Décisions
CA Bordeaux, 2e ch. civ., 11 juillet 2024, n° 21/03945
BORDEAUX
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL DE BORDEAUX
DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE
--------------------------
ARRÊT DU : 11 JUILLET 2024
N° RG 21/03945 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MGRL
S.A.S. [V]
c/
S.C.I. GONZALEZCHATE
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 23 juin 2021 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de BORDEAUX (chambre : 7, RG : 20/03067) suivant déclaration d'appel du 07 juillet 2021
APPELANTE :
S.A.S. [V]
immatriculée au RCS de BORDEAUX sous le n° 824 545 776, dont le siège social est [Adresse 3] a [Localité 6] agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siége
Représentée par Me Thomas RIVIERE de l'AARPI RIVIERE - DE KERLAND, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
S.C.I. GONZALEZCHATE
société civile immobilière (SCI), au capital social de 1.000 €, enregistrée au registre du commerce et des sociétés de Bordeaux sous le numéro 752 792 184, ayant son siège social [Adresse 1], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Représentée par Me Baptiste MAIXANT, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 23 mai 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jacques BOUDY, Président, qui a fait un rapport oral de l'affaire avant les plaidoiries,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Jacques BOUDY, Président,
Monsieur Alain DESALBRES, Conseiller,
Monsieur Rémi FIGEROU, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Audrey COLLIN
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
* * *
EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte sous seing privé en date des 6 et 19 février 2019, la société civile immobilière (SCI) Gonzalezchaté s'est engagée à vendre au prix de 135 000 euros à la société par actions simplifiée (SAS) [V] un immeuble à usage d'habitation situé au [Adresse 4] à [Localité 5], composée d'un rez-de-chaussée, de trois garages et à l'étage d'une partie habitation. L'acte de vente a été réalisé sous conditions suspensives pour l'acquéreur d'obtention d'un prêt de 190 000 euros et d'une autorisation d'urbanisme de changement d'usage de l'immeuble. Une clause pénale a également été insérée dans le contrat de vente.
L'acquéreur n'a pas procédé à la réitération de l'acte en dépit de la réalisation des conditions suspensives, qui était prévue pour le 20 décembre 2019. La société Gonzalezchate a alors délivré à la société [V] une sommation de comparaître devant notaire le 4 février 2020, par acte d'huissier du 14 janvier 2020.
L'entrevue avec le notaire s'est terminée par la rédaction d'un procès-verbal de difficultés. En effet, la préparation de l'acte de vente aurait fait apparaître un certain nombre de difficultés, essentiellement juridiques, afférant aux droits de l'immeuble. La société [V] se serait aperçue que plusieurs canalisations en sous-sol existaient déjà, desservant la maison et passant sur le fonds voisin. Or, ces canalisations n'ont fait l'objet d'aucune servitude relatée à l'acte de vente. La société [V] aurait également relevé l'existence d'autres servitudes dissimulées.
La société Gonzalezchaté a mis en demeure la société [V] de lui verser la somme fixée au titre de la clause pénale insérée dans le contrat, mais celle-ci ne s'est pas exécutée.
Par acte du 14 mai 2020, la Sci Gonzalezchaté a assigné la Sas [V] devant le tribunal judiciaire de Bordeaux aux fins de la voir condamner à lui verser la somme de 13 500 euros au titre de la clause pénale.
Par jugement du 23 juin 2021, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :
- condamné la Sas [V] à verser à la Sci Gonzalezchaté la somme de 13 500 euros au titre de la clause pénale insérée au compromis de vente,
- dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 9 mars 2020,
- condamné la Sas [V] aux entiers dépens,
- condamné la Sas [V] à verser à la Sci Gonzalezchaté la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelé que l'exécution provisoire est de droit.
