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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 16, 2 juillet 2024, n° 23/14097

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

TNT FAA (SAS)

Défendeur :

Mail et Transport International Maroc (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Barlow

Conseillers :

Mme Depelley, Mme Dallery

Avocats :

Me Boccon Gibod, Me Panneau, Me Guerre, Me Vigouroux

T. com. Lyon, du 18 juill. 2019

18 juillet 2019

I/ FAITS ET PROCEDURE

1. La cour est saisie, sur renvoi après cassation, de l'appel interjeté contre un jugement rendu le 18 juillet 2019 par le tribunal de commerce de Lyon dans un litige opposant la société de droit marocain Mail et Transport International Maroc (ci-après « MATIM ») et son gérant, M. [U] [W], à la société de droit français TNT FAA (ci-après « TNT »).

2. Le différend à l'origine de cette décision porte sur la résiliation par TNT d'un contrat d'exploitation commune de prestations de transport conclu avec MATIM en 2009 (ci-après le « Contrat ») pour une durée minimale d'un an, avec possibilité pour chacune des parties de le résilier à l'issue de ce délai moyennant un préavis de 45 jours.

3. En 2016, la société de droit américain FedEx a racheté les titres du groupe néerlandais TNT Express.

4. À l'automne de la même année, elle a lancé un appel d'offres afin de sélectionner son prestataire sur le marché marocain en soumettant les participants à la signature d'un accord de confidentialité.

5. MATIM a pris part à cette procédure et a signé, le 2 octobre 2017, un accord de confidentialité avec FedEx Express International BV au terme duquel elle a accepté les conséquences d'une cessation de ses relations avec les sociétés TNT/FedEx, cet accord stipulant qu'il constituerait alors le point de départ du préavis de résiliation.

6. Par lettre du 15 janvier 2018, TNT a informé MATIM qu'elle n'avait pas été sélectionnée, que le contrat conclu en 2009 était résilié et que le délai de préavis de 45 jours prévu par cette convention courrait à compter de son courrier.

7. Contestant cette résiliation et le délai de préavis accordé en se prévalant de relations contractuelles ayant existé entre les parties depuis 17 ans, la société MATIM et M. [W] ont, par acte introductif d'instance du 7 juin 2018, assigné TNT devant le tribunal de commerce de Lyon pour rupture brutale de la relation commerciale établie.

8. Par jugement du 18 juillet 2019, ce tribunal a notamment condamné la société TNT à payer à la société MATIM la somme de 2 098 000 euros en réparation du préjudice subi à ce titre.

9. La société MATIM et M. [W] ont interjeté appel de cette décision par déclaration du 22 juillet 2019. La société TNT a interjeté appel le 21 août 2019. Les deux procédures d'appel ont été jointes.

10. Par arrêt du 6 juillet 2021, la cour d'appel de Paris a :

- Confirmé le jugement du tribunal de commerce de Lyon en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour statuer sur les demandes de la société MATIM et M. [W] au titre de l'accord de confidentialité, a dit que la rupture des relations commerciales était brutale, rejeté les demandes de la société MATIM et M. [W] au titre de la concurrence déloyale, et statué sur les frais et dépens de première instance ;

- Infirmé le jugement pour le surplus ;

- Condamné la société TNT FAA à payer à la société Mail et Transport International Maroc une somme de 1 052 513 euros au titre de son préjudice pour la rupture brutale des relations commerciale avec intérêts au taux légal ;

- Ordonné la capitalisation des intérêts pour une année entière ;

- Débouté la société Mail et Transport International Maroc et M. [U] [W] et la société TNT pour le surplus de leurs demandes ;

- Condamné la société TNT FAA à payer à la société Mail et Transport International Maroc et M. [U] [W] la somme globale de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné la société TNT FAA aux dépens de l'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

11. Sur pourvoir de la société MATIM et de M. [W], la Cour de cassation a, par arrêt du 17 mai 2023, cassé et annulé cette décision, mais seulement en ce que, infirmant le jugement, elle condamne la société TNT FAA a' payer a' la société Mail et Transport International Maroc la somme de 1 052 513 euros au titre de son préjudice pour la rupture brutale des relations commerciales avec intérêts au taux légal et ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière.

12. Après avoir rappelé que, selon l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure a' celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, le délai du préavis suffisant s'apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances au moment de la notification de la rupture, la Cour de cassation a retenu que la cour d'appel avait violé ce texte en se fondant sur des e'le'ments postérieurs a' la notification de la rupture pour apprécier la durée de préavis à laquelle la société' MATIM pouvait prétendre.

