CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 4 juillet 2024, n° 21/18540
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Kinsky (Sté)
Défendeur :
Electricité de France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Recoules
Conseillers :
Mme Leroy, Mme Lebée
Avocats :
Me Morhange, Me Bellichach, Me Bouzidi-Fabre
FAITS ET PROCEDURE
Par bail commercial du 30 octobre 2001, la SCI du [Adresse 4], propriétaire d'un ensemble immobilier sis [Adresse 4] à [Localité 11], aux droits de laquelle vient la SARL Kinsky, a donné en location à la SA Électricité de France l'intégralité de ses locaux, pour une durée de 9 ans renouvelable, à compter du 30 octobre 2001, moyennant un loyer annuel de 494.167,30 € HT et HC.
En 2008, les locaux objet du bail ont été cédés à la société de droit luxembourgeois, la SARL Kinsky.
Le bail étant arrivé à expiration le 29 octobre 2010, il s'est poursuivi par tacite reconduction.
Par exploit d'huissier du 30 septembre 2011, la SARL Kinsky a donné congé à la SA EDF pour le 31 mars 2012 avec offre de renouvellement au 1er avril 2012.
Le 02 avril 2012, le bailleur a fait délivrer à la locataire un acte de signification de prise d'effet du nouveau bail commercial pour une durée de 9 ans, soit jusqu'au 31 mars 2021.
Par courrier recommandé avec avis de réception du 30 mars 2012, la SA Électricité de France a sollicité de son bailleur une révision du loyer à la somme de 540.000 € annuels HT et HC.
La SA Électricité de France a mandaté Monsieur [C] [Z], expert immobilier, aux fins de déterminer le montant du loyer, lequel a rendu son rapport le 29 mars 2014.
Par exploit d'huissier du 24 février 2015, la SA Électricité de France a fait assigner la SARL Kinsky devant le juge des loyers aux fins de fixation du loyer du bail renouvelé.
Par jugement du 27 juin 2015, le juge des loyers a désigné Madame [H] [G] ès-qualités d'expert afin de déterminer la valeur locative de l'ensemble immobilier. L'expert a déposé son rapport le 18 juillet 2018.
La SARL Kinsky a mandaté Monsieur [X] [T] aux mêmes fins, lequel a rendu son rapport le 14 mars 2017.
Par jugement du 16 mars 2021, le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire d'Evry a :
- fixé le montant du loyer du bail renouvelé entre la SA Électricité de France et la SARL de droit luxembourgeois Kinsky portant sur l'ensemble immobilier sis [Adresse 4] à [Localité 11] à la somme de 424.800 € par an HT et HC à compter du 1er avril 2012 ;
- dit que la SARL de droit luxembourgeois Kinsky doit rembourser à la SA Électricité de France la différence entre les loyers prévisionnels payés et les loyers effectivement dus depuis le 1er avril 2012 ;
- dit que ce différentiel portera intérêts au taux légal à compter du 24 février 2015 et de la date d'exigibilité de chaque échéance ;
- rejeté le surplus des demandes ;
- dit que chacune des parties gardera la charge définitive des dépens qu'elle a exposés et que les frais de l'expertise judiciaire seront supportés par moitié entre elles.
Par déclaration d'appel du 24 octobre 2021, la SARL Kinsky a interjeté appel total du jugement.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 28 février 2024.
MOYENS ET PRETENTIONS
Vu les conclusions déposées le 22 janvier 2024, par lesquelles la SARL Kinsky, appelante, demande à la Cour de :
- infirmer le jugement rendu par le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire d'Evry en date du 19 mars 2021 en ce qu'il a fixé le loyer de renouvellement à la somme de 424.800 € à compter du 1er avril 2012 et en ce qu'il a condamné la SARL Kinsky à rembourser la différence entre les loyers provisionnellement versés et les loyers dus à compter du 1er avril 2012 ;
Le cas échéant, après avoir ordonné une nouvelle expertise judiciaire,
- fixer le loyer de renouvellement à la somme de 666.000 € ;
- Subsidiairement, fixer la valeur locative à la somme de 471.880 € à la date du 1er avril 2012 ;
- dire et juger que le nouveau loyer ne sera dû qu'à compter de la demande du locataire, soit le 24 février 2015, subsidiairement à compter du 28 mars 2014 de sorte que l'obligation de remboursement du bailleur ne démarre qu'à compter de l'une de ces dates ;
- condamner la SA Électricité de France aux dépens de la procédure en application de l'article 696 du code de procédure civile.
