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Décisions

CA Bordeaux, 2e ch. civ., 11 juillet 2024, n° 21/01503

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

L36 (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boudy

Conseillers :

M. Desalbres, Mme Defoy

Avocats :

Me Burri, Me Manetti, Me Fonrouge, Me Largilliere

TGI Bordeaux, 5e ch., du 29 déc. 2020, n…

29 décembre 2020

FAITS ET PROCÉDURE :

Au cours de l'année 2014, Monsieur [P] [I] a acquis auprès d'un acheteur américain une voiture de marque Porsche, modèle 911 de 1968.

Le 30 mai 2016, M. [I] a créé la société par actions simplifiée (Sas) L36 afin d'exercer une activité de restauration de véhicules anciens.

En 2017, M. [I] a mis en vente le véhicule de marque Porsche précité sur la plateforme Leboncoin. Dans son annonce, il a repris les spécificités fournies par le précédent vendeur et y était annexé un certificat d'authenticité.

Monsieur [K] [W], répondant à l'annonce précitée, a acquis l'automobile de marque allemande le 22 janvier 2018 pour un montant de 78 000 euros.

Un contrôle technique du véhicule a été réalisé le 29 janvier 2018 qui ne mentionne aucun défaut relatif au moteur. M. [I] a également remis à l'acquéreur les factures d'achats de pièces et modifications qui avaient été effectuées avant la vente.

Après l'acquisition du véhicule, M. [W] a fait intervenir un garagiste au mois de juillet 2018 afin de préparer le véhicule pour obtenir un Passeport Technique Historique (PTH) et participer à des compétitions historiques. À cette occasion, il a appris que le moteur d'origine, d'une cylindrée de 2 000 cm3, avait été remplacé par un moteur plus récent d'une cylindrée de 2 200 cm3, et que les numéros de l'ancien moteur avaient été refrappés après meulage pour correspondre au certificat d'authenticité transmis par Porsche et fourni dans l'annonce de vente.

Suivant un courrier recommandé du 31 août 2018, M. [W] a sollicité une indemnisation auprès de M. [I].

En réponse, le vendeur a contesté les reproches formulés par l'acquéreur et refusé de rendre une partie du prix, mais a proposé de reprendre le véhicule contre remboursement du prix d'achat.

M. [W] a refusé cette dernière offre, indiquant que des travaux avaient été effectués sur l'automobile.

M. [W], par l'intermédiaire de sa compagnie d'assurance, a diligenté une expertise amiable, dont M. [I] a demandé le report en raison de son indisponibilité. Le report de la date ayant été refusé, la mesure s'est donc déroulée en l'absence du vendeur.

Un constat d'huissier de justice a été dressé le 2 décembre 2019.

Par acte du 29 janvier 2019, M. [W] a assigné M. [I] et la société L36 devant le tribunal de grande instance de Bordeaux afin d'obtenir la restitution d'une partie du prix de vente.

Le jugement rendu le 29 décembre 2020 par le tribunal judiciaire de Bordeaux :

- a débouté M. [W] de l'ensemble de ses demandes,

- a débouté M. [I] de sa demande de condamnation du demandeur au titre d'un préjudice moral,

- a condamné M. [W] aux dépens,

- l'a condamné au paiement :

- à M. [I] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- à la société L36 la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- a dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Par jugement du 31 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Bordeaux a rectifié sa décision précédente en ce que M. [W] a été condamné à payer 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile uniquement à M. [I] et non pas à la société L36, considérée comme défaillante.

M. [W] a relevé appel de ces deux jugements le 12 mars 2021.

Par jugement du 4 mai 2021, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :

- rectifié le jugement rendu le 31 décembre 2020, n°RG 20/10161- minute n°20/812 en ce sens que :

- la société L36 n'est pas défaillante ; elle est représentée par Me Florent Verdier, avocat postulant du barreau de Bordeaux et par Me Mathieu Largilliere, avocat plaidant du barreau du Val d'Oise,

- de ce fait, a condamné M. [W] à payer à la société L36 la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que toutes les autres dispositions restent inchangées,

- dit que cette décision sera mentionnée sur la minute et sur les expéditions du jugement initial en application des dispositions de l'article 462 du code de procédure civile,

- laissé les dépens à la charge du Trésor public.

Par ordonnance du 29 juin 2022, le conseiller de la mise en état de la cour d'appel de Bordeaux :

- a rejeté la demande d'expertise judiciaire sollicitée par M. [W],

- l'a condamné à payer à M. [I] et à la Sas L36 la somme de 800 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- l'a condamné aux dépens de l'incident.

