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Décisions

CA Nîmes, 2e ch. C, 11 juillet 2024, n° 23/03550

NÎMES

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dodivers

Conseillers :

Mme Mallet, Mme Izou

Avocats :

Me Vajou, Me Ruiz, Me Chamski

TJ Nîmes, du 8 nov. 2023, n° 23/00733

8 novembre 2023

EXPOSE DU LITIGE

Par acte notarié du 8 Octobre 2020, M. [B] [C] et Mme [D] [K] ont acquis de M. [A] [P] et Mme [N], une maison à usage d'habitation contenant une cour intérieure dans la partie ancienne du centre du village, située [Adresse 5] à [Localité 11].

M. [I]-[G] [S] a, quant à lui, acquis un immeuble situé [Adresse 8] à [Localité 11] selon acte notarié du 18 février 2019.La maison est mitoyenne avec la cour intérieure de l'immeuble des consorts [C]/[K].

Invoquant l'apparition de désordres notamment des infiltrations et inondations dans son arrière-cuisine, M. [I]-[G] [S] a, par actes de commissaire de justice en date des 25 et 26 septembre 2023, fait assigner M. [B] [C], Mme [D] [K] et la MAIF devant le président du tribunal judiciaire de Nîmes, statuant en référé, aux fins de voir, au visa de l'article 835 du code de procédure civile :

- condamner sous astreinte de 150 euros de retard par jour dans le mois suivant la signification de l'ordonnance entreprise, M. [B] [C] et Mme [D] [K] à faire réaliser les travaux d'obturation du regard non apparent qui se trouve dans le mur mitoyen qui déverse les descentes d'eaux pluviales voisines dans l'arrière-cuisine de M. [I]-[G] [S] ainsi que les travaux de nature à permettre l'évacuation de l'ensemble des descentes des eaux pluviales des toitures et de la terrasse de M. [B] [C] et Mme [D] [K] donnant sur la cour dans leur propriété ;

- condamner M. [B] [C] et Mme [D] [K] à payer à M. [I]-[G] [S] une provision de 2.203,60 euros sur les dommages ;

- condamner M. [B] [C] et Mme [D] [K] à payer à M. [I]-[G] [S] la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 ;

- débouter M. [B] [C] et Mme [D] [K] de toutes leurs demandes, fins et conclusions, plus amples ou contraires ;

- condamner M. [B] [C] et Mme [D] [K] aux entiers dépens ;

- céclarer l'ordonnance à intervenir commune et opposable à la MAIF l'assureur de M. [B] [C] et Mme [D] [K].

Par ordonnance contradictoire en date du 8 novembre 2023, le président du tribunal judiciaire de Nîmes, statuant en référé, a :

- rejeté l'ensemble des demandes de M. [I]-[G] [S] ;

- dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné M. [I]-[G] [S] aux dépens ;

- rappelé que la présente décision est exécutoire par provision.

Par déclaration du 14 novembre 2023, M. [I]-[G] [S] a interjeté appel de cette ordonnance en toutes ses dispositions.

Au terme de ses dernières conclusions notifiées le 28 mars 2024, auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé complet de ses moyens et prétentions, M. [G] [S], appelant, demande à la cour de l'article 835 du code procédure civile, et des articles 640, 681 et 691 du code civil, de :

- déclarer recevable et bien fondé l'appel interjeté par M. [S] à l'encontre de l'ordonnance de référé rendue le 8 novembre 2023 par le Président du tribunal judiciaire de Nîmes,

Y faisant droit,

- Infirmer l'ordonnance entreprise des chefs suivants :

« - rejeté l'ensemble des demandes de M. [I]-[G] [S],

- dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [I]-[G] [S] aux dépens,

- rappelé que la présente décision est exécutoire par provision. »

Statuant à nouveau,

- condamner, sous astreinte de 150 € de retard par jour de retard dans le mois suivant la signification de l'arrêt à intervenir, M. [C] et Mme [K] in solidum à faire réaliser :

- les travaux d'obturation du regard non apparent qui se trouve dans le mur mitoyen qui déverse les descentes d'eaux pluviales voisines dans l'arrière cuisine de M. [S],

* ainsi que les travaux de nature à permettre l'évacuation de l'ensemble des descentes des eaux pluviales des toitures et de la terrasse de M. [C] et de Mme [K] donnant sur la cour dans leur propriété,

* tous les travaux de nature à faire cesser le trouble manifestement illicite et les dommages imminents.