13. La cour de céans a été saisie par la société TNT le 18 juillet 2023 (procédure enregistrée sous le numéro de RG 23/14097), puis par la société MATIM et M. [W] le 18 août 2024 (procédure enregistrée sous le numéro de RG 23/14594).

14. La clôture a été prononcée le 23 avril 2024, les parties étant appelées à l'audience du 29 avril 2024 au cours de laquelle leurs conseils ont été entendus.

II/ PRETENTIONS DES PARTIES

15. Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 12 mars 2024, la société MATIM et M. [W] demandent à la cour, au visa des articles L. 446.6 et suivants du code de commerce, 1116 ancien (1137 nouveau), 1134 ancien (1104 nouveau) et 1382 ancien (1240 nouveau) du code civil, du contrat du 9 mai 2009 et de l'arrêt de cassation, de bien vouloir :

Réformer le jugement entrepris en ce que :

- il a limitéla condamnation de TNT FAA à 2.098.000 euros,

Confirmer le jugement entrepris en ce que :

- il a dit que la rupture des relations commerciales était brutale,

- il a condamné TNT FAA à payer 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- il a ordonné l'exécution provisoire nonobstant appel et sans caution,

- il a condamné TNT FAA aux dépens.

Y ajoutant et statuant a' nouveau :

1. dire que le préavis a couru a' compter de la lettre de rupture de TNT du 15 janvier 2018 ;

2. juger que la clause de préavis n'a pas été respecté par TNT FAA ; juger que le préavis devait être 24 mois ;

3. juger que la marge sur coûts variables était de 73,5 %,

4. en conséquence condamner TNT FAA a' payer a' MATIM la somme de 5.813.000 euros sauf a' parfaire au titre de préjudice subi du fait de la rupture brutale ;

5. prononcer la capitalisation des intérêts a' compter du 6 juin 2019 ;

6. débouté des demandes de TNT de toutes ses demandes.

7. condamner TNT FAA a' payer a' MATIM 30.000 euros au titre de l'article 700 du de code de procédure civile ;

8. condamner TNT FAA aux dépens, dont distraction au profit de Me Guerre, conformément a' l'article 699 du code de procédure civile.

2. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 29 mars 2024, la société TNT demande à la cour, au visa de l'arrêt de la Cour de cassation du 17 mai 2023, de bien vouloir :

- accueillir la société TNT FAA en son appel et l'y déclarer recevable bien fondée ;

- juger irrecevables les prétentions suivantes de la société Mail et Transport International Maroc (MATIM) :

- « dire que le préavis a couru à compter de la lettre de rupture de TNT du 15 janvier 2018 »

- « juger que la clause de préavis n'a pas été respectée par TNT FAA »

Si, par impossible, la Cour jugeait recevables ces prétentions, les juger mal fondée ;

- juger la société Mail et Transport International Maroc (MATIM) et M. [W] mal fondés en leur appel ;

- débouter la société Mail et Transport International Maroc (MATIM), et M. [W] de l'ensemble de leurs griefs, fins et prétentions ;

- infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Lyon du 18 juillet 2019 en ce qu'il a condamne' la société TNT FAA a' payer à la société' Mail et Transport International Maroc (MATIM), la somme de 2.098.000 euros en réparation du préjudice prétendument subi par cette dernière sur le fondement de l'article L. 442-6, I 5° du Code de commerce ;

- statuant à nouveau du chef du jugement réformé et dans la limite de la cassation partielle :

- débouter la société Mail et Transport International Maroc (MATIM), et M. [W] de l'ensemble de leurs griefs, fins et prétentions au visa de l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce, en ce compris de leurs demandes indemnitaires ;

- rappeler que la décision a' intervenir constitue un titre de restitution des fonds versées en application des dispositions infirmées du jugement assorti de l'exécution provisoire a' la société Mail et Transport International Maroc (MATIM) et M. [W] ;

- en tout état de cause :

- condamner in solidum la société Mail et Transport International Maroc (MATIM) et M. [W] a' verser a' la société TNT FAA la somme de 35.000 euros au titre de l'article 700 du code de proce'dure civile ;

- condamner in solidum la société Mail et Transport International Maroc (MATIM) et M. [W] aux entiers dépens d'instance, dont distraction au profit de la Selarl LX Avocats, prise en la personne de M° Matthieu Boccon-Gibod, conformément a' l'article 699 du code de procédure civile.

