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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 26 juin 2024, n° 22/01389

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Moto Move (SARL)

Défendeur :

Triumph (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Conseillers :

Mme Depelley, Mme Dallery

Avocats :

Me Wilhelm, Me Dumur, Me Baechlin, Me Bricogne

T. com. Paris, 13e ch., du 6 déc. 2021, …

6 décembre 2021

FAITS ET PROCEDURE

La société Moto Move est un vendeur de motocycles de multiples marques et distribue une gamme de motocycles de la marque Triumph dans son point de vente situé à [Localité 3].

La société Triumph a une activité d'importation de motocycles de la marque éponyme qu'elle distribue en France par l'intermédiaire d'un réseau de distributeurs agrées.

La société Moto Move a signé un premier contrat de concession exclusive à durée indéterminée avec Triumph pour la distribution des produits de la marque Triumph en 1994, puis un nouveau en 1998.

Par lettre du 9 octobre 2017, la société Triumph a notifié à la société Moto Move la résiliation du contrat de concession exclusive conclu entre les parties avec un préavis à échéance au 30 septembre 2018 et lui a annoncé la proposition d'un nouveau contrat dans le cadre de la réorganisation du réseau.

Le 26 janvier 2018, la société Triumph a adressé à la société Moto Move un document d'informations précontractuelles présentant le nouveau contrat de concession non-exclusive.

Le 1er mars 2018, la société Triumph a transmis à la société Moto Move le nouveau contrat, qui a été signé par les parties et est entré en vigueur le 1er avril 2018. Ce nouveau contrat a été prévu pour une durée déterminée de 4 ans, soit jusqu'au 31 mars 202, en ces termes (article 3) :

« 3.1 Le présent Contrat, sauf résiliation anticipée conformément aux articles 3.2 ou 19 ci-dessous, produit ses effets pendant quatre (4) ans à compter de la Date d'entrée en vigueur.

3.2 L'une ou l'autre partie peut résilier le présent contrat à tout moment en avisant l'autre par écrit à cet effet au moins six (6) mois à l'avance. ».

Par lettre du 27 février 2019, la société Triumph a notifié à la société Moto Move la résiliation du contrat de concession, en accordant en lieu et place du préavis contractuel de 6 mois, un préavis de 19 mois soit jusqu'au 30 septembre 2020.

C'est dans ce contexte que par acte du 14 août 2020, la société Moto Move a assigné la société Triumph devant le tribunal de commerce de de Paris pour obtenir le paiement de diverses sommes au titre de la réparation des préjudices résultant de la rupture brutale des relations commerciales établies, de la rupture abusive du contrat de concession et de la perte de clientèle résultant d'actes de concurrence déloyale.

Par jugement du 6 décembre 2021, le tribunal de commerce de Paris a :

- Débouté la SARL Moto Move de l'ensemble de ses demandes au titre d'une rupture brutale des relations et au titre d'une rupture fautive de la relation contractuelle,

- Condamné la SARL Moto Move à payer à la SAS Triumph la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du CPC

- Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent dispositif,

- Condamné la SARL Moto Move aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 € dont 12,20 € de TVA.

La société Moto Move a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la Cour le 14 janvier 2022.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par voie électronique le 20 mars 2024, la société Moto Move demande à la Cour de :

Vu l'article 1er du protocole additionnel n°1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme,

Vu les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789,

Vu les articles 1134,1147 et 1149 du code civil (dans leur version antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016),

Vu les articles 545, 1103 et 1104, 1212, 1171 du code civil,

Vu l'article 1240 du code civil,

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

Vu l'article L 442-6 I 5° du code de commerce (dans sa version antérieure à l'ordonnance du 24 avril 2019),

Vu l'article 1343-2 du code civil,

Vu la jurisprudence précitée,

Vu les pièces versées aux débats

- Juger l'appel interjeté par la société Moto Move recevable

- Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 6 décembre 2021 (RG n°2020037429) en toutes ses dispositions, en ce qu'il

* « Déboute la SARL Moto Move de l'ensemble de ses demandes au titre d'une rupture brutale des relations et au titre d'une rupture fautive de la relation contractuelle,

* Condamne la SARL Moto Move à payer à la SAS Triumph la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 CPC,

* Déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent dispositif,

* Condamne la SARL Moto Move aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 € dont 12,50 € de TVA ».