Par déclaration électronique en date du 7 juillet 2021, La Sas [V] a relevé appel du jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 14 janvier 2022, la SAS [V] demande à la cour, sur le fondement des articles 1638 et suivants du code civil, de :
- réformer la décision entreprise vu le dol, vu l'existence des vices cachés et des défauts d'information,
- dire n'y avoir lieu à l'application de la clause pénale à l'encontre de la société [V],
- débouter la société Gonzalezchaté de l'ensemble de ses demandes,
subsidiairement et avant dire droit, si la gravité du vice paraissait devoir être précisée,
- autoriser l'appelant à pouvoir faire une expertise ou un constat privé,
- désigner un expert relativement à l'état des servitudes et leurs conséquences, avec la mission ci-dessus décrite,
reconventionnellement,
- condamner la société Gonzalezchaté au paiement d'une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts,
- la condamner au paiement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 30 novembre 2021, la SCI Gonzalezchaté demande à la cour, sur le fondement des articles 1101, 1231-5 et suivants du code civil, et 700 du code de procédure civile, de :
- débouter la société [V] de toutes ses demandes, fins et prétentions,
en conséquence,
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a :
- condamné la société [V] à verser à la société Gonzalezchaté la somme de 13 500 euros au titre de la clause pénale insérée au compromis de vente,
- dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 9 mars 2020,
- condamné la société [V] aux entiers dépens,
- condamné la société [V] à verser à la société Gonzalezchaté la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelé que l'exécution provisoire est de droit,
et y ajouter,
- condamner à titre reconventionnel la société [V] à verser à la société Gonzalezchaté la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts,
- la condamner à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de l'instance.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 mai 2024.
Pour une plus ample connaissance du litige et des prétentions et moyens des parties, il est fait expressément référence aux dernières conclusions et pièces régulièrement communiquées par les parties.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'application de la clause pénale
La société [V] fait grief au jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux le 23 juin 2021 de l'avoir condamnée à verser la somme de 13.500 euros à la société civile immobilière Gonzalezchaté en application de la clause pénale contenue dans le compromis de vente signé en dates des 6 et 19 février 2019.
Pour la clarté des développements à suivre, il est nécessaire de rappeler le contenu du compromis de vente signé par les parties.
Il comprenait deux conditions suspensives, à savoir l'obtention d'un prêt et l'obtention d'une autorisation d'urbanisme visant à modifier la destination de l'immeuble.
Il était fait état de deux servitudes grevant le fonds. Une servitude de cour commune et une servitude de vue (pages 4 et 5 du compromis).
Aussi, le compromis prévoyait une clause de limitation de garantie (page 18 du compromis), ainsi rédigée : 'l'acquéreur profitera des servitudes actives et supportera les servitudes passives, apparentes ou occultes, continues ou discontinues qui concernent l'immeuble, y compris celles pouvant résulter de la situation naturelle des lieux, sans recours contre le vendeur.
A cet égard, le vendeur déclare que l'immeuble n'est, à sa connaissance, grevé d'aucune autre servitude que celles pouvant résulter de la situation naturelle des lieux, de la loi ou de l'urbanisme ou de celles éventuellement révélées par lui aux présentes'.
Enfin, une clause pénale prévoyait que si une des parties ne satisfaisait pas aux obligations exigibles, elle serait tenue au paiement d'une somme représentant 10% du prix de vente à titre de dommages-intérêts.
Dans ses dernières conclusions, la société [V] fait valoir que les concessionnaires de réseaux et plus particulièrement leurs services techniques (Enedis et Véolia cf pièce 1 du dossier de la société [V]) demandaient qu'il soit conféré un droit de passage souterrain sur une propriété voisine, en l'espèce le fonds n°[Cadastre 2] appartenant aux époux [L], pour permettre les divers raccordements aux réseaux. A cette occasion, la société [V] aurait été informée par les propriétaires des parcelles contiguës ([C] et [L]) que le fonds objet du compromis de vente était tant fonds dominant que fonds servant de diverses servitudes. Ces servitudes occultes n'auraient pas été déclarée, en conscience, par la société venderesse.
De plus, les travaux effectués par la société Gonzalezchaté relatifs au balcon-passerelle prenant appui sur le fonds de Madame [C] seraient la source de désordres, à savoir des fissurations de son mur.
