CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 3 juillet 2024, n° 21/20035
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Aurian (Sasu)
Défendeur :
Floriack (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brun-Lallemand
Conseillers :
Mme Depelley, M. Richaud
Avocats :
Me Boccon-Gibod, Me Weissenbacher, Me Lugosi, Me Macera
FAITS ET PROCEDURE
La SAS Aurian (anciennement, la SARL Aurian Philippe) exerce une activité principale de production de boissons fermentées non distillées, tels les boissons apéritives « Le Patchounet », « Les Coucougnettes » et « Le Gratte Cul » dont les noms, à l'exception du dernier, ont été déposés à titre de marques françaises verbales entre novembre 2006 et juillet 2017.
La SARL Floriack, spécialisée dans la vente de produits gastronomiques du Sud-Ouest, se fournit auprès de grossistes et vend ses produits au sein de ses trois points de vente de [Localité 8] et de [Localité 5] ou les distribue à deux entités dont elle est la société mère : la SARL Pitchouli, qui exploite un point de vente a à [Localité 7], et la SARL Xingaren Etxeha, qui exploite trois points de vente à [Localité 6].
La SAS Aurian a entretenu des relations commerciales avec la société Au Panier Gourmand qui commercialisait ses produits sous sa marque distributeur « La Pichouli » en vertu d'une cession du 17 août 2007. La SARL Floriack s'est substituée à celle-là dans ses relations avec la SAS Aurian, aucun contrat écrit n'ayant encadré ces dernières.
Par courrier de son conseil du 27 octobre 2017, la SARL Aurian Philippe a dénoncé la rupture brutale des relations et mis en demeure la SARL Floriack et ses deux filiales de cesser d'utiliser les signes « Patxounet », « Coucougnettes », « Les Roupettes » et « Gratte Cul » et de procéder au retrait de leurs demandes d'enregistrement de marques françaises constituées de ces derniers.
C'est dans ces circonstances que la SARL Aurian Philippe, invoquant une rupture brutale des relations commerciales établies à compter du mois de mai 2017, a, par acte d'huissier signifié le 2 janvier 2018, assigné la SARL Floriack devant le tribunal de commerce de Bordeaux sur le fondement de l'article L 442-6 I 5° du code de commerce.
Par jugement du 15 mars 2019, le tribunal de commerce de Bordeaux a débouté la SARL Aurian Philippe de toutes ses demandes et l'a condamnée à payer à la SARL Floriack la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Par déclaration reçue au greffe le 24 mai 2019, la SAS Aurian a interjeté appel de ce jugement.
A la demande des parties qui espéraient un règlement amiable du litige, l'affaire a été retirée du rôle le 23 février 2021 puis, les négociations n'ayant pas abouti, réinscrite le 17 décembre 2021.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique 17 décembre 2021, la SAS Aurian demande à la cour, au visa des articles 383 du code de procédure civile et L 442-6 I 5° du code de commerce :
- d'ordonner la réinscription de l'affaire retirée du rôle par ordonnance du 23 février 2021 ;
- d'infirmer le jugement entrepris jugement en ce qu'il déboute la SARL Aurian Philippe de l'ensemble de ses demandes, la condamne à payer à la SARL Floriack la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
- statuant à nouveau et y ajoutant, de :
* dire et juger que la SARL Floriack a rompu brutalement ses relations commerciales établies avec la SAS Aurian ;
* condamner en conséquence la SARL Floriack au paiement de la somme de 127 500 euros en réparation du préjudice subi par la SAS Aurian du fait de la rupture brutale de leurs relations commerciales établies ;
* condamner la SARL Floriack à payer à la SAS Aurian la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
* condamner la SARL Floriack aux entiers dépens ;
* débouter la SARL Floriack de toute demande contraire.
En réponse, dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 22 novembre 2019, la SARL Floriack demande à la cour, de :
- à titre principal :
* débouter la SAS Aurian de l'ensemble de ses demandes ;
* confirmer le jugement entrepris ;
* déclarer la décision exécutoire au vu de la seule minute ;
* condamner la demanderesse à verser à la SARL Floriack la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;
- à titre subsidiaire :
* décider que la somme que devra verser la SARL Floriack à l'appelante, dans l'hypothèse d'une reconnaissance d'une rupture brutale des relations commerciales établies, en réparation du préjudice subi, sera d'un montant de 20 000 euros ;
* débouter l'appelante de ses autres demandes.
