CA Nîmes, 1re ch., 4 juillet 2024, n° 23/00913
NÎMES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
KTM Sportmotorcycle (AG)
Défendeur :
Assura Basis (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Defarge
Conseillers :
Mme Duprat, Mme Gentilini
Avocats :
Me Pericchi, Me Endros, Me Geiger, Me Knoepfli
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
M. [U] [G] a été grièvement blessé lors d'un accident survenu le 16 juillet 2015 alors qu'il circulait sur la route des Cévennes ardéchoises au guidon d'une motocyclette de marque KTM modèle 990 SM-T acquise neuve le 15 novembre 2012 en Suisse et qui lui avait été livrée le 6 mars 2013.
Il a été hospitalisé pendant 4 mois dont 7 jours dans un centre pour grands brûlés.
Une enquête pénale ouverte sur plainte de sa part auprès du procureur général de [Localité 9] (Suisse) a été classée sans suite par le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Privas auquel elle avait été transmise pour compétence, pour absence d'infraction pénale.
En octobre 2016, l'assureur de la société KTM a diligenté une expertise amiable confiée à M. [V]. La cause du sinistre n'ayant pas pu être identifiée de façon certaine aucune résolution amiable du litige n'a pu intervenir sur la base de ce rapport entre cet assureur et la société Assura-Basis assureur de M. [G].
Par actes du 11 octobre 2017, M. [G] a alors fait assigner la société KTM SportMotorCycle AG (KTM) et la société Assura-Basis aux fins de voir établie la responsabilité de la société KTM du fait des produits défectueux, ordonner un expertise médicale et obtenir le paiement d'une provision à valoir sur l'indemnisation définitive de ses préjudices devant le tribunal de grande instance de Privas qui par jugement avant dire-droit du 26 septembre 2019 :
- a ordonné une expertise judiciaire afin de déterminer si le sinistre trouvait son origine dans une éventuelle défectuosité de la motocyclette,
- a désigné M. [X] [K] à cette fin,
- a sursis à statuer sur l'intégralité des demandes.
L'expert a déposé son rapport définitif le 29 juin 2020 et par jugement du 05 janvier 2023 ce tribunal :
- a dit la société KTM entièrement responsable des préjudices subis par M. [G] du fait de l'accident survenu le 16 juillet 2015, en raison de la défectuosité de la motocyclette KTM 990 SM-T,
Avant-dire-droit sur la liquidation des préjudices
- a ordonné une expertise confiée au Dr [R] [O],
- a débouté M. [G] de sa demande d'expertise comptable,
- a condamné la société KTM :
- à lui verser une somme de 10 000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices,
- à lui payer les sommes de :
- 4 019,28 euros en réparation de son préjudice matériel,
- 540 euros en réparation du préjudice de jouissance de sa motocyclette,
- a réservé la demande de la société Assura-Basis tendant à la condamnation de la société KTM à lui payer la somme de 244 893,88 euros, (258 731,60 francs suisses) au titre de son recours subrogatoire,
- a réservé les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile jusqu'à la décision statuant sur la liquidation de ses préjudices et les dépens de l'instance,
- a renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état dématérialisée du 16 mars 2023 pour vérification du versement de la consignation,
- a débouté les parties de toute demande plus ample ou contraire.
La société de droit autrichien KTM SportMotorCycle AG a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 10 mars 2023.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET DES MOYENS
Au terme de ses conclusions d'appel n°2 régulièrement notifiées le 29 mars 2024 elle demande à la cour :
- de la recevoir en ses écritures et la déclarer bien fondée,
En conséquence
A titre principal
- de réformer le jugement
et statuant à nouveau
- de dire et juger qu'aucune défectuosité de la moto n'est à l'origine de l'accident litigieux,
- de l'exonérer de toute responsabilité en raison de la faute commise par M. [G],
- de débouter celui-ci de l'ensemble de ses demandes à son encontre,
- de débouter la société Assura-Basis de l'ensemble de ses demandes à son encontre,
A titre subsidiaire
- de rejeter l'ensemble des demandes de M. [G] formées à titre d'appel incident,
- de rejeter l'ensemble des demandes de la société Assura-Basis formées à titre d'appel incident,
- de limiter les préjudices matériels de M. [G] à la somme de 1 596 euros,
- de rejeter la demande de paiement formée par la société Assura-Basis,
En tout état de cause
- de condamner toute partie succombante à lui verser la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner toute partie succombante aux entiers dépens.
