CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 11 juillet 2024, n° 23/09027
AIX-EN-PROVENCE
Ordonnance
Autre
PARTIES
Demandeur :
Agence des Énergies Nouvelles Renouvelables (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Vincent
Avocats :
Me Cherfils, Me Desombre
EXPOSE DU LITIGE
Par jugement du 29 juin 2023, le tribunal de commerce de Marseille a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :
- prononcé la résiliation du contrat d'agent commercial de M. [K] [O] aux torts exclusifs de la Sas Agence des Energies Nouvelles Renouvelables (ADENR) ;
- débouté la Sas Agence des Energies Nouvelles Renouvelables (ADENR) de ses demandes reconventionnelles ;
- condamné la Sas Agence des Energies Nouvelles Renouvelables (ADENR) à payer à M. [K] [O] les sommes de :
9.463 € TTC au titre des commissions impayées assortie des pénalités de retard sur les factures de commissions calculées au taux annuel de 10% du montant TTC à compter du 61ème jour suivant la date de facturation avec intérêts au taux légal sur cette condamnation à venir à compter du 5 juillet 2013, date de la demande en justice ;
4.013 € au titre de préavis de l'agent commercial ;
35.000 € au titre de l'indemnité compensatrice de rupture de l'agent commercial ;
35.000 € à titre de dommages et intérêts ;
15.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la Sas Agence des Energies Nouvelles Renouvelables (ADENR) aux dépens.
Par acte du 6 juillet 2023, la Sas Agence des Energies Nouvelles Renouvelables (ADENR) a interjeté appel de ce jugement.
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Par conclusions d'incident du 4 octobre 2023, reprises par conclusions notifiées le 30 mai 2024, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, M. [K] [O] a saisi le conseiller de la mise en état des demandes suivantes :
- dire que la cour d'appel d'Aix-en-Provence ne dispose pas de la compétence juridictionnelle pour statuer sur le présent litige ;
- en conséquence, déclarer irrecevable l'appel de la Sas Agence des Energies Nouvelles Renouvelables (ADENR) interjeté le 6 juillet 2023 devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence,
- à tout le moins, renvoyer la Sas Agence des Energies Nouvelles Renouvelables (ADENR) à mieux se pourvoir,
- à titre subsidiaire, prononcer la radiation de l'appel pour défaut d'exécution provisoire,
- en tout état de cause, débouter la Sas Agence des Energies Nouvelles Renouvelables (ADENR) de toutes ses conclusions, fins et prétentions sur incident,
- condamner la Sas Agence des Energies Nouvelles Renouvelables (ADENR) à payer la somme de 3.500 € à M. [K] [O] en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la Sas Agence des Energies Nouvelles Renouvelables (ADENR) aux dépens de l'incident, dont distraction au profit de la Scp Desombre, avocats, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Au soutien de son incident, il fait valoir que :
- la présente Cour n'a pas le pouvoir juridictionnel pour connaître du litige, les articles D442-3, L442-1, L442-4 et L442-6 III, alinéa 5 du code de commerce donnant compétence exclusive à la cour d'appel de Paris pour connaître des appels portés contre les jugements statuant sur la rupture brutale de relations commerciales établies ; sa demande au titre de la « cessation brutale des relations contractuelles » a été régulièrement formée et jugée, peu important la qualification juridique qui lui a été appliquée ;
- la société appelante ne justifie ni des risques de conséquences manifestement excessives qu'elle invoque pour justifier le défaut d'exécution de la décision entreprise, ni des difficultés de restitution des fonds en cas d'infirmation, étant précisé qu'il n'est pas opposé à la constitution d'une garantie par consignation des sommes dues.
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Par conclusions d'incident du 3 juin 2024, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la Sas Agence des Energies Nouvelles Renouvelables (ADENR) demande au conseiller de la mise en état de :
- dire et juger que la cour d'appel d'Aix-en-Provence est compétente pour connaître de l'appel du jugement rendu le 29 juin 2023 par le tribunal de commerce de Marseille ;
- débouter en conséquence M. [K] [O] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions formées à titre incident ;
- à titre subsidiaire, dans le cas où la compétence de la cour d'appel de Paris serait retenue pour connaître de tout ou partie du litige, surseoir à statuer dans l'attente que la cour d'appel de Paris ait statué sur les demandes relevant des dispositions de l'article L442-1 II du code de commerce ou ordonner le renvoi de l'affaire pour le tout, devant la cour d'appel de Paris ;
- en toute hypothèse, débouter M. [K] [O] de sa demande de radiation de l'appel ;
- condamner M. [K] [O] à lui verser la somme de 3.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner M. [K] [O] aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Romain Cherfils, membre de la Selarl Lx Aix-en-Provence, avocats associés aux offres de droit.