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 avril 2024. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l'arrêt sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile.
MOTIVATION
1°) Sur la rupture brutale de la relation commerciale
Moyens des parties
Au soutien de son appel, la SAS Aurian revendique une ancienneté de relations de 15 ans impliquant des commandes annuelles oscillant entre 60 000 et 85 000 bouteilles. Elle précise que, dès sa substitution à la société Au Panier Gourmand, la SARL Floriack a, sans alerte préalable, cessé toute commande, lui imposant de conserver un important stock de bouteilles sous marque distributeur que les commandes résiduelles postérieures (3 % du chiffre d'affaires habituel) n'ont pas permis d'écouler. Elle ajoute que cette rupture brutale est d'autant plus déloyale qu'elle est intervenue dans un contexte de contrefaçon de ses marques par les filiales de la SARL Floriack pour concurrencer ses produits. Elle conteste les motifs invoqués par la SARL Floriack pour justifier la diminution du flux d'affaires que ni la fermeture de certains de ses points de vente ou le jeu de la concurrence ni les modifications des conditions de paiement des commandes n'expliquent. Elle estime le préavis éludé à 12 mois et calcule son indemnisation en utilisant un taux de marge brute de 52 % (127 500 euros).
En réponse, la SARL Floriack, qui ne conteste pas l'existence d'une relation commerciale établie qu'elle réduit toutefois à 10 ans, expose qu'elle n'a pas rompu les relations qui se sont poursuivies après le mois de mai 2017 (commandes d'août et décembre 2017), le flux d'affaires ne s'étant tari qu'à réception des mises en demeure de la SAS Aurian qui élevaient un litige dont l'importance excluait tout partenariat. Elle ajoute que des circonstances objectives expliquent la diminution des commandes (fermeture de plusieurs points de vente, baisse des ventes à raison de la concurrence, exigence soudaine du paiement lors des commandes pour celles inférieures à 1 000 euros et non plus à 30 jours, cessation de la sous-location des stands lors des foires ou salons). Elle en déduit qu'aucune rupture, totale ou partielle, ne lui est imputable. Subsidiairement, elle explique que la durée du préavis éludé ne peut excéder six mois, la SAS Aurian jouissant d'une faculté aisée de réorientation de son activité. Elle ajoute que cette dernière, qui ne prouve pas l'état de ses stocks, ne justifie pas de son chiffre d'affaires et de sa marge.
Réponse de la cour
En application de l'article L 442-6 I 5° du code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.
Sur les caractéristiques de la relation commerciale
Au sens de ce texte, la relation, notion propre du droit des pratiques restrictives de concurrence qui n'implique aucun contrat (en ce sens, Com., 9 mars 2010, n° 09-10.216) et n'est soumise à aucun formalisme quoiqu'une convention ou une succession d'accords poursuivant un objectif commun puisse la caractériser, peut se satisfaire d'un simple courant d'affaires, sa nature commerciale étant entendue plus largement que la commercialité des articles L 110-1 et suivants du code de commerce comme la fourniture d'un produit ou d'une prestation de service (en ce sens, Com., 23 avril 2003, n° 01-11.664). Elle est établie dès lors qu'elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu'elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l'avenir, une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial (en ce sens, Com., 15 septembre 2009, n° 08-19.200 qui évoque « la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation commerciale »). La poursuite de la relation par une personne distincte de celle qui l'a nouée initialement ne fait pas obstacle à sa stabilité en présence d'une transmission universelle de patrimoine et, à défaut, si des éléments démontrent que la commune intention des parties était de continuer la même relation (en ce sens, Com., 10 février 2021, n° 19-15.369).
