CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 11 juillet 2024, n° 22/13284
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
Afigia, Amefa France (SASU)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Gerard
Conseillers :
Mme Combrie, Mme Vincent
Avocats :
Me Lancesseur, Me Lellinger, Me Junagade, Me Lachacinski, Me Bougi, Me Tort, Me Simon-Thibaud, Me Liens
EXPOSÉ DU LITIGE
L'association Couteau [Localité 8] Aubrac Auvergne (le [6]) a déposé le 10 novembre 2021, à l'institut national de la propriété industrielle (INPI) une demande d'homologation n° IG 21-001 portant sur l'indication géographique « Couteau [Localité 8] ».
L'enquête et la consultation publique ont eu lieu, conformément aux dispositions de l'article R. 721-5 du code de la propriété intellectuelle, du 21 janvier au 22 mars 2022.
Le 23 mai 2022, l'INPI a procédé à la synthèse des éléments recueillis et a formulé diverses recommandations.
L'association [6], en considération de ces observations a ajouté une annexe 4 au cahier des charges.
Le 6 septembre 2022, l'INPI a rendu une décision n°2022-32 d'homologation du cahier des charges de l'indication géographique « Couteau [Localité 8] », laquelle a été publiée au BOPI n°2002-38 du 23 septembre 2022.
Par déclaration du 6 octobre 2022, le syndicat des fabricants aveyronnais du Couteau de [Localité 8] a déposé un recours en annulation contre cette décision qui a été enrôlé sous le numéro RG 22/13284.
Par déclaration du 21 octobre 2022, la commune de [Localité 8] a déposé un recours en annulation contre cette décision qui a été enrôlé sous le numéro RG 22/14009.
Par déclaration du 20 octobre 2022, l'association française des indications géographiques industrielles et artisanales (AFIGIA) a déposé un recours en annulation devant la cour d'appel de Bordeaux. Par ordonnance du conseiller de la mise en état du 11 janvier 2023, la cour d'appel de Bordeaux s'est dessaisie au profit de la cour d'appel d'Aix-en-Provence en raison de la connexité avec les recours dont cette cour était déjà saisie. La procédure a été enrôlée sous le numéro RG 23/04138.
Par déclaration du 24 octobre 2022, la société AMEFA France a déposé un recours contre cette décision devant la cour d'appel de Lyon, laquelle, par arrêt du 14 septembre 2023, s'est dessaisie au profit de la cour d'appel d'Aix-en-Provence en raison de la connexité de ce recours avec les trois autres recours formés cités précédemment. La procédure a été enrôlée sous le numéro RG 23/12040.
RG 22/13284 :
Par mémoire notifié et déposé le 13 février 2024, auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile, le syndicat des fabricants aveyronnais du Couteau de [Localité 8] (SFACL) demande à la cour de :
- déclarer le SFACL recevable et bien fondé en son recours et y faire droit ;
- annuler dans son intégralité la décision n°2022-132 rendue par M. le directeur général de l'INPI en date du 6 septembre 2022, aux termes de laquelle il a admis la demande IG 21-001 d'homologation du cahier des charges de l'indication géographique « Couteau [Localité 8] », déposé par l'association Couteau [Localité 8] Aubrac Auvergne ([6]) le 10 novembre 2021 ;
- condamner l'INPI à verser au SFACL la somme de 20.000 euros en réparation des conséquences dommageables subies par ledit syndicat en raison de fautes commises par M. le directeur général de l'INPI et/ou ses préposés à l'occasion de l'exercice de ses attributions relatives à l'homologation, le rejet ou la modification du cahier des charges de l'indication géographique « Couteau [Localité 8] », déposé par le l'association [6] en date du 24 novembre 2021 ;
- déclarer l'INPI et le [6] irrecevables, à tout le moins mal fondés, en toutes leurs demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires, et les en débouter purement et simplement ;
- condamner le [6] à verser au SFACL la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner le [6] aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Lancesseur en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par conclusions de procédure notifiées et déposées le 5 avril 2024, le SFACL demande que soient écartées des débats les conclusions et pièces de l'association [6] notifiées et déposées le 4 avril 2024 faute d'avoir pu disposer d'un temps utile pour en prendre connaissance et les analyser préalablement à l'audience.
Par mémoire notifié et déposé le 26 mars 2024, auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile, l'association Couteau [Localité 8] Aubrac Auvergne ([6]) demande à la cour de :
- rejeter le recours formé par le syndicat des fabricants aveyronnais du Couteau de [Localité 8] le 6 octobre 2022 contre la décision n°2022-132 relative à l'homologation du cahier des charges de l'indication géographique « Couteau [Localité 8] » rendue le 6 septembre 2022 par le Directeur Général de l'institut national de la propriété industrielle ;
- débouter le syndicat des fabricants aveyronnais du Couteau de [Localité 8] de ses entières demandes, fins et conclusions en ce qu'elles visent l'organisme de défense, de promotion du Couteau [Localité 8] fabriquée en territoire Aubrac Auvergne ;
- condamner le syndicat des fabricants aveyronnais du Couteau de [Localité 8] à verser à l'organisme de défense, de gestion et de promotion du Couteau [Localité 8] fabriqué en territoire Aubrac Auvergne la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner le syndicat des fabricants aveyronnais du Couteau de [Localité 8] en tous les dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître Marie Liens, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
L'association [6] a également notifié et déposé un mémoire le 4 avril 2024, accompagné d'une nouvelle pièce.
L'INPI a formulé des observations le 5 avril 2024.