III/ MOTIFS DE LA DECISION

A. À titre liminaire, sur la jonction des procédures

17. Il y a lieu, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, d'ordonner la jonction des procédures inscrites au rôle de la cour sous les numéros de RG 23/14097 et 23/14594, qui portent sur la même décision, mettent en cause les mêmes parties et ont pour origine commune le même renvoi après cassation.

B. Sur la portée de l'arrêt de cassation et la recevabilité des demandes de la société MATIM et de M. [W]

18. La société TNT conclut à l'irrecevabilité des demandes de la société MATIM et de M. [W] relatives à la fixation du point de départ du préavis et au non-respect de la clause de préavis en faisant valoir que :

- la saisine de la cour, sur renvoi après cassation, est strictement limitée aux chefs de jugements cassés par la décision, les demandes qui dépassent le périmètre de la cassation étant irrecevables ;

- la stratégie de MATIM va au-delà de la seule reprise d'éléments de fait tranchés à travers l'arrêt, MATIM demandant à la cour, d'une part, de juger que le préavis a couru à compter de la lettre de rupture de TNT du 15 janvier 2018 et, d'autre part, que la « clause de préavis » n'a pas été respectée par TNT ;

- ces éléments, qui ont été tranchés de manière définitive par l'arrêt du 6 juillet 2021, n'entrent pas dans le périmètre de saisine de la cour de renvoi qui, au regard de la cassation prononcée doit limiter son appréciation à la question de savoir si le préavis de cinq mois exécuté par TNT du 2 octobre 2017 au 7 mars 2018 était raisonnable au regard des caractéristiques de la relation.

19. La société MATIM et M. [W] répliquent que :

- la Cour de cassation a relevé que la cour d'appel avait retenu à tort des éléments postérieurs à la rupture pour apprécier la durée du préavis à laquelle MATIM pouvait prétendre ;

- ces éléments, qui démontrent que MATIM a pu reprendre rapidement une activité profitable, ont nécessairement réduit l'appréciation qu'a eue la cour d'appel sur la durée du préavis ;

- en conséquence la portée de l'arrêt de cassation est de juger que la durée du préavis ne peut être minorée par la prise en compte d'éléments postérieurs à la rupture.

SUR CE :

20. En vertu de l'article 624 du code de procédure civile, pris dans sa rédaction issue du décret n° 2014-1338 du 6 novembre 2014, la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce. Elle s'étend à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.

21. En l'espèce, la cour d'appel de Paris a, dans son arrêt du 6 juillet 2021, tranché par des dispositions distinctes la question de la rupture de la relation commerciale entre TNT et MATIM, qu'elle a qualifiée de brutale, en confirmant sur ce point le jugement de première instance, et celle de l'indemnisation de cette rupture, pour laquelle, infirmant ce jugement et statuant à nouveau, elle a condamnée TNT au paiement de dommages et intérêts avec capitalisation des intérêts dus au titre de cette condamnation.

22. Pour qualifier de brutale la rupture de la relation commerciale entre ces deux sociétés, elle s'est prononcée, dans ses motifs, sur la durée du préavis, dont elle a fixé le point de départ, ainsi que sur le respect par TNT de son obligation de préavis.

23. La cassation prononcée par l'arrêt du 17 mai 2023 est limitée aux chefs de cette décision qui, infirmant le jugement de première instance, condamne la société TNT FAA a' payer a' MATIM la somme de 1 052 513 euros au titre de son préjudice pour la rupture brutale des relations commerciales avec intérêts au taux le'gal, et ordonne la capitalisation des inte'rêts dus pour une anne'e entie're.

24. Au regard de sa formulation, cette cassation partielle, dont la portée doit, en application du principe ci-avant rappelé, être appréciée en considération du seul dispositif de l'arrêt qui la prononce, indépendamment du moyen qui en est à l'origine, touche l'ensemble des éléments de fait et de droit relatifs à l'indemnisation du préjudice pour rupture brutale de la relation commerciale entre MATIM et TNT, la cour de céans étant appelée à juger à nouveau l'affaire sur ce point.