Statuant à nouveau :

- Juger l'ensemble des demandes de la société Moto Move recevable et bien-fondé ;

- Condamner la société Triumph à verser à la société Moto Move la somme de 1 257 000 euros, sauf à parfaire, en réparation des préjudices qu'elle a subi, avec au taux légal à compter de l'annonce de la résiliation et capitalisation des intérêts jusqu'à complet règlement sur le fondement de l'article 1343-2 du code civil ;

- Rejeter l'ensemble des demandes, fins et prétentions de la société Triumph.

En tout état de cause :

- Condamner la société Triumph à verser à la société Moto Move la somme de 20 000 euros à titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner la société Triumph aux entiers dépens au titre de l'article 699 du code de procédure

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par voie électronique le 26 mars 2024, la société Triumph demande à la Cour de :

Vu notamment les articles 1103 du code civil, L.442-6 du code de commerce, 700 du code de procédure civile,

- Confirmer le jugement de première instance

- Débouter Moto Move de l'ensemble de ses demandes tant principales que subsidiaires.

Subsidiairement,

- Juger que le préjudice allégué n'est justifié ni dans son principe ni dans son montant

- En conséquence, débouter Moto Move de l'ensemble de ses demandes tant principales que subsidiaires.

Plus subsidiairement,

- Limiter la condamnation de Triumph au seul préjudice incontestablement démontré,

En tout état de cause,

- Débouter Moto Move de l'ensemble de ses demandes

- Condamner Moto Move à payer à Triumph la somme de 20 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel

- Condamner Moto Move aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 avril 2024.

MOTIVATION

Comme devant les premiers juges, la société Moto Move réclame à l'appui de son appel dans le dispositif de ses écritures la somme globale de 1 257 000 euros en réparation des préjudices qu'elle prétend avoir subi et qu'elle décompose dans ses motifs comme suit :

- Un préjudice sur le fondement délictuel au titre de la perte brutale d'exclusivité et du non-respect du préavis évalué à la somme de 177 0000 euros correspondant à un an de marge,

- Un préjudice au titre de la résiliation anticipée du contrat de 2018 évalué à la somme de 280 000 euros correspondant à la marge escomptée jusqu'à la fin du contrat en mars 2022

- Un préjudice de dévalorisation du fonds de commerce évalué à la somme de 500 000 euros

- Un préjudice moral évalué à la somme de 300 000 euros

I-Sur la rupture de la relation commerciale

Exposé des moyens

La société Moto Move fait valoir, sur le fondement de l'article L. 442-6, I 5° du code de commerce dans sa version applicable au litige, que la relation commerciale établie entre les parties depuis 1994, a été brutalement rompue par la perte de l'exclusivité et le non-respect du préavis accordé par lettre du 9 octobre 2017. Elle explique qu'à cette date, la société Triumph lui a notifié la résiliation du contrat de concession exclusive avec un préavis à échéance au 30 septembre 2018 et l'a informée de l'envoi d'un nouveau contrat de distribution. Elle soutient n'avoir reçu que le 26 janvier 2018 le nouveau contrat au terme duquel elle apprenait ne plus bénéficier de l'exclusivité territoriale, et que celui-ci devait entrer en vigueur le 1er avril 2018. Elle en déduit que cette perte d'exclusivité constitue une modification substantielle de la relation commerciale avant la fin du préavis initialement accordé et pour laquelle elle n'a bénéficié que d'un préavis de deux mois. Elle prétend avoir engagé d'importants frais et investissements pour développer la marque Triumph sur son territoire exclusif et que la perte de cette exclusivité avec seulement un préavis de deux mois lui a nécessairement causé une perte de volume de vente et un important préjudice. Elle précise avoir dépensé un budget marketing d'environ 20 000 euros par an pour l'organisation de salons, réceptions, journées circuit, supports de publicité papier, communication sur les réseaux sociaux et autres dépenses incontournables pour satisfaire les exigences de la société Triumph. Estimant ainsi que le préavis d'un an notifié par lettre du 9 octobre 2017 n'a pas été effectif, elle réclame la somme de 177 000 euros correspondant à un an de perte de marge.

