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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 3 juillet 2024, n° 22/03670

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Jannez Consultants (SARL)

Défendeur :

Enchères VO (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Vice-président :

M. Richaud

Conseillers :

Mme Cochet-Marcade, M. Richaud

Avocats :

Me Meynard, Me Monta

T. com. Bordeaux, du 17 déc. 2021, n° 20…

17 décembre 2021

FAITS ET PROCEDURE

La SARL J. Jannez Consultants exerce une activité d'intermédiation et de vente de véhicules automobiles entre professionnels. Mandatée par des clients propriétaires de parcs automobiles d'occasion, elle place leurs listes de véhicules auprès d'intermédiaires de vente dont elle discrimine les offres.

La SAS Enchères VO (dénommée [Localité 7] Enchères Automobiles jusqu'au 31 janvier 2021) exerce une activité agréée de vente volontaire de meubles aux enchères publiques sur des sites de ventes physiques situés à [Localité 4], [Localité 7] et [Localité 6] ou sur une plateforme de vente en ligne accessible sous le nom de domaine encheres-vo.com. Dans le cadre des ventes volontaires, qui constitue l'essentiel de son activité, elle reçoit mandat d'un propriétaire de vendre son véhicule aux enchères publiques et est responsable à l'égard du vendeur comme de l'acheteur de la représentation du prix et de la délivrance du bien vendu conformément à l'article L 321-14 du code de commerce.

A compter d'une date faisant débat, la SARL J. Jannez Consultants a placé auprès de la SAS Enchères VO des listes de véhicules à vendre en contrepartie d'un partage égalitaire de la commission perçue pour toute vente effective.

Par courrier du 7 mars 2017, la SAS Enchères VO notifiait à la SARL J. Jannez Consultants sa décision de rompre leurs relations commerciales en lui accordant un préavis de 8 mois expirant le 31 octobre 2017 pour les ventes sur site et un préavis de 6 mois expirant le 31 août 2017 pour les ventes en ligne.

C'est dans ces circonstances que la SARL J. Jannez Consultants a assigné la SAS Enchères VO devant le tribunal de commerce de Bordeaux par acte d'huissier signifié le 12 février 2020 sur le fondement des articles L 442-6 I 5° du code de commerce et 1193, 1217 et 1231-3 du code civil.

Par jugement du 17 décembre 2021, le tribunal de commerce de Bordeaux a rejeté l'intégralité des demandes de la SARL J. Jannez Consultants et l'a condamnée à payer à la SAS Enchères VO la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens de l'instance.

Par déclaration reçue au greffe le 14 février 2022, la SARL J. Jannez Consultants a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 16 mai 2024, la SARL J. Jannez Consultants demande à la cour, au visa des articles L 442-6 du code de commerce et 1193, 1217, 1231 et suivants et 1240 du code civil, de :

- réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions en ce qu'il a notamment débouté la SARL J. Jannez Consultants de l'intégralité' de ses demandes et en ce qu'il est entré en voie de condamnation à son encontre ;

- statuant à nouveau, constater que la rupture du contrat commercial liant la SAS Enchères VO à la SARL J. Jannez Consultants est brutale et sans préavis suffisant compte tenu de la durée de la convention, et sans courrier ni préavis pour les contrats d'accès au site internet et pour le contrat de mandat d'apport d'affaire ;

- condamner la SAS Enchères VO à payer à la SARL J. Jannez Consultants la somme de 600 000 euros au titre de son préjudice économique du fait de la rupture des relations contractuelles établies ;

- condamner la SAS Enchères VO à payer à la SARL J. Jannez Consultants la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la SAS Enchères VO aux entiers dépens.

En réponse, dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique 6 mai 2024, la SAS Enchères VO demande à la cour, au visa des articles 1240, 1353 et 1984 du code civil, L 442-6 du code de commerce et 954 du code de procédure civile, de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 17 décembre 2021 ;

- débouter en conséquence la SARL J. Jannez Consultants de l'intégralité de ses demandes ;

- condamner la SARL J. Jannez Consultants à payer à la SAS Enchères VO une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la SARL J. Jannez Consultants aux entiers dépens.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 juin 2024. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l'arrêt sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile.