25. S'il ne lui appartient pas de se prononcer sur le caractère brutal de cette rupture, qui a été définitivement tranché par l'arrêt du 6 juillet 2021, il ne saurait en être déduit qu'elle ne peut connaître d'un débat sur la fixation du point de départ du préavis ou sur les conditions de cette rupture dès lors qu'il serait en lien avec la détermination de l'indemnisation du préjudice sur laquelle elle doit statuer, étant relevé, d'une part, qu'en application de l'article 480 du code de procédure civile, l'autorité de la chose jugée par le premier arrêt d'appel est limitée au seul dispositif de cette décision, à l'exclusion de ses motifs, qui ne lient pas la cour, et, d'autre part, que la société MATIM et M. [W] ne remettent nullement en cause le caractère brutal de la rupture, qu'ils revendiquent.

26. Il s'ensuit que, même à supposer que les « dire » et « juger » énoncés au points 1 et 2 de leurs conclusions, qui ne sont que la reprise de moyens relatifs au point de départ du préavis et à la clause de préavis, puissent être qualifiés de prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile, celles-ci ne sauraient être considérées comme irrecevables.

27. La fin de non-recevoir soutenue de ce chef par la société TNT sera en conséquence rejetée.

28. La cour ne peut en revanche confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la rupture était brutale, comme le demandent MATIM et M. [W], ce point n'entrant pas dans le champ de sa saisine pour les raisons précitées.

C. Sur l'indemnisation de la rupture brutale des relations commerciales

29. La société MATIM et M. [W] soutiennent que :

- il y a lieu de revoir à la hausse la durée du préavis, en tenant compte de l'ancienneté de la relation commerciale entre les deux sociétés, qui a duré 16 ans, et non 15 comme l'a relevé le tribunal de commerce ;

- il convient pour ce faire de prendre en considération l'état de dépendance économique dans lequel se trouvait MATIM vis-à-vis de TNT, qui est un facteur aggravant de la brutalité de la rupture et qui se trouve caractérisé par :

- l'exclusivité de l'activité de MATIM au profit de TNT, l'impossibilité d'une liste de prix fixes pour les prestations facturées,

- la détermination par TNT d'objectifs annuels à atteindre ainsi qu'une fixation évolutive des prix pour les prestations facturées par TNT à MATIM,

- la présence à demeure du directeur commercial de TNT entre 2015 et 2017,

- l'importance des investissements faits par MATIM pour développer la marque TNT, les spécificités du marché ainsi que les indications du contrats ;

- le point de départ du préavis doit être fixé au 15 janvier 2018, date de la lettre de rupture adressée par TNT à MATIM, qui est à l'origine de la résiliation du contrat, l'accord de confidentialité et l'appel d'offres signés avec FedEx ne pouvant avoir pour conséquence de modifier ce contrat, l'appel d'offres, en plus d'avoir été émis par un tiers, ne pouvant servir en lui-même de fondement à la rupture car la jurisprudence exige qu'une date de rupture soit précisée dans la notification de l'intention de rompre, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ;

- l'évaluation du préjudice doit prendre en compte le fait que l'activité de MATIM dépendait à 100 % de TNT, le taux de marge brute devant être de 73,5 % tel que démontré dans le rapport SORGEM.

30. La société TNT soutient que :

- le point de départ du délai de préavis est nécessairement le 2 octobre 2017, la lettre du 15 janvier 2018 n'étant que la réitération par TNT du contenu de l'accord de confidentialité du 2 octobre 2017 signé par MATIM ;

- MATIM et M. [W] tentent d'introduire un formalisme que l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce n'exige pas, ce texte n'imposant qu'une notification écrite annonçant de manière explicite la fin de la relation commerciale, formalisme que respecte l'accord de confidentialité ;

- l'effet relatif de l'accord de confidentialité signé avec Fedex ne peut empêcher TNT de se fonder sur ce document qui démontre que MATIM a reçu notification par écrit de la fin de la relation, l'accord indiquant clairement que TNT était visé, d'autant qu'il évoque exclusivement l'accord conclu entre MATIM et TNT ;

- l'appel d'offres traduit la volonté de ne pas poursuivre la relation ;

- TNT a exécuté le préavis contractuellement prévu ;

- le jugement attaqué doit nécessairement être infirmé, l'appréciation faite par la cour d'appel dans son arrêt sur le point de départ et la durée du préavis effectivement concédé, n'ayant pas été remise en cause par la Cour de cassation ;