Vu les conclusions déposées le 19 avril 2022, par lesquelles la SA Electricité de France, intimée, demande à la Cour de :
- confirmer le jugement rendu par le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire d'Evry en date du 19 mars 2021 en toutes ses dispositions ;
En conséquence,
- débouter la SARL Kinsky de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner la SARL Kinsky à la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Pour un exposé plus détaillé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie à leurs conclusions, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE,
1) Sur le montant du loyer renouvelé
Les parties s'accordent sur un renouvellement du bail au 1er avril 2012, ainsi que sur une fixation du loyer en renouvellement à la valeur locative, mais s'opposent quant au quantum de celle-ci et à l'application d'abattements.
Aux termes de l'article L. 145-33 du code de commerce, la valeur locative d'un local commercial doit être fixée d'après les caractéristiques du local considéré, la destination des lieux, les obligations respectives des parties, les facteurs locaux de commercialité et les prix couramment pratiqués dans le voisinage.
Le juge est tenu d'apprécier la valeur locative selon ces critères et d'apporter les correctifs nécessaires au vu des spécificités du local loué, de la date de renouvellement du bail et des éléments de comparaisons qui peuvent être identifiés.
Aux termes du jugement attaqué, le premier juge a fixé à la somme annuelle de 424.800 € HT/HC en principal, hors taxes et charges, à compter du 1er avril 2012 le montant du loyer annuel entre les parties, après avoir considéré que :
- l'expert a relevé que le commerce se trouve en c'ur de ville de la commune de [Localité 11], avec une visibilité limitée et des accès par voies secondaires, de nombreux emplacements de parkings, dans un immeuble récent et de bonne présentation, avec ascenseurs, climatisation, grandes terrasses, grands vestiaires, absence de restaurant et de coin restauration, et que, contrairement à l'estimation de Monsieur [T], il ne peut être fait de comparaison avec les valeurs prises dans le centre commercial [Adresse 14] qui se situe à proximité de l'A6, dans une zone commerciale comprenant de grandes enseignes, qui ont fait perdre au petit centre commercial son attractivité,
- i1 ne s'agit pas d'une vraie boutique puisque EDF n'y vend que des abonnements, rendant la comparaison avec les loyers des bureaux de la commune de [Localité 15], [Localité 9] ou [Localité 16] non pertinente, ces immeubles neufs ou récents étant à proximité immédiate de la gare de [Localité 15] (RER et TGV),
- l'expert a pris comme éléments de comparaison des locaux d'activités mixtes dont les surfaces se rapprochent de celle de l'ensemble immobilier de [Adresse 10], tels ceux du [Adresse 5] à [Localité 17] ou du [Adresse 2] à [Localité 18], et a également tenu compte de la situation des locaux en c'ur de ville mais avec une visibilité et des accès limités, la proximité des transports en commun, l'existence de nombreuses places de parkings, la bonne présentation de |'immeuble offrant ascenseurs et climatisation, ainsi que de l'existence de grands vestiaires qui peuvent s'avérer inutiles pour de nombreux preneurs, l'existence de terrasses dont la superficie est disproportionnée par rapport à la surface de bureaux et l'absence de restaurant ou de coin restauration malgré une superficie de bureaux importante,
- s'agissant des parkings, l'expert a relevé que sur [Localité 12], face à l'[Adresse 8], dans des immeubles de bureaux, les parkings sont loués 350 € par an en surface et 550 € en sous-sol, et a retenu cette évaluation au vu des éléments de comparaison, en se référant de manière pertinente aux baux des commerces alentour et au fait que les parkings ont pour EDF une utilité certaine, cette dernière employant de nombreuses équipes destinées à intervenir sur le réseau et disposant de véhicules de service,