Dès lors, elle n'a pas souhaité signer l'acte authentique de vente considérant que par cette découverte, son projet immobilier allait tout d'abord connaître un surcoût en raison du dévoiement des réseaux et qu'elle craignait une atteinte à la sécurité juridique en raison du fait que les servitudes en question étaient de simples tolérances et que Madame [C] se réservait la possibilité d'agir en justice au regard des fissures dans son mur.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, la société [V], sur le fondement de l'article 1638 du Code civil fait valoir qu'elle était en droit de ne pas signer l'acte authentique de vente et que la clause pénale contenue dans le compromis ne pouvait s'appliquer.
En réponse, la société Gonzalezchaté, considère que les deux conditions suspensives insérées dans le compromis de vente étaient réalisées et qu'en conséquence, la société [V] ne pouvait se rétracter. Elle relève tout d'abord qu'il n'existait aucune servitude occulte et que la société [V], n'apporte aucun élément concret permettant de le prouver. De même, si servitude il devait y avoir, une clause de non garantie a été insérée dans le compromis de vente, de sorte que l'article 1638 du Code civil ne peut s'appliquer.
Enfin, s'agissant du balcon-passerelle, la société Gonzalezchaté considère que le potentiel manquement à son obligation d'information, pouvant être constitutif d'une réticence dolosive n'est pas démontré par la société [V].
La cour relève, au regard de l'ensemble des éléments versés aux débats que le Code civil institue à l'article 1626 du Code civil une garantie d'éviction selon laquelle 'le vendeur est obligé de droit à garantir l'acquéreur de l'éviction qu'il souffre dans la totalité ou partie de l'objet vendu, ou des charges prétendues sur cet objet, et non déclarées lors de la vente'.
Le Code civil prévoit décline d'ailleurs la garantie d'éviction en matière de servitudes en prévoyant à l'article 1638 que 'si l'héritage vendu se trouve grevé, sans qu'il en ait été fait de déclaration, de servitudes non apparentes, et qu'elles soient de telle importance qu'il y ait lieu de présumer que l'acquéreur n'aurait pas acheté s'il en avait été instruit, il peut demander la résiliation du contrat, si mieux il n'aime se contenter d'une indemnité'.
Il découle ainsi de ces articles que pèse sur le vendeur une obligation de révélation. Ainsi, en matière de fonds, le vendeur doit informer l'acheteur de l'existence de servitudes occultes et qu'il n'appartient pas à l'acheteur de se renseigner à cet égard.
Toutefois, l'article 1627 du Code civil prévoit plusieurs tempéraments à cette garantie. Il prévoit en effet que 'les parties peuvent, par des conventions particulières, ajouter à cette obligation de droit ou en diminuer l'effet ; elles peuvent même convenir que le vendeur ne sera soumis à aucune garantie'.
Sur ce dernier tempérament, il est de jurisprudence bien établie que les clauses de limitation de garantie sont valables mais que le vendeur ne saurait s'exonérer des conséquences de la faute consistant à ne pas avoir fait mention d'une servitude dont il ne pouvait ignorer l'existence en invoquant la clause selon laquelle 'aucun recours ne pourra être exercé du chef des servitudes', s'agissant là d'une simple clause de style (Civ. 1ère 21 juin 1967).
Il ressort que le point sur lequel achoppent les parties est finalement de savoir si la société [V] pouvait se désister, malgré la réalisation des conditions suspensives, en raison de l'existence réelle ou supposée de servitudes occultes et sciemment dissimulées par la société Gonzalezchaté.
Sur cette question, il est important de relever que les parties ont volontairement introduit dans le compromis de vente une clause de non-garantie, permettant, comme le permet l'article 1627 du Code civil, d'écarter la garantie d'éviction. La seule façon de réintroduire la garantie de la société Gonzalezchaté envers la société [V] serait de démontrer la connaissance par la société venderesse de servitudes occultes. C'est en l'espèce ce que soutient la société [V].