La société Triumph expose que désireuse de réorganiser son réseau de distribution, notamment pour tenir compte du développement du commerce sur internet, elle a notifié à la société Moto Move, comme à l'ensemble des concessionnaires en France, la résiliation du contrat de concession le 9 octobre 2017 avec un préavis d'un an, soit le double du préavis contractuel pour tenir compte de l'ancienneté de la relation commerciale. Elle explique que l'ancien contrat interdisait aux concessionnaires de vendre activement des motos en dehors de leur territoire réduit, en l'espèce sur l'arrondissement de [Localité 3], mais que les promotions et ventes sur internet étant considérées comme des ventes passives, elles doivent être autorisées. Elle en déduit qu'avec les ventes sur internet la protection territoriale par l'exclusivité devenait toute relative et ne correspondait plus à la réalité commerciale. Elle relève que la société Moto Move avant la suppression de l'exclusivité réalisait déjà plus de la moitié de ses ventes hors du territoire contractuel, en sorte que la modification du contrat a été sans conséquence réelle sur son activité. Elle souligne que la société Moto Move a accepté de signer le nouveau contrat alors qu'elle aurait pu refuser et bénéficier de son exclusivité jusqu'à la fin du préavis initialement accordé jusqu'en septembre 2018. Elle ajoute que les investissements allégués par la société Moto Move, notamment sa participation au salon biannuel de [Localité 3], ne fait pas obstacle à son droit de résilier le contrat.

Réponse de la Cour,

Par lettre du 9 octobre 2017, la société Triumph a notifié à la société Moto Move la résiliation du contrat de concession exclusif les liant du 3 novembre 1994 et ce avec un préavis à échéance au 30 septembre 2018.

La Cour observe que la société Moto Move ne conteste pas la durée du préavis ainsi octroyé au regard de l'ancienneté de la relation commerciale mais son caractère effectif, par le fait de la perte de l'exclusivité territoriale au cours de ce préavis.

Les parties ne contestent pas le caractère établi de la relation commerciale au sens des dispositions précitées, mais s'opposent sur le caractère substantiel de la modification de la relation par la perte de l'exclusivité territoriale lors de la signature du nouveau contrat et de son entrée en vigueur le 1er avril 2018.

Il ressort des contrats de concessions successifs des 3 novembre 1994 et 1er février 1998 conclus entre les parties que le concédant accordait au concessionnaire un droit exclusif de vente, après-vente et réparation des produits Triumph sur l'arrondissement de [Localité 3] (87).

A la suite de la résiliation de cette relation contractuelle par lettre du 9 octobre 2017, la société Triumph a proposé à la société Moto Move la poursuite de la relation contractuelle mais suivant un contrat sans exclusivité territoriale, pour tenir compte de l'influence des ventes par internet, et pour une durée de 4 années avec une possibilité de résiliation unilatérale par chacune des parties moyennant un préavis de 6 mois.

La société Moto Move a été clairement informée de ces modifications contractuelles au terme du document d'informations précontractuelles reçu le 26 janvier 2018 (pièce n°6 Triumph). Elle a cependant signé ce nouveau contrat entrant en vigueur le 1er avril 2018.

Si la société Moto Move allègue que la perte d'exclusivité après seulement deux mois de préavis a nécessairement causé un préjudice important dès lors que l'exclusivité dont elle bénéficiait lui permettait de réaliser d'importants volumes de vente, force est de constater qu'elle n'en justifie pas. Elle produit aux débats un courriel informant de son excellente part de de marché (pièce n°9), une attestation de son expert-comptable (pièce n°15) faisant état d'une augmentation constante de la marge brute dégagée sur les ventes Triumph entre les exercices 2017 (160 764 €), 2018 (171 525 €) et 2019 (177 521 €) et ses comptes sociaux (pièce n° 16) faisant également apparaître une augmentation constante de son chiffre d'affaires global entre les exercices 2017, 2018 et 2019. Elle ne produit aucune information permettant de comparer son volume de vente de produits de marque Triumph et les lieux d'immatriculation avant et après la perte de l'exclusivité territoriale, ou tout autre élément de nature à apprécier l'impact de cette perte d'exclusivité sur la relation commerciale.

Aussi, la société Triumph n'est pas sérieusement contredite lorsqu'elle explique que la perte de l'exclusivité territoriale sur l'arrondissement de [Localité 3] n'a pas eu d'incidence sur l'activité commerciale de la société Moto Move, dès lors que sur la période 2017 à 2020 peu de motos neuves (3 à 5 par an- sur une centaine vendues par Moto Move par an) ont été vendues par d'autres concessionnaires que Moto Move dans le département de la Haute-Vienne (87) et que Moto Move réalisait plus de la moitié de ses ventes hors du département.