l'expert a estimé la valeur locative des locaux loués à :
* 115 € pour les bureaux circulation sanitaires,
* 70 € pour le rez-de-chaussée locaux d'activités,
* 105 € pour les 1er, 2ème et 3ème étage bureaux circulation sanitaires
Soit un sous-total bureaux de 410.280 €,
* 3.900 € pour le préau extérieur,
* 300 € soit 31.200 € pour les parkings extérieurs,
* 500 € soit 26.500 € pour les parkings sous-sol,
Soit un sous-total parkings de 61.600 €,
- il convient de faire application de l'abattement de 10 % sur le loyer pour tenir compte de charges exorbitantes du droit commun pour le locataire, dans la mesure où si l'avis de l'expert subordonnant l'application de réductions ou abattements sur le loyer pour tenir compte de charges exorbitantes du droit commun pour le locataire à la condition que les autres baux du centre commercial, qui ont servi d'éléments de comparaison, comprennent les mêmes charges exorbitantes, ce point n'a pas été effectivement vérifié par ledit expert et ne peut l'être par la juridiction, à laquelle ces éléments de référence n'ont pas été communiqués en leur entier, de sorte que la bailleresse ne démontrant pas, comme il lui appartient, que tous les loyers des éléments de comparaison ont été fixés en considération de clauses exorbitantes du droit commun transférant aux locataires des charges incombant au bailleur, il convient de procéder à l'abattement sollicité par la locataire à hauteur de 10 %,
- Il en résulte un loyer annuel renouvelé de 471.880 €, arrondi à 472.000 € - 10 % = 424.800 €/an HT et HC au 1er avril 2012.
La SARL Kinsky sollicite l'infirmation du jugement querellé de ce chef et la fixation du loyer renouvelé à la somme de 666.000 €, et subsidiairement à la somme annuelle de 471.880 € à compter du 1er avril 2012, en faisant valoir pour l'essentiel qu'il y a lieu de retenir une valeur locative d'un montant de 666.000 €, telle que retenue par l'expert qu'elle a mandaté, sur la base de l'évaluation des parkings, des références retenues, de la qualité intrinsèque de l'immeuble et de son implantation sans appliquer ni le coefficient de 10 % ni la déduction de la taxe foncière de la valeur locative déterminée à partir de baux de référence car, pour ces derniers, elle était mise à la charge du preneur.
Elle ajoute que la demande de fixation judiciaire du loyer de renouvellement n'a été formulée pour la première fois qu'au sein du mémoire de la SA EDF en date du 28 mars 2014, de sorte que le loyer ne peut être fixé rétroactivement avant cette date.
La SA EDF s'oppose à cette demande et sollicite la confirmation du jugement entrepris de ce chef, en arguant principalement que l'expert judiciaire, afin d'évaluer la valeur locative, a relevé que le commerce se trouve en c'ur de ville de la commune de [Localité 11] mais dispose d'une visibilité limitée et d'accès par voies secondaires, qu'il existait de nombreux emplacements de parking et que l'immeuble est récent et de bonne présentation, et que les valeurs locatives de comparaison fournies par l'expert du bailleur doivent être écartées en ce qu'elles ne sont pas pertinentes, dès lors que la boutique EDF est excentrée des autres commerces, avec un accès difficile, et qu'elle ne vend que des abonnements, sachant que la plupart des services proposés peuvent désormais se faire en ligne ce dont il résulte qu'il y a donc lieu de retenir une valeur de locative de 472.000 €, telle que retenue par l'expert judiciaire et le juge des loyers commerciaux.
Elle souligne qu'au titre des charges exorbitantes supportées par le locataire, le tribunal a opté pour un abattement de 10 % plutôt que sur une déduction des charges exorbitantes du calcul du montant du loyer annuel.