RG 22/14009 :
Par mémoire notifié et déposé le 8 mars 2024, auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile, la commune de [Localité 8] demande à la cour de :
- recevoir la Commune de [Localité 8] en toutes ses demandes, fins et conclusions ; les dire recevables et bien fondées ;
- débouter l'organisme de défense, de gestion et de promotion du Couteau [Localité 8] fabriqué en territoire Aubrac Auvergne et M. le directeur général de l'INPI de toutes leurs demandes, fins et conclusions, en ce compris la demande d'annulation du recours de la Commune de [Localité 8] pour un prétendu défaut de pouvoir du maire en exercice ;
en conséquence :
- écarter des débats les pièces INPI n°18 et 20 en ce qu'elles proviennent d'une autre procédure correspondant à la demande d'homologation du cahier des charges "Couteau de [Localité 8]" ;
- annuler en toutes ses dispositions la décision n°2022-132 rendue le 6 septembre 2022 par Monsieur le Directeur Général de l'INPI relative à l'homologation du cahier des charges de l'indication géographique "Couteau [Localité 8]" sous le numéro INPI-2202, c'est-à-dire en ce qu'elle homologue ledit cahier des charges et en ce qu'elle reconnait l'association Couteau [Localité 8] Aubrac-Auvergne comme organisme de défense et de gestion du produit bénéficiant de l'indication géographique INPI-2202, dès lors que :
o cette homologation porte atteinte aux droits antérieurs de la Commune de [Localité 8] sur son nom,
o elle ne respecte pas le droit à un recours effectif et le principe de bonne administration de la justice,
o l'INPI n'a pas organisé une consultation des collectivités territoriales distincte de l'enquête publique comme exigé par la Loi,
o l'INPI n'a pas pris en compte l'avis défavorable de la Commune de [Localité 8],
o le cahier des charges de l'Organisme de Défense, de Gestion et de Promotion du Couteau [Localité 8] Fabriqué en Territoire Aubrac Auvergne est incomplet et les sources documentaires n'ont pas été vérifiées par l'INPI,
o l'INPI a indument pallié cette carence probatoire de l'organisme de défense, de gestion et de promotion du Couteau [Localité 8] fabriqué en territoire Aubrac Auvergne en prenant en considération des pièces et documents provenant d'un dossier d'homologation distinct,
o la dénomination « Couteau [Localité 8] » est déceptive ;
- condamner l'INPI à verser à la Commune de [Localité 8] la somme de 30 000 (trente mille) euros en réparation des conséquences dommageables subies en raison des fautes commises par M. le directeur général de l'INPI et/ou ses préposés à l'occasion de l'exercice de ses attributions relatives à l'homologation, le rejet ou la modification du cahier des charges de l'Indication géographique "Couteau [Localité 8]" sous le numéro INPI-2202 ;
- condamner l'organisme de défense, de gestion et de promotion du Couteau [Localité 8] fabriqué en territoire Aubrac Auvergne à verser à la Commune de [Localité 8] la somme de 30.000 (trente mille) euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner l'association Couteau [Localité 8] Auvergne Aubrac à verser à la Commune de [Localité 8] aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Lancesseur en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par mémoire notifié et déposé le 18 avril 2023, auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile, l'association [6] demande à la cour de :
In limine litis,
- annuler le recours formé par la commune de [Localité 8] le 21 octobre 2022 contre la décision n°2022-132 relative à l'homologation du cahier des charges de l'indication géographique « Couteau de [Localité 8] » rendue le 6 septembre 2022 par le directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle pour défaut de pouvoir de maire, M. [E] [W], pour représenter la commune de [Localité 8] dans la présente instance ;
En tout état de cause,
- rejeter le recours formé par la commune de [Localité 8] le 21 octobre 2022 contre la décision n°2022-132 relative à l'homologation du cahier des charges de l'indication géographique « Couteau [Localité 8] » rendue le 6 septembre 2022 par le Directeur Général de l'Institut national de la propriété industrielle ;
- débouter la commune de [Localité 8] de ses entières demandes, fins et conclusions en ce qu'elles visent l'Organisme de défense, de gestion et de promotion du Couteau [Localité 8] fabriqué en territoire Aubrac Auvergne ;
- condamner la commune de [Localité 8] à verser à l'Organisme de défense, de gestion et de promotion du Couteau [Localité 8] fabriqué en territoire Aubrac Auvergne la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la commune de [Localité 8] en tous les dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître Marie Liens, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
L'INPI a formulé des observations le 7 mars 2024.
RG 23/04138 :
Par conclusions notifiées et déposées le 13 février 2024, auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile, l'association française des indications géographiques industrielles et artisanales (AFIGIA) devenue fédération française des indications géographiques industrielles et artisanales (FFGIA) demande à la cour de :
- déclarer l'AFGIA recevable et bien fondée en sous recours et y faire droit ;
- annuler dans son intégralité la décision n°2022-132 rendue par M. le directeur général de l'INPI en date du 6 septembre 2022, aux termes de laquelle il a admis la demande IG 21-001 d'homologation du cahier des charges de l'indication géographique « Couteau [Localité 8] », déposé par le l'association [6] en date du 10 novembre 2021 ;
- condamner l'INPI à verser à l'AFIGIA la somme de 20 000 euros en réparation des conséquences dommageables subies par ledit syndicat en raison de fautes commises par M. le directeur général de l'INPI et/ou ses préposés à l'occasion de l'exercice de ses attributions relatives à l'homologation, le rejet ou la modification du cahier des charges de l'indication géographique « Couteau [Localité 8] », déposé par le l'association [6] en date du 24 novembre 2021 ;
- déclarer l'INPI et le [6] irrecevables, à tout le moins mal fondés, en toutes leurs demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires et les en débouter purement et simplement,
- condamner le [6] à verser au l'AFIGIA la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner le [6] aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Me Lancesseur en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par conclusions de procédure notifiées et déposées le 5 avril 2024, la FFGIA demande que soient écartées des débats les conclusions et pièces de l'association [6] notifiées et déposées le 4 avril 2024 faute d'avoir pu disposer d'un temps utile pour en prendre connaissance et les analyser préalablement à l'audience.