- au regard des circonstances et des caractéristiques de la relation commerciale au moment de la notification de la rupture, le délai du préavis nécessaire à la reconversion de MATIM ne peut excéder une durée de cinq mois ;

- la notification de la rupture de la relation commerciale est intervenue concomitamment à la renonciation de MATIM à formuler une réclamation en lien avec la fin du contrat ;

- les caractéristiques de la relation commerciale ne démontrent aucune spécificité ;

- le tribunal a, à tort, fixé la durée de la relation commerciale à 15 ans en opérant une assimilation erronée entre le groupe TNT et l'entité TNT partie à la présente procédure ;

- MATIM n'a jamais établi une continuité de la relation depuis 2002 ;

- les pièces produites par cette société ne démontrent pas que la relation aurait débuté en 2001-2002 ;

- les stipulations de la clause de confidentialité ne donnent aucune indication sur la durée raisonnable du préavis à respecter ;

- MATIM n'était pas en situation de dépendance économique vis-à-vis de TNT ;

- la part du chiffre d'affaires réalisé par MATIM rattachable à l'activité avec TNT n'était pas de 100 % mais de 30 % ;

- MATIM n'a pas réalisé d'investissements spécifiques à la relation avec TNT et les installations et investissements sont en tout état de cause amortis et/ou réutilisables ;

- la relation ne portait pas sur des prestations techniques et spécifiques ;

- le marché était suffisamment fluide pour permettre à MATIM de se réorganiser rapidement ;

- au regard des circonstances et caractéristiques de la relation contractuelle au jour de la notification de la rupture la durée du préavis devait être de cinq mois, la cour devant dès lors écarter les demandes indemnitaires de MATIM ;

- quand bien même la durée de cinq mois serait jugée insuffisante, ces demandes doivent être écartées au regard du périmètre de la cassation, la cour étant appelée à prendre en considération des éléments postérieurs à la rupture, à défaut de quoi son évaluation heurterait le principe de réparation intégrale du préjudice ;

- en toute hypothèse, les éléments financiers produit par MATIM sont inopérants car le rapport qu'elle a fourni contient des anomalies.

SUR CE :

31.En application de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, pris dans sa version applicable au litige, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

32. Le préjudice découlant de la brutalité de la rupture, qui est seul indemnisable, à l'exclusion de la rupture elle-même, s'évalue en considération de la marge brute escomptée, c'est-à-dire la différence entre le chiffre d'affaires hors taxe escompté et les coûts variables hors taxe non supportés durant la période d'insuffisance de préavis, le délai de préavis suffisant devant être apprécié en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances au moment de la notification de la rupture.

33. Les parties s'opposent en l'espèce sur l'ensemble de ces éléments.

(i) Sur la durée de la relation commerciale

34. Il est acquis aux débats que le contrat d'exploitation commune liant MATIM à TNT a été conclu le 24 avril 2009 et que la relation commerciale entre ces deux sociétés a pris fin le 7 mars 2018, soit une période de neuf années.

35. MATIM et M. [W] n'en concluent pas moins à l'existence d'une relation commerciale antérieure, née en 2002, ce que conteste TNT.

36. L'examen des pièces versées aux débats fait à cet égard apparaître que :

- le site internet de TNT mentionne la création officielle de TNT Express Maroc en 2002 et précise que « Son directeur général est [U] [W] » ;

- il fait état des activités de TNT Express Maroc pour les années 2003 (« TNT Express Maroc étoffe sa gamme et propose en plus des services Global Express la livraison same day en Europe »), 2006 (lancement de nouveaux services, dotation de traitement d'une plateforme) et 2008 (agrandissement du réseau avec l'ouverture d'agences en 2008) ;

- dans un courrier du 21 décembre 2021 adressé à M. [W], dont la preuve de l'inauthenticité, alléguée par TNT, n'est pas rapportée, M. [P] [T] atteste, en sa qualité de directeur général de TNT FAA, que la société MATIM « représentera TNT International Express au Maroc pour la livraison et la collecte des documents et colis express » ;

- M. [F] [E], ancien directeur général de TNT Express France, aujourd'hui retraité, atteste de son côté, pour les besoins de la procédure, s'être rendu à [Localité 4] en 2004 avec M. [T] pour « rencontrer notre associé FAA au Maroc, en l'occurrence la société Matim, représentée par [U] [W] » ;

