Livv
Décisions

CA Bordeaux, 2e ch. civ., 11 juillet 2024, n° 21/01361

BORDEAUX

Arrêt

Autre

CA Bordeaux n° 21/01361

11 juillet 2024

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 11 JUILLET 2024

N° RG 21/01361 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-L7KF

S.A.S. JLFD PRODUCTION

c/

Monsieur [Z] [N]

Madame [S] [A] épouse [N]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 09 février 2021 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de TJ Bergerac (RG : 20/00791) suivant déclaration d'appel du 05 mars 2021

APPELANTE :

S.A.S. JLFD PRODUCTION

exerçant sous l'enseigne commerciale [X],

Société par Action Simplifiée, inscrite au RCS de BERGERAC sous le numéro 391745304, dont le siège social se trouve [Adresse 4], prise en la personne de son Président Monsieur [B] [X], domicilié en cette qualité audit siège,

Représentée par Me Alice HOULGARD de la SELARL CABINET HOULGARD-AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉS :

[Z] [N]

de nationalité Française,

demeurant [Adresse 1]

[S] [A] épouse [N],

demeurant [Adresse 1]

Représentés par Me Fabienne GOUTEYRON, avocat au barreau de BORDEAUX

et assistés de Me Claudine EUTEDJIAN de la SELARL SUD-JURIS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 23 mai 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jacques BOUDY, Président, qui a fait un rapport oral de l'affaire avant les plaidoiries,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Jacques BOUDY, Président,

Monsieur Alain DESALBRES, Conseiller,

Monsieur Rémi FIGEROU, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Audrey COLLIN

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 15 mai 2017, Monsieur [Z] [N] et Madame [S] [N] ont acquis auprès de la société par actions simplifiées (Sas) JLFD Production, exerçant sous l'enseigne commerciale [X], un van pour chevaux moyennant le prix de 8 100 euros.

Le 23 juillet 2017, les époux [N] ont utilisé ce van afin de transporter leur cheval et de se rendre de leur domicile de [Localité 2] (89) jusqu'au lieu de compétition organisé à [Localité 3] (89). Sur le chemin du retour, M. [N] a constaté que le bat-flanc du van s'était rompu et que les barres de queue et le morceau de bat-flanc avaient gravement blessé aux membres postérieurs leur cheval.

À la demande des époux [N], une expertise amiable contradictoire du van a alors été organisée. Monsieur [O], expert, a rendu son rapport d'expertise le 23 novembre 2023. Par ailleurs, une expertise vétérinaire du cheval a également été organisée et le docteur [E], vétérinaire, a rendu son rapport d'expertise le 25 juillet 2018.

Par acte du 14 septembre 2020, les époux [N] ont assigné la société JLFD Production devant le tribunal de grande instance de Bergerac aux fins principalement de voir engager sa responsabilité contractuelle et d'obtenir la remise en état ou le remplacement du van.

Par jugement du 9 février 2021, le tribunal judiciaire de Bergerac a :

vu les articles 1641 et suivants du code civil,

- jugé que le van pour chevaux vendu le 15 mai 2017 par la Sas JLFD Production à M. et Mme [N] est affecté de vices cachés rendant la chose impropre à l'usage auquel il était destiné au sens de l'article 1641 du code civil,

- condamné en conséquence la Sas JLFD Production à procéder au remplacement du van pour chevaux vendu aux époux [N],

vu les articles 1245 et suivants du code civil,

- jugé que la responsabilité de la Sas JLFD Production du fait des produits défectueux (en raison du défaut de sécurité du van susvisé) est engagé à l'égard des époux [N],

- condamné la Sas JLFD Production à payer à M. et Mme [N] les sommes de 13 551,03 euros au titre des frais vétérinaires exposés, de 18 000 euros au titre du préjudice économique subi et de 5 000 euros au titre du préjudice moral subi,

- débouté M. et Mme [N] du surplus de leurs demandes,

en toute hypothèse,

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,

- condamné la Sas JLFD Production à payer à M. et Mme [N] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la Sas JLFD Production aux entiers dépens.

La société JLFD Production a relevé appel du jugement le 5 mars 2021.

Par ordonnance du 26 janvier 2022, le conseiller de la mise en état de la cour d'appel de Bordeaux a :

- déclaré irrecevables les conclusions et pièces déposées par les intimés le 7 septembre 2021,

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Mme et M. [N] aux dépens de l'incident.

