, 6 et 17 ; pièces 8 à 11 de l'intimée) ne permettent pas de distinguer les prestations relevant de la stricte exécution du contrat de celles qui échapperaient à son champ d'application. Aussi, rien ne permet de diviser le flux d'affaires qui doit être apprécié globalement, peu important qu'il se rattache exclusivement au contrat de distribution ou non.

Dans ce cadre, la SAS Almétis CS soutient qu'elle réalisait 90 % de son chiffre d'affaires avec la SAS Almétis (page 9 de ses écritures, les variations qu'elle introduit pages 18 à 20 n'étant pas vérifiables faute de production des factures correspondantes). Elle n'est sur ce point pas utilement contredite par la SAS Almétis qui reconnaît lui avoir confié des prestations ponctuelles en sous-traitance indépendantes du contrat de distribution et qui ne précise pas la part de l'activité de la SAS Almétis CS qu'elle estime exclusivement rattachable à ses relations avec des tiers. Ainsi, au regard des comptes annuels 2016 à 2018 produits (ses pièces 9 à 11), le chiffre d'affaires généré à l'occasion de la relation atteignait 185 080,05 euros en 2016, 164 790,90 euros en 2017 et 183 316,50 euros en 2018 (soit une moyenne de 177 729 euros), années représentatives en ce qu'elles ne sont pas affectées par la rupture et correspondent à l'activité habituelle des parties.

Sur l'imputabilité de la rupture des relations et le préavis suffisant

L'article L 442-1 II du code de commerce sanctionne non la rupture, qui doit néanmoins être imputable à l'agent économique à qui elle est reprochée, mais sa brutalité qui résulte de l'absence de préavis écrit ou de préavis suffisant. Celui-ci, qui s'apprécie au moment de la notification ou de la matérialisation de la rupture, s'entend du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, soit pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement en bénéficiant, sauf circonstances particulières, d'un maintien des conditions antérieures (en ce sens, Com., 10 février 2015, n° 13-26.414), les éléments postérieurs ne pouvant être pris en compte pour déterminer sa durée (en ce sens, Com, 1er juin 2022, n° 20-18960). Les critères pertinents sont notamment l'ancienneté des relations et les usages commerciaux, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, l'éventuelle exclusivité des relations et la spécificité du marché et des produits et services en cause ainsi que tout obstacle économique ou juridique à la reconversion. En revanche, le comportement des partenaires consécutivement à la rupture est sans pertinence pour apprécier la suffisance du préavis accordé. La rupture peut être totale ou partielle, la relation commerciale devant dans ce dernier cas être modifiée substantiellement (en ce sens, Com. 31 mars 2016, n° 14-11.329 ; Com 20 novembre 2019, n° 18-11.966).

Au regard de la fonction du préavis, la date d'appréciation de la suffisance de sa durée est celle de la notification de la rupture qui correspond à l'annonce faite par un cocontractant à l'autre de sa volonté univoque de cesser la relation à une date déterminée, seule information qui peut permettre au second de se projeter et d'organiser son redéploiement ou sa reconversion en disposant de la visibilité indispensable à toute anticipation.

Par courrier du 14 août 2019, la SAS Almétis a notifié la rupture du contrat de distribution en ces termes :

Par la présente, nous vous informons de notre décision le contrat cadre de distribution ['].

Nous vous assurons de notre volonté de conclure dans les meilleurs délais un nouveau contrat de distribution avec votre société.

L'article 12 du contrat actuel prévoyant un préavis de trois mois, sa résiliation sera effective à la signature du nouveau contrat et en tout cas au plus tard le 30 novembre 2019 ['].