Pour déterminer les caractéristiques de la relation commerciale, la Cour ne dispose que :
- d'un document interne de la SAS Aurian intitulé « stat client sur 2 ans » édité le 7 septembre 2017 et récapitulant les commandes de la SARL Floriack à compter de l'année 2012 (sa pièce 11). En l'absence de contestation de cette dernière, cette pièce, qui mentionne des livraisons annuelles moyennes avoisinant 70 000 bouteilles et un chiffre d'affaires significatif sur la période (219 279,83 euros en 2012, 195 878,39 en 2013, 268 183,61 euros en 2014, 248 408,32 euros en 2015 ; 248 797,30 euros en 2016 et 19 365,38 euros en 2017), sera prise en compte ;
- de l'attestation de l'expert-comptable de la SAS Aurian (sa pièce 26) qui certifie d'une part que celle-ci a réalisé avec la SARL Floriack des chiffres d'affaires de 268 183,61 euros en 2014, 248 541,20 euros en 2015, 249 332,35 euros en 2016 et 19 365,38 euros, les écarts avec les données précédentes n'étant pas expliquées mais étant insignifiantes, et d'autre part que sa « marge obtenue en moyenne » était de 50 % ;
- deux factures portant sur la période d'août à décembre 2017, postérieure à la date alléguée de la rupture, et visant des commandes de 5 611,20 euros HT (pièces 28 à 30 de l'appelante et 8 à 12 de l'intimée) ;
- des extraits du grand livre global définitif de la SARL Floriack pour les années 2014 à 2017 (sa pièce 15) consignant des achats ponctuels auprès de la SAS Aurian dans le cadre de foires, salons et fêtes.
Si le caractère établi de la relation commerciale n'est pas contesté et est confirmé par la stabilité, la continuité et la régularité du flux d'affaires et son importance quantitative jusqu'en 2017, aucune des pièces produties ne prouve qu'elle ait débuté avant l'année 2012. Cependant, au regard de l'aveu judiciaire au sens des articles 1383 et 1383-2 du code civil de la SARL Floriack qui admet l'existence d'un partenariat de 10 ans (page 9 de ses écritures), cette ancienneté sera retenue par la Cour.
Par ailleurs, la SAS Aurian ne produisant aucun document permettant de quantifier la part que représente la relation dans son chiffre d'affaires global, l'état de dépendance économique qu'elle allègue lapidairement n'est pas caractérisé.
Sur l'imputabilité de la rupture des relations et le préavis suffisant
L'article L 442-6 I 5° du code de commerce sanctionne non la rupture, qui doit néanmoins être imputable à l'agent économique à qui elle est reprochée, mais sa brutalité qui résulte de l'absence de préavis écrit ou de préavis suffisant. Celui-ci, qui s'apprécie au moment de la notification ou de la matérialisation de la rupture, s'entend du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, soit pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement en bénéficiant, sauf circonstances particulières, d'un maintien des conditions antérieures (en ce sens, Com., 10 février 2015, n° 13-26.414), les éléments postérieurs ne pouvant être pris en compte pour déterminer sa durée (en ce sens, Com, 1er juin 2022, n° 20-18960). Les critères pertinents sont notamment l'ancienneté des relations et les usages commerciaux, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, l'éventuelle exclusivité des relations et la spécificité du marché et des produits et services en cause ainsi que tout obstacle économique ou juridique à la reconversion. En revanche, le comportement des partenaires consécutivement à la rupture est sans pertinence pour apprécier la suffisance du préavis accordé. La rupture peut être totale ou partielle, la relation commerciale devant dans ce dernier cas être modifiée substantiellement (en ce sens, Com. 31 mars 2016, n° 14-11.329 ; Com 20 novembre 2019, n° 18-11.966).
La SAS Aurian impute dans ses écritures (pages 7, 11 et 13) à la SARL Floriack une rupture des relations en mai 2017, sa mise en demeure du 27 octobre 2017 ne mentionnant pour sa part aucune date précise. La SARL Floriack n'ayant jamais notifié son intention de rompre par écrit, la rupture ne peut résulter que d'une variation significative du flux d'affaires. En l'absence de contestation utile de l'exactitude des chiffres certifiés par l'expert-comptable de la SAS Aurian, qui sont très voisins de ceux mentionnés dans son document interne, ces données seront retenues pour apprécier celle-ci.
