CA Paris, Pôle 5 ch. 16, 2 juillet 2024, n° 22/09104
PARIS
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
Amazon EU (SARL)
Défendeur :
Institut de Liaisons et d'Études des Entreprises de Consommation (ILEC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Barlow
Vice-président :
Mme Schaller
Conseiller :
M. Levaillant
Avocats :
Me Boccon Gibod, Me Utzschneider, Me Clamens, Me Moisan, Me Vogel, Me Vicaire
I/ FAITS ET PROCEDURE
1. La cour est saisie de l'appel interjeté contre deux jugements rendus le 22 juin 2021 et le 10 mai 2022 par le tribunal de commerce de Paris (1re chambre) dans un litige opposant la société de droit luxembourgeois Amazon EU SARL (ci-après « Amazon ») à l'Institut de liaison des entreprises de consommation (ci-après « l'ILEC »).
2. L'ILEC est une association loi 1901 regroupant 90 entreprises qui fabriquent et commercialisent des produits de grande consommation.
3. Amazon gère des activités de commerce de détail en ligne de produits en Europe. Elle dispose de succursales dans plusieurs pays d'Europe, dont la France.
4. L'ILEC fait grief à Amazon d'imposer aux professionnels du secteur de la fabrication des biens de consommations des pratiques et clauses contractuelles contrevenant à plusieurs dispositions impératives du droit français, en imposant dans ses conditions générales de fournisseurs des clauses constitutives d'avantages sans contrepartie proportionnée et en appliquant des pénalités disproportionnées selon des modalités illicites.
5. Par actes introductifs d'instance délivrés les 23 juin et 7 juillet 2020, l'ILEC a assigné Amazon à comparaître devant le tribunal de commerce de Paris afin de voir enjoindre à cette société d'avoir à cesser les pratiques dénoncées, la voir condamner à payer la somme de cinq millions d'euros au titre du préjudice collectif subi par ses adhérents et obtenir la publication du dispositif de la décision à intervenir sous astreinte.
6. Amazon ayant soulevé un incident de communication de pièces, ce tribunal a, par jugement contradictoire avant dire droit du 22 juin 2021 :
- Débouté la SARL AMAZON de sa demande de communication d'une version intégrale des pièces n°22 et n°23 ;
- Joint les exceptions de procédure et de fins de non-recevoir au fond de l'affaire ;
- Fixé le calendrier des échanges suivant :
. Avant le 27 septembre 2021, conclusions au fond d'AMAZON ;
. Avant le 29 novembre 2021, conclusions au fond de l'ILEC
. Avant le 24 janvier 2022, conclusions au fond d'AMAZON ;
- Ordonné que les conclusions soient communiquées au juge chargé d'instruire l'affaire et au greffe par voie électronique avec envoie conjoint au juge d'un lien de téléchargement des pièces citées ;
- Renvoyé les parties à une audience de plaidoirie collégiale, le 21 mars 2022, à 14h15, devant la formation composée de M. [J] [G], Mme [I] [E] et M. [S] [F] ;
- Dit qu'à défaut de respect de ce calendrier de procédure, il serait fait application des articles 381 et 469 du code de procédure civile ;
- Condamné la SARL AMAZON à verser à l'INSTITUT DE LIAISONS ET D'ETUDES DES INDUSTRIES DE CONSOMMATION ' ILEC (Association loi 1901), la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Réservé les dépens de l'instance.
7. Puis, par jugement du 10 mai 2022, le tribunal statué en ces termes :
« Sur la compétence et la loi applicable :
- Dit recevables les exceptions d'incompétence et de nullité de l'assignation soulevées par AMAZON ;
- Dit que les clauses attributives de compétence et de choix de loi contenues dans les CGF d'AMAZON ne sont pas opposables à l'ILEC qui n'est pas partie aux contrats ;
- Dit que la cause du litige relève de la matière délictuelle ou quasi délictuelle, au sens de l'article 7, point 2, du règlement Bruxelles I bis ;
- Déboute AMAZON de son exception d'incompétence et se dit compétent pour connaître du litige ;
- Déboute AMAZON de sa demande d'application au litige de la loi luxembourgeoise et de ses demandes de questions préjudicielles corrélatives auprès de la Cour de justice de l'Union européenne, et dit que la loi française est applicable au litige.