La cour relève, sur l'existence de servitudes occultes, que la présence d'un réseau enterré ressort des échanges entre voisins. La société [V], sur la base des déclarations des voisins, considère qu'il 'n'est pas admissible que les vendeurs aient ignoré soit qu'ils supportaient le passage de canalisations du voisinage, soit qu'à contrario leurs propres réseaux étaient implantés chez des voisins'. Elle argue qu'en 2015, une discussion complète a eu lieu entre voisins et qu'il s'en est suivi une constitution de servitudes. Elle ajoute que 'les vendeurs ont nécessairement eu à discuter de l'ensemble des autres servitudes ou passages de canalisations sur les terrains des uns et des autres'.
Toutefois, le compromis de vente versé aux débats (Pièce 1 dossier société Gonzalezchaté) prévoit dans sa partie intitulée 'effet relatif' que l'acquisition du bien par la société Gonzalezchaté a eu lieu le 27 avril 2016. Dès lors, les discussions entamées en 2015 au sujet des servitudes ne la concernaient pas.
Aussi, il ressort de la lettre écrite par la notaire de la société Gonzalezchaté à la chambre des notaires de la Gironde et produite par la société [V] que la société venderesse n'avait pas connaissance de l'existence des servitudes (pièce 10 dossier société [V]). En effet, le notaire écrivait, page 3 : 'Or, n'en déplaise à Monsieur [D], la stagnation ne vient pas de notre côté ; elle vient du fait que l'acquéreur ait reçu des informations des propriétaires voisins, certaines non connues de notre client (servitudes existantes mais non connues du lui car non déclarées par les anciens propriétaires lors de son acquisition)'.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, il ne peut être retenu que la société Gonzalezchaté a eu connaissance de l'existence de servitudes occultes. C'est à bon droit que le tribunal a retenu l'opposabilité de la clause de non garantie insérée au contrat, ce dernier tenant lieu de loi pour les parties. Le jugement sera ainsi confirmé sur ce point.
S'agissant du balcon-passerelle, la cour constate la présence de fissures à différents endroits (pièce 14 dossier de la société [V]) et il n'est effectivement pas à exclure que le propriétaire du bien pourrait faire expertiser son bien afin d'en connaître l'origine.
La société [V] en faisant valoir qu'elle n'a pas à supporter le risque d'une procédure et reprochant à la société Gonzalezchaté de ne pas avoir offert d'insérer à l'acte une clause de garantie pouvait tout à fait la faire inscrire dans le compromis de vente.
De même, les fissures sont particulièrement apparentes, de sorte qu'il est difficile de considérer qu'elles n'aient pas été vues au jour de la visite, d'autant que l'acquéreur est un professionnel de l'immobilier. Le bien était vendu en l'état, la société [V] concluant d'ailleurs que le bien était vendu à prix modique (page 4 conclusions société [V]).
In fine, le jugement sera confirmé sur l'application de la clause pénale.
Sur la demande en dommages et intérêts pour procédure abusive
La société Gonzalezchaté demande la condamnation de la société [V] considérant sa procédure abusive au motif que cette dernière aurait tout mis en oeuvre pour faire échec à la vente.
Les éléments avancés par la société Gonzalezchaté au soutien de sa demande ne permettent pas de retenir le caractère abusif de la procédure.
Dès lors, elle doit être déboutée de sa demande.
Sur la demande reconventionnelle de dommages-intérêts
La société [V] sollicitait à titre reconventionnel la condamnation de la société Gonzalezchaté au paiement de la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts.
Le jugement de première instance étant confirmé, il n'y a pas lieu de considérer que la société [V] subit un préjudice.
Sur les demandes accessoires
Il y lieu a de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société [V] à verser à la société Gonzalezchaté la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et l'a condamnée aux entiers dépens.