Au terme de ses conclusions régulièrement notifiées le 31 octobre 2023 M. [U] [G] demande à la cour :
- d'infirmer le jugement en ce qu'il a limité son indemnisation au titre du préjudice matériel à la somme de 4 019,28 euros,
Statuant à nouveau sur ce point
- de condamner la société KTM à lui payer la somme de 4 714,19 euros en réparation de son préjudice matériel, se décomposant comme suit :
- 584,95 euros au titre de la veste et du pantalon de motard,
- 366,36 euros au titre du casque,
- 706,60 euros au titre des lunettes de vue,
- 235,00 euros au titre des lunettes de soleil,
- 1 373,36 euros au titre du Kit valise,
- 753,01 euros au titre du cache carbone et autres protections,
- 355,91 euros au titre du GPS
- 270,00 euros au titre des bottes de moto
- 69,00 euros au titre des gants de moto.
- de confirmer le jugement déféré pour le surplus.
- de condamner la société KTM à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- de la condamner aux entiers dépens.
Il rappelle avoir acquis le 15 novembre 2012 une moto neuve, modèle KTM type 990 SM-T, qui lui a été livrée le 06 mars 2013 et prétend avoir fait procéder aux révisions prescrites ; que le 16 juillet 2015, alors qu'il circulait à bord de cette moto sur la corniche des Cévennes, le véhicule a brusquement pris feu, puis a explosé ; que transformé en véritable torche humaine, il a perdu le contrôle de son véhicule, qui a heurté un talus enroché puis terminé sa course dans un fossé ; qu'au terme de son rapport l'expert a conclu que l'incendie trouvait son origine dans une fuite de carburant.
Il soutient que plusieurs modèles de moto KTM ont été rappelés en raison d'un défaut affectant leur bloc réservoir ; que selon l'expert judiciaire, « il est incontestable que le sinistre a été provoqué par une fuite abondante de carburant, et qu'ainsi, ladite moto était bel et bien affectée de ce défaut » ; que de fait que la modèle SM 990 T n'ait pas figuré parmi ceux signalés (SM 990 R) ne constitue pas la preuve de l'absence de défaut ce d'autant plus que l'expert judiciaire a pu constater que l'incendie qui s'est produit correspond exactement au risque qui était décrit dans cette campagne de rappel, à savoir des incendies ayant pour origine des fuites de carburants incontrôlées ; qu'il n'entrait pas dans la mission de l'expert de déterminer les causes du sinistre mais uniquement l'origine des désordres.
Au terme de ses conclusions notifiées le 6 novembre 2023 la société de droit suisse Assura-Basis, assureur de M. [U] [G], demande à la cour :
- de confirmer le jugement en ce qu'il a :
- dit que la société KTM est entièrement responsable des préjudices subis par M. [G] du fait de l'accident survenu le 16 juillet 2015, en raison de la défectuosité de la motocyclette KTM-900 SM-T
- condamné cette société à payer à M. [G] les sommes de :
- 10 000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices,
- 4 019,28 euros en réparation de son préjudice matériel,
- 540 euros en réparation du préjudice de jouissance de sa motocyclette,
- de renvoyer au tribunal judiciaire de Privas saisi au fond l'examen de ses demandes indemnitaires,
A défaut
- de réformer le jugement en ce qu'il a :
- réservé sa demande tendant à la condamnation de la société KTM à lui payer la somme de 24 483,88 euros (258 731,60 francs suisses) au titre de son recours subrogatoire,
Statuant à nouveau
- de condamner cette société à lui payer une provision de 244 893,88 euros (258 731,60 francs suisses)
En tout état de cause
- de la condamner à lui payer la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- de statuer ce que de droit sur les dépens.
En application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile il est expressément référé aux dernières écritures des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
MOTIVATION
Pour dire que les conditions de la responsabilité de la société KTM du fait de son produit défectueux étaient remplies, le tribunal a jugé établi par le rapport d'expertise judiciaire, le témoignage de M. [T], la localisation des blessures de la victime, l'absence de défaillance dans l'entretien de l'engin, l'absence d'implication d'une usure normale du véhicule dans le sinistre et par les constatations de M. [V], que la motocyclette avait bien subi un choc frontal sur le talus en bordure de route avant de chuter dans le fossé et que ce choc avait été causé par le départ d'un incendie au niveau du réservoir du véhicule ; que cet incendie avait lui-même été provoqué par une fuite de carburant, ayant pour cause un défaut de la pompe à essence, du joint d'étanchéité, de la durite d'alimentation, du raccord ou du réservoir ; que si l'état de l'épave de l'engin n'avait pas permis à l'expert de déterminer avec précision quel composant était défectueux il en ressortait suffisamment d'indices concordants pour considérer que le défaut était pré-existant et qu'il avait entraîné l'incendie de l'engin ; qu'en raison de ce défaut, le produit ne présentait pas les garanties de sécurité normalement attendues peu important l'indétermination de l'élément exact affecté, dès lors que celui-ci trouvait son siège de façon certaine dans l'un des composants de sa fabrication.