Sur l'exception de nullité de l'assignation pour défaut de pouvoir de l'ILEC :
- Dit recevable l'exception de nullité de l'assignation pour défaut de pouvoir de l'ILEC soulevée par AMAZON ;
- Dit que l'ILEC est valablement représentée à l'action ;
- Déboute AMAZON de son exception de nullité de l'assignation pour défaut de pouvoir de l'ILEC.
Sur la fin de non-recevoir pour défaut d'intérêt à agir de l'ILEC :
- Dit que l'ILEC a intérêt à agir ;
- Déboute AMAZON de sa fin de non-recevoir pour défaut d'intérêt à agir ;
Sur le caractère illégal de l'article 2 de l'ordonnance n°2019-359 ayant créé le nouvel article L442-1, I, 1° du Code de commerce :
- Ordonne la transmission au Conseil d'Etat de la question préjudicielle suivante :
« Les dispositions de l'article L442-1, I, 1° du Code de commerce, issu de l'article 2 de l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019, doivent-elles être déclarées illégales, et leur application doit-elle être écartée, dès lors qu'elles modifient largement le champ d'application de l'ancien article L 442-6, I, 1° du Code de commerce, alors que l'habilitation légale octroyée par l'article 17, 6° de la loi Egalim (loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 poue l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous) donnait uniquemement pouvoir au Gouvernement "De simplifier et préciser les définitions des pratiques mentionnées à l'article L442-6, en ce qui concerne notamment la rupture brutale des relations commerciales, les vois d'action en justice et les dispositions relatives aux sanctions civiles" ' »
Sur le sursis à statuer :
- Surseoit à statuer sur le fond du litige jusqu'à réception de la décision de la Cour de cassation, ou s'il a été saisi, du Conseil constitutionnel sur la QPC et jusqu'à réception de la décision du Conseil d'Etat sur la question préjudicielle.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :
- Réserve les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile ».
8. Amazon a interjeté appel de ces décisions, par déclaration du 25 mai 2022.
9. Par ordonnance du 5 septembre 2023, le conseiller de la mise en état a :
1) Rejeté la demande de communication forcée de l'avis de signification du greffe de la chambre de la cour d'appel de Paris transmis aux conseils d'Amazon le 6 juillet 2022 ;
2) Déclaré l'Institut de liaison des entreprises de consommation irrecevable à conclure au fond comme à titre incident en application de l'article 909 du code de procédure civile ;
3) Débouté la société Amazon EU de ses demandes de condamnation pour procédure abusive ;
4) Condamné l'Institut de liaisons des entreprises de consommation à payer à la société Amazon EU la somme de dix mille euros (10 000,00 EUR) en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
5) Condamné l'Institut de liaisons des entreprises de consommation aux dépens de l'incident.