Elle relève enfin que le juge des loyers commerciaux a fixé le nouveau loyer à la date du 1er avril 2012 alors que la société locataire a d'abord sollicité un loyer révisé à la somme de 540.000 € par lettre recommandée du 30 mars 2012, puits un loyer révisé à la somme de 367.000 € par mémoire en date du 29 mars 2014 et que le tribunal n'a pas fait droit à la demande de fixation du loyer révisé à la somme de 367.000 de sorte qu'il n'était plus tenu par la date à laquelle EDF avait formulé cette prétention.
Au cas d'espèce, s'agissant du prix unitaire, les moyens soutenus par l'appelante ne font que réitérer sans justification complémentaire utile ceux dont le premier juge a connu et auxquels il a répondu par des motifs pertinents et exacts que la cour adopte, en se fondant sur le rapport d'expertise judiciaire de Mme [G] tenant compte tant des caractéristiques propres du bien loué que des facteurs locaux de commercialité et des éléments de comparaison se référant aux baux des commerces alentour, dont il ressort un loyer annuel de 472.000 € HT/HC et un prix au m² de 120,56 € HC, qui apparaît pertinent et adapté aux locaux loués et au secteur dont ils dépendent, sans être contredits sérieusement par des éléments nouveaux fournis par la SARL Kinsky, en dehors d'un rapport d'expertise établi le 14 mars 2017 par M. [T] à la demande du bailleur, auquel tant l'expert judiciaire dans son rapport que le premier dans le jugement attaqué ont répondu par des motifs pertinents.
S'agissant de l'abattement de 10 % pour charges exorbitantes de droit commun, si la SARL Kinsky conteste son application par le premier juge, elle ne justifie cependant en cause d'appel d'aucun moyen ni élément nouveau de nature à remettre en cause la solution ainsi retenue par le premier juge par des motifs justement tirés des faits de la cause et de l'article R. 145-8 du code de commerce, qui invite à tenir compte des clauses du bail transférant sur le preneur des charges attachées à la qualité de propriétaire en ce qu'elles constituent un facteur de diminution de la valeur locative, l'affirmation selon laquelle ces clauses seraient usuelles ne permettant pas d'écarter l'application de ce facteur de minoration du loyer, chaque contrat de bail du centre commercial constituant un ensemble d'obligations réciproques spécifiques.
Le jugement sera par conséquent confirmé en ce qu'il a appliqué un abattement de 10 % au loyer pour charges exorbitantes de droit commun et fixé le loyer renouvelé à la somme de 424.800 € par an HT/HC.
S'agissant enfin de la date de prise d'effet du loyer renouvelé, si la SARL Kinsky sollicite qu'il soit jugé que le nouveau loyer ne sera dû qu'à compter de la demande du locataire, soit le 24 février 2015 et, subsidiairement à compter du 28 mars 2014, de sorte que l'obligation de remboursement du bailleur ne démarrerait qu'à compter de l'une de ces dates, la cour rappelle que le renouvellement du bail est intervenu le 1er avril 2012, de sorte que le loyer renouvelé fixé par le premier juge et confirmé par le présent arrêt est applicable à compter de cette date.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a fixé à 424.800 € le loyer HC/HT à compter du 1er avril 2012, et condamné la SARL Kinsky à rembourser la différence entre les loyers provisionnellement versés et les loyers dus à compter du 1er avril 2012.
2) Sur les demandes accessoires
L'équité commande de condamner la SARL Kinsky sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à verser à la SA EDF la somme de 3.000 €.
La SARL Kinsky succombant, sera condamnée aux entiers dépens d'appel, les dépens de première instance restant répartis ainsi que décidé par le premier juge.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort ;
Confirme le jugement rendu le 19 mars 2021 par le tribunal judiciaire d'Evry sous le n° RG 19/07485 en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne la SARL Kinsky à verser à la SA EDF la somme de 3.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SARL Kinsky aux entiers dépens d'appel.