MOTIVATION

1°) Sur la rupture brutale des relations

Moyens des parties

La SARL J. Jannez Consultants soutient avoir entretenu avec la SAS Enchères VO des relations commerciales établies d'une durée totale de 14 ans (à raison de 8 ans pour les ventes physiques puis de 6 ans pour les ventes en ligne, ces activités s'étant succédées) portant sur un contrat de mandat d'apport d'affaires, un contrat de prestation sur l'organisation et le suivi des ventes des biens apportés ainsi que des contrats de placement de véhicules à la vente pour son compte personnel et celui de ses clients. Elle estime que la rupture notifiée le 7 mars 2017 :

- ne pouvait concerner le mandat d'apport d'affaires qui n'est pas une relation commerciale mais que ce dernier a néanmoins cessé d'être exécuté sans motif légitime dans le seul but de capter sa clientèle. Elle ajoute qu'elle ne pouvait pas porter sur le placement de véhicules pour le compte de ses clients faute de rapport commercial entre elles, mais indique que, en refusant tout placement par son intermédiaire, la SAS Enchères VO « n'a pas rompu le contrat lui permettant d'accéder pour le compte de ses clients à sa plateforme de vente, [mais] leur rapport commercial » et que, faute d'avoir « dénoncé cette faculté [' elle] a donc rompu sans préavis et sans motif ce rapport » ;

- portait nécessairement sur la prise en charge de ses véhicules et devait alors respecter un préavis d'un mois par année d'ancienneté, soit 14 mois, durée qui devait être doublée en application de l'article L 442-6 I 5° in fine puisque la relation portait sur la vente aux enchères en ligne de véhicules.

Elle expose que son préjudice, qui « trouve origine dans l'inexécution du contrat comme dans une faute civile distincte mais fortement en rapport qui toutes deux ont concouru à la réalisation d'un préjudice d'ensemble affectant [son] activité économique », fautes également qualifiées de « pratiques anticoncurrentielles ou parasitaires », correspond à sa « perte de chiffre d'affaires estimée à un montant de 600 000 euros égal à deux ans de marge brute moyenne ». Elle ajoute enfin que la SAS Enchères VO a eu « un comportement totalement déloyal [en l']empêchant de présenter des véhicules dans ses ventes [et en tarissant] une partie de ses canaux de vente, [en rendant] impossible l'exécution des mandats des clients qui souhaitaient que les ventes passent aussi par les ventes en ligne de [la SAS Enchères VO] et [en la plaçant] en situation de faiblesse pour décider les clients à lui confier directement les ventes et ainsi [les] détourn[er] », « cette action [étant] déloyale et constitu[ant] un manquement contractuel, durant le préavis, et ensuite une faute délictuelle qui doit être sanctionnée ».

En réponse, la SAS Enchères VO expose que la SARL J. Jannez Consultants n'est pas vendeur mais intermédiaire de vente assurant, dans le cadre du contrat de mandat conclu avec ses clientes, dont la société Fiat Chrysler Automobiles, le suivi et la gestion de la relation avec les sociétés qui, au même titre qu'elle, avaient reçu mandat de vente. Elle en déduit que les relations entre les parties étaient encadrées par deux mandats distincts confiés à l'une et à l'autre par le vendeur, aucun contrat n'étant en revanche conclu entre elle et la SARL J. Jannez Consultants qui n'exécutait aucune prestation à son bénéfice ou pour son compte. Soutenant que la relation commerciale au sens de l'article L 442-6 I 5° du code de commerce suppose des échanges commerciaux directs entre les partenaires et soulignant le caractère indirect de leurs rapports, elle estime que le dispositif prévu par ce texte n'est pas applicable. Elle ajoute que la relation n'était pas stable faute de contrat et qu'elle dépendait de la volonté du vendeur qu'était la société Fiat Chrysler Automobiles, les commissions perçues ayant ainsi significativement varié entre 2013 et 2018. Elle précise que la SARL J. Jannez Consultants, qui confond relations contractuelles et commerciales, ne justifie pas de l'existence d'un contrat de mandat conformément à l'article 1359 du code civil.