10. La clôture a été prononcée le 2 avril 2024 et l'affaire a été appelée à l'audience de plaidoiries du 30 avril 2024.
II/ PRETENTIONS DES PARTIES
11. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 29 mars 2024, la société Amazon demande à la cour, au visa des articles 34, 35, 52, 56 et 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne, des articles 4, 7, 17 et 25 du Règlement (UE) n°1215/2012 du 12 décembre 2012 (« Bruxelles I Bis »), des articles 3, 4 et 9 du Règlement (CE) n°593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (« Rome I »), de 14 du Règlement (CE) n°864/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (« Rome II »), des articles 31, 32, 42, 117, 119, et 122 du code de procédure civile, de l'article L. 490-10 du code de commerce, des articles L.441-3, L.441-4, L.441-10, L.442-1 et L. 442-4 du code de commerce, des articles L. 153-1 et suivants du code de commerce et des articles 1210 et 1347-1 du code civil, de bien vouloir :
1. In limine litis et à titre principal,
' Sur la compétence du Tribunal,
- Réformer le jugement du 10 mai 2022 (RG 2020032138) en ce qu'il a jugé non opposable à l'Institut de liaisons des entreprises de consommation la clause attributive de juridiction, dit que la cause du litige relève de la matière délictuelle ou quasi-délictuelle au sens du Règlement Bruxelles I bis, débouté Amazon EU SARL de son exception d'incompétence et s'est reconnu compétent pour connaitre du litige,
- Juger que les juridictions françaises sont incompétentes pour connaître du litige,
- Renvoyer l'Institut de liaisons des entreprises de consommation à mieux se pourvoir,
o Subsidiairement, saisir la Cour de justice de l'Union européenne des questions préjudicielles suivantes :
Sur l'opposabilité de la clause attributive de juridiction
1. Une clause attributive de juridiction valablement insérée dans un contrat en application de l'article 25 du Règlement Bruxelles I bis, qui lierait le cocontractant s'il engageait une action indemnitaire et/ou en contestation de la validité de dispositions contractuelles et/ou en cessation de pratiques s'inscrivant dans le cadre de cette relation contractuelle, est-elle opposable à une association de professionnels dont certains des membres seraient des parties contractantes, dans le cadre d'une action ayant la même finalité, quand bien même l'association n'aurait pas directement consenti à cette clause attributive de juridiction '
Sur la nature contractuelle du litige au sens du Règlement Bruxelles I bis
2. Au regard de l'arrêt de la Cour de Justice dans l'affaire Granarolo, (C-196/15) selon lequel une action indemnitaire fondée sur une rupture brutale de relations commerciales établies de longue date (fondée sur l'article L.442-6, I, 5° du Code de commerce français) ne relève pas nécessairement de la matière délictuelle ou quasi-delictuelle au sens Règlement Bruxelles I, les dispositions de l'article 7(1) du règlement (UE) n°1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (« Bruxelles I bis ») doivent-elles s'interpréter en ce sens que, relève de la matière contractuelle en application de ce Règlement, une action indemnitaire et/ou en contestation de la validité de dispositions contractuelles et/ou en cessation de pratiques s'inscrivant dans le cadre de cette relation contractuelle, engagée sur le fondement d'une disposition légale, telle que celles prévues (dans leur version en vigueur au moment du renvoi de la présente question préjudicielle) par :
- l'article L. 442-1, I, 1° du Code de commerce, qui prohibe les avantages obtenus par une partie sans donner de contrepartie a' l'autre partie (ou moyennant une contrepartie non proportionne'e) a' l'occasion d'une relation contractuelle,
- les articles L. 442-1, I 3° et L.441-17 du Code de commerce, qui fixent les conditions des pe'nalite's logistiques applicables a' l'autre partie a' l'occasion d'une relation contractuelle de distribution,
- l'article L.442-3 a) du Code de commerce, qui frappe de nullite' les clauses pre'voyant une application re'troactive de remises, de ristournes ou d'accords de coope'ration commerciale a' l'occasion d'une relation contractuelle de distribution,
- les articles L. 441-3 et suivants du Code de commerce qui imposent aux distributeurs de conclure avec leurs fournisseurs, chaque anne'e avant le 1er mars, un contrat d'approvisionnement re'pondant a' un formalisme pre'cis et de'fini par la loi,
