CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 4 juillet 2024, n° 21/18063
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Époux
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Recoules
Conseillers :
Mme Leroy, Mme Lebée
Avocats :
Me Burger, Me Pelit-Jumel, Me Maillet
FAITS ET PROCEDURE
Par acte sous seing privé du 14 octobre 1985, Madame [O] [K], aux droits de laquelle viennent Monsieur [G] [S], Madame [L] [S] épouse [I] et Madame [N] [S] épouse [V], a donné à bail commercial à Madame [A] [F] épouse [M], des locaux situés [Adresse 7] à [Localité 11], pour une durée de neuf ans à compter du 1er octobre 1985, pour l'exploitation d'un commerce de « café ' vins ' liqueurs ' restaurant ' snack - brasserie ».
Le bail a été judiciairement renouvelé à compter du 1er juillet 1998, puis du 02 décembre 2008.
Par acte d'huissier en date des 13 et 21 juin 2017, Madame [A] [F] épouse [M] a signifié aux bailleurs une demande de renouvellement du bail venant à l'expiration le 1er décembre 2017 à minuit.
Par acte d'huissier en date du 29 juillet 2017, Monsieur [G] [S], Madame [L] [S] épouse [I] et Madame [N] [S] épouse [V] ont signifié à la locataire leur refus de renouveler le bail à compter du 02 décembre 2017 et une offre de paiement d'une indemnité d'éviction.
Par ordonnance en date du 25 juin 2019, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a désigné Monsieur [R] en qualité d'expert avec pour mission de donner son avis sur le montant de l'indemnité d'éviction due à Madame [A] [F] épouse [M], le paiement de la provision à valoir sur les honoraires de l'expert étant mis à la charge de la locataire. La désignation de l'expert, à défaut de consignation dans le délai imparti, est devenue caduque.
Par assignation délivrée les 02 et 08 juillet 2019, Madame [A] [F] épouse [M] a attrait Monsieur [G] [S], Madame [L] [S] épouse [I] et Madame [N] [S] épouse [V] devant le tribunal de grande instance de Paris, aux fins essentiellement de les voir condamnés au paiement de la somme de 160.000 € au titre de l'indemnité d'éviction lui revenant.
Le 10 janvier 2020, le juge de la mise en état a ordonné une médiation qui n'a pas prospéré.
Par jugement du 09 septembre 2021, le tribunal judiciaire de Paris a :
- dit que par l'effet du refus de renouvellement signifié le 28 juillet 2017, en réponse à une demande de renouvellement signifiée les 13 et 21 juin 2017, le bail liant M. [G] [S], Mme [L] [S] épouse [I] et Mme [N] [S] épouse [V], d'une part, et Mme [A] [F] épouse [M], d'autre part, et portant sur des locaux situés [Adresse 7] à [Localité 11], a pris fin le 1er décembre 2017 à minuit ;
- dit que ce refus de renouvellement a ouvert droit pour Mme [A] [F] épouse [M] au paiement d'une indemnité d'éviction et au maintien dans les lieux jusqu'au paiement de l'indemnité ;
- fixé à la somme globale de 192.296 € l'indemnité d'éviction due par M. [G] [S], Mme [L] [S] épouse [I] et Mme [N] [S] épouse [V] in solidum, à Mme [A] [F] épouse [M], qui se décompose ainsi :
- 169.933 € pour l'indemnité principale ;
- 16.993 € pour les frais de remploi ;
- 5.000 € pour les frais de déménagement ;
- 1.000 € pour les frais administratifs ;
- fixé à la date du présent jugement le point de départ des intérêts dus sur le montant de l'indemnité d'éviction ;
- condamné Mme [A] [F] épouse [M] à payer à M. [G] [S], Mme [L] [S] épouse [I] et Mme [N] [S] épouse [V] au titre du solde des charges, les sommes de 1.027,35 € pour l'année 2018 et de 1.025,14 € pour l'année 2019 ;
- ordonné la capitalisation des intérêts échus depuis plus d'une année ;
- condamné M. [G] [S], Mme [L] [S] épouse [I] et Mme [N] [S] épouse [V] in solidum aux dépens ;
- condamné M. [G] [S], Mme [L] [S] épouse [I] et Mme [N] [S] épouse [V] in solidum à payer à Mme [A] [F] épouse [M], la somme de 4.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté M. [G] [S], Mme [L] [S] épouse [I] et Mme [N] [S] épouse [V] de leur demande formée au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;
- rejeté toutes demandes plus amples ou contraires.
