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Décisions

CA Versailles, ch. civ. 1-3, 4 juillet 2024, n° 21/04764

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 21/04764

4 juillet 2024

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 59C

Chambre civile 1-3

ARRET N°

REPUTE CONTRADICTOIRE

DU 04 JUILLET 2024

N° RG 21/04764

N° Portalis DBV3-V-B7F-UVGG

AFFAIRE :

Société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES venant aux droits de la Compagnie COVEA RISKS

..

C/

[O] [C]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 18 Juin 2021 par le TJ de NANTERRE

N° Chambre : 6

N° RG : 14/11862

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA de la SCP COURTAIGNE AVOCATS

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATRE JUILLET DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES

venant aux droits de la COMPAGNIE COVEA RISKS

N° SIRET : 775 652 126

[Adresse 2] [Localité 4]

MMA IARD

venant aux droits de la COMPAGNIE COVEA RISKS

N° SIRET : 440 048 882

[Adresse 2] [Localité 4]

Représentant : Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 52

APPELANTES

****************

Monsieur [O] [C]

[Adresse 3]

[Localité 1]

INTIME DEFAILLANT

***************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 04 avril 2024, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Charlotte GIRAULT, Conseiller et Monsieur Bertrand MAUMONT, Conseiller chargé du rapport .

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Florence PERRET, Président,

Madame Charlotte GIRAULT, Conseiller

Monsieur Bertrand MAUMONT, Conseiller

Greffier, lors des débats : Mme FOULON

FAITS ET PROCEDURE :

Le 5 juillet 2011, M. [O] [C] a souscrit à un produit de défiscalisation portant sur des investissements en outre-mer, en application des dispositions de l'article 199 undecies B du code général des impôts issu de la loi de programme pour l'outre-mer n°2003-660 du 21 juillet 2003, dite " Girardin industriel ".

Ces investissements consistaient, par le biais de sociétés en nom collectif, à procéder à l'acquisition de matériels productifs neufs en vue de leur location aux entreprises exploitantes locales dans les DOM-TOM, et permettant une réduction d'impôt proportionnelle au montant de ses souscriptions et imputable sur l'impôt dû au titre de l'année de réalisation de l'investissement, ou pouvant être reportée sur cinq ans.

L'investisseur était tenu de conserver ses parts pendant cinq ans, à l'issue desquels l'exploitant des matériels s'engageait à les racheter à un prix déterminé, tenant compte d'une rétrocession partielle de l'avantage fiscal obtenu.

La loi n°2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 a modifié l'article 199 undecies B du code général des impôts précité, en excluant de la défiscalisation les investissements portant sur des installations de production d'électricité utilisant l'énergie radiative du soleil, jusqu'alors proposés aux investisseurs.

La société Gesdom a alors proposé à des épargnants d'investir dans des stations autonomes d'éclairage (SAE) ayant cette particularité de ne pas produire d'électricité destinée à être injectée sur le réseau.

En vue de procéder à de tels investissements, M. [C] a versé à la société Gesdom la somme de 4.797 euros, outre 303 euros de frais de dossier.

L'attestation fiscale permettant la réduction d'impôt escomptée sur les revenus de l'année 2011 n'a jamais été remise à M. [C], la société Gesdom exposant que l'administration fiscale avait remis en cause les réductions d'impôts des montages des années précédentes faute de mise en service du matériel avant le 31 décembre de l'année concernée.

La mise en service des matériels n'étant pas davantage effective au 31 décembre 2012, aucune attestation fiscale n'a été remise à M. [C] au titre de l'année 2012 en dépit du report de l'investissement consenti.

Par acte d'huissier du 22 juillet 2014, M. [C] a fait assigner la société Gesdom ainsi que l'assureur de celle-ci, la compagnie Covea Risks, devant le tribunal de grande instance de Nanterre aux fins de nullité du contrat et d'engagement de la responsabilité contractuelle de la société Gesdom.

Par ordonnance du 22 janvier 2016, le juge de la mise en état a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société Gesdom.

Le 26 avril 2017, la société Gesdom a été placée en redressement judiciaire.

Par acte d'huissier du 10 avril 2018, M. [C] a délivré une assignation en intervention forcée à la société [U], en sa qualité de mandataire judiciaire de la société Gesdom.

Les deux procédures ont été jointes par ordonnance du juge de la mise en état du 17 septembre 2018.