Par ordonnance du 25 janvier 2023, le conseiller de la mise en état a joint au fond l'incident soulevé par l'appelant aux fins de voir ordonner une expertise judiciaire.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 6 mai 2024, la société JLFD Production demande à la cour, sur le fondement des articles 16 du code de procédure civile, 1641 et suivants, 1245 et suivants et 1240 du code civil, de :

À titre principal,

- réformer le jugement dont appel en ce qu'il a :

- jugé que le van pour chevaux vendu le 15 mai 2017 par la Sas JLFD Production à M. et Mme [N] est affecté de vices cachés rendant la chose impropre à l'usage auquel il était destiné au sens de l'article 1641 du code civil,

- condamné en conséquence la Sas JLFD Production à procéder au remplacement du van pour chevaux vendu aux époux [N],

- jugé que la responsabilité de la Sas JLFD Production du fait des produits défectueux (en raison du défaut de sécurité du van susvisé) est engagé à l'égard des époux [N],

- condamné la Sas JLFD Production à payer à M. et Mme [N] les sommes de 13 551,03 euros au titre des frais vétérinaires exposés, de 18 000 euros au titre du préjudice économique subi et de 5 000 euros au titre du préjudice moral subi,

Statuant à nouveau,

- dire que l'action en vices cachés était prescrite au jour de l'assignation délivrée par les époux [N] le 14 septembre 2020,

- débouter les époux [N] de l'ensemble de leurs prétentions au titre des vices cachés,

- dire que l'action en responsabilité du fait des produits défectueux étaient prescrite au jour de l'assignation délivrée par les époux [N] le 14 septembre 2020,

- débouter les époux [N] de l'ensemble de leurs prétentions au titre de la responsabilité du fait des produits défectueux,

À titre subsidiaire,

- réformer le jugement dont appel en ce qu'il a :

- jugé que le van pour chevaux vendu le 15 mai 2017 par la Sas JLFD Production à M. et Mme [N] est affecté de vices cachés rendant la chose impropre à l'usage auquel il était destiné au sens de l'article 1641 du code civil,

- condamné en conséquence la Sas JLFD Production à procéder au remplacement du van pour chevaux vendu aux époux [N],

- jugé que la responsabilité de la Sas JLFD Production du fait des produits défectueux (en raison du défaut de sécurité du van susvisé) est engagé à l'égard des époux [N],

- condamné la Sas JLFD Production à payer à M. et Mme [N] les sommes de 13 551,03 euros au titre des frais vétérinaires exposés, de 18 000 euros au titre du préjudice économique subi et de 5 000 euros au titre du préjudice moral subi,

Statuant à nouveau,

- dire que la preuve du vice caché n'est pas rapportée, que la conception du van était visible et que ce dernier était propre à sa destination,

- débouter les époux [N] de l'ensemble de leurs prétentions au titre des vices cachés,

- dire que la preuve de la défectuosité du produit n'est pas rapportée et qu'en conséquence aucun dommage ne saurait être pris en compte à ce titre,

- débouter les époux [N] de l'ensemble de leurs prétentions au titre de la responsabilité du fait des produits défectueux,

Si la cour l'estime nécessaire,

- ordonner une expertise telle que sollicitée dans le cadre des conclusions d'incident déposées par elle,

Au surplus,

- condamner les époux [N] solidairement à lui payer la somme de 5 000 euros pour procédure abusive,

En tout état de cause,

- réformer le jugement dont appel en ce qu'il a :

- ordonné l'exécution provisoire du jugement,

- condamné la Sas JLFD Production à payer aux époux [N] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la Sas JLFD Production aux entiers dépens,

Statuant à nouveau,

- dire qu'il n'y avait pas lieu à exécution provisoire compte tenu de la matière,

- condamner les époux [N] solidairement à lui payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner les époux [N] solidairement aux entiers dépens de première instance et d'appel.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 mai 2024.

Pour une plus ample connaissance du litige et des prétentions et moyens des parties, il est fait expressément référence aux dernières conclusions et pièces régulièrement communiquées par les parties.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Précisions liminaires sur l'irrecevabilité des conclusions des époux [N]

Par ordonnance du 26 janvier 2022, le conseiller de la mise en état a, sur le fondement de l'article 911 du Code de procédure civile, déclaré irrecevables les conclusions des époux [N].

Leurs conclusions étant irrecevables, les époux [N] sont assimilés aux intimés n'ayant pas conclu. Ainsi, conformément à l'article 954 du Code de procédure civile, ils sont réputés s'approprier les motifs du jugement. En conséquence, la cour est saisie par les seuls moyens de l'appelant tendant à la réformation ou à l'annulation du jugement.

Sur la fin de non-recevoir soulevée par la société JLFD Production

La société JLFD Production fait valoir que l'action des époux [N] était prescrite.