Par déclaration d'appel du 15 octobre 2021, Mme [A] [F] épouse [M] a interjeté appel partiel du jugement sur le montant de l'indemnité d'éviction qui lui est due.
Par conclusions déposées le 12 avril 2022, les consorts [S] ont formé un appel incident.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 28 février 2024.
MOYENS ET PRETENTIONS
Vu les conclusions déposées le 09 février 2024, par lesquelles Mme [A] [F] épouse [M], appelante, demande à la Cour de :
- la recevoir en son appel et ce faisant :
- débouter les intimés de toutes leurs demandes principales et incidentes, fins et conclusions et ce faisant :
- infirmer le jugement en ce qu'il a fixé le montant global de l'indemnité due à Madame [A] [F] épouse [M] à la somme de 192.926 € ;
Et, statuant à nouveau :
- fixer à la somme globale de 361.000 € l'indemnité d'éviction due par M. [G] [S], Mme [L] [S] épouse [I] et Mme [N] [S] épouse [V] in solidum, à Mme [A] [F] épouse [M], qui se décompose ainsi :
- 300.000 € pour l'indemnité- principale ;
- 30.000 € pour les frais de remploi ;
- 5.000 € pour les frais de déménagement ;
- 1.000 € pour les frais administratifs ;
- 25.000 € pour les frais de réinstallation ;
- condamner in solidum Monsieur [G] [S], Madame [L] [I] et Madame [N] [V] au paiement au profit de Madame [A] [F] épouse [M] de la somme de 4.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- assortir le montant des condamnations des intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision ;
- ordonner la capitalisation des intérêts pour ceux échus depuis plus d'un an en application de l'article 1343-2 du code civil ;
- condamner in solidum Monsieur [G] [S], Madame [L] [I] et Madame [N] [V] au paiement des entiers dépens en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Vu les conclusions déposées le 02 février 2024, par lesquelles M. [G] [S], Mme [L] [S] épouse [I] et Mme [N] [S] épouse [V], intimés, demandent à la Cour de :
- déclarer en tous points mal fondé l'appel interjeté par Madame [A] [M] d'un jugement rendu en date du 09 septembre 2021 par le tribunal judiciaire de Paris ;
Par conséquent,
- infirmer le jugement en ce qu'il a fixé à la somme globale de 192.926 € l'indemnité d'éviction due par Monsieur [G] [S], Mme [L] [S] épouse [I] et Mme [N] [S] épouse [V] in solidum à Mme [A] [F] épouse [M], se décomposant comme suit :
- 169.933 € pour l'indemnité principale ;
- 16.993 € pour les frais de remploi ;
- 5.000 € pour les frais de déménagement ;
- 1.000 € pour les frais administratifs ;
- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné Monsieur [G] [S], Mme [L] [S] épouse [I] et Mme [N] [S] épouse [V] in solidum aux dépens et au paiement d'une somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Et statuant à nouveau,
A titre principal,
- juger que le transfert du fonds de commerce donné en location-gérance à Monsieur [Z] [H] [Y] est possible ;
- fixer par conséquent l'indemnité d'éviction due à Madame [A] [F] épouse [M] à la somme de 76.000 €, à parfaire des frais de licenciement, sur justificatifs ;
A titre subsidiaire,
- fixer le montant de l'indemnité d'éviction due à Madame [A] [F] épouse [M] à la somme de 138.070,40 €, à parfaire des frais de licenciement sur justificatifs ;
En tout état de cause,
- juger qu'aucune indemnité accessoire n'est due en l'absence de démonstration par Madame [A] [F] épouse [M] des préjudices accessoires à l'éviction qu'elle subirait et en l'absence de production du moindre justificatif ou devis y afférent ;
- débouter Madame [A] [F] épouse [M] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner Madame [A] [F] épouse [M] au paiement au profit des consorts [S] d'une somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Belgin Pelit-Jumel, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Pour un exposé plus détaillé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie à leurs conclusions, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE,
1. Sur l'indemnité d'éviction
Aux termes de l'article L. 145-14 du code de commerce, le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, il est alors tenu, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, de verser au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.