Elle fait valoir que :
- l'action ne relève pas de l'article L442-1-II du code de commerce, de sorte qu'aucune compétence d'attribution spécifique ne lui est opposable, s'agissant de la cessation d'un contrat d'agent commercial, lequel répond à un régime juridique distinct ; ni le juge de première instance, ni M. [K] [O] ne prétendaient à l'application de ces dispositions, et le régime institué par l'article L442-1-II d'une part et celui édicté par l'article L134-10 du code de commerce sont distincts et exclusifs l'un de l'autre ; en tout état de cause, la règle découlant de l'application combinée de ces articles instituant une règle de compétence d'attribution exclusive et non une fin de non-recevoir ;
- le paiement des sommes auxquelles elle a été condamnée entraînerait des conséquences manifestement excessives eu égard non seulement à la situation du débiteur et de sa fragilité économique, mais compte tenu également du risque de non-restitution par M. [K] [O] en cas d'infirmation de la décision de première instance.
MOTIFS
- Sur la demande d'irrecevabilité de l'appel
En vertu de l'article D. 442-3 du code de commerce, pour l'application de l'article L. 442-6, le siège et le ressort des juridictions commerciales compétentes sont les juridictions de première instance de Marseille, Bordeaux, Tourcoing, Fort-de-France, Lyon, Nancy, Paris et Rennes et seule la cour d'appel de Paris est compétente pour connaître des appels formés contre les décisions rendues par ces juridictions.
L'inobservation de ces textes qui sont d'ordre public était sanctionnée par une fin de non-recevoir qui devait être soulevée d'office par application de l'article 125 du code de procédure civile, en raison du défaut de pouvoir de la juridiction saisie (Com., 24 septembre 2013, pourvoi n° 12-21.089, Bull. 2013, IV, n° 138). Toutefois, désormais (Com. 18 octobre 2023, pourvoi n°21-15.378), la règle découlant de l'application combinée des articles L. 442-6, III et D. 442-3 du code de commerce, désignant les seules juridictions indiquées par ce dernier texte pour connaître de l'application des dispositions du I et du II de l'article L. 442-6 précité, institue une règle de compétence d'attribution exclusive et non une fin de non-recevoir, cette règle étant d'application immédiate.
En l'espèce, M. [K] [O] se prévaut d'une « cessation brutale des relations contractuelles avec la Sas Agence des Energies Nouvelles Renouvelables (ADENR) », faisant valoir que cette qualification s'assimile à une rupture brutale des relations commerciales établies au visa des dispositions de l'ancien article L.442-6 I 5° et du nouvel article L442-1II du code de commerce.
Il sera toutefois observé que non seulement la décision entreprise ne s'est pas fondée sur ces dispositions, mais sur le régime applicable aux agents commerciaux, prévu aux articles L134-1 et suivants du code de commerce, et que les conclusions de M. [K] [O], tant en première instance que devant la cour, n'invoquaient pas les dispositions de l'article L442-1 II.
La simple qualification de « cessation brutale de relations contractuelles » ne saurait à elle seule déterminer l'application des dispositions de l'article L442-1 II, celle-ci pouvant également s'appliquer à la cessation d'un contrat d'agent commercial, de sorte qu'il importe d'analyser les conditions d'exécution du contrat. Or, au cas présent, il n'est pas contesté que M. [K] [O] exerçait sous le statut d'agent commercial, déterminant dès lors l'application du régime prévu aux articles L134-1 du code de commerce.
A ce titre, il est constant que les dispositions de l'article L442-1II du code de commerce ne s'appliquent pas lors de la cessation des relations ayant existé entre un agent commercial et son mandant, de sorte que seules les règles de droit commun ont vocation à s'appliquer au cas d'espèce, et que la présente cour est compétente pour connaître du litige.
- Sur la demande de radiation
Aux termes de l'article 526 ancien du code de procédure civile, applicable au présent litige, lorsque l'exécution provisoire est de droit ou a été ordonnée, le premier président ou, dès qu'il est saisi, le conseiller de la mise en état peut, en cas d'appel, décider, à la demande de l'intimé et après avoir recueilli les observations des parties, la radiation du rôle de l'affaire lorsque l'appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d'appel ou avoir procédé à la consignation autorisée dans les conditions prévues à l'article 521, à moins qu'il lui apparaisse que l'exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives ou que l'appelant est dans l'impossibilité d'exécuter la décision.