Il a jugé sur le lien de causalité entre cette défectuosité et le préjudice que la motocyclette avait subi une fuite de carburant trouvant sa cause dans la défectuosité de fabrication ou de conception d'au moins l'un de ses composants et que celle-ci avait entraîné l'embrasement de l'engin et sa chute.
La société KTM appelante soutient qu'il est impossible de déterminer les circonstances de l'accident et sa cause dès lors que l'expert n'a pas déterminé la cause de l'incendie mais seulement son origine, que le scénario d'une fuite de carburant n'est pas compatible avec les circonstances décrites, et que la moto accidentée n'a jamais fait l'objet d'un rappel.
Elle prétend n'encourir aucune responsabilité en l'absence de preuve d'un défaut de sécurité, de lien de causalité entre le dommage et le défaut de sécurité invoqué, et du fait d'un défaut d'entretien imputable à la victime ayant pu avoir un rôle causal dans la réalisation du sinistre.
La société Assura Basis soutient que l'origine des désordres est largement déterminée par les conclusions de l'expertise, à savoir la défectuosité avérée du produit du fait d'un défaut ayant occasionné la fuite de carburant, ainsi que par l'absence de rappel dont le produit aurait dû faire lieu, et l'absence de preuve d'un défaut d'entretien par la victime.
Selon les articles 1245 et suivants du code civil le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime.
Les dispositions du présent chapitre s'appliquent à la réparation du dommage qui résulte d'une atteinte à la personne.
Est un produit tout bien meuble, même s'il est incorporé dans un immeuble, y compris les produits du sol, de l'élevage, de la chasse et de la pêche.
Un produit est défectueux au sens du présent chapitre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre. Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.
Un produit est mis en circulation lorsque le producteur s'en est dessaisi volontairement. Un produit ne fait l'objet que d'une seule mise en circulation.
Est producteur, lorsqu'il agit à titre professionnel, le fabricant d'un produit fini, le producteur d'une matière première, le fabricant d'une partie composante.
Le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage.
Le producteur peut être responsable du défaut alors même que le produit a été fabriqué dans le respect des règles de l'art ou de normes existantes ou qu'il a fait l'objet d'une autorisation administrative.
Le producteur est responsable de plein droit à moins qu'il ne prouve :
(...) 2° Que, compte tenu des circonstances, il y a lieu d'estimer que le défaut ayant causé le dommage n'existait pas au moment où le produit a été mis en circulation par lui ou que ce défaut est né postérieurement ;
(...) 4° Que l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n'a pas permis de déceler l'existence du défaut (...)
La responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée, compte tenu de toutes les circonstances, lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime ou d'une personne dont la victime est responsable.
Sauf faute du producteur, la responsabilité de celui-ci, fondée sur les dispositions du présent chapitre, est éteinte dix ans après la mise en circulation du produit même qui a causé le dommage à moins que, durant cette période, la victime n'ait engagé une action en justice.
L'action en réparation fondée sur les dispositions du présent chapitre se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur.
La société KTM ne conteste pas ici sa qualité de producteur de la moto impliquée dans l'accident et la recevabilité de l'action engagée par M. [U] [G] n'est pas discutée.
La responsabilité de cette société du fait de la défectuosité de cette moto est une responsabilité de plein droit, qui suppose que la victime rapporte la preuve de l'existence du défaut allégué et de son lien de causalité avec le dommage subi, qui n'est pas non plus contesté.
* sur la défectuosité de la moto KTM modèle 990 SuperMoto T acquise neuve le 15 novembre 2012 et livrée le 6 mars 2013 à M. [U] [G].
Il incombe à l'intimé de démontrer que cette moto n'offrait pas la sécurité à laquelle il pouvait légitimement s'attendre, dans l'appréciation de laquelle il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui pouvait en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.
Il est établi que la moto KTM modèle 990 SM T ABS 2012 n°de châssis VBKVS9409CM985036 n°de moteur 0262677600 version EU achetée selon facture du 15 novembre 2012 lui a été livrée le 6 mars 2013par la société Compétition Park, concessionnaire de motos à [Localité 13].