En 1'espèce, Monsieur [G] [S], Madame [L] [S] épouse [I] et Madame [N] [S] épouse [V] ont délivré le 29 juillet 2017 à Madame [A] [F] épouse [M] un refus de renouvellement et offre de paiement d'une indemnité d'éviction. Ce refus de renouvellement a mis fin, à compter du 1er décembre 2017, au bail liant les parties et ouvert droit, pour le preneur, au maintien dans les lieux et oblige les bailleurs au paiement d'une indemnité d'éviction.
a) Sur l'indemnité principale
L'indemnité d'éviction a pour objet de compenser le préjudice qui résulte pour le locataire de la perte de son droit au bail. Si le fonds n'est pas transférable, l'indemnité principale correspond à la valeur du fonds, qui est dite de remplacement et qui comprend la valeur marchande du fonds, déterminée selon les usages de la profession, la valeur plancher étant le droit au bail. Si le fonds est transférable, l'indemnité principale correspond à la valeur du droit au bail, élément incorporel majeur du fonds de commerce.
Il est par ailleurs usuel de mesurer les conséquences de l'éviction sur l'activité exercée afin de déterminer si cette dernière peut être déplacée sans perte importante de clientèle auquel cas l'indemnité d'éviction prend le caractère d'une indemnité de transfert ou si l'éviction entraînera la perte du fonds, ce qui confère alors à l'indemnité d'éviction une valeur de remplacement.
Il est admis que l'indemnité d'éviction s'évalue à la date la plus proche de l'éviction et que la valeur du fonds de commerce est au moins égale à celle du droit au bail qui s'y trouve incluse.
' Sur la nature de l'indemnité d'éviction
Aux termes du jugement entrepris, le premier juge a estimé que l'indemnité principale d'éviction due à Madame [A] [F] épouse [M] devait être égale à la valeur du fonds de commerce, après avoir considéré que cette indemnité était une indemnité de remplacement, dans la mesure où si le fonds de commerce a été donné en location-gérance par Madame [A] [F] épouse [M] à M. [Z] [H] [Y] par contrat en date du 4 septembre 2015, moyennant le paiement d'une redevance égale à 2.700 € par mois, Madame [A] [F] épouse [M] conservant la jouissance du premier étage au titre de son habitation, et que M. [B], expert, souligne qu'au regard de 1'activité exercée de « Café-vins-liqueurs- restaurant-snack-brasserie », l'exploitation pourrait être transférable dans la même zone de chalandise, sans une perte de clientèle significative, les bailleurs ne démontrent cependant pas que le fonds ainsi exploité, à savoir un restaurant de spécialités colombiennes sans prétention, s'adressant principalement à une clientèle de proximité, et dont les aménagements réalisés dans le commerce sont datés et à l'état d'usage sans correspondre aux attentes contemporaines des commerçants et investisseurs, aurait acquis une autorité lui permettant de s'établir dans un autre quartier sans perte significative de clientèle.
Madame [A] [F] épouse [M] sollicite la confirmation du jugement querellé de ce chef, tandis que Monsieur [G] [S], Madame [L] [S] épouse [I] et Madame [N] [S] épouse [V] contestent quant à eux cette analyse du premier juge en excipant de la transférabilité du fonds, le locataire gérant de Madame [M] exploitant un restaurant de spécialités colombiennes situé dans le 11ème arrondissement, dans un secteur qui accueille de nombreux commerces de proximité ainsi que plusieurs restaurants et dont la population est composée en grand partie de cadres supérieurs, dirigeants ou ingénieurs, dans un quartier propice à l'activité de restauration exercée et disposant d'une offre locative abondante et peu chère, ce qui ne peut que favoriser le transfert du fonds.
Ils soulignent que la clientèle du fonds est attachée à son ambiance et son offre de restauration spécifique et non à son emplacement géographique, de sorte que la perte de clientèle qu'occasionnerait le transfert du fonds serait nécessairement limitée et que la locataire doit être indemnisée sur la base d'une indemnité de déplacement comprenant la valeur du droit au bail, évaluée par l'expert à 76.000 €, outre les frais de licenciements.