Y ajoutant,

- condamner M. [C] et Mme [K] in solidum à payer à M. [S] une provision de 2 203,60 € sur les dommages,

- condamner M. [C] et Mme [K] in solidum à payer à M. [S] la somme de 3 500 € au titre de l'article 700 et aux entiers dépens de 1ère instance et d'appel,

- débouter M. [C] et Mme [K] de toutes leurs demandes, fins et conclusions, plus amples ou contraires et de tout appel incident,

Au soutien de son appel, M. [I]-[G] [S] soutient que la réalisation des travaux à son domicile, dont il a la libre disposition et qui ne subit aucune servitude légale, n'a aucune incidence sur l'illicéité de la situation qu'il subit et qui lui occasionne des dommages mais ont seulement été le révélateur de cette illicéité.

Il indique que les eaux litigieuses ne sont pas des eaux de ruissellement, mais des eaux pluviales, que l'illicéité de l'écoulement des eaux pluviales des intimés sur son fonds en violation de l'article 681 du code civil a été confirmée par l'étude SOLEO réalisée à l'initiative de ses voisins, que les consorts [C] /[K] ne justifient pas, au sens de l'article 691 du code civil, d'une servitude continue et non apparente, alors que celle-ci ne peut s'établir que par titre et que l'article 640 du code civil ne trouve pas application en l'espèce puisque les eaux ne s'écoulent pas naturellement mais par un ouvrage non apparent qui est nécessairement de la main de l'homme.

Il soutient qu'il subit des troubles manifestement illicites au sens de l'article 835 du code de procédure civile liés à l'illégalité et l'illicéité de la situation exposée, qui le contraignent à évacuer les eaux pluviales de ses voisins dans son propre réseau des eaux usées, et qui provoquent des inondations et dommages imminents liés à la saison et la pluviométrie l'empêchant de jouir de son bien.

Mme [D] [K] et M. [B] [C], en leur qualité d'intimés, par conclusions en date du 1er mars 2024, auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens, demandent à la cour, au visa des dispositions des articles 640 et 690 du code civil, et de l'article 835 du code de procédure civile, de :

- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé du 8 novembre 2023,

- débouter M. [I]-[G] [S] de l'intégralité de ses demandes,

- condamner M. [I]-[G] [S] à verser à M. et Mme [C]-[K] la somme de 3.000 € par application de l'Article 700 du Code de procédure civile,

- condamner M. [S] aux dépens d'instance.

A l'appui de leurs écritures, les consorts [K]-[C] indiquent :

- qu'ils n'ont jamais reconnu leur responsabilité et leur obligation de réaliser les travaux,

- qu'ils ne peuvent être condamnés à des travaux de remise en état dans la mesure où ils n'ont jamais réalisé la moindre modification de l'écoulement des eaux pluviales depuis leur prise de possession et depuis la survenance des premiers désordres,

- que leur auteur n'a également réalisé aucuns travaux,

- qu'en revanche, les désordres sont apparus après d'importants travaux de rénovation réalisés par M. [S] sur son fonds notamment des travaux de décaissement au rez -de -chaussée alors qu'auparavant, et pendant deux années après leur acquisition, l'appelant ne s'est plaint d'aucuns désordre, preuve qu'à cette époque l'évacuation des eaux de pluie était parfaitement pérenne,

- qu'ainsi l'apparition des désordres est concomitante aux travaux de M. [S] qui ont modifié l'écoulement des eaux pluviales existant depuis des décennies en supprimant l'ouvrage (canal en pierre) permettant la circulation de l'eau jusqu'à l'exutoire débouchant [Adresse 8],

- que l'article 640 trouve à s'appliquer en l'espèce, le fonds de M.[S] étant en contrebas du fonds des intimés et ayant donc vocation à recevoir l'écoulement naturel des eaux pluviales,

- que les intimés peuvent se prévaloir de la prescription trentenaire de la servitude de l'écoulement des eaux pluviales puisque la servitude est non seulement continue mais également apparente s'agissant d'un canal en pierre,

- que nature des travaux sollicités par l'appelant est confuse.

MOTIFS DE LA DECISION :

Il ne ressort pas des pièces du dossier d'irrecevabilité de l'appel que la cour devrait relever d'office et les parties n'élèvent aucune discussion sur ce point.