L'affaire, initialement appelée à l'audience du 1er février 2024, a été renvoyée à l'audience du 6 juin 2024.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 21 mai 2024, M. [W] demande à la cour, sur le fondement des articles 1363, 1641, 1643, 1644, 1645, 1104, 1112-1, 1231-6, 1217, 1240, 1602 du code civil, 503, 514, 515, 696 et 700 du code de procédure civile, et L.131-1 du code des procédures civiles d'exécution :

- d'accueillir toutes ses demandes, ainsi que tous ses dires, fins et conclusions,

- de débouter M. [I] et la société L36 de toutes leurs demandes, fins et prétentions,

donc :

- de confirmer le jugement du 29 décembre 2020, mais seulement en ce qu'il a débouté M. [I] de sa demande de condamnation du demandeur au titre d'un prétendu préjudice moral et dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- de réformer le jugement pour le surplus et, par conséquent :

- de juger recevable et bien fondée son action à l'encontre de M. [I] et de la société L36,

- de juger que M. [I] et la société L36 ont agi à titre de vendeur professionnel dans le cadre de la vente du véhicule litigieux,

- de les condamner in solidum à :

- lui restituer une partie du prix de vente du véhicule correspondant à la valeur d'un moteur de marque Porsche et de cylindrée équivalente pour un modèle de l'année 1968, outre la décote subie sur le bien vendu évaluée à la somme de 41 700 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 31 août 2018, sauf à parfaire, et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir,

- lui verser la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts compte tenu de leur parfaite connaissance du vice caché et de leur particulière mauvaise foi dans la rétention de cette information, outre le remboursement du montant de la mutation de carte grise au nom de M. [W] à hauteur de 232,76 euros,

- lui verser la somme complémentaire de 15 000 euros au titre de la résistance abusive dans leur refus de restitution d'une partie du prix de vente du véhicule,

en toute hypothèse :

- de les condamner in solidum à lui verser les sommes de :

- 10 000 euros en réparation de ses préjudices matériels et moraux,

- 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- de les condamner in solidum aux entiers dépens de première instance, en ce compris les honoraires d'intervention de M. [S] à hauteur de 400 euros, et d'appel,

- d'ordonner l'exécution provisoire de la décision à venir.

Dans leurs dernières conclusions notifiées le 13 mai 2024, M. [I] et la société L36 demandent à la cour, sur le fondement des articles 1641 et suivants du code civil et 9 du code de procédure civile :

au titre de l'appel principal,

- de confirmer la décision dont appel et les décisions rectificatives qui s'en suivent en ce qu'elles ont débouté M. [W] de l'ensemble de ses demandes,

- de déclarer M. [W] irrecevable et mal fondé en toutes ses demandes, et l'en débouter,

- de confirmer la décision dont appel et les décisions rectificatives qui s'en suivent en ce qu'elles ont condamné M. [W] à payer à M. [I] et à la Sas L36, chacun, la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

au titre de l'appel incident :

- d'infirmer la décision dont appel et les décisions rectificatives qui s'en suivent en ce qu'elles ont rejeté la demande de condamnation de M. [W] à verser la somme de 10 000 euros à titre de préjudice moral,

et statuant à nouveau :

- de condamner M. [W] à verser la somme de 10 000 euros au titre du préjudice moral subi,

en tout état de cause :

- de condamner l'appelant à lui payer à chacun la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- de le condamner aux entiers dépens d'appel.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 mai 2024.

MOTIVATION

Il doit être constaté à titre liminaire que M. [W] réclame tout à la fois l'indemnisation d'un vice caché affectant le véhicule mais évoque également dans le corps de ses dernières conclusions un manquement du vendeur à son obligation de délivrance conforme, ces deux actions étant fondées sur des textes différents et ne peuvent se cumuler au principal. Néanmoins, la très grande partie de son argumentation repose sur les dispositions de l'article 1641 du Code civil.

Seront également abordées les manoeuvres dolosives ou entorses aux obligations du vendeur professionnel alléguées par l'acquéreur.

Selon l'article 1641 du Code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.

L'article 1642 du même code dispose que le vendeur n'est pas tenu des vices apparents et dont l'acheteur a pu se convaincre lui-même.

Dans l'univers des collectionneurs de véhicules anciens, l'appellation 'matching numbers' signifie que les organes mécaniques de l'automobile sont d'origine, le véhicule ayant été conservé dans sa configuration de sortie d'usine, donc doté de numéros d'identification qui correspondent (du verbe anglais ' to match').

L'annonce que M. [I] a fait paraître sur le site internet 'Leboncoin' indique très clairement que le moteur a été 'upgradé en model S'.

Cette expression signifie que le moteur de l'automobile n'est pas celui qui a été installé à l'origine lors de sa fabrication mais qu'il a subi des modifications de certains de ses organes mécaniques afin d'en augmenter la puissance.

A la fin de l'année 2017, M. [W] a pris contact avec M. [I] après lecture de cette annonce et des photographies qui y avaient été annexées.

Il a par conséquent, et ce bien avant la conclusion de la vente le 22 janvier 2018, été informé des modifications affectant le moteur du véhicule.