Ce courrier, qui exprime clairement son objet, constitue une notification univoque de la rupture du contrat. Signe que ce non-renouvellement au sens de l'article 12 du contrat (et non sa résiliation, l'article 13 l'encadrant n'étant d'ailleurs pas évoqué) portait sur l'intégralité de la relation et non exclusivement sur la part, indéterminable, rattachable au seul contrat de distribution, la SAS Almétis interdisait à la SAS Almétis CS tout contact avec un client litigieux par courriel du 8 novembre 2019 (pièce 6 de l'intimée) et lui expliquait le 5 mars 2020 que les relations n'étaient maintenues que « pour ne pas porter préjudice aux clients » (pièce 10 de l'appelante). Ainsi que l'a retenu le tribunal, le chiffre d'affaires dégagé entre la fin du préavis le 30 novembre 2019 et la cessation totale des relations commerciales le 31 mai 2020 atteignait 14 492,54 euros (pièces 5, 6 et 12 de l'appelante), soit, sur la base d'une reconstitution annuelle, une chute de près de 84 % sur l'année 2020.

Cette réduction du flux d'affaires caractérise ainsi une rupture partielle le 30 novembre 2019 et une rupture totale le 31 mai 2020. La poursuite résiduelle de la relation postérieurement au 30 novembre 2019 ne caractérise pas un préavis complémentaire, la SAS Almétis CS n'ayant bénéficié d'aucune visibilité sur cette période dont les contours n'ont pas été définis et n'ayant pu en profiter pour faciliter la réorientation de son activité.

Contrairement à ce que soutient la SAS Almétis, le seul respect du préavis contractuellement prévu n'est pas de nature à faire obstacle au contrôle du juge sur la suffisance du préavis au sens des dispositions d'ordre public de l'article L 442-1 II du code de commerce (en ce sens, Com., 28 juin 2023, n° 22-17.933 : si la clause prévoyant un préavis est par principe licite, « l'existence d'une stipulation contractuelle de préavis ne dispense pas le juge, s'il en est requis, de vérifier que le délai de préavis contractuel tient compte de la durée de la relation commerciale ayant existé entre les parties et des autres circonstances »). Aussi, ce moyen est inopérant.

Les parties ne livrent aucun élément tangible sur la structure du marché et sur l'état de la concurrence que s'y livrent les acteurs ainsi que sur les possibilités de redéploiement de son activité par la SAS Almétis CS qui ne bénéficiait en fait ou en droit d'aucun engagement de volume et n'était contrainte par aucune exclusivité d'approvisionnement. De ce fait, les seuls critères exploitables par la Cour pour apprécier la suffisance du préavis éludé sont la durée de la relation (près de 8 ans au jour de la notification de la rupture) et l'importance et la stabilité du flux d'affaires tel qu'il a déjà été analysé ainsi que la part du chiffre d'affaires dégagé à l'occasion de la relation dans le chiffre d'affaires global de la SAS Almétis CS. A ces éléments s'ajoute le fait que la lettre de notification de la rupture nourrissait un espoir de voir la relation se poursuivre après la conclusion d'un nouveau contrat qui était présentée comme certaine quoiqu'il n'ait jamais été proposé à la SAS Almétis CS.

Au regard de ces éléments combinés et de l'absence d'usage professionnel contraire, le préavis suffisant sera estimé à 6 mois ainsi que l'a retenu le tribunal.

Le préjudice subi par la SAS Almétis CS est constitué de son gain manqué qui correspond à sa marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée et les charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, appliquée au chiffre d'affaires moyen hors taxe qui aurait été généré pendant la durée du préavis éludé (en ce sens, Com. 28 juin 2023, n° 21-16.940 : « le préjudice principal résultant du caractère brutal de la rupture s'évalue en considération de la marge brute escomptée, c'est-à-dire la différence entre le chiffre d'affaires hors taxe escompté et les coûts variables hors taxe non supportés durant la période d'insuffisance de préavis, différence dont pourra encore être déduite, le cas échéant, la part des coûts fixes non supportés du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, durant la même période »). A ce titre, le préjudice subi, qui trouve son siège dans une anticipation déjouée, s'évalue à la date de la rupture à partir des éléments comptables antérieurs à celle-ci qui constituent le socle des prévisions de la victime, sans égard pour les circonstances postérieures telles sa reconversion durant la durée du préavis éludé. Celui-ci s'exécutant aux conditions de la relation, le gain manqué n'est que la projection de celui antérieurement réalisé.