Au cas d'espèce, dans le cadre de son rapport établi le 06 avril 2017 à la demande de Madame [A] [F] épouse [M], M. [B], expert, a estimé qu'au regard de l'activité exercée de « Café-vins-liqueurs-restaurant-snack-brasserie », l'exploitation pourrait être transférable dans la même zone de chalandise, sans perte de clientèle significative, tout en précisant que « la possibilité de transférer le fonds de commerce dans d'autres locaux n'est pas une certitude »,ce qui l'a conduit à déterminer également la valeur du fonds en cas de disparition de celui-ci.
Or, il incombe aux bailleurs d'établir la nature transférable du fonds de commerce.
Si ces derniers versent en cause d'appel sept annonces de biens disponibles au cours de l'année 2022, pour des locaux commerciaux situés dans le 11ème arrondissement, le nombre de ces annonces, dont certaines ne comportent pas des aménagements permettant l'activité de restauration, ne saurait établir avec suffisance qu'un local comparable à celui actuellement occupé en termes de visibilité et d'accessibilité puisse exister.
Par ailleurs, il ne résulte pas des deux uniques pièces versées aux débats par Monsieur [G] [S], Madame [L] [S] épouse [I] et Madame [N] [S] épouse [V] une quelconque preuve que le fonds de restauration colombienne exploité disposerait, en dehors de sa clientèle de proximité, d'une notoriété lui permettant de s'établir dans un autre quartier sans perte significative de clientèle.
En conséquence, c'est à bon droit que le premier juge a estimé que les bailleurs n'établissaient pas que le fonds de commerce était transférable et a donc jugé que l'indemnité d'éviction correspondait à une indemnité de remplacement, égale à la plus grande valeur entre la valeur du fonds de commerce et la valeur du droit au bail. Le jugement sera confirmé en ce sens.
' Sur le montant de l'indemnité d'éviction principale due à Madame [A] [F] épouse [M]
Aux termes de l'article L. 145-14 du code de commerce, en cas de congé avec refus de renouvellement, le bailleur doit payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement, l'indemnité d'éviction étant destinée à permettre au locataire évincé de voir réparer l'entier préjudice résultant du défaut de renouvellement. Elle comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.
Il est admis que l'indemnité d'éviction s'évalue à la date la plus proche de l'éviction et que la valeur du fonds de commerce est au moins égale à celle du droit au bail qui s'y trouve incluse.
Les conséquences de l'éviction s'apprécient in concreto au regard de la possibilité pour le locataire de conserver son fonds de commerce sans perte de clientèle importante, auquel cas l'indemnisation prend la forme d'une indemnité de transfert, ou de la perte du fonds de commerce, auquel cas l'indemnisation prend la forme d'une indemnité de remplacement.
Cette appréciation implique dans un premier temps d'étudier les caractéristiques du bail s'agissant de sa destination, des clauses usuelles ou exorbitantes de droit commun y incluses, et des locaux s'agissant de leur implantation, de leur emplacement, de leur aménagement, et de leur commercialité, ce que le tribunal a opéré par motifs détaillés que la cour adopte et auxquels il est renvoyé.