Enfin, la société Moto Move ne produit pas d'avantage d'élément probant sur ses investissements liés à la marque Triumph. Celle-ci se limite à produire une facture de 4200 euros TTC de participation à un salon de [Localité 3] 2018 et 1800 euros TTC en 2016 (pièce n°17), et un projet d'investissement d'un corner « Triumph » de 22 846 euros établi le 7 avril 2010 (pièce n°18). La pièce n°12 n'apporte aucune information tangible. La société Triumph quant à elle justifie qu'aucun investissement complémentaire n'a été exigé lors de la signature du contrat de concession non exclusif courant 2018. Aussi, la société Moto Move ne justifie d'aucun impact de la perte de l'exclusivité territoriale sur des investissements non amortis.

Il résulte de ce qui précède que la société Moto Move échoue à démontrer que la perte d'exclusivité lors de la signature du contrat entrant en vigueur le 1er avril 2018 a constitué une modification substantielle de la relation commerciale pendant l'exécution du préavis. Faute pour la société Moto Move d'établir une rupture brutale, même partielle, de la relation commerciale qui s'est poursuivie jusqu'en 2020, elle sera déboutée de sa demande de perte de marge à hauteur de 177 000 euros. Le jugement sera confirmé sur ce point.

II- Sur la rupture anticipée de la relation contractuelle

Exposé des moyens

La société Moto Move fait d'abord valoir que dès lors que le contrat entré en vigueur le 1er avril 2018 fixe à son article 3 une durée déterminée de 4 ans, ce contrat ne pouvait être résilié que du consentement mutuel des deux parties. Elle soutient que ce contrat devait s'exécuter jusqu'à son terme et que la société Triumph ne pouvait résilier unilatéralement de manière anticipée ce contrat sans indemnité.

Elle fait ensuite valoir que la clause contractuelle de résiliation anticipée est illicite pour constituer un déséquilibre significatif au sens des dispositions de l'article L.442-6, I, 2° du code de commerce dans sa version applicable au litige et l'article 1171 du code civil. Elle soutient que le contrat de concession est un contrat d'adhésion, les clauses non négociables ayant été déterminées à l'avance par la société Triumph et qu'elle a été dans l'obligation d'accepter cette clause de résiliation anticipée moyennant un préavis de 6 mois sans indemnisation au regard de sa dépendance économique à l'égard de son partenaire commercial. Elle estime que le déséquilibre significatif résulte du pouvoir unilatéral et arbitraire de Triumph qui a abusé de sa position en imposant une clause déséquilibrée prévoyant la possibilité de résilier avec un préavis de 6 mois sans indemnité le contrat avec son partenaire historique de 25 ans. Elle en déduit que l'article 3.2 du contrat de concession doit être réputé non écrit.

La société Moto Move fait encore valoir que cette résiliation anticipée du contrat à durée déterminée est manifestement abusive, dès lors qu'elle n'est justifiée par aucun motif et que la société Moto Move a été entretenue dans l'illusion de la pérennité du partenariat et a été incitée à réaliser d'importants investissements pour un partenaire incontournable au pouvoir de négociation écrasant. Elle explique avoir développé son fonds de commerce et fidélisé sa clientèle autour de la commercialisation des produits de la marque Triumph en offrant à la clientèle un cadre privilégié et un service après-vente qui a justifié la fidélité de Triumph à leur partenariat. Elle ajoute que cette annonce brutale de la fin du partenariat a eu pour conséquence de la priver de la possibilité d'organiser sa reconversion et de disposer d'une relation techniquement et économiquement équivalente à celle nouée avec la société Triumph.

Enfin la société Moto Move fait valoir qu'après 25 ans de relation commerciale, elle a appris en moins d'un an et demi qu'elle perdait son exclusivité sans préavis effectif et qu'elle allait sortir du réseau dans des conditions déloyales en apprenant que la marque Triumph était attribuée à un concurrent se situant à 4 minutes de son point de vente. Elle soutient que ces actes de concurrence déloyale l'ont privée de sa clientèle ou simplement de la possibilité d'exploiter la clientèle qu'elle a développée tout au long de son contrat, et a ainsi subi une atteinte injustifiée à son droit de propriété qui doit être indemnisé. Elle précise que le préavis non exécuté et la rupture anticipée de son contrat de concession ne lui ont pas permis d'amortir l'ensemble des investissements effectués pour promouvoir la marque Triumph et que de ce fait elle s'est trouvée privée d'un pan entier de son fonds de commerce et de sa clientèle détournée par l'enseigne Harley Davidson [Localité 3] situé à moins de 4 minutes de son point de vente.