Sur le trouble manifestement illicite,

Selon l'article 835 alinéa 1 du code de procédure civile « Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. »

Il convient de rappeler que la condition de l'absence de contestation sérieuse n'est pas requise par l'article 835 alinéa 1 du code de procédure civile.

Pour autant, le trouble doit être « manifestement » illicite.

En l'espèce, les troubles subis (infiltrations et inondations) par l'appelant notamment dans l'arrière cuisine en cas de fortes pluies ne sont pas contestés par les intimés et sont établis par le procès-verbal de constatation en présence des parties et de leurs experts du 24 novembre 2022, l'étude de faisabilité Soléo de mars 2023, et les photographies versées aux débats outre les courriers échangés entre les parties ou leurs conseils.

Selon l'article 681 du code civil « Tout propriétaire doit établir des toits de manière que les eaux pluviales s'écoulent sur son terrain ou sur la voie publique ; il ne peut les faire verser sur le fonds de son voisin. »

En l'espèce, il résulte du procès-verbal de constatations en date du 24 novembre 2022, que le réseau d'eaux pluviales de M. [B] [C] et Mme [D] [K] se déverse dans une ancienne canalisation perdue qui arrive chez M. [I]-[G] [S].

Ce constat avait d'ores et déjà été fait lors du repérage par caméra réalisé en septembre 2022 par la société MS Habitat qui indique que le canal en pierre par lequel s'écoulent les eaux pluviales des intimés se situe sur le fonds de M. [S].

L'étude de faisabilité - Assainissement pluvial en centre urbain ancien réalisée en mars 2023, révèle que ce sont bien principalement les eaux des toitures et de la terrasse qui sont dirigées vers ce canal.

Dès lors que cet état de fait est établi et d'ailleurs non contesté, il existe un trouble manifestement illicite, peu importe les travaux exécutés par l'appelant qui n'ont été que le révélateur de cette situation.

Pour contester l'illicéité du trouble, les intimés invoquent les articles 640 et 691 du code civil.

Selon l'article 640 du code civil « Les fonds inférieurs sont assujettis envers ceux qui sont plus élevés à recevoir les eaux qui en découlent naturellement sans que la main de l'homme y ait contribué.

Le propriétaire inférieur ne peut point élever de digue qui empêche cet écoulement.

Le propriétaire supérieur ne peut rien faire qui aggrave la servitude du fonds inférieur. »

Or, en l'espèce, cet article ne peut trouver application en l'état de l'existence d'un canal révélant la nécessaire intervention de la main de l'homme.

Par ailleurs, il y lieu de rappeler que les titres des parties ne mentionnent aucune servitude.

Ce moyen est donc inopérant.

Selon l'article 691 du code civil « Les servitudes continues non apparentes, et les servitudes discontinues apparentes ou non apparentes, ne peuvent s'établir que par titres.

La possession même immémoriale ne suffit pas pour les établir, sans cependant qu'on puisse attaquer aujourd'hui les servitudes de cette nature déjà acquises par la possession, dans les pays où elles pouvaient s'acquérir de cette manière. »

Il ressort des constations faites par les experts et des investigations qui ont dû être entreprises pour découvrir le canal en pierres traversant la propriété de l'appelant que celui-ci n'était pas apparent.

Dès lors, ce moyen est également inopérant.

En conséquence, le trouble manifestement illicite est établi.

Il appartient donc à la cour de prescrire en référé les mesures conservatoires qui s'imposent pour faire cesser ce trouble manifestement illicite.

La cessation du trouble passe non seulement par l'obturation du regard non apparent qui se trouve dans le mur séparant la cour des intimés et l'arrière-cuisine de l'appelant mais également et surtout par l'organisation de l'écoulement des eaux pluviales des consorts [C]/[K] sur leur fonds ou la voie publique comme le sollicite d'ailleurs M. [S].

Cependant, l'étude de faisabilité de mars 2023 indique que la gestion des eaux pluviales sur la propriété des intimés est délicate mais surtout qu'elle nécessite des travaux sur la propriété voisine.

Cette étude n'est pas contradictoire et M. [S] n'a pas formulé d'avis sur cette nécessité lorsqu'elle a été produite aux débats.

En conséquence, en l'état de la difficulté technique sur la nature des travaux à ordonner pour faire cesser le trouble et d'être parfaitement éclairée, une mesure d'expertise sera ordonnée aux frais des intimés avec mission décrite au présent dispositif.