Par acte d'huissier du 1er février 2019, M. [C] a délivré une assignation en intervention forcée à la société [K]-[D]-[R] et à la société [T]-[J], ès qualités d'administrateurs judiciaires de la société Gesdom.

Par ordonnance du 17 juin 2019, le juge de la mise en état a joint les procédures.

Par jugement du 18 juin 2021, le tribunal de Nanterre a :

- reçu l'intervention volontaire des sociétés MMA Iard et MMA Assurances Mutuelles,

- condamné les sociétés MMA Iard et MMA Assurances Mutuelles solidairement entre elles, et in solidum avec la société [U], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Gesdom, à payer à M. [C] la somme de 5 803 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel, dans la limite du plafond annuel de garantie de 4 000 000 euros applicable de façon globale pour l'ensemble des réclamants de la société Gesdom pour des investissements réalisés en 2011, au titre de la police n°114.247.742, sans séquestre,

- dit que cette somme produira intérêts au taux légal à compter du présent jugement,

- condamné in solidum les sociétés MMA Iard et MMA Assurances Mutuelles à payer à M. [C] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté M. [C] de sa demande à l'encontre de la société [U], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Gesdom, aux dépens, dont distraction au profit de Me Coulon,

- rejeté toutes demandes plus amples ou contraires,

- rappelé qu'en application des dispositions de l'article 478 du code de procédure civile, le présent jugement deviendra non avenu s'il n'est pas notifié dans les six mois de sa date.

Par acte du 22 juillet 2021, les sociétés MMA Iard Assurances Mutuelles et MMA Iard ont interjeté appel du jugement et prient la cour, par dernières écritures du 24 février 2023 de :

- infirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions défavorables à ces dernières et, statuant à nouveau,

- débouter M. [C] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de ces dernières, venant aux droits de Covea Risks

- condamner M. [C] à leur payer, venant aux droits de Covea Risks, la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [C] aux entiers dépens de la présente instance,

A titre infiniment subsidiaire,

- juger que ce litige s'inscrit dans le cadre d'un sinistre sériel,

- tenir compte du plafond de garantie de 2 000 000 euros,

- désigner tel séquestre qu'il plaira à la cour avec pour mission de conserver les fonds dans l'attente des décisions définitives tranchant les différentes réclamations formées à l'encontre de la société Gesdom concernant le même sinistre et pour, le cas échéant, procéder à une réparation au marc le franc des fonds séquestrés,

- juger que la franchise de 20 000 euros doit être déduite du montant de la condamnation éventuellement prononcée à l'encontre de la compagnie Covea Risks,

- juger que ce même montant serait déduit de chacune des condamnations prononcées au profit de chacun des investisseurs si la cour ne retenait pas une globalisation des sinistres dans le cas présent.

Les sociétés MMA Iard Assurances Mutuelles et MMA Iard ont fait signifier la déclaration d'appel et ses conclusions à M. [C], par actes du 22 octobre 2021 et du 28 février 2023 remis à personne habilitée. Néanmoins, M. [C] n'a pas constitué avocat.

La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 mars 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, il est rappelé que la cour, appelée à statuer sur le fond malgré la défaillance de l'intimée, ne peut faire droit aux prétentions et moyens des appelantes que dans la mesure où elle les estime réguliers, recevables et bien fondés, en application de l'article 472 du code de procédure civile, et que, dans ces conditions, en vertu de l'article 954, alinéa 6 du même code, l'intimée étant réputée s'approprier les motifs du jugement déféré, la cour examinera la pertinence de ces derniers au vu des prétentions et des moyens d'appel.

" Sur le moyen pris de la nullité du contrat

Pour échapper à la mise en 'uvre de sa garantie, les appelantes reprennent à leur compte la demande d'annulation du contrat formée par M. [C] auprès de la société Gesdom, sur le fondement de l'absence de cause, précisant que la restitution du prix ne constitue pas un dommage pris en charge par l'assurance de responsabilité civile.

Toutefois, les appelantes ne forment pas elles-mêmes de demande d'annulation du contrat dans le dispositif de leurs conclusions ; elles se bornent à demander l'infirmation du jugement en ses dispositions qui leur sont défavorables et à demander à ce que M. [C] soit débouté de l'ensemble de ses demandes.