- il relève que « l'activité était déjà conséquente, ayant commencée en septembre 2002 pour la partie import ['] et en janvier 2003 pour la partie export », précise avoir demandé à MATIM « par la suite (2006 je pense) ['] une activité de service client », et conclue avoir « quitté [ses] fonctions en décembre 2007 avec le sentiment, après 4 ans de collaboration suivie avec Matim, que la franchise TNT était en bonnes mains, et que nous avions sur place un partenaire fiable » ;

- la partialité de ce témoignage n'est en rien démontrée par TNT, qui se borne à évoquer les circonstances houleuses du départ de M. [E] sans en rapporter la preuve, la violation contractuelle de son engagement de ne pas attester contre TNT n'étant pas de nature à invalider la véracité de ses déclarations.

37. La combinaison de ces éléments fait apparaître l'existence d'une relation commerciale suivie, stable et continue entre MATIM et TNT ayant débuté dès 2002, le fait que TNT FAA n'a été créée qu'en 2009 et que le contrat d'exploitation n'a été signé que cette année-là ne pouvant à cet égard être considéré comme diriment dès lors que la relation ainsi caractérisée s'inscrit dans une continuité et une volonté commune de TNT, quelle qu'en soit la forme ou le représentant, et MATIM d'entretenir cette relation, dont attestent les pièces versées aux débats.

38. La cour retiendra en conséquence que la durée de la relation commerciale a été de 16 ans.

(ii) Sur la durée du préavis éludé et les circonstances de la rupture

39. La date de référence pour l'appréciation de la durée du préavis est celle de la notification de la rupture, qui correspond à l'annonce faite par le partenaire de son intention de ne pas poursuivre la relation commerciale.

40. Les parties s'opposent sur ce point, MATIM et M. [W] retenant le 15 janvier 2018, date de la lettre de rupture adressée par TNT, quand cette dernière soutient que la notification est intervenue lors de la signature par MATIM de l'accord de confidentialité du 2 octobre 2017 dans le cadre de d'un appel d'offres.

41. Il résulte à cet égard des pièces versées aux débats que :

- MATIM a accepté de participer à une procédure de "Request for proposal for Global Service Participant/Associate in Morroco" (RPG) lancée par « FedEx/TNT » le 1er octobre 2017 afin de sélectionner son prestataire pour le marché marocain ;

- elle a signée à cette fin, le 2 octobre 2017, un Non-disclosure agreement dont l'article 8.3 énonce l'engagement pris par cette société de « renoncer à toute revendication à l'encontre de FedEx et/ou TNT découlant de l'accord d'exploitation commune/contrat de prestataire mondial au cas où elle ne serait pas sélectionnée en qualité de prestataire dans le cadre du RPG » et « reconnaît qu'en pareil cas, la présente lettre sera interprétée et considérée comme le point de départ du préavis de résiliation » ;

- par lettre du 15 janvier 2018, TNT FAA a notifié à MATIM la « Résilitation du contrat d'exploitation commune ['] en date du 24 avril 2009 », ce document, qui fait expressément référence au « processus de revue et sélection encadre (sic) par le "Non-disclosure agreement" daté du 15 octobre 2017 », énonçant à cet effet que : « Nous souhaitons vous notifier de (sic) la mise en 'uvre de la période de préavis de 45 jours au terme de laquelle la résiliation produira juridiquement ses effets, et ce à compter de la réception de la présente » et rappelant les stipulation de l'article 4.5 du contrat relatives à la résiliation.

42. S'il est admis que la notification écrite du recours à un appel d'offres constitue le point de départ du délai de préavis, cette notification n'est régulière et le préavis ne commence à courir que si la date de rupture y est précisée, cette information permettant seule à la personne concernée de se projeter et d'organiser son redéploiement ou sa reconversion en disposant de la visibilité indispensable à toute anticipation.

43. Or, force est de constater qu'en l'espèce, la date de rupture n'est précisée ni par le Request for proposal for Global Service Participant, ni par le Non-disclosure agreement, de sorte que la procédure d'appel d'offres invoquée par TNT ne peut être considérée comme constituant le point de départ du délai de préavis, étant relevé que le contrat d'exploitation ne fixe pas un préavis de 45 jours, mais d' « au moins 45 jours », de sorte que la détermination de son seul point de départ par le non-disclsosure agreement ne permet pas d'en connaître le terme.