Par mémoire notifié et déposé le 26 mars 2024, auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile, l'association [6] demande à la cour de :
- rejeter le recours formé par la fédération française des indications géographiques industrielles et artisanales le 20 octobre 2022 contre la décision n°2022-132 relative à l'homologation du cahier des charges de l'indication géographique « Couteau [Localité 8] » rendue le 6 septembre 2022 par le directeur général de l'institut national de la propriété intellectuelle ;
- débouter la fédération française des indications géographiques industrielles et artisanales de ses entières demandes, fins et conclusions en ce qu'elles visent l'organisme de défense, de gestion et de promotion du Couteau de [Localité 8] fabriqué en territoire Aubrac Auvergne ;
- condamner la fédération française des indications géographiques industrielles et artisanales à verser à l'organisme de défense, de gestion et de promotion du Couteau de [Localité 8] fabriqué en territoire Aubrac Auvergne la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la fédération française des indications géographiques industrielles et artisanales en tous les dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître Marie Liens, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
L'association [6] a également notifié et déposé un mémoire le 4 avril 2024, accompagné d'une nouvelle pièce.
L'INPI a formulé des observations le 5 avril 2024.
RG 23/12040 :
Par mémoire notifié et déposé le 28 mars 2024, auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile, la SAS AMEFA France demande à la cour de :
- juger que la condition de représentativité n'a pas été vérifié par l'INPI,
- juger que cette représentativité fait défaut,
- juger que l'indication géographique ne désigne pas la zone géographique ou le lieu déterminé associés à l'indication géographique,
- juger qu'il n'existe aucune qualité, réputation ou autres caractéristiques des multiples produits essentiellement attribuées à la zone géographique ou au lieu déterminé associés à l'indication géographique,
- juger que l'INPI n'a engagé aucune diligence en vue de vérifier la représentativité comme le requiert la loi et :
o n'a pas vérifié la représentativité des opérateurs avant de prendre la décision d'homologation,
o n'a pas vérifié la qualité, la réputation ou d'autres caractéristiques des produits essentiellement attribuées à la zone géographique ou au lieu déterminé associés à l'indication géographique,
- juger que la condition de représentativité n'a pas été vérifié par l'INPI,
- juger que cette représentativité fait défaut,
- juger que l'indication géographique ne désigne pas la zone géographique ou le lieu déterminé associés à l'indication géographique,
- juger qu'il n'existe aucune qualité, réputation ou autres caractéristiques des multiples produits essentiellement attribuées à la zone géographique ou au lieu déterminé associés à l'indication géographique,
- juger que l'INPI n'a engagé aucune diligence en vue de vérifier la représentativité comme le requiert la loi et :
o n'a pas vérifié la représentativité des opérateurs avant de prendre la décision d'homologation,
o n'a pas vérifié la qualité, la réputation ou d'autres caractéristiques des produits essentiellement attribuées à la zone géographique ou au lieu déterminé associés à l'indication géographique,
- juger que l'association C.L.A.A. n'a pas été régulièrement reconnue organisme de défense et de gestion du produit bénéficiant de l'indication géographique INPI 2022 « Couteau [Localité 8] »,
- juger que l'indication géographique INPI 2022 « Couteau [Localité 8] » constitue une indication fausse ou de nature à induire en erreur et portant sur l'origine des multiples produits énumérés par le cahier des charges inclus dans la décision,
- partant, annuler la décision du 6 septembre 2023,
- condamner l'association C.L.A.A. et l'INPI aux dépens de l'instance,
- condamner l'association C.L.A.A. et l'INPI à verser à la société AMEFA France une somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du Code procédure civile.
Par mémoire notifié et déposé le 4 avril 2024, auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile, l'association [6] demande à la cour de :
- rejeter le recours formé par la société SASU Amefa France le 24 octobre 2022 contre la décision n°2022-132 relative à l'homologation du cahier des charges de l'indication géographique « Couteau [Localité 8] » rendue le 6 septembre 2022 par le directeur général de l'institut national de la propriété industrielle ;
- débouter la SASU Amefa France de ses entières demandes, fins et conclusions en ce qu'elles visent l'organisme de gestion et de promotion du Couteau de [Localité 8] fabriqué en territoire Aubrac Auvergne ;
- condamner la société SASU Amefa France à verser à l'organisme de gestion et de promotion du Couteau de [Localité 8] fabriqué en territoire Aubrac Auvergne la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; et
- condamner la société SASU Amefa France en tous les dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître Marie Liens, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
L'INPI a formulé des observations le 8 avril 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1- Procédure :
1.1 :la recevabilité des mémoires de l'association [6] notifiés et déposés le 5 avril 2024 dans les dossiers RG n°22/13284 et RG n°23/04138 :
Dans ces deux dossiers, l'affaire a été fixée à l'audience du 8 avril 2024 respectivement par avis des 22 mai et 28 septembre 2023.