Selon le procès-verbal du 18 juillet 2015 de transmission par les gendarmes de la compagnie de [Localité 11] (07) des pièces de l'enquête au procureur de la République de [Localité 14], M. [G] a été victime le 16 juillet 2015 à 14h20 à [Localité 10] lieudit [Localité 8] hors agglomération d'un accident à type de 'sortie de route sans obstacle à la suite d'une défectuosité mécanique', le point de choc initial se situant à l'avant du véhicule, alors qu'il circulait sans changer de direction et en l'absence d'obstacle mobile.
Le seul témoin dont l'audition est produite, M. [I] [T], qui suivait M. [G] à moto depuis le matin 8h45 et alors qu'ils avaient parcouru environ 250 km, a déclaré 'avoir vu une flamme en dessous de la moto de son ami et dans la seconde qui a suivi une forte explosion', avoir vu à cet instant décoller la moto et le feu se propager autour de celui-ci comme une torche.
Il a déclaré penser que son ami avait perdu le contrôle de son engin au moment où un écran de feu s'était créé autour de lui raison pour laquelle il s'était retrouvé dans le fossé, sans avoir eu le temps de freiner.
Il a précisé que son ami lui avait signalé le matin avoir vu à plusieurs reprises le témoin 'FI' allumé.
Il a été demandé à l'expert judiciaire de déterminer l'origine des éventuels désordres (sic) et dire s'ils trouvent leur origine dans une usure normale compte-tenu de l'âge du véhicule, un défaut de fabrication, une non-conformité, une anomalie ou un autre dysfonctionnement, un défaut d'entretien, un entretien ou une utilisation non conforme, une intervention non conforme aux prescriptions du constructeur ou aux règles de l'art.
L'expert a conclu le 23 juin 2020 p 26 de son rapport :
- que les désordres (sic) trouvaient leur origine dans une fuite de carburant laquelle s'est produite sur route et de façon soudaine sur le côté gauche du réservoir au niveau de la pompe à essence et des durites d'alimentation,
- que s'il n'était pas possible d'identifier précisément l'origine exacte de cette fuite compte-tenu de l'état d'épave de la moto il n'y avait cependant aucune équivoque possible sur sa localisation, résultant à son avis d'un défaut :
- soit de la pompe à essence
- soit de son joint d'étanchéité
- soit de la durite d'alimentation
- soit d'un raccord
- soit du réservoir lui-même
etc.
- que si le carter moteur où se loge le démarreur avait été retrouvé fondu, c'est qu'il avait été consumé après l'incendie après immobilisation de la moto dans le fossé, du fait qu'il se trouvait à proximité immédiate de la fuite de carburant qui en s'écoulant du réservoir aurait à cet endroit précis copieusement alimenté le feu entraînant la fonte de l'alliage léger le constituant, alors que, ne contenant pas d'huile de graissage, aucune fuite n'avait pu se produire à son niveau.
La société appelante qui conteste l'affirmation selon laquelle l'incendie de la moto résulterait d'une fuite de carburant, soutient que le fait que les calcinations soient plus importantes du côté gauche du véhicule et des vêtements de la victime résulte seulement du fait que le réservoir de carburant se trouve à gauche, mais ne signifie pas que c'est l'incendie qui a causé l'accident, qu'une fuite de carburant en serait à l'origine ou que la moto aurait présenté un défaut de sécurité ; que quand bien même l'existence d'une fuite de carburant serait admise, les conclusions de l'expert seraient insuffisantes pour en déterminer la cause et le défaut de sécurité qui en serait à l'origine au sens de l'article 1245-1 du code civil.
Elle s'appuie sur les conclusions d'un rapport unilatéral du 19 décembre 2016 complété le 13 mars 2017 selon lesquelles 'il ne nous appartient pas de remettre en question les déclarations du conducteur et du témoin de l'accident, cependant (l'expertise) démontre que deux hypothèses sont techniquement plausibles :
- la première indique que c'est l'incendie (qui) a provoqué l'accident
- le deuxième indique que c'est l'accident (qui) a provoqué l'incendie.'
Ces conclusions dubitatives qui n'émettent que des hypothèses, au terme d'une expertise non contradictoire confiée par la société DEKRA Claims à M. [Z] [V] ne sont nullement de nature à remettre en cause les conclusions du rapport de l'expert judiciaire sur l'existence d'une fuite de carburant à l'origine du début d'incendie, corroborée par le témoignage de M. [T], ayant entraîné aux termes mêmes de cet expert 'un violent mouvement du volant sur la droite' expliquant la sortie de route de M. [G], le choc frontal et la propagation de l'incendie conformément aux conclusions de l'expert judiciaire consécutivement à l'embrasement du réservoir à essence.