- l'article L. 441-10 du Code de commerce qui fixe les re'gles relatives aux de'lais de paiement en matie're de livraison de marchandises et d'exe'cution de prestations de services (de'lai maximum pour re'gler les sommes dues, conditions de re'glement, taux d'inte'rêt des pe'nalite's de retard exigibles),
- l'article 1210 du Code civil qui prohibe les engagements perpe'tuels,
- l'article 1347-1 du Code civil qui pre'cise les conditions pour que la compensation le'gale ope're, a' savoir que les obligations soient fongibles, certaines, liquides et exigibles, sauf convention contraire '
3. Dans l'affirmative, les dispositions des articles 7(1) et 7(2) du Règlement Bruxelles I bis doivent-elles s'interpréter de telle sorte sorte que la solution serait modifiée ' en ce sens que l'action relèverait de la matière délictuelle en application de ce Règlement - si l'action indemnitaire et/ou en contestation de la validité de dispositions contractuelles et/ou en cessation de pratiques s'inscrivant dans le cadre de cette relation contractuelle, engagée sur le fondement de ces mêmes dispositions légales (dans leur version en vigueur au moment du renvoi de la présente question préjudicielle) était intentée non pas par une partie contractante mais par une association de professionnels pour défendre l'intérêt de ses membres dont certains seraient des parties contractantes '
4. Les dispositions de l'article 7(1) du Règlement Bruxelles I bis doivent-elles s'interpréter en ce sens qu'elles doivent être écartées, au profit de l'article 4 paragraphe 1 dudit Règlement, en présence d'une prestation de service complexe, dont l'exécution n'est pas localisable dans un seul lieu, telle que celle rendue par un opérateur de commerce en ligne ayant une activité de distribution dans plusieurs pays de l'Union européenne '
' Sur la nullité de l'assignation délivrée par l'Institut de liaisons des entreprises de consommation
- Réformer le jugement du 22 juin 2021 en ce qu'il a débouté Amazon EU SARL de sa demande d'une communication intégrale des procès-verbaux de délibération de l'Institut de liaisons des entreprises de consommation et condamné Amazon EU SARL à verser à l'Institut de liaisons des entreprises de consommation la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Réformer le jugement du 10 mai 2022 (RG 2020032138) en ce qu'il a dit que l'Institut de liaisons des entreprises de consommation était valablement représenté et débouté Amazon EU SARL de son exception de nullité de l'assignation,
- Déclarer nulle pour défaut de pouvoir l'assignation devant le Tribunal de commerce de Paris délivrée à Amazon EU SARL par l'Institut de liaisons des entreprises de consommation,
o Subsidiairement, ordonner la communication intégrale des procès-verbaux de délibération du Conseil d'administration de l'Institut de liaisons des entreprises de consommation en date des 16 janvier 2020 et 25 mars 2021, relatifs à son action en justice contre Amazon EU SARL,
' Sur le défaut d'intérêt à agir de l'Institut des liaisons des entreprises de consommation,
- Réformer le jugement du 10 mai 2022 (RG 2020032138) en ce qu'il a dit que l'Institut de liaisons des entreprises de consommation a un intérêt à agir et débouté Amazon EU Sàrl de sa fin de non-recevoir pour défaut d'intérêt à agir,
- Déclarer irrecevable pour défaut d'intérêt à agir l'Institut de liaisons des entreprises de consommation,
2. Subsidiairement, sur le droit applicable,
- Réformer le jugement du 10 mai 2022 (RG 2020032138) en ce qu'il a débouté Amazon EU SARL de sa demande d'application au litige de la loi luxembourgeoise et de transmission de questions préjudicielles corrélatives auprès de la Cour de justice de l'Union européenne, et dit que la loi française est applicable au litige,
- Déclarer le droit luxembourgeois applicable à l'instance engagée par l'Institut de liaisons des entreprises de consommation,
- Renvoyer au Tribunal de commerce de Paris le jugement de l'affaire au fond en application du droit luxembourgeois,
o Subsidiairement, saisir la Cour de justice de l'Union européenne des questions préjudicielles suivantes :
Sur l'opposabilité de la clause de choix de loi
5. Une clause de choix de loi valablement insérée dans un contrat en application de l'article 3.1 du Règlement Rome I, qui lierait le cocontractant s'il engageait une action indemnitaire et/ou en contestation de la validité de dispositions contractuelles et/ou en cessation de pratiques s'inscrivant dans le cadre de cette relation contractuelle, est-elle opposable à une association de professionnels dont certains des membres seraient des parties contractantes, dans le cadre d'une action ayant la même finalité, quand bien même l'association n'aurait pas directement consenti à cette clause de choix de loi '