Il en résulte que la cour n'a pas à se prononcer sur la validité du contrat souscrit par M. [C] auprès de la société Gesdom.

" Sur la responsabilité de la société Gesdom et la mise en 'uvre de la garantie Responsabilité civile

Poursuivant l'infirmation du jugement en ce qu'il les a condamnées à indemniser M. [C] à hauteur de 5 803 euros au titre de son préjudice matériel, les sociétés MMA ne concluent sur la responsabilité de la société Gesdom qu'à l'aune de l'examen de l'application ou non de leur garantie. Ainsi, elles considèrent, à titre principal, que la police nº114 247 742 souscrite par la société Gesdom, n'a pas à s'appliquer au motif que cette dernière n'aurait pas commis une faute ouvrant droit à des dommages et intérêts mais une inexécution contractuelle ouvrant droit au seul remboursement des prestations servies par le cocontractant.

Ce n'est qu'à titre subsidiaire qu'elles entendent opposer les exclusions de garantie applicables aux termes de la police qui exclut " les conséquences de l'absence d'exécution de la prestation ", les manquements à l'obligation de performance fiscale, les dommages provenant d'une fauteintentionnelle ou dolosive et " les litiges afférents aux frais, honoraires et facturations de l'assuré ". Elles ajoutent qu'au regard du caractère aléatoire du contrat d'assurance, toute garantie est exclue, par l'effet de la loi, en cas d'absence de véritable aléa.

Pour faire droit à la demande de M. [C] tendant à la mise en 'uvre de la garantie Responsabilité civile de la police d'assurance souscrite, le tribunal a jugé, d'une part, que la société Gesdom a engagé sa responsabilité, sur le fondement de l'article 1147 du code civil, en ne s'assurant pas de la solidité du montage juridique qu'elle distribuait et en n'attirant pas l'attention de l'investisseur sur le fait que l'avantage fiscal recherché pouvait être remis en cause, d'autre part, en considérant que M. [C] ne sollicitait pas des assureurs l'exécution de la prestation attendue mais des dommages et intérêts résultant des manquements de la société Gesdom à ses obligations contractuelles, conformément à l'objet de la garantie.

S'agissant des exclusions de garantie, le tribunal a jugé que les fautes commises par la société Gesdom ne consistaient pas en une absence d'exécution des prestations prévues, mais en un ensemble de négligences, inexactitudes, erreurs de fait et de droit garantis par les contrats d'assurance ; que le préjudice de M. [C] ne découle pas d'un défaut de performance fiscale, mais est né de fautes commises dans la sélection et le suivi de le l'opération, la perte de chance de bénéficier de l'avantage escompté n'étant que la conséquence des manquements commis ; que si la société Gesdom a commis une faute en ne s'assurant pas de l'éligibilité du produit proposé à M. [C] au dispositif fiscal, il n'est aucunement établi qu'elle ait eu l'intention de créer le dommage tel qu'il est survenu, de sorte que le caractère intentionnel ou dolosif de la faute commise n'est pas établi.

- Sur la responsabilité contractuelle et les conditions de la garantie

L'article 1147 (ancien) du code civil devenu article 1231-1 du code civil dispose que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Il est constant que, le 5 juillet 2011, afin de bénéficier d'une réduction d'impôts sur ses revenus, M. [C] a souscrit un produit de défiscalisation portant sur des investissements en outre-mer en application de la loi " Girardin industriel " et qu'aucune attestation fiscale ne lui a été remise pour bénéficier de cet avantage fiscal, aussi bien en ce qui concerne les revenus de l'année 2011 que ceux de l'année 2012, faute de mise en service du matériel visé par l'investissement avant le 31 décembre de l'année concernée.

Il est également constant que la société Gesdom est intervenue en qualité de monteur et commercialisateur de l'opération fiscale.

Or, en cette qualité, la société Gesdom devait s'assurer de la réunion des conditions d'octroi de la réduction d'impôt attendue des investisseurs et devait donc vérifier si le matériel financé pouvait être mis à la disposition de l'exploitant en vue d'une exploitation effective, et ce, en temps utile. Or, dès 2007 il était connu que la condition était la mise en service du matériel au 31 décembre de l'année en cause, puisque l'administration fiscale retenait comme fait générateur de réduction du montant de l'impôt la date à laquelle l'entreprise disposait matériellement de l'investissement et pouvait commencer son exploitation effective par la mise en service (CE, 8ème et 3ème sous-section réunies, 4 avril 2008 n°299309- CE 8ème et 3ème sous-section réunies, 10 juillet 2007, n°295952).