Aux termes du jugement querellé, le premier juge a retenu une indemnité principale de 169.933 €, après avoir considéré que :
' il n'est pas contesté que la valeur du droit au bail, évaluée à la somme de 76.000 € par M. [B], non contestée par les parties, est inférieure à la valeur du fonds de commerce, égale a minima à la somme de 100.000 € évaluée par M. [B], et à la somme de 200.000 € selon Madame [A] [F] épouse [M], de sorte que l'indemnité principale d'éviction sera fixée à la valeur du fonds de commerce,
' pour évaluer la valeur du fonds de commerce, si M. [B] indique qu'en matière de location-gérance, la jurisprudence semble privilégier de manière dominante une valeur du fonds issue des bilans du locataire-gérant et non des redevances perçues par le locataire principal, il précise néanmoins que les bilans comptables ne lui ayant pas été communiqués il convient de retenir une méthode par comparaison des cessions de restaurants situés à proximité, dont il résulte pour lui une valeur du fonds de 100.000 €, après comparaison avec 13 références de cessions de restaurants situés à proximité, faisant ressortir une fourchette comprise entre 60.000 € et 400.000 €, et consultation d'une vente de fonds de commerce de restauration situé [Adresse 4] pour 95.000 € intervenue en juin 2016,
' cependant, le fonds de commerce de Madame [A] [F] épouse [M] constituant son instrument de travail et non un placement financier, la méthode de valorisation par la capitalisation de la redevance n'est pas pertinente et ne peut être retenue,
' il est d'usage de calculer la valeur du fonds donné en location-gérance en se référant aux chiffres d'affaires ou aux résultats réalisés par le locataire gérant et à la date la plus proche du jour où l'éviction est effective, soit au jour où il est statué lorsque le preneur se maintient dans les lieux,
' Madame [A] [F] épouse [M] ayant communiqué les bilans simplifiés de son locataire-gérant pour les années 2016 et 2018, dont il ressort un chiffre d'affaires moyen sur ces trois années de 212.416 €, et le barème d'usage appliquant un pourcentage de 50 à 105 % du chiffre d'affaires TTC par an, sans que Madame [A] [F] épouse [M] ne justifie du pourcentage de 134 % dont elle sollicite l'application, et compte tenu de la bonne qualité de l'emplacement, dans un secteur dynamique et densément peuplé mais sur un tronçon moins recherché de la [Adresse 12], il y a lieu de retenir un barème moyen de 80 % soit en l'espèce une valorisation du fonds de commerce à 169.933 €, montant auquel sera fixée l'indemnité d'éviction.
Madame [A] [F] épouse [M] sollicite l'infirmation du jugement de ce chef et la fixation d'une indemnité principale de 300.000 € en arguant que son propre expert ne disposait pas du chiffre d'affaires généré par le locataire gérant, lequel avait refusé de communiquer les éléments comptables lorsqu'il a valorisé le fonds de commerce.
Or, sur la base du chiffre d'affaires connu pour 2018 de 251.000 €, il y a lieu de retenir un pourcentage de 134 %, de sorte que la valeur du fonds de commerce s'élève à 336.340 €, tout en écartant les données comptables de l'exploitation du fonds sur la période 2020-2021 qui ne sont pas représentatives de l'activité du fonds en raison de diverses mesures gouvernementales liées à la pandémie de Covid 19.
Madame [A] [F] épouse [M] ajoute qu'en valorisant le fonds de commerce par la méthode de la capitalisation de la redevance, la redevance mensuelle s'élevant à 2.700 €, par capitalisation du montant de cette redevance sur neuf années, cette valorisation du fonds de commerce s'élèverait à la somme de 291.600 €.
Monsieur [G] [S], Madame [L] [S] épouse [I] et Madame [N] [S] épouse [V] concluent également à l'infirmation du jugement querellé et à la fixation à titre subsidiaire d'une indemnité d'éviction principale de 138.070,40 €, en faisant valoir pour l'essentiel que dans le cas d'une intransférabilité du fonds, il y a lieu d'évaluer la valeur du fonds de commerce en appliquant un barème moyen de 65 % du chiffre d'affaires moyen réalisé par le locataire gérant sur les trois dernières années, compte tenu du fait que le fonds se situe dans un secteur d'une assez bonne commercialité sans pour autant dégager un chiffre d'affaires assez élevé.
Or, les intimés relèvent que Madame [M] n'a pas communiqué à son propre expert les éléments comptables permettant de déterminer le chiffre d'affaires moyen réalisé par son locataire gérant, ni le contrat de location gérance qui les lie, entretenant ainsi une opacité sur les derniers résultats de son locataire, en se fondant sur les chiffres des années 2016 à 2018 alors que l'indemnité d'éviction doit être calculée au plus près de la date de départ du locataire.
Au cas d'espèce, c'est à bon droit que le premier juge a écarté la méthode d'évaluation par capitalisation de la redevance, le fonds de commerce étant l'instrument de travail de Madame [A] [F] épouse [M] et non un investissement financier de sa part, tout comme il a écarté la méthode de comparaison retenue par l'expert, dès lors que Madame [A] [F] épouse [M] a fourni les éléments comptables de son locataire-gérant.