Sur la nature contractuelle du litige et l'application du Re'glement Rome I
6. Les dispositions de l'article 1 (1) du règlement (CE) n°593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (« Rome I ») doivent-elles s'interpréter en ce sens que, relève de la matière contractuelle au sens de ce Règlement, une action indemnitaire et/ou en contestation de la validité de dispositions contractuelles et/ou en cessation de pratiques s'inscrivant dans le cadre de cette relation contractuelle, engagée sur le fondement d'une disposition légale telle que celles prévues (dans leur version en vigueur au moment du renvoi de la présente question préjudicielle) par :
- l'article L. 442-1, I, 1° du Code de commerce, qui prohibe les avantages obtenus par une partie sans donner de contrepartie à l'autre partie (ou moyennant une contrepartie non proportionnée) à l'occasion d'une relation contractuelle,
- les articles L. 442-1, I 3° et L.441-17 du Code de commerce, qui fixent les conditions des pénalités logistiques applicables à l'autre partie à l'occasion d'une relation contractuelle de distribution,
- l'article L.442-3 a) du Code de commerce, qui frappe de nullité les clauses prévoyant une application rétroactive de remises, de ristournes ou d'accords de coopération commerciale à l'occasion d'une relation contractuelle de distribution,
- les articles L. 441-3 et suivants du Code de commerce qui imposent aux distributeurs de conclure avec leurs fournisseurs, chaque année avant le 1er mars, un contrat d'approvisionnement répondant à un formalisme précis et défini par la loi,
- l'article L. 441-10 du Code de commerce qui fixe les règles relatives aux délais de paiement en matière de livraison de marchandises et d'exécution de prestations de services (délai maximum pour régler les sommes dues, conditions de règlement, taux d'intérêt des pénalités de retard exigibles),
- l'article 1210 du Code civil qui prohibe les engagements perpétuels,
- l'article 1347-1 du Code civil qui précise les conditions pour que la compensation légale opère, à savoir que les obligations soient fongibles, certaines, liquides et exigibles, sauf convention contraire '
7. Dans l'affirmative a' la question 6, au regard de l'arre't de la Cour de Justice dans l'affaire Amazon (C-191/15), selon lequel l'action en cessation dirige'e contre l'utilisation de clauses contractuelles pre'tendument illicites doit être de'termine'e de manie're autonome en fonction de la nature des clauses sans que le droit applicable puisse varier en fonction de l'auteur de l'action et du type d'action choisi (individuelle ou collective), le fait que cette action en cessation, engage'e sur le fondement des dispositions le'gales susmentionne'es, soit intente'e non pas par une partie contractante mais par une association de professionnels, pour de'fendre l'inte'rêt de ses membres dont certains seraient des parties contractantes, est-il de nature a' modifier la solution en ce sens que le Re'glement Rome II deviendrait applicable '
Sur la qualification de loi de police au sens des Règlements Rome I et Rome II
8. Une disposition légale, telle que celles prévues (dans leur version en vigueur au moment du renvoi de la présente question préjudicielle) par :
- l'article L. 442-1, I, 1° du Code de commerce, qui prohibe les avantages obtenus par une partie sans donner de contrepartie à l'autre partie (ou moyennant une contrepartie non proportionnée) à l'occasion d'une relation contractuelle,
- les articles L. 442-1, I, 3° et L.441-17 du Code de commerce, qui fixent les conditions des pénalités logistiques applicables à l'autre partie à l'occasion d'une relation contractuelle de distribution,
- l'article L.442-3 a) du Code de commerce, qui frappe de nullité les clauses prévoyant une application rétroactive de remises, de ristournes ou d'accords de coopération commerciale à l'occasion d'une relation contractuelle de distribution,
- les articles L. 441-3 et suivants du Code de commerce qui imposent aux distributeurs de conclure avec leurs fournisseurs, chaque année avant le 1er mars, un contrat d'approvisionnement répondant à un formalisme précis et défini par la loi,