En déposant de nouvelles conclusions, comportant une modification de son argumentation et accompagnées d'une nouvelle pièce le 5 avril, soit le vendredi précédant l'audience fixée au lundi 8 avril, alors qu'elle avait d'ores et déjà conclu, en dernier, le 26 mars 2024, l'association [6] n'a pas permis au SFACL et à la FFGIA de disposer d'un temps suffisant pour analyser ces nouvelles conclusions et pièce avant l'audience pour déterminer si ils devaient y répondre et a ainsi violé le principe du contradictoire.
Les conclusions et pièce nouvelles notifiées et déposées le 5 avril 2024 dans les dossiers RG n°22/13284 et RG n°23/04138 sont en conséquence écartées des débats, la cour statuant au vu des conclusions et pièces notifiées et déposées le 26 mars 2024.
1.2 : la recevabilité du recours de la commune de [Localité 8] pour défaut de pouvoir de son maire :
L'association [6] soutient que la délibération ayant habilité le maire à représenter la commune dans le cadre de son recours est illégale dès lors qu'ont participé au vote des membres du SFACL, dont son président, ou de l'AFGIA (devenue FFGIA) directement impliqués dans d'autres recours formés à l'encontre de la décision d'homologation du cahier des charges de l'IGPIA Couteau [Localité 8], qu'il s'en déduit que ces membres du conseil municipal étaient personnellement intéressés à la délibération, qu'ils auraient dû s'abstenir d'y participer en application de l'article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales dès lors qu'ils sont manifestement en conflit d'intérêts. Elle observe d'ailleurs que pour des délibérations précédentes le président du SFACL n'avait pas pris part au vote.
La commune de [Localité 8] réplique que la délibération est valide, que le Conseil d'État a écarté tout conflit d'intérêt lorsqu'un élu exerce une activité professionnelle en lien avec une délibération prise par le conseil municipal, dès lors que l'intérêt de l'élu n'est pas nécessairement distinct de celui de la généralité des habitants et, comme en l'espèce, que cette activité représente directement ou indirectement l'activité économique prépondérante de la commune.
Elle ajoute qu'en toute hypothèse la nullité peut être couverte et elle produit une nouvelle délibération du conseil municipal pour mettre fin à toute contestation.
En l'état de la nouvelle délibération du conseil municipal de la commune de [Localité 8] du 29 juin 2023, à laquelle n'ont pas pris part les membres du SFACL, qui régularise en tout état de cause la nullité alléguée conformément à l'article 121 du code de procédure civile, le recours formé par la commune de [Localité 8] est recevable.
1.3 le rejet des pièces 18 et 20 produites par l'INPI :
La commune de [Localité 8] fait valoir, en sollicitant le rejet de ces deux pièces, que l'INPI ne peut produire devant la cour des pièces relatives à un autre recours, fût-il également pendant devant la même cour puisqu'il s'agit d'un recours en annulation destiné à contrôler la légalité de la décision de l'INPI. Elle ajoute que ses propres pièces, contrairement à ce que fait valoir l'INPI sont parfaitement recevables en ce qu'elles viennent au soutient du moyen tiré de l'atteinte à ses droits antérieurs.
Le directeur général de l'INPI réplique qu'aucun des textes relatifs à la procédure d'homologation des IGPIA ne prévoit qu'il doive se limiter à l'examen des pièces issues de l'enquête et de la consultation publique et qu'il peut s'entourer de tous les avis et éclairages qu'il juge appropriés pour rendre sa décision. Il ajoute que la production de ces pièces avait pour seul but de répondre aux critiques formulées contre sa décision et que l'absence d'effet dévolutif attaché au recours ne permet pas de rejeter ces pièces. Il fait valoir enfin que la commune de [Localité 8] a elle-même produit des pièces qui ne faisaient pas partie de sa contribution à l'enquête et la consultation publique et qui ne lui ont donc pas été soumises.
S'agissant d'un recours en annulation, la cour doit se placer au jour le directeur général de l'INPI a pris sa décision et ne se prononcer qu'au vu de la conformité du cahier des charges aux dispositions des articles L. 721-2 et suivants du code de la propriété intellectuelle. Il est rappelé que l'INPI n'est pas partie à l'instance ouverte à l'encontre de l'une de ces décisions et qu'elle ne formule que des observations.
Dès lors il n'y a pas lieu de déclarer ces pièces irrecevables.
1.4 jonction :
S'agissant de recours formés à l'encontre de la même décision du directeur général de l'INPI n°2022-132 d'homologation du cahier des charges de l'indication géographique «Couteau [Localité 8] », il est d'une bonne administration de la justice d'ordonner la jonction des dossiers RG n°22/13284, n°22/14009, n°23/04138 et n°23/12040 sous le seul numéro RG n°22/13284.
2. Sur le recours contre la décision n°2022-132 d'homologation du cahier des charges de l'indication géographique « Couteau [Localité 8] » :
Les parties soutiennent, en substance :
Le SFACL :
- que le couteau de [Localité 8] ou couteau [Localité 8] est associé au village éponyme et qu'une zone géographique discontinue couvrant [Localité 8] et [Localité 10] sera trompeuse puisque le consommateur pensera que son couteau vient de [Localité 8],
- que le nom de l'IG n'est en réalité qu'un terme générique désignant un modèle de couteau indépendamment de sa provenance géographique,
- que la représentativité du [6] n'a fait l'objet d'aucune approche cohérente et objective de la part de l'INPI,
- que la zone géographique définie au cahier des charges est discontinue au risque de tromper le consommateur et ne désigne pas l'origine du produit,
- que la zone géographique définie au cahier des charges est discontinue au risque de tromper le consommateur et ne désigne pas l'origine du produit,
- que le cahier des charges protège des modèles de couteaux mal définis et non un produit en particulier en lien avec le toponyme qui le désigne,
- que les étapes du processus de fabrication sont incohérentes, qu'il n'est caractérisé aucun savoir-faire et n'institue pas des points de contrôle objectifs et vérifiables.