44. Le point de départ du délai de préavis doit en conséquence être daté du 15 janvier 2018, la lettre de résiliation adressée par TNT à MATIM réunissant toutes les conditions requises pour une notification régulière de la rupture, de sorte que la durée effective du préavis a été de 52 jours.

45. Le préavis suffisant au sens de l'article L. 441-2, II, du code de commerce s'entend du temps nécessaire au partenaire évincé pour réorienter son activité en bénéficiant, sauf circonstances particulières, d'un maintien des conditions antérieures. Il s'apprécie au terme d'une analyse concrète de la relation commerciale, tenant compte de sa durée, du volume d'affaires réalisé, de la notoriété du client, du secteur concerné, du temps nécessaire pour retrouver un autre partenaire et des circonstances de la rupture, le juge pouvant prendre en considération l'existence d'un état de dépendance économique, entendu comme l'impossibilité pour le partenaire concerné de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu'il a nouées avec une autre entreprise, sous réserve qu'elle ne soit pas imputable à la victime de la rupture.

46. Il apparaît, au cas présent, que la relation commerciale a été longue de 16 années.

47. Le chiffre d'affaires généré par cette relation et sa part dans l'activité de MATIM fait l'objet d'un débat entre les parties, qui produisent différents rapports (SOGEM Evaluation des 29 juin et 17 octobre 2018 et Incent Evaluation du 5 avril 2021 pour MATIM) et contre-rapports (Mazars du 25 septembre 2018 et BM&A du 10 mars et du 15 avril 2021 pour TNT) de l'analyse desquels la cour retient que :

- le chiffre d'affaires de MATIM pour la période 2014 à 2017, correspondant aux quatre années précédant la rupture, est stable, avec une moyenne de 43 522 066 MAD, soit 3 975 453 euros, sur la base d'un taux de change moyen EUR/MAD égal à 10.9477 sur la période de référence ;

- la part prise par les activités liées à la relation avec TNT dans ce chiffre d'affaires ne peut être cantonnée à 30 %, comme le soutient TNT, ce ratio ne couvrant que l'activité de livraison sur le territoire du Maroc des plis et colis en provenance de l'étranger avec facturation directe par les clients, sans prendre en considération les autres activités conduites dans le cadre de cette relation ;

- ces autres activités comprennent les clients directement facturés par MATIM (évaluées à hauteur de 20 %), l'expédition à l'international de colis de clients installés au Maroc (29 %) ainsi que des activités de magasinage (9 %), les autres prestations représentant des activités annexes et transactions pouvant être regardées comme indépendantes de TNT, ainsi que le relève l'expert [Z] dans son analyse des principales activités de la société ;

- il y a lieu en conséquence de considérer que la part prise par la relation commerciale dans l'activité conduite par MATIM correspondait à 88 %, taux que conforte l'existence d'une clause d'exclusivité insérée dans le contrat pour toutes les prestations relatives aux « Envois Import », MATIM s'engageant en outre à utiliser dans les pays d'exploitation exclusivement les services de TNT.

48. En présence d'une telle clause d'exclusivité, cette part d'activité établit l'existence d'une situation de dépendance économique propre à obérer les possibilités de redéploiement de l'activité à bref délai qu'il convient de prendre en considération pour la détermination de la durée du préavis.

49. Si MATIM et M. [W] invoquent par ailleurs avoir réalisé d'importants investissements dédiés à la relation commerciale litigieuse, ils ne démontrent pas, en revanche, que ceux-ci n'auraient pas été amortis ou ne seraient pas aisément reconvertibles.

50. Ils ne démontrent pas davantage la spécificité du marché dont ils se prévalent, le moyen développé de ce chef n'étant soutenu par aucune pièce.

51. Au regard de ces éléments appréciés globalement, il y a lieu de fixer à 16 mois la durée du préavis qui aurait dû être consenti, la durée du préavis éludé s'établissant alors à 14,3 mois.

(iii) Sur le quantum de l'indemnisation

52. Le préjudice subi par MATIM est constitué de son gain manqué, qui correspond à la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, appliquée au chiffre d'affaires moyen hors taxe qui aurait été généré pendant la durée du préavis éludé.

53. Le préjudice correspond ainsi à sa perte de marge brute durant 14,3 mois, le chiffre d'affaires auquel le taux de marge brute doit être appliqué étant celui correspondant aux exercices non affectés par la rupture, seuls représentatifs.

54. Il résulte à cet égard des développements qui précèdent que le chiffre d'affaires de référence à prendre en considération s'établit à l'équivalent de 3 975 453 euros.