En outre, la société Gesdom devait s'assurer de l'éligibilité du produit de défiscalisation qu'elle a monté et commercialisé et, à cet égard, ne pouvait ignorer que l'article 36-I de la loi de finance pour 2011 du 29 décembre 2010 publiée le 30 décembre 2010 prévoyait que " la réduction d'impôt prévue au premier alinéa ne s'applique pas aux investissements portant sur des installations de production d'électricité utilisant l'énergie radiative du soleil ".

La cour en déduit que près d'un an avant la souscription de M. [C], la société Gesdom ne pouvait que s'interroger et douter de l'inclusion des stations autonomes d'éclairage dans la définition des installations de production d'électricité utilisant l'énergie radiative du soleil, de sorte que la prudence aurait voulu que la société Gesdom, en tant que commercialisateur, s'abstienne de proposer ce type de matériel dont la nature s'apparentait fortement et de façon assez évidente à ceux qui étaient exclus.

Ainsi, en ne s'assurant pas de l'éligibilité des stations autonomes d'éclairage au dispositif fiscal et en ne délivrant pas l'attestation fiscale résultant du montage, la société Gesdom a manqué à son obligation tenant à la nécessité d'assurer la sécurité juridique du montage.

C'est donc à juste titre que les premiers juges ont retenu la responsabilité contractuelle de la société Gesdom.

Il en résulte que le sinistre entre dans le champ de la police n° 114.247.742, souscrite par la société Gesdom auprès de MMA, à effet au 1er janvier 2008, qui garantit l'activité de " commercialisation prévoit que sont garanties " les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile que l'assuré peut encourir en raison notamment des négligences, inexactitudes, erreurs de fait, de droit, omissions, commis par lui, ses membres, ses agents, les préposés salariés ou non dans l'exercice de leurs activités normales et généralement par tous actes dommageables ".

- Sur les exclusions de garantie invoquées

En premier lieu, les sociétés MMA entendent se prévaloir comme d'une exclusion de garantie opposable, le fait que le contrat d'assurance exclut " les conséquences de l'absence d'exécution de la prestation ". Elles font valoir que la police exclut ainsi le " risque d'entreprise ", alors qu'en l'espèce c'est bien parce que la société Gesdom n'a pas fourni l'attestation fiscale promise, entendue comme la prestation directe commandée par l'investisseur, que l'investisseur prétend aujourd'hui subir une situation dommageable.

Cependant, les manquements de la société Gesdom vont au-delà de l'inexécution de la prestation strictement matérielle de remise d'une attestation fiscale, puisque la responsabilité de la société Gesdom est retenue au titre de la mauvaise exécution de son obligation plus générale qui consiste à s'assurer de la sécurité juridique du montage.

En outre, la prestation de la société Gesdom ne se limite pas à la remise d'une attestation fiscale. Or, il est incontestable que la société Gesdom a accompli certaines prestations indispensables à la réalisation du montage, en constituant des sociétés en nom collectif destinées à recevoir les fonds collectés et en collectant effectivement des fonds qu'elle a pour partie employés à l'acquisition de stations autonomes d'éclairage.

En second lieu, les sociétés MMA invoquent la clause qui exclut " les réclamations et dommages découlant d'une obligation de performance financière, fiscale ou commerciale, des produits ou services rendus, sur laquelle l'assuré se serait engagé expressément ".

Cependant, le préjudice invoqué ne découle pas d'une obligation de performance fiscale à laquelle se serait engagée la société Gesdom, mais du manquement à l'obligation précédemment décrite, qui s'illustre en particulier par l'erreur commise par la société Gesdom tenant au caractère éligible des SAE.

De plus, l'application d'une telle clause au cas d'un investisseur qui, à l'instar de M. [C], attendait que le produit commercialisé réponde aux qualités convenues tenant à son éligibilité au dispositif fiscal annoncé, reviendrait à vider la garantie de toute substance, alors pourtant que la clause d'exclusion de garantie ne saurait priver de tout objet la garantie souscrite par un assuré pour son activité professionnelle (Cass. civ. 1ère, 10 nov. 2021, n° 19-12.659).