Qu'en effet, l'action en garantie des vices cachés se prescrit par deux ans et le sinistre a eu lieu le 23 juillet 2017 de sorte qu'ils avaient donc jusqu'au 23 juillet 2019 pour assigner l'appelante sur ce fondement.

Elle ajoute, concernant l'action sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux, que celle-ci se prescrit par trois ans et que les intimés avaient donc jusqu'au 23 juillet 2020 pour assigner.

Qu'ils n'ont par ailleurs diligenté aucune expertise judiciaire afin de faire constater un éventuel vice ou défaut du van et que l'assignation en justice ayant été délivrée le 14 septembre 2020, l'action des demandeurs en première instance était prescrite sur ces deux fondements.

La fin de non-recevoir soulevée par la société JLFD Production concerne tant l'action fondée sur la garantie des vices cachés que celle fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux. Ces deux fondements, pour la clarté des développements, doivent être étudiés séparément.

Sur la prescription en matière de garantie des vices cachés

L'article 1648 du Code civil prévoit que 'l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice'.

Il résulte de l'article 1648 du Code civil que le point de départ de la prescription commence à courir à compter de la découverte du vice. En l'espèce, il ressort de la pièce n°8 versée aux débats par la société JLFD Production que les époux [N] ont contacté par mail la société [X] afin de lui indiquer que le dimanche 23 juillet (de l'année 2017), leur jument s'était agitée dans le van et qu'ils avaient constaté que le bat-flanc était cassé net.

C'est à compter de cette date que les époux [N] ont découvert le vice affectant leur van. C'est d'ailleurs en ce sens que le mardi 25 juillet 2017, Madame [S] [N] écrivait à Madame [U] [T] afin d'obtenir réparation. Plus précisément, elle demandait que des réparations sur le van soient faites et que les frais vétérinaires relatifs à la pouliche soient pris en charge par la société.

Ainsi, les époux [N] disposaient-ils d'un délai de deux ans à compter du dimanche 23 juillet 2017 pour assigner la société JLFD Production. Or, ils n'ont assigné que le 14 septembre 2020. Il s'est ainsi écoulé un délai de trois ans, un mois, trois semaines et un jour.

En conséquence, l'action des époux [N] était prescrite.

Sur la prescription en matière de responsabilité des produits défectueux

L'article 1245-16 du Code civil prévoit que 'l'action en réparation fondée sur les dispositions du présent chapitre se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur'.

Il résulte de l'article 1245-16 du Code civil que le point de départ de la prescription est subordonné à la connaissance du dommage ou du défaut. Rapporté aux faits de l'espèce, les époux [N] ont eu connaissance du dommage et du défaut le 23 juillet 2017, jour où ils ont constaté la rupture du bat-flanc.

C'est ainsi, à cette date, que la prescription triennale a commencé à courir. Or, ils n'ont assigné la société JLFD Production que le 14 septembre 2020, soit un mois et trois semaines après la fin du délai de trois ans. L'action des époux [N] était prescrite.

En conséquence, il y a lieu d'accueillir la fin de non-recevoir soulevée par la société JLFD Production.

Sur la demande en dommages et intérêts pour procédure abusive

La société JLFD demande la condamnation des époux [N] considérant leur procédure abusive car leur précédent conseil n'aurait pas informé le sien de la procédure en cours et que les époux [N] ont eu recours à des experts contactés par eux.

Le défaut de constitution engendré par un manque de communication entre auxiliaires de justice ainsi que le recours à des expertises amiables ne peuvent, tels qu'ils résultent des faits de l'espèce, constituer un abus du droit d'agir en justice, d'autant que la société JLFD a pu interjeter appel de la décision et faire valoir sa position.

Dès lors, elle doit être déboutée de sa demande.

Sur les demandes accessoires

Il y a lieu d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société JLFD à verser aux époux [N] la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et l'a condamnée aux entiers dépens.

En cause d'appel, l'équité commande l'allocation d'une indemnité de 3000 euros à la société JLFD Production sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Les époux [N] seront aussi condamnés aux entiers dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

- infirme le jugement du tribunal judiciaire de Bergerac du 9 février 2021 en toutes ses dispositions

Statuant à nouveau,

- déclare l'action sur le fondement de la garantie des vices cachés prescrite,

- déclare l'action sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux prescrite,

- déboute la société JLFD Production de sa demande de condamnation des époux [N] pour procédure abusive,

- condamne les époux [N] aux dépens de première instance

Y ajoutant,

- condamne Monsieur [Z] [N] et Madame [S] [N] à verser à la société JLFD Production la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamne Monsieur [Z] [N] et Madame [S] [N] aux entiers dépens d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jacques BOUDY, président, et par Madame Audrey COLLIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,