- l'article L. 441-10 du Code de commerce qui fixe les règles relatives aux délais de paiement en matière de livraison de marchandises et d'exécution de prestations de services (délai maximum pour régler les sommes dues, conditions de règlement, taux d'intérêt des pénalités de retard exigibles), visant à protéger les intérêts et l'équilibre des relations commerciales entre parties privées, est-elle qualifiable de loi de police dans l'ordre international au sens de l'article 9 (1) du règlement Rome I et/ou de l'article 16 du Règlement Rome II, et peut-elle prévaloir sur la loi d'un autre Etat Membre désignée par le contrat des parties '
o Plus subsidiairement, dans l'hypothèse où la Cour qualifierait de loi de police des dispositions du Code de commerce susmentionnées, ou poserait la question préjudicielle n°8 à ce sujet, saisir la Cour de justice de l'Union européenne des questions préjudicielles suivantes :
9. Le fait qu'un Etat membre érige en loi de police, au sens du Règlement Rome I, des dispositions telles que celles prévues (dans leur version en vigueur au moment du renvoi de la présente question préjudicielle) par :
- l'article L. 442-1, I, 1° du Code de commerce, qui prohibe les avantages obtenus par une partie sans donner de contrepartie à l'autre partie (ou moyennant une contrepartie non proportionnée) à l'occasion d'une relation contractuelle,
- les articles L. 442-1, I, 3° et L.441-17 du Code de commerce, qui fixent les conditions des pénalités logistiques applicables à l'autre partie à l'occasion d'une relation contractuelle de distribution,
- l'article L.442-3 a) du Code de commerce, qui frappe de nullité les clauses prévoyant une application rétroactive de remises, de ristournes ou d'accords de coopération à l'occasion d'une relation contractuelle de distribution,
- les articles L. 441-3 et suivants du Code de commerce qui imposent aux distributeurs de conclure avec leurs fournisseurs, chaque année avant le 1er mars, un contrat d'approvisionnement répondant à un formalisme précis et défini par la loi ;
- l'article L. 441-10 du Code de commerce qui fixe les règles relatives aux délais de paiement en matière de livraison de marchandises et d'exécution de prestations de services (délai maximum pour régler les sommes dues, conditions de règlement, taux d'intérêt des pénalités de retard exigibles), qui, prises séparément ou cumulativement, imposent à tout distributeur, y compris aux distributeurs vendant des biens en ligne depuis un autre Etat membre, des contraintes supplémentaires de nature à faire obstacle à la réalisation du marché intérieur, peut-il être qualifiée d'entrave à la libre circulation des marchandises au sens de l'article 34 TFUE et à la libre prestation de service au sens de l'article 56 du TFUE '
3. En tout état de cause,
- Prendre toutes les mesures nécessaires à la protection de la confidentialité des informations d'Amazon EU Sarl couvertes par le secret des affaires en application du jugement du Tribunal de commerce de Paris du 22 mars 2022, en adaptant la motivation et la publication de la décision à intervenir, et notamment en ne mentionnant pas dans la décision les éléments relevant du secret des affaires, à savoir les pièces n°A à n°M ;
- Condamner l'Institut de liaisons des entreprises de consommation à verser à Amazon EU Sàrl la somme de 140 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Condamner l'Institut de liaisons des entreprises de consommation aux entiers dépens de la présente instance.
III/ MOTIFS DE LA DECISION
12. En vertu de l'article 427 du code de procédure civile, le juge peut d'office décider la communication d'une affaire au ministère public, l'article 424 reconnaissant à celui-ci la qualité de partie jointe lorsqu'il intervient pour faire connaître son avis sur l'application de la loi dans une affaire dont il a communication.
13. Il ressort des débats que la présente affaire met en jeu des questions touchant à la qualification de loi de police des dispositions du code de commerce invoquées par l'ILEC ainsi que l'articulation du droit français avec le droit de l'Union européenne.
14. Il résulte par ailleurs des déclarations des parties à l'audience que le ministère public était intervenu en première instance et s'était notamment prononcé sur la recevabilité de l'action engagée par l'ILEC.
15. Il apparaît opportun, dans ces conditions, de rouvrir les débats afin de communiquer le dossier au ministère public et recueillir son avis.
IV/ DISPOSITIF
Par ce motifs, la cour :
1) Ordonne la réouverture des débats ;
2) Ordonne la communication du dossier au ministère public ;
3) Ordonne le renvoi à la mise en état du 3 septembre 2024 pour fixation d'un calendrier de procédure ;
4) Réserve les dépens.