Subsidiairement, elle estime que les préavis accordés étaient suffisants au regard de la nature et de l'ancienneté de la relation, débutée en septembre 2008 pour les ventes physiques et en janvier 2011 pour les ventes en ligne, ainsi que de sa perte d'intensité dès 2016. Relevant le fait que la relation n'a pas été rompue à l'issue d'une mise en concurrence par enchères à distance, elle s'oppose à tout doublement du préavis. Elle précise enfin que le préjudice allégué n'est démontré ni en son principe ni en sa mesure et qu'aucune demande n'est présentée au titre de la concurrence déloyale et parasitaire évoquée par la SARL J. Jannez Consultants.

Réponse de la cour

- Sur le cadre juridique

Conformément aux articles 12 et 16 du code de procédure civile, le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables et doit donner ou restituer dans le respect du principe de la contradiction leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.

La SARL J. Jannez Consultants vise dans le dispositif de ses écritures les textes régissant la force obligatoire des contrats et la responsabilité contractuelle d'une part (articles 1193, 1217 et 1231 et suivants du code civil) et la responsabilité délictuelle d'autre part (articles 1240 du code civil et L 442-6 du code de commerce, sans distinction entre la responsabilité civile de droit commun et celle spécifique des pratiques restrictives de concurrence, alors pourtant que le second texte consacre un régime spécial de responsabilité de nature délictuelle exclusif de celui du droit commun issu du premier : en ce sens, Com., 2 octobre 2019, n° 18 15.676). Elle entretient cette confusion en évoquant des relations contractuelles (mandat d'apport d'affaires ; placement des véhicules dont la nature contractuelle est affirmée immédiatement après avoir été contestée - page 13 de ses écritures -) qui seraient distinctes d'une relation commerciale portant sur la prise en charge de ses véhicules par la SAS Enchères VO. Enfin, elle n'opère aucun rattachement entre les fautes de natures distinctes qu'elle évoque sans les expliciter (« le préjudice trouve son origine dans l'inexécution du contrat comme dans une faute civile ») et ne motive en réalité qu'une faute résidant dans la rupture des relations.

Cette argumentation manque en droit et en fait :

- les textes visés instituent des régimes de responsabilité (contractuel et délictuels) distincts réparant des préjudices différents. Aussi, en vertu des dispositions combinées des articles 1103, 1231 et suivants et 1240 du code civil, la responsabilité délictuelle ne peut pas régir les rapports contractuels entre les parties qui ne disposent ni d'une option entre ces deux régimes de responsabilité, l'existence d'une faute commise dans l'exécution d'un contrat imposant la mise en 'uvre exclusive de la responsabilité contractuelle de son auteur qui à l'inverse ne régit pas les relations hors convention, ni d'une possibilité de cumul des actions dont les fondements sont juridiquement incompatibles. Et, ainsi que le souligne la SAS Enchères VO, la SARL J. Jannez Consultants ne ventile pas ses différents préjudices en considération des fondements spécifiques qu'elle invoque, constat qui commanderait à lui seul le rejet de ses demandes dont le fondement exact est indéterminable. Cette indétermination est significativement aggravée par le fait que, bien que présenté comme unique, le préjudice dont la réparation est poursuivie comprend des postes en lien avec la brutalité de la rupture (page 14 de ses écritures : insuffisance du temps accordé pour reconstituer son réseau) mais également avec des actes de concurrence déloyale qui ne sont ni motivés ni prouvés par les pièces produites (même page : détournement de clientèle). Elle l'est en outre par sa construction sur une équivalence entre des éléments comptables incomparables (même page : « Le préjudice économique s'arrête en une somme égale en une perte de chiffre d'affaires estimée à un montant de 600 000 euros égal à deux ans de marge brute moyenne ») ;

- la SARL J. Jannez Consultants, qui admet qu'elle ne recevait mandat que des propriétaires de véhicules vendeurs, ne démontre l'existence d'aucun contrat, même tacite, avec la SAS Enchères VO. Le seul rapport qui unit les parties, qui découle de la conjonction de l'exécution des mandats accordés d'une part à la SARL J. Jannez Consultants (mandat de placement de véhicules) et d'autre part à la SAS Enchères VO (mandat de vente) par les propriétaires cédants et porte sur le partage des commissions afférentes, est de nature strictement commerciale et n'est encadrée par aucune convention, hors celle, ponctuelle et répétée à chaque vente, relative à ce paiement. Aussi le fondement contractuel est-il inadéquat.