La commune de [Localité 8] :
- que l'homologation du cahier des charges de l'IGPIA Couteau [Localité 8] porte atteinte aux droits de la commune sur son nom,
- que l'INPI n'a pas vérifié les informations contenues dans la demande d'homologation, a manqué à son obligation de neutralité en palliant la carence probatoire du demandeur à l'homologation et à son obligation de loyauté dans l'administration de la preuve,
- que la dénomination « Couteau [Localité 8] » est trompeuse pour le public qui n'y associe pas la production de [Localité 10] ce qu'a même admis l'association [6] dans ses conclusions.
La fédération française des indications géographiques industrielles et artisanales (FFIGIA) :
- le défaut de représentativité de l'association [6] qui ne comprend parmi ses 38 membres que 2 entreprises installées à [Localité 8], la représentativité des organismes de gestion ne faisant l'objet d'aucune approche cohérente et objective par l'INPI,
- que la dénomination « Couteau [Localité 8] » désigne un modèle de couteau pour les membres du [6] et que cette dénomination mènera à la dégénérescence de la dénomination en un nom générique,
- que la zone géographique choisie est discontinue et concerne des territoires distants de plus 190 km, ce qui serait de nature à tromper le consommateur
- que la réputation du bassin coutelier de [Localité 10] est celle d'un couteau délocalisé et de fabrication industrielle,
- que le produit concerné et sa fabrication sont mal définis, de même que les processus de contrôle.
La SA AMEFA :
- que la représentativité de l'organisme de gestion n'a pas été vérifiée par l'INPI et que la représentativité des opérateurs au sein de cet ODG est contestable,
- que le produit concerné n'est pas défini,
- que la zone géographique ou le lieu déterminé associés à l'indication géographique n'est pas définie,
- que l'indication « Couteau [Localité 8] » est trompeuse sur l'origine des multiples produits énumérés non exhaustivement pas le cahier des charges,
- que la conformité de ces produits aux normes françaises et européennes n'est pas garantie,
- que la création de l'indication géographique Couteau [Localité 8] contrevient aux dispositions de l'article 714 du code de la propriété intellectuelle.
L'association [6] :
- que l'histoire du couteau [Localité 8] montre que des liens ont été indiscutablement noués, dès l'origine, entre couteliers thiernois et laguiolais pour la fabrication des couteaux [Localité 8], puis par une sous-traitance au début des années 1900 le succès du couteau [Localité 8] ayant provoqué une augmentation des commandes, que les couteliers de [Localité 10] ont apporté leur propre savoir-faire à la fabrication du couteau [Localité 8] et que la production du couteau [Localité 8] est entièrement réalisée en bassin thiernois entre 1950 et 1985,
- que l'IGPIA « Couteau [Localité 8] » n'a aucun caractère générique, la dénomination [Localité 8] n'ayant pas perdu son sens géographique,
- que la loi n'exclut pas les territoires non contigus ou larges,
- que le savoir-faire historique est lié à la zone de [Localité 8] et au bassin thiernois,
- qu'aucune disposition légale ou supra-légale applicable en France en reconnaît un droit de propriété des collectivités territoriales sur leur nom géographique que l'homologation de l'IGPIA Couteau [Localité 8] qui inclut le bassin coutelier Laguiolais n'empêche la commune de faire usage de son nom,
- que le produit protégé est parfaitement défini au cahier des charges par la combinaison d'une forme ou ligne et d'une mouche, la forme étant celle du manche et de la lame,
- qu'il ne s'agit pas de la protection d'un modèle de Couteau [Localité 8] et que le lien entre les trois formes protégées et la zone géographique est démontré,
- que le cahier des charges fait la démonstration d'un lien entre le Couteau [Localité 8] et la zone géographique [Localité 8]-[Localité 10],
- que la représentativité de l'organisme de gestion a été appréciée par l'INPI conformément à sa décision n°2015-55 en considération du « caractère équilibré de la représentativité au sein de l'organisme de défense et de gestion des différentes catégories d'opérateurs pour le produit concerné ».
L'INPI a fait observer :
- qu'il est inexact d'affirmer que les Couteaux [Localité 8] ne pourraient provenir que de la commune éponyme, qu'historiquement, les couteaux de [Localité 8] étaient produits à la fois sur le plateau de l'Aubrac mais également dans le bassin thiernois,
- que le législateur a clairement eu la volonté de ne pas exclure les producteurs thiernois du bénéfice de l'IG,
- que la zone géographique définie au cahier des charges correspondait bien au territoire auquel étaient attribués la réputation et le savoir-faire attaché aux couteaux [Localité 8],
- que la loi n'exige pas que la zone géographique définie au cahier des charges soit constituée d'aires géographiques contiguës
- que la dénomination choisie n'a aucun caractère générique,
- que la représentativité du [6] a été appréciée conformément aux critères légaux précisés dans la décision 2015-55 du directeur général de l'INPI,
- que la loi n'exige pas que le produit protégé par l'IG se présente sous une seule forme et il s'agit en l'espèce de la combinaison d'une forme ou ligne et d'une mouche.
Il résulte de l'application combinée des articles L. 721-2 et L. 721-7, 4, du code de la propriété intellectuelle que, pour être protégé par une indication géographique, un produit doit être caractérisé par un savoir-faire traditionnel ou une réputation qui peuvent être attribués essentiellement à cette zone géographique, ces caractéristiques étant alternatives et non cumulatives.