La société Triumph fait valoir en réponse que la clause de résiliation ordinaire avec un préavis d'au moins 6 mois est parfaitement licite. Elle relève que le contrat conclut entre les parties en 2018 n'est pas à durée déterminée ferme de quatre ans, mais d'une durée maximum de quatre ans avec la faculté sans ambiguïté pour chacune des parties d'y mettre fin à tout moment sans motif avec un préavis de 6 mois. Elle insiste sur le fait que ce contrat a été signé librement et en toute connaissance de cause et que la clause litigieuse relève de la liberté contractuelle. Elle ajoute que les conditions d'application de l'article L.442-6, I, 2° du code de commerce ne sont pas remplies, en ce qu'il n'est démontré ni soumission ni déséquilibre entre les droits et obligations, la faculté de résiliation étant réciproque. Elle précise que les dispositions de l'article 1171 du code civil ne sont pas applicables (en ce sens Com. 26 janvier 2022 n°20-16.782). En toute hypothèse elle soutient qu'il ne s'agit pas d'un contrat d'adhésion sachant que celui-ci a été discuté avec le CNPA représentant des concessionnaires et que les mêmes contrats doivent être proposés dans tout le réseau.

La société Triumph fait en outre valoir que la résiliation ordinaire du contrat en 2019 avec un préavis de 19 mois a été régulière et nullement brutale ou abusive. Elle précise que la résiliation anticipée notifiée sans motif était conforme au contrat et qu'elle a spontanément fait bénéficier la société Moto Move d'un délai de préavis de 19 mois compte tenu de l'ancienneté et la qualité des relations excluant toute brutalité. Elle ajoute que la société Moto Move ne verse aux débats aucune pièce de nature à établir une exigence de la part de Triumph, peu avant la résiliation, d'investissements spécifiquement dédiés à la marque non réutilisables et rendant impossible ou abusif la résiliation. Elle relève que la dépendance économique invoquée n'est pas davantage démontrée, étant observé que la société Moto Move réalisait plus de 80% de son chiffre d'affaires avec d'autres marques que Triumph.

Enfin, la société Triumph prétend que le préavis a été parfaitement exécuté et qu'il n'y a eu aucune concurrence déloyale. Elle précise que le nouveau concessionnaire à [Localité 3] n'a ouvert que 4 mois après la fin du contrat avec la société Moto Move et que cette dernière s'est réorientée vers d'autres marques. Elle souligne encore que l'activité de la société Moto Move a été croissante pendant toute la durée du préavis.

Réponse de la Cour,

L'article 3 du contrat signé entre les parties et entré en vigueur à compter du 1er avril 218 stipule que :

« 3.1 Le présent Contrat, sauf résiliation anticipée conformément aux articles 3.2 ou 19 ci-dessous, produit ses effets pendant quatre (4) ans à compter de la Date d'entrée en vigueur.

3.2 L'une ou l'autre partie peut résilier le présent contrat à tout moment en avisant l'autre par écrit à cet effet au moins six (6) mois à l'avance. ».

Par lettre du 27 février 2019, la société Triumph a mis fin à la relation contractuelle en rappelant que celle-ci est résiliable par l'une ou l'autre des parties sous la seule réserve de respecter un préavis de six mois. Pour faciliter la reconversion de la société Moto Move, la société Triumph lui a accordée un préavis de 19 mois à échéance au 30 septembre 2020.

La société Moto Move soulève l'illicéité de la clause de résiliation anticipée sur le fondement de l'article L.442-6, I, 2° du code de commerce dans sa version applicable au litige et l'article 1171 du code civil.

L'article 1171 du code civil ne s'applique pas aux contrats, comme en l'espèce, qui relèvent de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 24 avril 2019, applicable en la cause (en ce sens Com., 26 janvier 2022, pourvoi n° 20-16.782 -publié) et qui dispose :

« Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : [...] 2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».

Les deux éléments constitutifs de cette pratique restrictive de concurrence sont, en premier lieu, la soumission ou la tentative de soumission et, en second lieu, l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif. L'élément de soumission ou de tentative de soumission de la pratique de déséquilibre significatif implique la démonstration de l'absence de négociation effective ou l'usage de menaces ou de mesures de rétorsion visant à forcer l'acceptation impliquant cette absence de négociation effective. L'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif peut notamment se déduire d'une absence totale de réciprocité ou de contrepartie à une obligation, ou encore d'une disproportion importante entre les obligations respectives des parties.