En troisième lieu, les appelantes invoquent la clause d'exclusion de garantie visant " les dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré ". Cette clause n'est qu'une reprise de l'exclusion légale issue de l'article L.113-1 qui dispose : " Les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police. Toutefois, l'assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré. " Elles font valoir que la société Gesdom a commis une faute dolosive en vendant un produit fiscal malgré le changement de législation qu'elle ne pouvait ignorer, en sachant qu'il existait une forte probabilité que ce produit ne permette pas le gain escompté, à tout le moins en sachant que son offre était risquée pour ses clients.

La faute intentionnelle et la faute dolosive sont distinctes : alors que la faute intentionnelle est caractérisée lorsque l'assuré a recherché, par son comportement, les conséquences dommageables telles qu'elles en ont résulté, la faute dolosive suppose un manquement délibéré de l'assuré dont il ne pouvait ignorer qu'elle conduirait inéluctablement à la réalisation du sinistre.

Or, s'il est établi que la société Gesdom a commis une erreur sur l'éligibilité du produit commercialisé auprès de M. [C], il n'est pas établi qu'elle avait pleinement conscience, à la date de la souscription, qu'elle ne pourrait pas délivrer l'attestation fiscale et surtout, il n'est pas démontré sa volonté de causer le dommage tel qu'il s'est réalisé.

Compte tenu de l'incertitude entourant l'éligibilité des SAE au dispositif, si la société Gesdom a manqué à son obligation de prudence et de sécurité juridique de l'opération et aurait dû s'assurer que le montage proposé à M. [C] lui permettrait de bénéficier de la réduction d'impôt envisagée, elle n'a cependant pas manqué délibérément à ses obligations envers l'investisseur et n'avait pas conscience de la réalisation inéluctable du dommage en raison de l'inéligibilité à la défiscalisation des SAE.

Elle n'a par conséquent commis ni faute intentionnelle ni faute dolosive susceptible d'exclure la garantie de l'assureur.

En quatrième lieu, les sociétés MMA se prévalent de la clause excluant de la garantie " les litiges afférents aux frais honoraires et facturations de l'assuré ".

Néanmoins, force est de constater que le litige ne porte pas sur des frais, honoraires et facturations de la société Gesdom envers le souscripteur. M. [C] recherche la responsabilité contractuelle de la société Gesdom qui n'a pas réalisé toutes les prestations auxquelles elle s'était engagée. Les frais facturés, notamment les frais de dossier, s'ils sont intégrés au calcul du préjudice subi, ne sont pas à l'origine du litige.

Ces exclusions de garantie ne trouvent donc pas application et le jugement sera confirmé sur ce point.

En cinquième lieu, les sociétés MMA citent l'article 1964 ancien du code civil pour en déduire que l'aléa caractérisant le contrat d'assurance souscrit par la société Gesdom a disparu en cours de contrat. La nature aléatoire étant l'essence même du contrat d'assurance, les appelantes en déduisent que sa garantie n'est pas mobilisable.

Toutefois, l'exigence d'aléa est remplie dès lors qu'un aléa existe au jour de la souscription du contrat, ce qui n'est pas contesté. Il n'est à ce titre pas prétendu que le contrat d'assurance litigieux vise à garantir un risque que l'assuré savait déjà réalisé avant sa souscription.

Par ailleurs, les sociétés MMA soutiennent que le dommage n'est pas le fruit du hasard mais uniquement la conséquence du comportement déloyal de la société Gesdom ayant commercialisé un produit " défectueux " et dont il était prévisible que les acquéreurs subissent des conséquences dommageables, de sorte qu'il n'existait plus d'aléa.

Outre que l'argument rejoint celui de l'existence d'une faute intentionnelle ou dolosive, il est établi que l'assurée croyait en l'existence d'un aléa, cette croyance étant attestée, d'une part, par les lettres d'information adressées aux investisseurs indiquant reporter prudemment le bénéfice de la réduction d'impôt et donc la délivrance de l'attestation fiscale requise (p. 4 des conclusions des appelantes), d'autre part, par le fait que la société Gesdom avait sollicité en 2011 une consultation spécialisée (p. 17 des conclusions de l'appelantes) afin d'obtenir une réponse quant à l'éligibilité du produit commercialisé.

L'exclusion légale issue de l'article 1964 ancien du code civil ne trouve pas ici application.