55. Il apparaît par ailleurs, sur la marge sur coûts variables, que :

- le taux de marge retenue par les juges de première instance à hauteur de 43 % n'est attesté par aucun élément versé aux débats ;

- le rapport SORGEM produit par MATIM et M. [W] et les rapports subséquents retiennent un taux de marge sur coûts variables de 73,5 % calculé sur le chiffre d'affaires moyen des quatre dernières années de la relation, à partir des éléments de comptabilité produits par MATIM ;

- ce taux est contesté par TNT, qui fait valoir que ces comptes n'ont pas été audités et que le taux retenu, particulièrement élevé, n'est pas documenté ;

- les rapports Mazars et BM&A produits au soutien de cette position retiennent un taux après déduction des coûts de 56,7 % sur la même période, calculé sur les achats et autres approvisionnements, le rapport BM&A relevant la difficulté tenant au fait que la comptabilité marocaine enregistre les charges par nature et que leur caractère variable ou fixe ne peut être, pour un certain nombre de postes, valablement établi, sans avoir accès à la comptabilité de MATIM, assertion non utilement démentie par cette dernière, le taux proposé de 56,7 % correspondant des achats aisément identifiables comme variables.

56. En considération de ces éléments, la cour retiendra ce dernier taux pour déterminer la marge sur coûts variables, qui s'élève donc à la somme de 2 226 253 euros, soit une moyenne mensuelle de 185 521 euros.

57. Il s'ensuit que le préjudice indemnisable au titre du gain manqué pour la période de 14,3 mois de préavis éludé s'établit à la somme arrondie de 2 652 950 euros.

58. Il y a lieu, en conséquence, d'infirmer le jugement querellé et de condamner la société TNT à payer cette somme en réparation du préjudice causé par rupture brutale de sa relation commerciale avec la société MATIM, avec intérêts au taux légal.

59. La capitalisation des intérêts nés de cette condamnation sera ordonnée pour une année entière, en application de l'article 1343-5 du code civil, la demande relative à la fixation du point de départ de cette capitalisation au 6 juin 2019 étant rejetée, cette date ne correspondant à aucune demande de capitalisation de la société MATIM.

D. Sur les frais et dépens

60. TNT, qui succombe en ses prétentions, sera condamnée aux dépens, les demandes qu'elle forme au titre de l'article 700 du code de procédure civile étant rejetées.

61. Elle sera en outre condamnée à payer à MATIM et à M. [W] la somme globale de 20 000 euros, la cour rappelant sur ce point que la décision de la cour d'appel de Paris du 6 juillet 2021 n'a pas été cassée en ces dispositions relatives aux frais irrépétibles.

IV/ DISPOSITIF

Par ces motifs, la cour :

1) Ordonne la jonction des procédures inscrites au rôle de la cour sous les numéros de RG 23/14097 et 23/14594, sous le numéro de RG unique 23/14097 ;

2) Rejette la fin de non-recevoir soutenue par la société TNT FAA relative aux demandes de la société Mail et Transport International Maroc (MATIM) et de M. [U] [W] visant à voir « dire que le préavis a couru a' compter de la lettre de rupture de TNT du 15 janvier 2018 » et « juger que la clause de préavis n'a pas e'te' respectée par TNT FAA » ;

3) Dit n'y avoir lieu à confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la rupture était brutale ;

4) Infirme le jugement querellé en ce qu'il a condamné la société TNT FAA à payer à la société Mail et Transport International Maroc (MATIM) la somme de 2 098 000 € en réparation du préjudice subi ;

5) Condamne la société TNT FAA à payer à la société Mail et Transport International Maroc (MATIM) la somme de deux millions six cent cinquante deux mille neuf cent cinquante euros (2 652 950 €) en réparation de son préjudice pour rupture brutale de la relation commerciale, avec intérêt au taux légal ;

6) Ordonne la capitalisation des intérêts ;

7) Rejette toute demande plus ample ou contraire ;

8) Condamne la société TNT FAA aux dépens, Maître Florence Guerre pouvant recouvrer directement ceux dont elle aurait fait l'avance sans en avoir reçu provision, conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;

9) Condamne la société TNT FAA à payer à la société Mail et Transport International Maroc (MATIM) et à M. [U] [W] la somme globale de vingt mille euros (20 000,00 €) en application de l'article 700 du code de procédure civile.