Aux termes de l'article L. 721-3, alinéa 4, du même code, lorsqu'il instruit la demande d'homologation ou de modification du cahier des charges, l'INPI s'assure que les opérations de production ou de transformation décrites dans le cahier des charges, ainsi que le périmètre de la zone ou du lieu, permettent de garantir que le produit concerné présente effectivement une qualité, une réputation ou d'autres caractéristiques qui peuvent être essentiellement attribuées à la zone géographique ou au lieu déterminé associés à l'indication géographique.
Conformément à l'article L. 721-7 4, c'est au demandeur à l'homologation d'une indication géographique qu'il appartient de préciser, dans le cahier des charges, les éléments établissant le lien entre le produit qu'il désigne et la zone géographique ou le lieu déterminé associé (Com. 16 septembre 2020 n°19-25.123).
Sur le droit au nom de la commune de [Localité 8], l'article L. 721-2 du code de la propriété intellectuelle impose que soit dénommée la zone géographique ou le lieu déterminé servant à désigner le produit à protéger. Ni ce texte, ni aucun autre des textes suivants relatifs à la procédure d'homologation du cahier des charges ne prévoit une autorisation préalable de la collectivité territoriale dont le nom géographique correspondrait à la zone géographique ou le lieu déterminé prévu à l'article précité.
Le législateur a certes entendu protéger, dans le cadre du droit des marques, « le nom, l'image ou la renommée d'une collectivité territoriale ou d'un établissement public de coopération intercommunale » aux termes de l'article L. 711-3 9° du code de la propriété intellectuelle, mais il n'a pas prévu une disposition identique pour les IGPIA lesquelles sont liées, par principe, à un lieu géographique déterminé qui doit être nommé dans le cahier des charges et dont l'utilisation est ainsi autorisée sous réserve du respect des autres conditions de création d'une IGPIA.
L'indication du nom « [Localité 8] » dans le cahier des charges de l'association [6] ne porte pas en tant que telle atteinte aux droits de la commune de [Localité 8] en tant qu'institution et l'utilisation du nom de [Localité 8] doit être examinée au regard des conditions de création d'une IGPIA telles que rappelées ci-dessus.
Les principales critiques apportées par les requérants portent sur le produit, le savoir-faire traditionnel ou la réputation pouvant être attribués à la zone géographique déterminée dans le cahier des charges.
Le cahier des charges litigieux expose que le couteau [Localité 8] est un de ces modèles de couteau de région ancestral reconnaissable dont la coutellerie française s'est fait une spécialité et qu'il est logique et naturel que l'indication géographique qui concerne ce couteau porte le nom qui lui est traditionnellement associé, soit « Couteau [Localité 8] ».
Le produit concerné se décline en 3 familles qui se traduisent par trois fabrications intimement liées : le couteau fermant, le couteau sommelier et le couteau de table dont la spécificité est la ligne traditionnellement reconnue : le [Localité 8] Yatagan, reconnaissable à sa forme caractéristique ornée d'une mouche. Il décrit ensuite la ligne ancienne du [Localité 8] fermant, droit, à manche corbin et lame bourbonnaise, acceptée pour les seuls couteaux fermants, puis les lignes du couteau sommelier et du couteau de table.
Il rappelle les risques de confusion possibles, la nécessité du respect de la ligne par les opérateurs et créé une commission d'éligibilité dénommée « comité des sages » chargée notamment d'établir un registre de types de couteaux validés par ce comité.
Le cahier des charges rappelle d'une part l'importance de la coutellerie à [Localité 10] depuis le XIVème siècle dont la production est exportée dans de nombreux pays et d'autre part la naissance d'une coutellerie à [Localité 8] au début du 19ème siècle. Il cite la lettre du maire de [Localité 8] en 1890 aux termes de laquelle ce dernier atteste de la réputation propre aux couteaux fabriqués dans sa commune liée selon lui tant à la qualité des couteliers locaux qu'à la trempe et la qualité de l'eau. Notre eau est une eau de source, elle est excessivement froide. Elle a aussi certaines propriétés spéciales qu'elle puise dans nos terrains volcaniques et basaltiques. On est très porté à croire que ces propriétés donnent à l'acier, la dureté et la bonté que nous y constatons habituellement.
Le cahier des charges précise que les ouvrages historiques prouvent clairement le partenariat fort et ancestral entre la région de [Localité 10] et la région de [Localité 8] depuis plus de 150 ans pour la fabrication du célèbre couteau et que les couteliers du bassin de [Localité 10] ont, alors que la production laguiolaise avait presque disparu, assuré la production et la diffusion du couteau dans le monde entier et ainsi participé à sa notoriété.
Le cahier des charges poursuit en indiquant que ce sont les couteliers de [Localité 10] qui baptisent les couteaux fabriqués par les couteliers laguiolais de « Couteau [Localité 8] » pour les différencier des autres modèles de couteaux de région qu'ils fabriquaient également.
S'agissant de la zone géographique, il indique regrouper deux bassins de fabrication, les régions de [Localité 8] et de [Localité 10] et affirme que la réputation et la notoriété du couteau résulte du savoir-faire et du faire savoir des deux territoires.
Sur ce, la spécificité d'une l'IGPIA est de mettre en exergue une caractéristique résultant de l'origine géographique du produit afin que le consommateur puisse établir un lien direct entre le produit et le lieu géographique associé.
Il n'est pas discutable qu'au regard des énonciations non contestées du cahier des charges, les couteliers laguiolais ont, dès le 19ème siècle, fait appel aux couteliers thiernois pour se fournir en pièces détachées, voire en couteaux entiers, mais « à la marque » ou « au modèle » des couteliers laguiolais, le cahier des charges reconnaissant également qu'il s'agissait de sous-traitance.