Or, elles établissent que, alors que le chiffre d'affaires annuel moyen dégagé à l'occasion de la relation par la SAS Aurian était de 255 352,38 euros entre 2014 et 2016, années pertinentes en ce qu'elles sont représentatives de la relation au regard des éléments non contestés produits pour les années antérieures et qu'elles ne sont pas affectées par la rupture alléguée, il a chuté à 19 365,38 euros en 2017, son montant atteignant 13 754,18 euros en l'amputant de la valeur des deux dernières commandes des 22 août et 18 décembre 2017 postérieures à la date de rupture alléguée. Cette évolution, qui révèle une baisse des commandes de près de 95 %, caractérise objectivement une rupture partielle de la relation en mai 2017 puis totale en décembre 2017 (pièces 9 à 12 de l'intimée), aucune commande n'ayant été passée ultérieurement, peu important que des magasins exploités par directement ou non par la SARL Floriack aient continué à commercialiser des produits de la SAS Aurian en janvier 2018, ce constat révélant l'existence de stocks non écoulés mais non celle d'achats contemporains (pièces 5 à 7 de l'intimée). Ainsi, les commandes d'août et décembre 2017 ne caractérisent pas un maintien de la relation mais confirment au contraire son étiolement rapide.
A défaut de toute notification écrite d'un préavis, cette rupture est par nature brutale.
Pour justifier la baisse de commandes qu'elle reconnaît en son principe, la SARL Floriack invoque d'abord la naissance du litige concomitante à l'envoi de la mise en demeure du 27 octobre 2017 dont les termes comminatoires et les prétentions indemnitaires « astronomiques » qu'elle récapitulait étaient incompatibles avec la poursuite sereine des relations. Cependant, bien postérieur à la rupture partielle des relations en mai 2017, ce courrier, qui n'a d'ailleurs pas fait obstacle à la commande de décembre 2017, n'a aucun rôle causal dans la cessation des relations.
Elle oppose ensuite des « circonstances objectives » résidant dans une diminution de ses besoins trouvant son origine dans la fermeture de plusieurs points de vente déficitaires et dans la concurrence féroce menée par des acteurs en expansion fournis par la SAS Aurian, dans l'accumulation d'un stock des produits de cette dernière, dans la diminution drastique de son propre chiffre d'affaires et, enfin, dans la modification de ses conditions facturation et de paiement par la SAS Aurian et dans l'arrêt brutal de la sous-location de stands par celle-ci.
Les quelques données produites par la SARL Floriack pour prouver ses difficultés financières n'en traduisent aucune : si son chiffre d'affaires a, comme son bilan, légèrement diminué pour passer de 2 635 300 euros en 2016 à 2 495 300 euros en 2017, ses bénéfices ont très largement augmentés, un gain de 86 900 euros se substituant au déficit constaté en 2016 (sa pièce 13). Et, si la fermeture prouvée de différents établissements peut fonder une baisse des commandes (pièces 16 à 18 de l'intimée), elle ne justifie pas l'absence de toute alerte de son partenaire : prévisible et anticipable, elle n'explique ni ne légitime la brutalité de la rupture. En outre, la SARL Floriack ne démontre pas une évolution de la concurrence telle qu'elle lui aurait, par sa soudaineté ou son intensité, imposé de cesser sans préavis tout approvisionnement auprès de la SAS Aurian, ce constat valant pour les stocks de ses produits identifiés dans les procès-verbaux de constat communiqués qui sont résiduels au regard des quantités habituellement commandées.
Par ailleurs, le changement des modalités de paiement imposé par la SAS Aurian, à une date d'ailleurs indéterminable et qui n'est prouvé qu'à compter de décembre 2017 (pièces 10, 11 et 14 de l'intimée), et l'arrêt de la sous-location de stands par cette dernière, qui concernait une activité résiduelle dégageant annuellement un chiffre d'affaires inférieur à 2 000 euros (pièce 15 de l'intimée), ne caractérisent ni une faute fondant la rupture brutale, qui n'est pas invoquée sous cette qualification par la SARL Floriack, ni une modification substantielle des modalités de la relation.