De même doivent être écartées comme inopérantes les conclusions de l''étude critique du rapport d'expertise déposé par M. [K]' dont il n'est pas possible de déterminer s'il a été rédigé par M. [M] [N], expert agréé par la Cour de cassation (liste nationale) ou par le cabinet [N], expert près la cour d'appel de Limoges, faute de production du mandat qui a été confié par la société KTM à l'un ou à l'autre, retenant que 'M. [K] s'est satisfait sans vérification d'approximations ne serait-ce que sur le point de savoir, ce qui était à qualifier d'essentiel dans ce dossier, si M. [G] avait, avec sa moto, d'abord heurté un obstacle avant d'achever sa course dans le fossé en contrebas de la RD 901 ou s'il avait quitté la chaussée en changeant de trajectoire pour chuter dans ledit fossé et si, de ce fait, il y avait eu un premier choc suivi d'un second ou s'il n'y en avait eu qu'un ce qui était à considérer comme deux versions bien différentes aux conséquences non comparables' et 'pour le reste, il a toujours procédé par affirmation et sans démonstration ce qui ne peut donner à notre sens beaucoup de crédit aux conclusions auxquelles il est parvenu'.
Une fuite de carburant survenant pendant qu'une moto circule est à l'évidence une défectuosité au sens de la loi dès lors qu'elle est de nature à remettre en cause la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre dans l'usage raisonnable comme en l'espèce d'un tel véhicule.
* sur la responsabilité de la société KTM SportMotorCycle AG
La responsabilité de plein droit de la société KTM est donc engagée et il lui incombe, pour s'en exonérer, de démontrer :
- soit que, compte tenu des circonstances, il y a lieu d'estimer que le défaut ayant causé le dommage n'existait pas au moment où le produit a été mis en circulation par lui ou que ce défaut est né postérieurement,
- soit que l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n'a pas permis de déceler l'existence du défaut,
ce qu'elle n'offre pas même de faire.
Elle démontre seulement que la moto accidentée n'a jamais fait l'objet d'un rappel, contrairement aux modèles 250 Six Jours fériés de l'UE, 2012350 EXC-F, 2012 UE459 AE, 2012 UE500 AE, 2013 UE500 AE, 2013 UEFE 450, 2013 UE, 990 SuperMoto R UE/F, 2012250 SX-F, 2012 UE350 SX-F, 2012 UE350 Freeride et 2012 UE, signalés le 30 décembre 2012 à l'initiative de la Grèce pour le risque suivant : le combustible peut fuir les conduites de carburant de manière incontrôlée, ce qui pourrait entraîner un risque d'incendie au Safety Gate (système d'alerte rapide pour les produits non alimentaires dangereux ) mais ce fait ne démontre pas a contrario que la moto utilisée par M. [G] n'était pas défectueuse.
Elle soutient que si les motos de type SM 990 T comme celle de M. [G] avaient présenté elles aussi un quelconque défaut ou intégré l'un des composants du fournisseur concernés par le rappel, elles auraient été rappelées à leur tour, ce qui ne démontre pas davantage que la moto acquise et utilisée par celui-ci n'était pas défectueuse.
* sur le défaut d'entretien imputé à M. [U] [G]
La société KTM prétend que M. [G] ne s'étant pas conformé à ses instructions relatives à l'entretien du véhicule doit être déclaré exclusivement et entièrement responsable des préjudices qui résultent de son accident.
Il résulte en effet des deux seules factures produites que la moto en possession de celui-ci depuis mars 2023 n'aurait fait l'objet que de deux interventions de remplacement du filtre à huile et d'un joint de vidange respectivement les 27 mars 2013 et 26 juillet 2013 de sorte qu'il n'est pas démontré qu'elle a fait l'objet d'opérations d'entretien entre cette dernière date et le 16 juillet 2015 jour de l'accident, alors que le plan d'entretien p58 à 60 de la notice d'utilisation dont la victime ne conteste pas avoir eu connaissance préconise :
- d'inspecter tous les flexibles (par exemple carburant, refroidissement, purge, vidange...) et cache-poussière à la recherche de fissures, défaut d'étanchéité et vérifier le montage correct tous les 15 000 km ou tous les 2 ans
- de contrôler la pression de carburant
- de contrôler la valeur du capteur de pression de la pipe d'admission avec outil de diagnostic tous les 7 500 km ou tous les ans ( K75A).