En cause d'appel, l'équité commande l'allocation d'une indemnité de 3000 euros à la société Gonzalezchaté sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société [V] sera aussi condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
- confirme le jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux du 23 juin 2021 en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
- déboute la société Gonzalezchaté de sa demande de condamnation de la société [V] pour procédure abusive
- déboute la société [V] de sa demande reconventionnelle de dommages-intérêts,
- condamne la société [V] à verser à la société Gonzalezchaté la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de la procédure d'appel,
- condamne la société [V] aux entiers dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jacques BOUDY, président, et par Madame Audrey COLLIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,
DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 11 JUILLET 2024
N° RG 21/03945 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MGRL
S.A.S. [V]
c/
S.C.I. GONZALEZCHATE
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 23 juin 2021 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de BORDEAUX (chambre : 7, RG : 20/03067) suivant déclaration d'appel du 07 juillet 2021
APPELANTE :
S.A.S. [V]
immatriculée au RCS de BORDEAUX sous le n° 824 545 776, dont le siège social est [Adresse 3] a [Localité 6] agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siége
Représentée par Me Thomas RIVIERE de l'AARPI RIVIERE - DE KERLAND, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
S.C.I. GONZALEZCHATE
société civile immobilière (SCI), au capital social de 1.000 €, enregistrée au registre du commerce et des sociétés de Bordeaux sous le numéro 752 792 184, ayant son siège social [Adresse 1], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Représentée par Me Baptiste MAIXANT, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 23 mai 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jacques BOUDY, Président, qui a fait un rapport oral de l'affaire avant les plaidoiries,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Jacques BOUDY, Président,
Monsieur Alain DESALBRES, Conseiller,
Monsieur Rémi FIGEROU, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Audrey COLLIN
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
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EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte sous seing privé en date des 6 et 19 février 2019, la société civile immobilière (SCI) Gonzalezchaté s'est engagée à vendre au prix de 135 000 euros à la société par actions simplifiée (SAS) [V] un immeuble à usage d'habitation situé au [Adresse 4] à [Localité 5], composée d'un rez-de-chaussée, de trois garages et à l'étage d'une partie habitation. L'acte de vente a été réalisé sous conditions suspensives pour l'acquéreur d'obtention d'un prêt de 190 000 euros et d'une autorisation d'urbanisme de changement d'usage de l'immeuble. Une clause pénale a également été insérée dans le contrat de vente.
L'acquéreur n'a pas procédé à la réitération de l'acte en dépit de la réalisation des conditions suspensives, qui était prévue pour le 20 décembre 2019. La société Gonzalezchate a alors délivré à la société [V] une sommation de comparaître devant notaire le 4 février 2020, par acte d'huissier du 14 janvier 2020.
L'entrevue avec le notaire s'est terminée par la rédaction d'un procès-verbal de difficultés. En effet, la préparation de l'acte de vente aurait fait apparaître un certain nombre de difficultés, essentiellement juridiques, afférant aux droits de l'immeuble. La société [V] se serait aperçue que plusieurs canalisations en sous-sol existaient déjà, desservant la maison et passant sur le fonds voisin. Or, ces canalisations n'ont fait l'objet d'aucune servitude relatée à l'acte de vente. La société [V] aurait également relevé l'existence d'autres servitudes dissimulées.
La société Gonzalezchaté a mis en demeure la société [V] de lui verser la somme fixée au titre de la clause pénale insérée dans le contrat, mais celle-ci ne s'est pas exécutée.
Par acte du 14 mai 2020, la Sci Gonzalezchaté a assigné la Sas [V] devant le tribunal judiciaire de Bordeaux aux fins de la voir condamner à lui verser la somme de 13 500 euros au titre de la clause pénale.
Par jugement du 23 juin 2021, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :
- condamné la Sas [V] à verser à la Sci Gonzalezchaté la somme de 13 500 euros au titre de la clause pénale insérée au compromis de vente,
- dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 9 mars 2020,
- condamné la Sas [V] aux entiers dépens,
- condamné la Sas [V] à verser à la Sci Gonzalezchaté la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelé que l'exécution provisoire est de droit.