Il s'en infère que pour évaluer le fonds de commerce donné en location gérance, il convient de se référer aux chiffres d'affaires ou aux résultats réalisés par le locataire gérant et à la date la plus proche du jour où l'éviction est effective, soit au jour où il est statué lorsque le preneur se maintient dans les lieux.
Néanmoins, eu égard à la crise sanitaire liée au Covid 19 qui a entraîné au cours des années 2020 et 2021 des confinements et mesures de restrictions aux activités de restauration, il convient de ne pas tenir compte des bilans comptables sur ces deux exercices, qui ne sont pas représentatifs de l'activité réelle déployée par le fonds de commerce de Madame [A] [F] épouse [M].
Or en l'état de la lecture des trois derniers bilans comptables dont la cour peut tenir compte, à savoir 2017, 2018 et 2019, faute pour Madame [A] [F] épouse [M] de produire les éléments comptables du fonds de commerce de son locataire-gérant pour 2022 et 2023, il s'infère un chiffre d'affaires moyen de 254.001 €.
Si Madame [A] [F] épouse [M] sollicite l'application d'un coefficient de 134 % à ce chiffre d'affaires pour pouvoir valoriser l'indemnité d'éviction qui lui est due, force est de relever, à l'instar du premier juge, qu'elle ne justifie par aucune pièce d'un motif permettant d'écarter l'usage en vigueur pour les fonds de restauration, qui calcule l'indemnité d'éviction à hauteur de 50 à 105 % du chiffre d'affaires TTC par an.
En conséquence, en l'état du bon emplacement du fonds, dans un secteur dynamique densément peuplé, mais néanmoins sur un tronçon moins recherché de la [Adresse 12], il convient d'approuver le premier juge d'avoir retenu un pourcentage de 80 %, qui apparaît pertinent, et de fixer dès lors l'indemnité d'éviction principale à la somme de 203.200 €.
Il convient par conséquent d'infirmer le jugement en ce qu'il a fixé l'indemnité principale d'éviction à 169.933 €.
b) Sur les frais de remploi
Aux termes du jugement entrepris, le premier juge a fixé au bénéfice de Madame [A] [F] épouse [M] une indemnité de remploi de 16.993 € correspondant à une base forfaitaire de 10 % de l'indemnité principale, et ce conformément aux usages.
Madame [A] [F] épouse [M] sollicite l'infirmation e du jugement de ce chef et la fixation à son bénéfice d'une indemnité de frais de remploi de 30.000 € en cause d'appel correspondant à 10 % de l'indemnité d'éviction principale, conformément aux usages.
Monsieur [G] [S], Madame [L] [S] épouse [I] et Madame [N] [S] épouse [V] sollicitent également l'infirmation du jugement querellé de ce chef, et le versement d'une somme de 61.000 € au titre de l'ensemble des indemnités accessoires, faute de démonstration par l'appelante de préjudices accessoires à l'éviction qu'elle subirait.
Néanmoins, l'indemnité d'éviction principale étant fixée par la cour à 203.200 €, le montant des frais de remploi, correspondant à 10 % de ladite indemnité, conformément aux usages, sera dès lors fixé à 20.320 €.
Le jugement sera par conséquent infirmé de ce chef.
c) Sur les frais de déménagement et frais administratifs
L'indemnité pour frais de déménagement a pour objet d'indemniser le preneur des frais exposés pour libérer les locaux dont il est évincé, tandis que l'indemnité pour les frais administratifs a pour objet de compenser les frais de formalités du transfert de siège social, les frais exposés pour informer la clientèle de la nouvelle adresse ou les frais de recherche d'un nouveau logement attaché au fonds de commerce.
Aux termes du jugement querellé, le premier juge a condamné les bailleurs à verser 5.000 € au titre des frais de déménagement et 1.000 € au titre des frais administratifs, conformément aux préconisations de l'expert.
Madame [A] [F] épouse [M] sollicite la confirmation de ce chef du jugement, tandis que les bailleurs le contestent, en l'absence de preuve par Madame [A] [F] épouse [M] d'un quelconque préjudice accessoire à l'éviction qu'elle subirait, et de leur quantum.