" Sur le préjudice

M. [C] est réputé s'approprier les motifs du jugement ayant rejeté sa demande au titre du paiement des intérêts au taux légal ayant couru sur la somme investie (4 797 euros) et sa demande de dommages-intérêts au titre du préjudice moral.

Toutefois le tribunal judiciaire de Nanterre a retenu un préjudice matériel que conteste les sociétés appelantes, jugeant que M. [C] avait subi une perte de chance de bénéficier du gain fiscal espéré (réduction d'impôt de 5 842, 50 euros), évaluée à 5 500 euros, à laquelle viennent s'ajouter les frais de dossier (303 euros).

Sur ce point, les sociétés MMA soutiennent que M. [C] ne pouvait solliciter de l'assureur de responsabilité civile qu'il compense la perte du gain fiscal qu'il n'aurait de toute façon pas pu obtenir. Elles affirment sur le fondement de la jurisprudence de la Cour de cassation que la perte de chance d'avoir pu réaliser un autre investissement ne peut pas être indemnisée et que M. [C] ne démontre pas qu'il aurait pu bénéficier d'une réduction d'impôt auprès d'un autre opérateur.

Sur ce,

L'article 1149 ancien du code civil, devenu article 1231-2 du même code, dispose que les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci-après.

Il n'est pas contesté, comme relevé par le tribunal, que M. [C] a investi la somme de 4 797 euros et réglé 303 euros de frais de dossier, avec comme contrepartie attendue une réduction d'impôt de 5 842, 50 euros.

Force est néanmoins de constater que M. [C] a formulé devant le tribunal une demande tendant au paiement de la somme de 5 842, 50 euros au titre de la perte de chance de bénéficier de la réduction d'impôt promise sur l'année civile 2011.

Or, outre que la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut donc être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée (Civ. 1ère, 25 févr. 2016, n° 14-19.234), elle requiert également de caractériser un aléa quant à la survenance de l'éventualité favorable (Com, 16 juin 2021, n° 19-17.070, 19-22.885, 19-22.884, 19-17.450, 19-17.842).

Pourtant, alors qu'il était saisi d'une demande indemnitaire à hauteur de l'avantage qu'aurait procuré la chance alléguée, et après avoir relevé, à juste titre, que la défiscalisation était présentée comme acquise par la société Gesdom, le tribunal a fait droit à la demande de M. [C] dans la limite de 5 803 euros, en évaluant la perte de chance à hauteur de 5 500 euros, sans toutefois caractériser l'aléa.

Or, de fait, les fautes commises par la société Gesdom sont directement à l'origine de la perte par M. [C] du gain fiscal attendu, qui s'analyse en un préjudice actuel et certain, et non en une perte de chance, puisque la société Gesdom a manqué à son obligation de résultat.

La cour n'étant saisie d'aucun appel incident, elle ne peut qu'écarter les moyens de défense des appelantes et confirmer le jugement déféré sur ce point, pour les motifs ci-dessus exposés.

" Sur le plafond de garantie, la franchise contractuelle et le séquestre

Le tribunal judiciaire de Nanterre a retenu le caractère sériel du sinistre et a constaté que la police d'assurance prévoit un plafond de garantie d'un montant de " 4 000 000 euros par sinistre et par année d'assurance ", relevant que la notion d'année d'assurance devait être appliquée au litige, pour l'ensemble des investissements réalisés au cours de l'année 2011. Il a considéré, en outre, que les franchises ne pouvaient être en totalité opposées à chaque victime dès lors que l'assureur ne peut opposer qu'une seule franchise par sinistre. Enfin, il n'a pas fait droit à la demande de séquestre formulée par les sociétés MMA en considérant que ces dernières n'avaient pas rapporté la preuve que les réclamations relatives aux investissements réalisés en 2011 excédaient le plafond annuel de 4 000 000 d'euros.

Les sociétés MMA font valoir tant sur le fondement de l'article L.112-6 du code des assurances que sur celui de la jurisprudence de la Cour de cassation que la limitation de garantie est opposable aux tiers. Elles arguent que les sinistres ont la même cause de sorte qu'une globalisation doit être effectuée, que le plafond de garantie fixé à 2 000 000 d'euros par an et par sinistre par l'avenant du 2 janvier 2012 doit s'appliquer, que la franchise par sinistre de 20 000 euros est opposable aux tiers, et que les versements doivent se faire dans le cadre d'un séquestre qui a pour but d'assurer une répartition au marc le franc de l'indemnité d'assurance.