Aussi, la SARL Floriack ne prouve aucun fait justifiant la brutalité de la rupture qui lui est exclusivement imputable.
Les parties ne livrent aucun élément sur la structure du marché et sur l'état de la concurrence que s'y livrent les acteurs ainsi que sur les possibilités de redéploiement de son activité par la SAS Aurian qui ne bénéficiait en fait ou en droit ni d'une exclusivité ni d'un engagement de volume et ne se trouvait pas dans une situation de dépendance économique à l'égard de son partenaire. De ce fait, les seuls critères exploitables par la Cour pour apprécier la suffisance du préavis éludé sont la durée de la relation (10 ans reconnus au jour de la matérialisation de la rupture), l'importance et la stabilité du flux d'affaires tel qu'il a déjà été analysé et les possibilités aisées et non contestées de réorientation de son activité par la SAS Aurian. En revanche, le contexte de concurrence parasitaire et les actes de contrefaçon évoqués, qui ne sont pas en débat et n'ont pas été jugés, sont, comme l'état des stocks de la SAS Aurian qui n'est pas établi, indifférents.
Au regard de ces éléments combinés et de l'absence d'usage professionnel contraire, le préavis suffisant sera estimé à cinq mois, la proposition subsidiaire, à hauteur de six mois, faite par la SARL Floriack ne liant pas la Cour au sens de l'article 5 du code de procédure civile à la différence de sa demande de limitation de l'indemnisation à 20 000 euros, la durée du préavis n'étant qu'une modalité d'évaluation du préjudice.
Le préjudice causé à la SAS Aurian est constitué de son gain manqué qui correspond à sa marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée et les charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, appliquée au chiffre d'affaires moyen hors taxe qui aurait été généré pendant la durée du préavis éludé (en ce sens, Com. 28 juin 2023, n° 21-16.940 : « le préjudice principal résultant du caractère brutal de la rupture s'évalue en considération de la marge brute escomptée, c'est-à-dire la différence entre le chiffre d'affaires hors taxe escompté et les coûts variables hors taxe non supportés durant la période d'insuffisance de préavis, différence dont pourra encore être déduite, le cas échéant, la part des coûts fixes non supportés du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, durant la même période »). A ce titre, le préjudice subi, qui trouve son siège dans une anticipation déjouée, s'évalue à la date de la rupture à partir des éléments comptables antérieurs à celle-ci qui constituent le socle des prévisions de la victime, sans égard pour les circonstances postérieures telles sa reconversion durant la durée du préavis éludé. Celui-ci s'exécutant aux conditions de la relation, le gain manqué n'est que la projection de celui antérieurement réalisé.
Dans ce cadre, ainsi qu'il a été dit, les années 2014 à 2016 incluses, non affectées par la rupture, sont pertinentes. Le chiffre d'affaires annuel moyen sur cette période est de 255 352,38 euros.
L'expert-comptable de la SAS Aurian certifie un taux de marge brute moyen de 50 %. En l'absence de tout débat entre les parties sur la nature de cette marge, ce taux sera retenu et le préjudice de la SAS Aurian sera évalué à la somme de 47 587,21 euros déduction faite du montant perçu postérieurement à la rupture brutale partielle des relations commerciales (5 611,20 euros HT).
Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé en ce qu'il a rejeté la demande de la SAS Aurian et la SARL Floriack sera condamnée à lui payer la somme de 47 587,21 euros en réparation intégrale de son préjudice causé par la rupture brutale des relations commerciales
2°) Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement entrepris sera infirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens. La Cour constate néanmoins que la SAS Aurian ne forme aucune demande au titre de ces derniers.
Succombant, la SARL Floriack, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamnée à supporter les entiers dépens d'appel ainsi qu'à payer à la SAS Aurian la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la Cour ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Condamne la SARL Floriack à payer à la SAS Aurian la somme de 47 587,21 euros en réparation intégrale du préjudice causé par la rupture brutale de leurs relations commerciales établies ;
Y ajoutant,
Rejette la demande de la SARL Floriack au titre des frais irrépétibles ;
Condamne la SARL Floriack à payer à la SAS Aurian la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SARL Floriack à supporter les entiers dépens d'appel.