Il sera rappelé qu'il n'appartient pas au conseiller de la mise en état de se prononcer sur une disproportion éventuelle des sommes mises à la charge de la société appelante, s'agissant d'une appréciation de fond, et que celle-ci ne saurait en tout état de cause justifier une absence d'exécution de la condamnation.
L'existence d'un moyen sérieux d'annulation ou de réformation du jugement dont appel ne saurait davantage justifier une absence d'exécution de la décision au regard des dispositions de l'article 526 ancien du code de procédure civile, et l'appréciation des moyens soulevés n'appartient pas au conseiller de la mise en état.
En l'espèce, il n'est pas contesté que la Sas Agence des Energies Nouvelles Renouvelables (ADENR) n'a pas exécuté la décision déférée, faisant état des conséquences manifestement excessives ainsi que du risque de non-restitution des sommes. Il est constant que les conséquences manifestement excessives ou l'impossibilité d'exécuter la décision doit s'apprécier non au fond de l'affaire mais eu égard aux facultés de paiement du débiteur ou aux facultés de remboursement du créancier.
S'agissant des conséquences manifestement excessives, il est à observer que l'unique pièce produite pour soutenir que l'exécution placerait la Sas Agence des Energies Nouvelles Renouvelables (ADENR) dans une situation irrémédiable consiste en une attestation de l'expert-comptable du 10 octobre 2023, lequel atteste qu' « elle ne pourrait plus faire face à ses engagements et serait en état de cessation de paiement dans les mois à venir, compte tenu des résultats négatifs (-114.233 €) de l'entreprise sur le dernier bilan (bilan de 18 mois sur la période du 1er juillet 2021 au 31 décembre 2022) dû en grande partie aux difficultés de recrutement dans ce secteur post Covid 19 ». Aucune pièce comptable n'est toutefois produite aux débats de nature à étayer l'analyse ainsi faite, de même qu'aucune pièce comptable actualisée, sur l'exercice 1er janvier 2023 ' 31 décembre 2023, ne justifie de la situation financière actuelle de la société, alors que l'expert pointe lui-même des difficultés conjoncturelles, et que la société appelante ne faisait état d'aucune difficulté financière dans le cadre des procédures initiées au titre des mesures conservatoires.
Dès lors, sans remettre en cause l'appréciation portée par l'expert-comptable, lequel est effectivement soumis à un code de déontologie, cette attestation est à elle seule insuffisante à justifier le risque de conséquences manifestement excessives. La Sas Agence des Energies Nouvelles Renouvelables (ADENR) ne démontre pas qu'elle serait dans l'incapacité d'exécuter la décision et ne justifie pas des motifs selon lesquels elle n'a pas procédé à un paiement au moins partiel des sommes dont elle est redevable.
En outre, il n'est pas démontré par la société appelante que M. [K] [O] ne sera pas en mesure de restituer les sommes versées en cas d'infirmation de la décision, celui-ci pouvant capitaliser les sommes versées et en percevoir les fruits conformément aux dispositions des articles 517 à 522 du code de procédure civile, alors que la société appelante n'a fait aucune offre de consignation des sommes dues.
L'article 524 a été institué dans un but de célérité, afin de constituer une protection pour le créancier, d'éviter les appels dilatoires et assurer une bonne administration de la justice. Cette disposition ne restreint pas l'accès du justiciable à la cour et n'est pas contraire à la Convention Européenne de droits de l'Homme.
En conséquence, il sera fait droit à la demande de l'intimé tendant à voir prononcer la radiation de l'affaire, et ce sur le fondement des dispositions de l'article 526 ancien du code de procédure civile, applicable au présent litige
Sur les demandes accessoires
La Sas Agence des Energies Nouvelles Renouvelables (ADENR), partie succombante, sera condamnée à payer la somme de 1.500 € à M. [K] [O], sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'incident.
PAR CES MOTIFS
Le Conseiller de la mise en état, statuant publiquement et contradictoirement,
Déclare la cour d'appel d'Aix-en-Provence compétente pour connaître de l'instance engagée par la Sas Agence des Energies Nouvelles Renouvelables (ADENR) et pendante sous le N°23/9027,
Ordonne la radiation de l'affaire inscrite au rôle sous le numéro 23-9027 sur le fondement de l'article 526 ancien, devenu article 524, du code de procédure civile.
Dit que l'affaire ne pourra être rétablie en l'absence de péremption que sur justification de l'exécution de la décision déférée,
Condamne la Sas Agence des Energies Nouvelles Renouvelables (ADENR) à payer à M. [K] [O] la somme de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Condamne la Sas Agence des Energies Nouvelles Renouvelables (ADENR) aux dépens de l'incident.
Fait à Aix-en-Provence, le 11 juillet 2024