Il est rappelé que la moto a été achetée neuve et livrée le 6 mars 2013 et si à la date du 27 mars 2013 le kilométrage de 882 km indiqué à la facture de la société Compétition Park est cohérente avec ce fait, le kilométrage est illisible sur la seconde facture du 26 juillet 2013.
A la date de l'accident le kilométrage affiché était de 14 800 km (rapport d'expertise [V]) et il en résulte donc que si le seuil de 15 000 km préconisé par le constructeur pour l'inspection des flexibles en particulier de carburant n'avait pas encore été atteint, M. [U] [G] ne démontre pas avoir déféré au contrôle de la pression de carburant et de la valeur du capteur de pression de la pipe d'admission au seuil de 7 500 km préconisé.
Ce fait est à rapprocher de la précision apportée par le témoin lors de son audition, selon laquelle il lui avait signalé le matin 'avoir vu à plusieurs reprises le témoin 'FI' allumé.'
D'après le manuel d'utilisation 2012 produit par la société KTM, et comme l'a également précisé le témoin, le code de clignotement FI 'dépend du nombre de clignotements'.
Il s'agit d'un code de clignotement commande moteur pouvant, selon les cas, définir des erreurs relatives :
- à un dysfonctionnement dans le circuit de commutation du générateur d'impulsion
- à un signal d'entrée trop faible ou trop fort
- dans le capteur du clapet d'étranglement des circuits A ou B
- dans le capteur de pression des pipes d'admission des 2 cylindres
- dans le capteur de température du liquide de refroidissement
- dans le capteur de température de l'air d'admission
- dans le capteur de pression de l'air environnant
- dans le capteur d'inclinaison
- à un dysfonctionnement dans le circuit de commutation
- des sondes lambda des 2 cylindres
- de l'alimentation en tension
- de la béquille latérale
- des injecteurs des 2 cylindres
- des bobines d'allumage des 2 cylindres
- de l'actionneur des clapets d'étranglement des circuits A ou B
- du boîtier de commande EWS
- à une interruption ou un court/circuit vers la masse, ou un signal d'entrée trop fort
- de la commande de la pompe à carburant
- de la sonde lambda du chauffage des 2 cylindres
- de la soupape d'air secondaire
- à un défaut d'étanchéité des raccords capteurs de pression de la pipe d'admission
- à un dysfonctionnement de la communication par bus CAN.
S'il ne résulte pas de ces éléments la preuve que le défaut à l'origine de la fuite de carburant soit né postérieurement à la date de la dernière facture qui n'a pas concerné le réservoir ou les durites d'alimentation, la faute de la victime caractérisée par le fait
- d'une part de n'avoir pas procédé aux opérations d'entretien relatives au contrôle de la pression de carburant et de la valeur du capteur de pression de la pipe d'admission avec outil de diagnostic dans la période préconisée par le producteur
- d'autre part d'avoir négligé de contrôler la cause d'un clignotement du témoin FI survenu le matin même qui pouvait signaler une interruption ou un court/circuit vers la masse, ou un signal d'entrée trop fort de la commande de la pompe à carburant, et d'avoir parcouru environ 250 km malgré cette alerte
est ici, compte tenu de toutes les circonstances, de nature à exonérer totalement la société KTM SportMotorCycle AG de sa responsabilité.
Le jugement sera en conséquence infirmé en toutes ses dispositions sans qu'il y ait dès lors lieu de statuer sur les autres demandes des parties.
* dépens
M. [U] [G] et la société Assura-Basis qui succombent devront supporter in solidum les dépens de l'entière instance en ce compris les frais des expertises judiciaires.
* frais irrépétibles
Ils seront condamnés in solidum à payer à la société KTM SportMotorCycle AG la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, soit 1 500 euros en première instance et 1 500 euros en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour
Infirme le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau
Déboute M. [U] [G] et la société Assura-Basis de toutes leurs demandes dirigées contre la société KTM SportMotorCycle AG sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux,
Y ajoutant
Condamne in solidum M. [U] [G] et la société Assura-Basis à supporter les dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais des expertises judiciaires,
Condamne in solidum M. [U] [G] et la société Assura-Basis à payer à la société KTM SportMotorCycle AG la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, soit 1 500 euros en première instance et 1 500 euros en cause d'appel.
Arrêt signé par la présidente et par la greffière.