Dans ce cadre, les années 2016 à 2018 incluses, non affectées par la rupture, sont pertinentes. Le chiffre d'affaires annuel moyen sur cette période est de 177 729,15 euros.

L'expert-comptable de la SAS Almétis CS certifiant une marge globale constituée de la somme de la marge commerciale et de la marge de production ne correspondant pas à la marge sur coûts variables (pièce 8 de l'intimée), c'est par de justes motifs que la Cour adopte que le tribunal, retenant que la relation rompue représentait 90 % du chiffre d'affaires total de la SAS Almétis CS et que la marge moyenne pertinente était de 58,45 % au regard des comptes annuels produits, a jugé que le préjudice subi par cette dernière pouvait être évalué à la somme de 18 911,43 euros, déduction faite du chiffre d'affaires dégagé entre l'expiration du délai de préavis et la cessation totale des relations commerciales.

Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé sur ce point.

Surabondamment, la Cour constate que, dans une motivation confuse, la SAS Almétis souligne l'indifférence de la question de la faute « au problème juridique ici posé, ['] seule [celle] du préavis raisonnable » étant en débat, tout en insistant sur l'inexécution contractuelle qu'elle impute à la SAS Almétis CS et qui résiderait, non dans un défaut de paiement qui concerne des factures postérieures à la notification de la rupture (pièce 12 de l'appelante), mais dans l'absence de transmission annuelle d'un document justificatif de son chiffre d'affaires et des volumes facturés par commande au sens de l'article 7 du contrat. En admettant que la SAS Almétis invoque ainsi la faute de son partenaire pour fonder la rupture brutale des relations, le manquement allégué n'est pas conforme aux exigences de l'article L 442-1 II du code de commerce. En effet, si la rupture, quoique brutale, peut être justifiée si elle est causée par une faute suffisamment grave pour fonder la cessation immédiate des relations commerciales (en ce sens, sur le critère de gravité, Com. 27 mars 2019, n° 17-16.548), l'octroi d'un préavis ne privant pas per se l'auteur de la rupture de la faculté d'invoquer postérieurement une faute grave la fondant (en ce sens, Com., 14 octobre 2020, n° 18-22.119, revenant sur Com., 10 février 2015, n° 13-26.414), cette faute doit être incompatible avec la poursuite, même temporaire, du partenariat : son appréciation doit être objective, au regard de l'ampleur de l'inexécution et de la nature l'obligation sur laquelle elle porte, mais également subjective, en considération de son impact effectif sur la relation commerciale concrètement appréciée et sur la possibilité de sa poursuite malgré sa commission ainsi que du comportement de chaque partie. Or, ainsi que l'admet la SAS Almétis, la SAS Almétis CS n'a jamais respecté les stipulations de l'article 7 du contrat de distribution et n'a été alertée sur cette carence que le 1er octobre 2019, soit postérieurement à la notification de la rupture (pièce 20 de l'appelante, ses pièces 18 et 19 concernant des problématiques distinctes). Aussi, cette inexécution contractuelle, qui n'a manifestement pas entravé le bon déroulement des relations et n'était d'ailleurs pas évoquée dans la lettre du 14 août 2019, a été tolérée pendant près de 8 ans et n'est de ce fait pas suffisamment grave pour légitimer la brutalité de la rupture.

3°) Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

Succombant en son appel, la SAS Almétis, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamnée à supporter les entiers dépens d'appel, qui seront recouvrés directement par Maître Bruno Régnier conformément à l'article 699 du code de procédure civile, ainsi qu'à payer à la SAS Almétis CS, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

Constate que la Cour est saisie par la SAS Almétis d'une demande de rejet de l'intégralité des prétentions de la SAS Almétis CS, prise en la personne de son liquidateur judiciaire ;

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la Cour ;

Y ajoutant,

Rejette la demande de la SAS Almétis au titre des frais irrépétibles ;

Condamne la SAS Almétis à payer à la SAS Almétis CS, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SAS Almétis à supporter les entiers dépens d'appel qui seront recouvrés directement par Maître Bruno Régnier conformément à l'article 699 du code de procédure civile.