En l'espèce, il ne ressort pas des pièces versées aux débats que la société Moto Move ait critiqué le projet de clause litigieuse dont elle était informée de la teneur par l'envoi du document d'informations précontractuelles le 26 janvier 2018 pour une signature du contrat courant mars.

Elle ne démontre pas davantage être dans une situation de dépendance économique à l'égard de la société Triumph. Certes, il ressort des documents comptables versés aux débats (pièce n°15) que le chiffre d'affaires moyen annuel sur les années 2017 à 2019 réalisé avec les produits Triumph correspond à près de 20% du chiffre d'affaires moyen annuel global de la société Moto Move. Néanmoins, il n'est pas contesté que celle-ci a une activité multimarques et ne produit aux débats aucun élément sur d'éventuelles difficultés à réorganiser son activité sur ce marché.

Outre le fait que le contrat en cause est à durée déterminée, la société Moto Move n'expose pas en quoi la clause de résiliation anticipée, susceptible d'être mise en 'uvre par chacune des parties sans motif moyennant un préavis de 6 mois est dépourvue de toute réciprocité ou crée une disproportion entre les droits et obligations des parties.

Par ailleurs, si la société Triumph a fait usage de son droit de résiliation anticipée prévue dans les documents contractuels, elle a néanmoins accordé à la société Moto Move un délai de préavis de fin des relations de 19 mois, adapté à l'ancienneté des relations et aux facultés de reconversion de la société Moto Move. Cette dernière ne justifie pas davantage avoir été tenue de procéder à de nouveaux investissements pour la marque Triumph lors de la signature du contrat de 2018, ni de supporter des investissements non amortis à la fin des relations en 2020.

Il n'est pas non plus établi par la société Moto Move de baisse d'activité pendant la période de préavis imputable à la société Triumph. Comme l'a retenu le tribunal et sans être utilement contredit, les ventes et marges générées par les produits Triumph n'ont pas diminué en 2019 ni en 2020, les motos ayant continué à être fournies étant observé que courant décembre 2020 les parties échangeaient encore à ce sujet et sur un stock de 10 motos disponibles à la vente dans les locaux de Moto Move (pièce Triumph n°12).

Les conditions d'application de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 24 avril 2019 ne sont donc pas réunies, ni même celle de l'article L.442-6, I 5°. L'exercice abusif d'un droit de résiliation, librement contracté entre les parties, n'est pas davantage démontré.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Moto Move de sa demande en réparation d'un préjudice lié à la marge escomptée de 280 000 euros jusqu'à la fin du contrat en 2022.

Concernant les allégations de concurrence déloyale, la Cour observe que la société Triumph a établi un nouveau distributeur à proximité de la société Moto Move mais après la fin des relations contractuelles et commerciales avec cette dernière et à l'issu du préavis du 19 mars. Si la société Moto Move allègue un détournement de clientèle, les pièces produites aux débats (notamment les pièces 21 et 22) ne justifient ni de l'existence d'une clientèle bien spécifique aux produits Triumph ni d'un impact particulier de la perte de cette marque sur son activité de ventes de motocyclettes multimarques postérieurement au 30 septembre 2020.

Pour réclamer la somme de 500 000 euros au titre de son fonds de commerce ou d'une atteinte à son droit de propriété, la société Moto Move se borne à procéder par des affirmations d'ordre général sur l'attachement à une marque ou à la « dépossession » de sa clientèle, mais sans les étayer par des éléments tangibles sur l'évolution de son activité réelle. Par ailleurs la somme réclamée correspondrait à la valeur du fonds de commerce « Triumph », alors que l'attestation produite (pièce n°15 Moto Move) relève elle-même que l'exploitation historique de plusieurs marques au sein du fonds de commerce complique la détermination de la valorisation de cette marque. En tout hypothèse, il n'est pas davantage établi une atteinte de cette valeur par les actes reprochés à la société Triumph.

Dès lors, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Moto Move de sa demande en réparation d'un préjudice lié à son fonds de commerce.

Les fautes alléguées n'étant pas démontrées, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Moto Move de sa demande en réparation d'un préjudice moral.

III- Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Moto Move aux dépens de première instance et à payer à la société Triumph la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, la société Moto Move sera déboutée de sa demande et condamnée à verser à la société Triumph la somme de 10 000 euros à la société Triumph.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions soumises à la Cour,

Y ajoutant,

Condamne la société Moto Move aux dépens d'appel,

Condamne la société Moto Move à payer à la société Triumph la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette toute autre demande.