Il résulte également très clairement de ce cahier des charges que la réputation initiale du couteau originaire de [Localité 8] est bien intimement liée à son origine, [Localité 8], et au savoir-faire de ses couteliers, allié aux caractéristiques locales, comme rappelé par le maire de [Localité 8] dans la lettre précitée.
Les pièces produites montrent en effet que les couteliers laguiolais dans leurs commandes insistaient tout particulièrement sur la qualité des lames qui devaient leur être fournies qui « ne doivent pas être trop amincies à l'émoulage, car elles ne résistent pas » (page 34 du cahier des charges), ce qui témoigne d'une exigence de qualité particulière des couteaux fabriqués localement dès l'origine, liée à leur usage dans les actes de la vie quotidienne des paysans, qualité qui pouvait donc ne pas se retrouver dans toutes les productions thiernoises puisque l'acquéreur devait le spécifier.
Les couteliers du bassin de [Localité 10] ont ensuite fabriqué et commercialisé, pour leur propre compte des couteaux dénommés « [Localité 8] », déclinés en plusieurs formes. Le cahier des charges évoque d'ailleurs des gammes de couteaux [Localité 8], l'accent étant mis non plus tant sur la provenance géographique que sur le modèle désormais mondialement connu.
Le nom choisi pour l'indication géographique est très ambigu en ce qu'il désigne tout à la fois un modèle de couteau, déclinable sous de multiples formes, et une provenance géographique, sans toutefois que cette indication de provenance ne désigne l'intégralité, loin s'en faut, de l'aire géographique désignée au cahier des charges.
Sur ce point d'ailleurs, le cahier des charges n'expose pas en quoi les communes de l'Allier non accolées à la zone du bassin coutelier de [Localité 10], et de la Loire, font partie indissociablement du bassin coutelier de [Localité 10] et sont en lien avec le produit Couteau [Localité 8] objet de la demande de protection.
Cette désignation ambiguë constitue une source d'incertitude pour le consommateur qui ne pourra immédiatement identifier le produit comme provenant du lieu géographique associé au nom de l'IGPIA.
En outre la réputation du couteau de [Localité 8], telle qu'elle est entendue par le consommateur et telle qu'elle s'est reflétée dans le résultat de l'enquête publique menée par l'INPI dans le cadre de l'instruction de la demande d'IGPIA, n'est nullement associée au bassin coutelier de [Localité 10]. À cet égard il doit être rappelé que les résultats de cette enquête publique, selon la synthèse qu'en a opérée l'INPI, montre que 55% des contributions, particuliers professionnels et associations confondues, étaient opposées au cahier des charges litigieux, en raison notamment de la zone géographique choisie.
Par ailleurs, la définition du produit à protéger n'apparait pas suffisamment précise dans le cahier des charges litigieux qui évoque tour à tour des gammes, des modèles de couteau, des univers et des familles de produit alors que l'association [6] reconnait elle-même le risque de confusion pour le consommateur en l'état d'une production de couteaux « de modèle » [Localité 8] dans de nombreuses régions et des pays étrangers dans le cadre de production de masse de basse qualité.
Spécialement, au chapitre 2 du cahier des charges décrivant le produit concerné, il est fait état de 3 univers, puis familles du couteau [Localité 8] avec une « ligne traditionnellement reconnue le [Localité 8] Yatagan » et une « ligne ancienne du [Localité 8] fermant le [Localité 8] droit » en indiquant qu'il « ressemble à plusieurs autres couteaux régionaux et qu'un respect scrupuleux de la ligne est de rigueur pour ne pas être source de confusion ».
Ces énonciations, et notamment la notion de « ligne » ne sont nullement précisées comme le font remarquer les requérants, ni définies dans le cahier des charges, notamment en ce qui concerne le couteau de table lequel n'est pas rattaché au savoir-faire et à la réputation du couteau [Localité 8] telle que décrite, s'agissant d'une déclinaison de la forme initiale souvent associée à une production de masse, industrielle et de mauvaise qualité en provenance tant du bassin thiernois que de pays étrangers.
En outre, ces formes et lignes doivent être validées par un comité des sages, qui fait l'objet de l'annexe 4 du cahier des charges, annexe ajoutée à la suite des observations de l'INPI sur ce point et qui n'a pas été soumise à enquête publique et consultation.
Or, la composition précise de ce comité n'est toutefois pas définie ni le mode de désignation de ses membres. En effet, il doit comporter en son sein « au moins deux de ses membres devant pratiquer ou avoir pratiqué sa fabrication en tant que professionnels », ce qui d'une part interroge sur les sages qui ne seront pas « des professionnels ayant pratiqué la fabrication en tant que professionnels » et, d'autre part, n'offre aucune garantie du respect même des « lignes » telles qu'elles sont mentionnées au cahier des charges, la juxtaposition de ce comité avec l'organisme de certification imposé par le code de la propriété intellectuelle n'étant pas plus explicitée.
Enfin, s'agissant de la représentativité, l'INPI a énoncé dans ses observations que l'association [6] regroupait 63% des entreprises de la filière dans la zone, 64% des salariés et 73% du chiffre d'affaires et que toutes les entreprises existantes sur zone étaient représentées.
Le cahier des charges quant à lui énonce que les opérateurs initiaux, 38 entreprises employant plus de 400 personnes, ont un chiffre d'affaires global d'environ 43 millions d'euros, que la part du chiffre d'affaires des modèles [Localité 8] des principaux opérateurs représente environ 40% à plus de 80% de leur chiffre d'affaires total et que s'agissant des opérateurs qui exportent le chiffre d'affaires représente généralement 50% du chiffre d'affaires total et la part de modèles « [Localité 8] » dans ce chiffre d'affaires export est de 80% ou plus.