Sur ce,

Aux termes de l'article L. 124-1-1 du code des assurances :

" Au sens du présent chapitre, constitue un sinistre tout dommage ou ensemble de dommages causés à des tiers, engageant la responsabilité de l'assuré, résultant d'un fait dommageable et ayant donné lieu à une ou plusieurs réclamations. Le fait dommageable est celui qui constitue la cause génératrice du dommage. Un ensemble de faits dommageables ayant la même cause technique est assimilé à un fait dommageable unique. "

Le " sinistre sériel " est ainsi défini dans la police n° 114.247.742 : " Constitue un seul et même sinistre (un sinistre sériel) l'ensemble des réclamations résultant, soit d'un même événement, soit de plusieurs événements, même successifs, trouvant leur origine dans une même cause. En ce cas, la date du sinistre est celle de la première de la réclamation ou du premier événement de la série. Les conditions de garanties, les montants de garanties et des franchises sont ceux en vigueur à cette date. ".

La police n° 114.247.742 souscrite par la société Gesdom prévoit un plafond de 4.000.000 euros et une franchise de 20 000 euros par sinistre.

La date du sinistre sériel est l'événement ayant donné lieu à la réclamation. En l'espèce, l'erreur portant sur l'éligibilité du dispositif à la réduction d'impôt a été commise par la société Gesdom en 2011. La cour en déduit que le plafond applicable est celui en vigueur à la date de l'erreur commise, soit celui de 4 000 000 euros, peu important que l'avenant n° 2 du 2 janvier 2012 ait abaissé le plafond à 2 000 000 euros.

La police n° 114.247.742 est donc mobilisable au profit de M. [C] avec un plafond de 4 000 000 euros.

La cour relève que c'est à juste titre que le tribunal judiciaire de Nanterre a globalisé les sinistres et retient qu'aucune franchise ne peut être opposée individuellement à M. [C] dès lors que l'assureur ne peut opposer qu'une franchise par sinistre.

M. [C] est donc en droit de réclamer aux sociétés MMA l'exécution de la police

n° 114.247.742 pour obtenir le règlement de la somme de 5 561, 25 euros.

Enfin, s'agissant de la demande de séquestre, le tribunal judiciaire de Nanterre a, pour rejeter la demande de séquestre, estimé que les assureurs ne justifiaient pas que les réclamations relatives aux investissements réalisés en 2011 excédaient le plafond annuel.

La cour relève que l'opportunité d'un séquestre n'est pas caractérisée. En effet, la preuve de l'épuisement du plafond n'est pas rapportée par l'assureur qui ne donne pas davantage d'éléments sur les sommes acquittées à ce jour au titre des réclamations relatives aux investissements réalisés au cours de l'année 2011.

Bien qu'elles fournissent un " tableau des réclamations Gesdom " recensant l'ensemble des réclamations qui leur sont faites au titre de la police n°114.247.742 (pièce MMA n°10), les appelantes ne démontrent pas que le plafond de garantie de 4 000 000 d'euros par an et par sinistre est épuisé sur l'année 2011. En effet, le tableau récapitulatif indique uniquement les dates et les montants des réclamations formulées. Ce faisant, les appelantes ne démontrent pas que les réclamations mentionnées portent sur les investissements réalisés au cours de l'année 2011. Or, seule cette démonstration permettrait à la cour d'apprécier si le plafond de garantie invoqué est effectivement épuisé.

Il y a lieu donc de confirmer le jugement déféré sur ce point.

" Sur les frais et les dépens

Le tribunal judiciaire de Nanterre a condamné in solidum les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles ainsi que la SELARL [U], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Gesdom, aux dépens et à payer à M. [C] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Ces dispositions sont confirmées.

Succombant, les sociétés MMA seront condamnées aux dépens d'appel, et leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile rejetée par voie de conséquence.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt réputé contradictoire, par mise à disposition,

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour,

Y ajoutant,

Condamne in solidum les sociétés MMA Iard et MMA Assurances Mutuelles aux dépens d'appel.

Rejette toutes les autres demandes.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame F. PERRET, Président et par Madame K. FOULON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,