Par déclaration électronique en date du 7 juillet 2021, La Sas [V] a relevé appel du jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 14 janvier 2022, la SAS [V] demande à la cour, sur le fondement des articles 1638 et suivants du code civil, de :
- réformer la décision entreprise vu le dol, vu l'existence des vices cachés et des défauts d'information,
- dire n'y avoir lieu à l'application de la clause pénale à l'encontre de la société [V],
- débouter la société Gonzalezchaté de l'ensemble de ses demandes,
subsidiairement et avant dire droit, si la gravité du vice paraissait devoir être précisée,
- autoriser l'appelant à pouvoir faire une expertise ou un constat privé,
- désigner un expert relativement à l'état des servitudes et leurs conséquences, avec la mission ci-dessus décrite,
reconventionnellement,
- condamner la société Gonzalezchaté au paiement d'une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts,
- la condamner au paiement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 30 novembre 2021, la SCI Gonzalezchaté demande à la cour, sur le fondement des articles 1101, 1231-5 et suivants du code civil, et 700 du code de procédure civile, de :
- débouter la société [V] de toutes ses demandes, fins et prétentions,
en conséquence,
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a :
- condamné la société [V] à verser à la société Gonzalezchaté la somme de 13 500 euros au titre de la clause pénale insérée au compromis de vente,
- dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 9 mars 2020,
- condamné la société [V] aux entiers dépens,
- condamné la société [V] à verser à la société Gonzalezchaté la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelé que l'exécution provisoire est de droit,
et y ajouter,
- condamner à titre reconventionnel la société [V] à verser à la société Gonzalezchaté la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts,
- la condamner à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de l'instance.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 mai 2024.
Pour une plus ample connaissance du litige et des prétentions et moyens des parties, il est fait expressément référence aux dernières conclusions et pièces régulièrement communiquées par les parties.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'application de la clause pénale
La société [V] fait grief au jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux le 23 juin 2021 de l'avoir condamnée à verser la somme de 13.500 euros à la société civile immobilière Gonzalezchaté en application de la clause pénale contenue dans le compromis de vente signé en dates des 6 et 19 février 2019.
Pour la clarté des développements à suivre, il est nécessaire de rappeler le contenu du compromis de vente signé par les parties.
Il comprenait deux conditions suspensives, à savoir l'obtention d'un prêt et l'obtention d'une autorisation d'urbanisme visant à modifier la destination de l'immeuble.
Il était fait état de deux servitudes grevant le fonds. Une servitude de cour commune et une servitude de vue (pages 4 et 5 du compromis).
Aussi, le compromis prévoyait une clause de limitation de garantie (page 18 du compromis), ainsi rédigée : 'l'acquéreur profitera des servitudes actives et supportera les servitudes passives, apparentes ou occultes, continues ou discontinues qui concernent l'immeuble, y compris celles pouvant résulter de la situation naturelle des lieux, sans recours contre le vendeur.
A cet égard, le vendeur déclare que l'immeuble n'est, à sa connaissance, grevé d'aucune autre servitude que celles pouvant résulter de la situation naturelle des lieux, de la loi ou de l'urbanisme ou de celles éventuellement révélées par lui aux présentes'.
Enfin, une clause pénale prévoyait que si une des parties ne satisfaisait pas aux obligations exigibles, elle serait tenue au paiement d'une somme représentant 10% du prix de vente à titre de dommages-intérêts.
Dans ses dernières conclusions, la société [V] fait valoir que les concessionnaires de réseaux et plus particulièrement leurs services techniques (Enedis et Véolia cf pièce 1 du dossier de la société [V]) demandaient qu'il soit conféré un droit de passage souterrain sur une propriété voisine, en l'espèce le fonds n°[Cadastre 2] appartenant aux époux [L], pour permettre les divers raccordements aux réseaux. A cette occasion, la société [V] aurait été informée par les propriétaires des parcelles contiguës ([C] et [L]) que le fonds objet du compromis de vente était tant fonds dominant que fonds servant de diverses servitudes. Ces servitudes occultes n'auraient pas été déclarée, en conscience, par la société venderesse.
De plus, les travaux effectués par la société Gonzalezchaté relatifs au balcon-passerelle prenant appui sur le fonds de Madame [C] seraient la source de désordres, à savoir des fissurations de son mur.