L'INPI dans ses observations semble effectivement avoir pris en compte le chiffre d'affaires global réalisé par les membres de l'association [6], alors que le cahier des charges effectue une distinction sur la part représentée dans ce chiffre d'affaires par les produits dont il est sollicité la protection au titre de l'IGPIA ce qui laisse place à une incertitude sur la vérification de la représentativité effectuée par l'INPI dans le cadre de la procédure d'homologation.
En l'état de l'ensemble de ces éléments qui ne permettent pas de considérer que le produit à protéger est caractérisé par un savoir-faire traditionnel ou une réputation qui peuvent être attribués essentiellement à la zone géographique définie au cahier des charges, la décision n°2022-32 du directeur général de l'INPI doit être annulée.
3. Sur l'engagement de la responsabilité de l'INPI :
Le SFACL, la commune de [Localité 8] et la FFGIA entendant, dans le cadre de leur recours contre la décision n°2022-132 d'homologation du cahier des charges de l'indication géographique « Couteau [Localité 8] » engager la responsabilité de l'INPI pour divers manquements qui auraient été commis dans l'instruction de la demande d'homologation et réclamer des dommages et intérêts en réparation de leurs préjudices.
Aux termes d'un avis n°15003 rendu le 6 mars 2024, la Chambre commerciale économique et financière de la Cour de cassation a énoncé que s'il résulte de l'article L. 411-4 du code de la propriété intellectuelle que la compétence des cours d'appel pour connaître des recours formés contre les décisions du directeur général de l'INPI s'étend aux conséquences dommageables des fautes par lui commises à l'occasion de l'exercice des compétences prévues par ce texte, les actions portées devant ces cours d'appel qui visent à mettre en cause la responsabilité de l'INPI et obtenir sa condamnation au paiement de dommages et intérêts ne sont pas régies par les articles R. 411-19 et suivants du code de la propriété intellectuelle. Elles doivent, en conséquence, être formées, instruites et jugées conformément aux dispositions du code de procédure civile. Il s'ensuit que l'INPI, partie défenderesse à une telle action, est tenu de constituer avocat en application de l'article 899 du code de procédure civile et de respecter, à peine d'irrecevabilité de ses conclusions, le délai prévu à l'article 909 du même code. Lorsque l'INPI forme une demande reconventionnelle, la partie adverse est tenue de respecter, à peine d'irrecevabilité de ses conclusions en réponse à cette demande, le même délai.
La responsabilité de l'INPI, à raison de l'une de ses décisions, même si elle ressort de la compétence de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, ne parait donc pas pouvoir être engagée dans le cadre du recours en annulation contre l'une de ses décisions et les demandes formées à ce titre par le SFACL, la commune de Laguiole et la FFGIA semblent irrecevables pour ne pas avoir été formées par voie d'assignation et dans le respect des règles de procédure civile applicables devant la cour d'appel, étant rappelé que dans le cadre du présent recours en annulation l'INPI n'est pas partie à l'instance.
Il y a lieu, s'agissant d'une irrecevabilité soulevée d'office, d'ordonner la réouverture des débats sur ce point et d'enjoindre au SFACL, à la commune de [Localité 8] et à la FFGIA de bien vouloir conclure sur ce point et à l'INPI de bien vouloir présenter toute observation qu'il jugera utile.
L'association [6] qui succombe pour la plus grande part, est condamnée aux dépens et au paiement de la somme de 5 000 euros à chacune des requérantes en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Écarte des débats les conclusions et pièces notifiées et déposées le 5 avril 2024 par l'association [6] dans les dossiers RG n°22/13284 et RG n°23/04138,
Rejette la fin de non-recevoir tirée du défaut de pouvoir du maire de [Localité 8] pour former un recours à l'encontre de la décision n° n°2022-132 d'homologation du cahier des charges de l'indication géographique « Couteau [Localité 8] »,
Rejette la demande de la Commune de [Localité 8] tendant à voir écarter des débats les pièces 18 et 20 produites par l'INPI à l'appui de ses observations,
Ordonne la jonction des procédures RG n°22/13284, n°22/14009, n°23/04138 et n°23/12040 sous le seul numéro RG n°22/13284,
Annule la décision n°2022-32 du directeur général de l'INPI,
Condamne l'association [6] aux dépens de l'instance concernant le recours contre la décision n°2022-32 du directeur général de l'INPI qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile,
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne l'association Couteau [Localité 8] Aubrac Auvergne à payer au syndicat des fabricants aveyronnais du couteau de [Localité 8], à la commune de [Localité 8], à la fédération française des indications géographiques industrielles et artisanales et à la SA AMEFA, chacun, la somme de 5 000 euros,
Avant dire droit sur la responsabilité de l'INPI,
Ordonne la réouverture des débats sur la demande de dommages et intérêts formée par le SFACL, la commune de [Localité 8] et la FFGIA à l'encontre de M. le directeur général de l'INPI en réparation d'une faute commise dans l'instruction de la demande d'indication géographique Couteau [Localité 8],
Invite le SFACL, la commune de [Localité 8] et la FFGIA à conclure sur la recevabilité de la demande et la régularité de la saisine de la cour, non saisie par voie d'assignation,
Invite M. le directeur général de l'INPI à présenter toute observation qu'il jugera utile sur ce point,
Renvoie sur cette question à l'audience du lundi 3 février 2025 à 14h.