Si Madame [A] [F] épouse [M] n'a effectivement pas versé aux débats d'éléments démontrant un quelconque projet de réinstallation, ni communiqué un devis de déménagement, il n'en demeure pas moins que son éviction va nécessairement entraîner des frais pour libérer les locaux, ainsi que des frais pour compenser les frais de formalités du transfert de siège social, les frais exposés pour informer la clientèle de la nouvelle adresse ou les frais de recherche d'un nouveau logement pour Madame [A] [F] épouse [M] attaché au fonds de commerce loué à M. [H] [Y].
En conséquence, il échet de confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné le remboursement des frais de déménagement et frais administratifs à hauteur respectivement de 5.000 € et de 1.000 €, montant forfaitaire pertinent en l'état du mobilier se trouvant dans le fonds, et des démarches à entreprendre pour changer le siège social et en informer la clientèle.
d) Sur les frais de réinstallation
Aux termes du jugement querellé, le premier juge a écarté ce chef d'indemnisation après avoir considéré que ces frais sont ceux nécessaires à la reprise de l'activité du locataire dans de nouveaux locaux, que ce soit des travaux d'aménagement ou d'équipement, de mise aux normes.
Or, le locataire ne justifiant pas d'aménagements spécifiques pour adapter le local à un concept spécifique qu'elle devra réinstaller dans les locaux de remplacement, il n'y a pas lieu, dans ces conditions, d'allouer une indemnité de réinstallation.
Si Madame [A] [F] épouse [M] maintient sa demande en cause d'appel et sollicite le remboursement des frais de réinstallation à hauteur de 25.000 €, en l'absence d'élément nouveau soumis à son appréciation, la cour estime que le premier juge, par des motifs pertinents qu'elle approuve, a fait une exacte appréciation des faits de la cause et du droit des parties.
Il convient en conséquence de confirmer la décision déférée sur ce point.
2. Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts
Conformément aux dispositions de l'article 1153-1 du code civil dans sa version antérieure au 1er octobre 2016, applicable au présent litige, le point de départ des intérêts courant sur le montant de l'indemnité d'éviction sera fixé au jour du présent arrêt.
Enfin, le premier juge sera approuvé en ce qu'il a ordonné la capitalisation des intérêts échus depuis plus d'un an, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil dans sa version antérieure au 1er octobre 2016, applicable à la présente instance.
3. Sur les demandes accessoires
Monsieur [G] [S], Madame [L] [S] épouse [I] et Madame [N] [S] épouse [V] succombant seront condamnés in solidum aux entiers dépens d'appel. Les dépens de première instance resteront répartis ainsi que décidé par le premier juge.
En outre, Monsieur [G] [S], Madame [L] [S] épouse [I] et Madame [N] [S] épouse [V] seront déboutés de leur demande sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et condamnés in solidum de ce chef à verser à Madame [A] [F] épouse [M] la somme de 4.000 €, les dispositions du premier jugement sur l'article 700 étant cependant confirmées.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, après débats en audience publique, contradictoirement et en dernier ressort,
Infirme le jugement rendu le 09 septembre 2021 par le tribunal judiciaire de Paris sous le n° RG 19/08150 sur le montant de l'indemnité d'éviction principale, de l'indemnité pour frais de remploi ;
Statuant à nouveau,
Fixe à la somme de 203.200 € l'indemnité d'éviction principale due à Madame [A] [F] épouse [M] par Monsieur [G] [S], Madame [L] [S] épouse [I] et Madame [N] [S] épouse [V] ;
Fixe à la somme de 20.320 € l'indemnité pour frais de remploi due à Madame [A] [F] épouse [M] par Monsieur [G] [S], Madame [L] [S] épouse [I] et Madame [N] [S] épouse [V] ;
Confirme pour le surplus la décision en toutes ses dispositions non contraires au présent arrêt ;
Y ajoutant,
Déboute les parties de leurs autres demandes ;
Condamne in solidum Monsieur [G] [S], Madame [L] [S] épouse [I] et Madame [N] [S] épouse [V] à verser à Madame [A] [F] épouse [M] la somme de 4.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum Monsieur [G] [S], Madame [L] [S] épouse [I] et Madame [N] [S] épouse [V] aux entiers dépens d'appel.