Dès lors, elle n'a pas souhaité signer l'acte authentique de vente considérant que par cette découverte, son projet immobilier allait tout d'abord connaître un surcoût en raison du dévoiement des réseaux et qu'elle craignait une atteinte à la sécurité juridique en raison du fait que les servitudes en question étaient de simples tolérances et que Madame [C] se réservait la possibilité d'agir en justice au regard des fissures dans son mur.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, la société [V], sur le fondement de l'article 1638 du Code civil fait valoir qu'elle était en droit de ne pas signer l'acte authentique de vente et que la clause pénale contenue dans le compromis ne pouvait s'appliquer.
En réponse, la société Gonzalezchaté, considère que les deux conditions suspensives insérées dans le compromis de vente étaient réalisées et qu'en conséquence, la société [V] ne pouvait se rétracter. Elle relève tout d'abord qu'il n'existait aucune servitude occulte et que la société [V], n'apporte aucun élément concret permettant de le prouver. De même, si servitude il devait y avoir, une clause de non garantie a été insérée dans le compromis de vente, de sorte que l'article 1638 du Code civil ne peut s'appliquer.
Enfin, s'agissant du balcon-passerelle, la société Gonzalezchaté considère que le potentiel manquement à son obligation d'information, pouvant être constitutif d'une réticence dolosive n'est pas démontré par la société [V].
La cour relève, au regard de l'ensemble des éléments versés aux débats que le Code civil institue à l'article 1626 du Code civil une garantie d'éviction selon laquelle 'le vendeur est obligé de droit à garantir l'acquéreur de l'éviction qu'il souffre dans la totalité ou partie de l'objet vendu, ou des charges prétendues sur cet objet, et non déclarées lors de la vente'.
Le Code civil prévoit décline d'ailleurs la garantie d'éviction en matière de servitudes en prévoyant à l'article 1638 que 'si l'héritage vendu se trouve grevé, sans qu'il en ait été fait de déclaration, de servitudes non apparentes, et qu'elles soient de telle importance qu'il y ait lieu de présumer que l'acquéreur n'aurait pas acheté s'il en avait été instruit, il peut demander la résiliation du contrat, si mieux il n'aime se contenter d'une indemnité'.
Il découle ainsi de ces articles que pèse sur le vendeur une obligation de révélation. Ainsi, en matière de fonds, le vendeur doit informer l'acheteur de l'existence de servitudes occultes et qu'il n'appartient pas à l'acheteur de se renseigner à cet égard.
Toutefois, l'article 1627 du Code civil prévoit plusieurs tempéraments à cette garantie. Il prévoit en effet que 'les parties peuvent, par des conventions particulières, ajouter à cette obligation de droit ou en diminuer l'effet ; elles peuvent même convenir que le vendeur ne sera soumis à aucune garantie'.
Sur ce dernier tempérament, il est de jurisprudence bien établie que les clauses de limitation de garantie sont valables mais que le vendeur ne saurait s'exonérer des conséquences de la faute consistant à ne pas avoir fait mention d'une servitude dont il ne pouvait ignorer l'existence en invoquant la clause selon laquelle 'aucun recours ne pourra être exercé du chef des servitudes', s'agissant là d'une simple clause de style (Civ. 1ère 21 juin 1967).
Il ressort que le point sur lequel achoppent les parties est finalement de savoir si la société [V] pouvait se désister, malgré la réalisation des conditions suspensives, en raison de l'existence réelle ou supposée de servitudes occultes et sciemment dissimulées par la société Gonzalezchaté.
Sur cette question, il est important de relever que les parties ont volontairement introduit dans le compromis de vente une clause de non-garantie, permettant, comme le permet l'article 1627 du Code civil, d'écarter la garantie d'éviction. La seule façon de réintroduire la garantie de la société Gonzalezchaté envers la société [V] serait de démontrer la connaissance par la société venderesse de servitudes occultes. C'est en l'espèce ce que soutient la société [V].