Dans un courriel du 25 décembre 2017 adressé par le futur vendeur, M. [W] prend de nouveau connaissance que le véhicule ne présente 'aucune modification sauf moteur' et, dans sa réponse, fait clairement comprendre qu'il prend acte de cette situation sans la remettre en cause ni solliciter des informations complémentaires.

Enfin, tant dans l'annonce précitée que lors de la remise à l'acquéreur au moment de la vente, il apparaît très clairement que le numéro du moteur apposé sur le certificat d'authenticité de la marque a été partiellement masqué afin d'informer l'acquéreur potentiel qu'il ne peut s'agir de celui originellement installé par le constructeur, élément qui démontre que le vendeur professionnel n'a à aucun moment employé de manoeuvres frauduleuses ni trompé son cocontractant et encore moins agi de mauvaise foi.

En page 5 de ses dernières conclusions, l'appelant admet d'ailleurs que ce type de modification est courant afin d'éviter la diffusion de duplicatas frauduleux.

Comme l'indique le commissaire de justice mandaté par l'acquéreur, il est aisé de constater par un simple examen visuel que la culasse porte l'estampille '70" alors que le châssis et les autres organes ont été fabriqués en 1968.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, M. [W] ne peut donc soutenir à l'envi qu'il pouvait légitimement croire qu'il acquérait un véhicule équipé de son moteur d'origine (p5 in fine, 8, 21).

Les deux expertises non contradictoires réalisées par MM [S] et [T] s'accordent pour relever que le moteur a fait l'objet d'un meulage et d'un refrappage du numéro.

Cette situation n'est d'ailleurs pas contestée par M. [I] et la SAS L36.

Comme le souligne à raison le premier juge, aucun des deux experts ne conclut formellement que le moteur présente une cylindrée de 2,2l et non de 2l alors que M. [W], qui y avait été invité par l'un des deux experts, n'a pas réalisé les investigations nécessaires pour l'établir formellement.

Il n'est donc pas prouvé que la cylindrée réelle ne corresponde pas à celle affichée dans l'annonce.

Le fait que le numéro apposé sur le moteur a été 'meulé'et refrappé ne constitue pas une manoeuvre réalisée par le vendeur destinée à tromper son cocontractant sur son origine, étant observé qu'il n'est pas démontré que ces opérations ont été effectuées par M. [I] ou la SAS L36.

L'automobile de marque allemande, homologué en France en qualité de 'véhicule de collection', fonctionne parfaitement.

En conséquence, elle ne présente aucun vice caché à ce stade car l'appelant, déjà propriétaire d'une automobile ancienne (1984) de la même marque, collectionneur averti et entouré de personnes spécialistes du domaine des véhicules de collection, était parfaitement informé qu'elle ne présentait pas la caractéristique d'être 'matching mumbers' et que son moteur n'était pas d'origine.

Il convient d'ajouter qu'il apparaît à la lecture des pièces produites que le véhicule acquis par M. [W] devait être conduit lors de courses historiques officielles mais il n'est pas démontré que l'engin devait également être piloté sur la voie publique, à l'exception de quelques déplacements épisodiques pour des transferts.

Ainsi, lors de l'expertise amiable réalisée par M. [S], ce dernier indique dans son rapport que M. [W] lui a confié avoir 'acquis cette voiture dans le but de l'inscrire dans des courses historiques'.

La question de l'absence éventuelle de son homologation par le service des mines pour circuler sur la voie publique, évoquée par l'appelant dans ses dernières écritures pour étayer son argumentation, est donc sans objet.

Ayant acquis l'automobile en pleine connaissance de cause, M. [W] ne peut reprocher au vendeur des difficultés d'homologation dans le but de l'aligner dans des courses dédiées aux véhicules de collection.

Au regard de l'ensemble de ces éléments attestant l'absence de vice caché, d'un manquement du vendeur professionnel à son obligation de délivrance conforme et de manoeuvres dolosives, il convient de confirmer le jugement entrepris ayant rejeté l'ensemble des demandes indemnitaires présentées par l'acquéreur.

Sur la demande reconventionnelle

Comme l'a souligné le premier juge, M. [I] échoue à démontrer une atteinte à son honneur ou sa considération de sorte que le rejet de sa demande présentée au titre d'un préjudice moral sera confirmé.

Sur l'article 700 du code de procédure civile

Outre la somme mise à la charge de M. [W] en première instance, il y a lieu en cause d'appel de le condamner au versement à M. [I] et la SAS L36, ensemble,

d'une indemnité complémentaire de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de rejeter les autres demandes présentées sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS

- Confirme en toutes ses dispositions le jugement du 29 décembre 2020, rectifié le 31 décembre 2020, rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux ;

Y ajoutant ;

- Condamne M. [K] [W] à verser à M. [P] [I] et la société par actions simplifiées L36, ensemble, la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Rejette les autres demandes présentées sur ce fondement ;

- Condamne M. [K] [W] au paiement des dépens d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jacques BOUDY, président, et par Madame Audrey COLLIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.