Dès lors, au regard de l'impossibilité juridique d'invoquer cumulativement, en réparation du même préjudice, des fautes de nature délictuelle et contractuelle et de l'inexistence de tout contrat liant les parties, le litige sera exclusivement examiné sous l'angle des dispositions de l'article L 442-6 I 5° du code de commerce, position spontanément adoptée par la SAS Enchères VO.

Sur ce dernier point, la SARL J. Jannez Consultants invoque globalement l'article L 442-6 du code de commerce et vise en corps de ses conclusions ses 2°, 4° et 5°. Pour autant, elle ne motive pas l'application des deux premiers qui obéissent à des régimes radicalement distincts de celui encadrant la rupture brutale des relations commerciales :

- elle ne démontre ni la soumission (ou à sa tentative) à des obligations qu'elle ne définit d'ailleurs pas ni l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties indispensables à la caractérisation de la pratique restrictive visée au 2° ;

- elle n'allègue pas une menace de rupture mais une cessation effective des relations et ne précise pas les conditions manifestement abusives que la SAS Enchères VO aurait obtenu ou tenté d'obtenir.

En conséquence, l'article L 442-6 I 5° du code de commerce est le seul fondement pertinent de l'action, les autres ne méritant aucun examen.

- Sur la rupture des relations

En application de l'article L 442-6 I 5° du code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas.

Au sens de ce texte, la relation, notion propre du droit des pratiques restrictives de concurrence qui n'implique aucun contrat (en ce sens, Com., 9 mars 2010, n° 09-10.216) et n'est soumise à aucun formalisme quoiqu'une convention ou une succession d'accords poursuivant un objectif commun puisse la caractériser, peut se satisfaire d'un simple courant d'affaires, sa nature commerciale étant entendue plus largement que la commercialité des articles L 110-1 et suivants du code de commerce comme la fourniture d'un produit ou d'une prestation de service (en ce sens, Com., 23 avril 2003, n° 01-11.664). Elle est établie dès lors qu'elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu'elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l'avenir, une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial (en ce sens, Com., 15 septembre 2009, n° 08-19.200 qui évoque « la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation commerciale »).

Par ailleurs, l'article L 442-6 I 5° du code de commerce sanctionne non la rupture, qui doit néanmoins être imputable à l'agent économique à qui elle est reprochée, mais sa brutalité qui résulte de l'absence de préavis écrit ou de préavis suffisant. Celui-ci, qui s'apprécie au moment de la notification ou de la matérialisation de la rupture, s'entend du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, soit pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement en bénéficiant, sauf circonstances particulières, d'un maintien des conditions antérieures (en ce sens, Com., 10 février 2015, n° 13-26.414), les éléments postérieurs ne pouvant être pris en compte pour déterminer sa durée (en ce sens, Com, 1er juin 2022, n° 20-18960). Les critères pertinents sont notamment l'ancienneté des relations et les usages commerciaux, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, l'éventuelle exclusivité des relations et la spécificité du marché et des produits et services en cause ainsi que tout obstacle économique ou juridique à la reconversion. En revanche, le comportement des partenaires consécutivement à la rupture est sans pertinence pour apprécier la suffisance du préavis accordé. La rupture peut être totale ou partielle, la relation commerciale devant dans ce dernier cas être modifiée substantiellement (en ce sens, Com. 31 mars 2016, n° 14-11.329 ; Com 20 novembre 2019, n° 18-11.966). Au regard de la fonction du préavis, la date d'appréciation de la suffisance de sa durée est celle de la notification de la rupture qui correspond à l'annonce faite par un cocontractant à l'autre de sa volonté univoque de cesser la relation à une date déterminée, seule information qui peut permettre au second de se projeter et d'organiser son redéploiement ou sa reconversion en disposant de la visibilité indispensable à toute anticipation.

Ainsi que le souligne la SAS Enchères VO, l'article L 442-6 I 5° du code de commerce suppose des échanges commerciaux directs entre les parties (à ce titre, la Cour de cassation a rappelé, dans son arrêt du 18 mars 2020, n° 18-20.256, que « seule la partie qui entretient directement une relation commerciale établie avec l'autre partie pouvant, sur le fondement de [ce texte], rechercher la responsabilité de cette dernière dans le cas où elle aurait, brutalement et sans préavis écrit, rompu cette relation, même partiellement, les tiers ne peuvent demander l'indemnisation du préjudice personnel que leur cause une telle rupture que sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile délictuelle » ; décision faisant écho à Com., 7 octobre 2014, n° 13-20-390).