Sur la demande de provision,

Selon l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile « Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire. »

Le moyen tenant à la prescription acquisitive étant manifestement inopérant comme indiqué ci-avant, il n'existe aucune contestation sérieuse sur le principe de l'allocation d'une provision au titre des préjudices subis par M. [S].

Cependant, l'appelant sollicite la somme de 2 203,60 € sue la base du rapport de constations du 24 novembre 2022 sans justifier des sommes restées à sa charge après dédommagement des assureurs.

Il existe dès lors une contestation sérieuse sur le quantum du préjudice.

En conséquence, et pour ces motifs, il y lieu de confirmer l'ordonnance déféré de ce chef.

Les frais et les dépens demeureront réservés.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR :

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant publiquement, contradictoirement, en référé, et en dernier ressort,

Infirme l'ordonnance déférée sauf en ce qu'elle a débouté M. [I]-[G] [S] de sa demande de provision

Dit qu'il existe un trouble manifestement illicite,

Avant dire droit sur les mesures conservatoires à ordonner,

Ordonne une expertise,

Commet pour y procéder M.[U] [F] [Adresse 4] - [Localité 7] Tél : [XXXXXXXX01] Port. : [XXXXXXXX03] - Mèl : [Courriel 9]

avec mission de :

- se faire communiquer tous documents utiles à l'accomplissement de sa mission et entendre en tant que de besoin toute personne informée,

- se rendre sur les lieux, les visiter,

- déterminer les travaux de nature à faire cesser le trouble manifestement illicite constaté,

- plus généralement, donner tous éléments utiles à la solution du litige

Dit que l'expert accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 273 à 283 du code de procédure civile ; qu'en particulier il pourra recueillir de toutes personnes informées des déclarations ; qu'il aura la faculté de s'adjoindre tous spécialistes de son choix dans une spécialité distincte de la sienne à charge de joindre leur avis à son rapport.

Dit qu'au terme de ses opérations il communiquera ses premières conclusions écrites aux parties en les invitant à présenter leurs observations dans le délai minimum d'un mois.

Dit que, toutefois, lorsque l'expert a fixé aux parties un délai pour formuler leurs observations ou réclamations, il n'est pas tenu de prendre en compte celles qui lui aurait été faites après l'expiration de ce délai à moins qu'il n'existe une cause grave et dûment justifiée, auquel cas il en est fait rapport au juge (article 276 alinéa 2 du code de procédure civile);

Fixe à la somme de 3 000 € le montant de la consignation à valoir sur la rémunération de l'expert qui devra être consignée au greffe de la cour d'appel de Nîmes au plus tard le 16 septembre 2024 par Mme [D] [K] et M. [B] [C], par chèque libellé à l'ordre du Régisseur d'avances et de recettes de la cour d'appel de Nîmes,

Dit qu'à défaut de consignation à l'expiration de ce délai, la désignation de l'expert sera caduque et privée de tout effet ;

Dit que, lors de la première ou au plus tard de la seconde réunion des parties, l'expert dressera, si nécessaire, un programme de ses investigations et évaluera d'une manière aussi précise que possible le montant prévisible de ses honoraires et de ses débours ;

Dit qu'à l'issue de cette réunion, l'expert fera connaître aux parties la somme globale qui lui paraît nécessaire pour garantir en totalité le recouvrement de ses honoraires et de ses débours et solliciter, le cas échéant, le versement d'une consignation complémentaire ;

Dit que l'expert déposera au greffe un rapport écrit de ses opérations au plus tard le 27 décembre 2024 et en fera tenir une copie à chacune de parties ;

Dit que l'expert transmettra aux parties toute demande de complément de consignation, et en même temps que son rapport, une copie de sa demande de taxation de ses honoraires ;

Dit que cette mesure d'expertise sera effectuée sous le contrôle de la présidente de la deuxième chambre C et qu'il lui en sera référé en cas de difficulté ;

Dit qu'en cas de refus ou d'empêchement, l'expert sera remplacé sur simple requête.

Sursoit à statuer sur les mesures de nature à faire cesser le trouble manifestement illicite.

Renvoie le dossier à l'audience de plaidoirie du 05 décembre 2024 à 08h45.

Réserve les frais et les dépens.

Arrêt signé par la présidente et par la greffière.