La cour relève, sur l'existence de servitudes occultes, que la présence d'un réseau enterré ressort des échanges entre voisins. La société [V], sur la base des déclarations des voisins, considère qu'il 'n'est pas admissible que les vendeurs aient ignoré soit qu'ils supportaient le passage de canalisations du voisinage, soit qu'à contrario leurs propres réseaux étaient implantés chez des voisins'. Elle argue qu'en 2015, une discussion complète a eu lieu entre voisins et qu'il s'en est suivi une constitution de servitudes. Elle ajoute que 'les vendeurs ont nécessairement eu à discuter de l'ensemble des autres servitudes ou passages de canalisations sur les terrains des uns et des autres'.
Toutefois, le compromis de vente versé aux débats (Pièce 1 dossier société Gonzalezchaté) prévoit dans sa partie intitulée 'effet relatif' que l'acquisition du bien par la société Gonzalezchaté a eu lieu le 27 avril 2016. Dès lors, les discussions entamées en 2015 au sujet des servitudes ne la concernaient pas.
Aussi, il ressort de la lettre écrite par la notaire de la société Gonzalezchaté à la chambre des notaires de la Gironde et produite par la société [V] que la société venderesse n'avait pas connaissance de l'existence des servitudes (pièce 10 dossier société [V]). En effet, le notaire écrivait, page 3 : 'Or, n'en déplaise à Monsieur [D], la stagnation ne vient pas de notre côté ; elle vient du fait que l'acquéreur ait reçu des informations des propriétaires voisins, certaines non connues de notre client (servitudes existantes mais non connues du lui car non déclarées par les anciens propriétaires lors de son acquisition)'.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, il ne peut être retenu que la société Gonzalezchaté a eu connaissance de l'existence de servitudes occultes. C'est à bon droit que le tribunal a retenu l'opposabilité de la clause de non garantie insérée au contrat, ce dernier tenant lieu de loi pour les parties. Le jugement sera ainsi confirmé sur ce point.
S'agissant du balcon-passerelle, la cour constate la présence de fissures à différents endroits (pièce 14 dossier de la société [V]) et il n'est effectivement pas à exclure que le propriétaire du bien pourrait faire expertiser son bien afin d'en connaître l'origine.
La société [V] en faisant valoir qu'elle n'a pas à supporter le risque d'une procédure et reprochant à la société Gonzalezchaté de ne pas avoir offert d'insérer à l'acte une clause de garantie pouvait tout à fait la faire inscrire dans le compromis de vente.
De même, les fissures sont particulièrement apparentes, de sorte qu'il est difficile de considérer qu'elles n'aient pas été vues au jour de la visite, d'autant que l'acquéreur est un professionnel de l'immobilier. Le bien était vendu en l'état, la société [V] concluant d'ailleurs que le bien était vendu à prix modique (page 4 conclusions société [V]).
In fine, le jugement sera confirmé sur l'application de la clause pénale.
Sur la demande en dommages et intérêts pour procédure abusive
La société Gonzalezchaté demande la condamnation de la société [V] considérant sa procédure abusive au motif que cette dernière aurait tout mis en oeuvre pour faire échec à la vente.
Les éléments avancés par la société Gonzalezchaté au soutien de sa demande ne permettent pas de retenir le caractère abusif de la procédure.
Dès lors, elle doit être déboutée de sa demande.
Sur la demande reconventionnelle de dommages-intérêts
La société [V] sollicitait à titre reconventionnel la condamnation de la société Gonzalezchaté au paiement de la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts.
Le jugement de première instance étant confirmé, il n'y a pas lieu de considérer que la société [V] subit un préjudice.
Sur les demandes accessoires
Il y lieu a de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société [V] à verser à la société Gonzalezchaté la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et l'a condamnée aux entiers dépens.
En cause d'appel, l'équité commande l'allocation d'une indemnité de 3000 euros à la société Gonzalezchaté sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société [V] sera aussi condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
- confirme le jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux du 23 juin 2021 en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
- déboute la société Gonzalezchaté de sa demande de condamnation de la société [V] pour procédure abusive
- déboute la société [V] de sa demande reconventionnelle de dommages-intérêts,
- condamne la société [V] à verser à la société Gonzalezchaté la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de la procédure d'appel,
- condamne la société [V] aux entiers dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jacques BOUDY, président, et par Madame Audrey COLLIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,