La SARL J. Jannez Consultants, à qui incombe la charge de la preuve de l'existence d'une relation commerciale établie au sens de l'article 9 du code de procédure civile, peu important l'existence ou non d'un contrat écrit ou verbal support, ne produit que des factures de février et mars 2017, très insuffisantes pour permettre de qualifier et de quantifier un flux d'affaires censé caractériser une relation de 14 ans (sa pièce 7), et une attestation de son expert-comptable portant sur la période 2013 à mi 2017 (sa pièce 1), qui établit la perception par la SARL J. Jannez Consultants de commissions versées par la SAS Enchères VO de manière constante sur cette période (263 706 euros en 2013, 316 613 euros en 2014, 323 199 euros en 2015 et 218 085 euros en 2016). Si leurs montants varient et diminuent effectivement dès l'année 2016 qui n'est pas affectée par la rupture, ils sont suffisamment significatifs et continus pour caractériser un flux d'affaires direct entre les parties, de ce fait susceptibles d'être qualifiées de partenaires au sens de l'article L 442-6 I 5° du code de commerce.

Ainsi, la SARL J. Jannez Consultants prouve l'existence d'une relation commerciale établie avec la SAS Enchères VO qui ne peut de bonne foi la nier désormais alors qu'elle a spontanément procédé à la rupture par voie de notification écrite en accordant expressément deux préavis distincts, signe qu'elle considérait d'une part la relation comme directe et d'autre part qu'elle l'estimait suffisamment régulière, stable et significative. Cependant, au regard de la carence probatoire totale de la SARL J. Jannez Consultants sur la période antérieure à l'année 2013, la durée de la relation sera fixée dans les limites de l'aveu judiciaire de la SAS Enchères VO au sens des articles 1383 et 1383-2 du code civil (page 3 de ses écritures) : le partenariat a débuté en septembre 2008 pour les ventes sur site et en janvier 2011 pour les cessions en ligne (soit respectivement 8 ans et 6 mois et 6 ans et 2 mois au jour de la notification de la rupture). Enfin, cette relation est, hors distinction des ventes en ligne et sur site, unique et matériellement indivisible, la SARL J. Jannez Consultants n'apportant aucun élément tangible autorisant la dissociation qu'elle opère arbitrairement, et sa rupture est, hors variation de la durée des préavis, totale et non échelonnée, rien ne démontrant la réalité d'une coupure anticipée par la SAS Enchères VO de son accès à son site internet.

Les parties ne livrent aucun élément tangible sur la structure du marché et sur l'état de la concurrence que s'y livrent les acteurs ainsi que sur les possibilités de redéploiement de son activité par la SARL J. Jannez Consultants qui ne bénéficiait en fait ou en droit ni d'une exclusivité ni d'un engagement de volume et ne prétend pas qu'elle se trouvait dans une situation de dépendance économique à l'égard de son partenaire. De ce fait, les seuls critères exploitables par la Cour pour apprécier la suffisance du préavis éludé sont la durée de la relation et l'importance et la relative stabilité du flux d'affaires tel qu'il a déjà été analysé.

Au regard de ces éléments combinés, les préavis accordés, adaptés aux différentes durées des relations et dont l'inexécution totale ou partielle n'est par ailleurs pas alléguée, étaient suffisants. Et, la rupture de la relation commerciale ne résultant pas d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis n'a pas à être doublée au sens de l'article L 442-6 I 5° in fine du code de commerce.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté l'intégralité des demandes de la SARL J. Jannez Consultants qui ne justifie par ailleurs pas de sa marge et ne prouve ni le principe ni la mesure du préjudice qu'elle allègue, qui n'est pas en cohérence avec l'attestation de son expert-comptable.

2°) Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

Succombant en son appel, la SARL J. Jannez Consultants, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamnée à supporter les entiers dépens d'appel ainsi qu'à payer à la SAS Enchères VO la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la Cour ;

Y ajoutant,

Rejette la demande de la SARL J. Jannez Consultants au titre des frais irrépétibles ;

Condamne la SARL J. Jannez Consultants à payer à la SAS Enchères VO la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SARL J. Jannez Consultants à supporter les entiers dépens d'appel.