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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 16, 2 juillet 2024, n° 21/17912

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Essity Aktiebolag (Sté), Essity Hygiene and Health AB (Sté), Essity Operations (Sté)

Défendeur :

TB Plast (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Barlow

Vice-président :

Mme Schaller

Conseiller :

Mme Aldebert

Avocats :

Me Dujardin, Me Lebon, Me Boccon Gibod, Me Briswalder, Me Gagne

T. com. Lyon, du 27 sept. 2021, n° 2010J…

27 septembre 2021

I/ FAITS ET PROCEDURE

1. La cour est saisie de l'appel interjeté le 13 octobre 2021 par les sociétés ESSITY contre le jugement rendu par le tribunal de commerce de Lyon le 27 septembre 2021 qui, statuant sur la loi applicable au terme d'une procédure sur la compétence, a jugé que la loi française était applicable et a renvoyé les parties à conclure au fond.

2. Le litige trouve son origine dans la rupture en 2009 d'un accord-cadre d'approvisionnement portant sur des distributeurs de serviettes en papier, signé le 8 avril 2004 entre :

- la société suédoise SCA Hygiene Products AB, devenue Essity Hygiene and Health AB, qui vend des produits de soin et d'hygiène ainsi que du papier et des conditionnements (ci-après « la société Essity AB »),

et

- la société de droit français Altiplast, devenue TB Plast dont l'activité est la fabrication de pièces techniques à partir de matières plastiques (ci-après « TB Plast »).

3. La société TB Plast fait grief aux sociétés qui composent le groupe Essity (la société mère suédoise Svenska Cellulosa Aktiebolaget (SCA), devenue Essity Aktiebolag, la société Essity AB, et deux sociétés allemandes filiales de SCA, devenues la première Essity Operations [Localité 7] GmbH et la seconde Essity Operations [Localité 6] GmbH, toutes ensemble ci-après dénommées « les sociétés Essity ») d'avoir partiellement rompu brutalement leurs relations commerciales et commis des pratiques abusives, et les a assignées devant le tribunal de commerce de Lyon par exploits datés d'avril et mai 2010, sur le fondement de l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce applicable à l'époque des faits litigieux.

4. Par jugement en date du 17 septembre 2012, le tribunal de commerce de Lyon s'est déclaré incompétent, considérant que le litige était de nature délictuelle, que le lieu du fait dommageable était en Suède et que la juridiction de Göteborg (Suède) était dès lors compétente.

5. La société Altiplast a formé contredit devant la cour d'appel de Lyon et, après un pourvoi en cassation, devant la cour d'appel de Paris comme habilitée à connaître du contredit.

6. Par un arrêt du 13 mars 2018, la cour d'appel de Paris a indiqué que le tribunal de commerce de Lyon était compétent pour statuer sur le présent litige. Le pourvoi en cassation contre cet arrêt a été rejeté le 19 septembre 2019.

7. Par jugement en date du 27 septembre 2021 le tribunal de commerce de Lyon a :

' Jugé recevable la société TB PLAST, venant aux droits de la société ALTIPLAST, en ses demandes.

' Jugé que la loi française est applicable pour l'interprétation du litige entre les parties en vertu de l'application des lois de police de la convention de Rome I.

' Enjoint les parties à conclure au fond, et les renvoie à l'audience du juge de l'orientation du vendredi 22 octobre 2021 à 9h00.

' Débouté les sociétés ESSITY AKTIEBOLAG, anciennement dénommée SVENSKA CELLULOSA AKTIEBOLAGET (SCA), ESSITY OPERATIONS [Localité 7] GmbH, anciennement dénommée SCA HYGIÈNE PRODUCTS GMBH ([Localité 7]) et ESSITY OPERATIONS [Localité 6] GMBH anciennement dénommée SCA HYGIÈNE PRODUCTS GMBH ([Localité 6]), de leur demande de dommages et intérêts.

8. Par déclaration du 13 octobre 2021, les sociétés ESSITY ont interjeté appel de ce jugement devant la cour d'appel de Paris. L'appel a été déclaré recevable par un arrêt sur déféré en date du 18 avril 2023.

9. La clôture a été prononcée le 12 décembre 2023.

10. L'affaire a été appelée à l'audience de plaidoirie du 23 janvier 2024.

II/ PRETENTIONS DES PARTIES

11. Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 20 novembre 2023, les sociétés ESSITY demandent à la cour de bien vouloir :

- DIRE la société de droit suédois ESSITY AKTIEBOLAG, anciennement dénommée SVENSKA CELLULOSA AKTIEBOLAGET (SCA), la société de droit suédois ESSITY HYGIENE AND HEALTH AB, anciennement dénommée SCA HYGIENE PRODUCTS AB, les sociétés de droit allemand ESSITY OPERATIONS [Localité 7] GmbH, anciennement dénommée SCA HYGIENE PRODUCTS GmbH ([Localité 7]) et ESSITY OPERATIONS [Localité 6] GmbH, anciennement dénommée SCA HYGIENE PRODUCTS GmbH ([Localité 6]) recevables et bien fondées en leur appel ;

- RÉFORMER la décision entreprise rendue le 27 septembre 2021 (RG n°2010J1770) par le tribunal de commerce de Lyon,

Statuant à nouveau :

Sur la recevabilité

Sur les demandes dirigées contre la société suédoise ESSITY AKTIEBOLAG, anciennement dénommée SVENSKA CELLULOSA AKTIEBOLAGET (SCA), et les sociétés allemandes ESSITY OPERATIONS [Localité 7] GmbH, anciennement dénommée SCA HYGIENE PRODUCTS GmbH ([Localité 7]) et ESSITY OPERATIONS [Localité 6] GmbH, anciennement dénommée SCA HYGIENE PRODUCTS GmbH ([Localité 6]) :

Vu les articles 9, 32 et 122 du Code de procédure civile

- JUGER que la société TB PLAST ne justifie pas d'un droit d'agir à l'encontre de la société suédoise ESSITY AKTIEBOLAG, anciennement dénommée SVENSKA CELLULOSA AKTIEBOLAGET (SCA), et des sociétés allemandes ESSITY OPERATIONS [Localité 7] GmbH, anciennement dénommée SCA HYGIENE PRODUCTS GmbH ([Localité 7]) et ESSITY OPERATIONS [Localité 6] GmbH, anciennement dénommée SCA HYGIENE PRODUCTS GmbH ([Localité 6]) ;

- Déclarer la société TB PLAST irrecevable en son action à leur encontre ;

Sur la loi applicable

Sur la loi applicable aux demandes dirigées contre la société suédoise ESSITY HYGIENE AND HEALTH AB, anciennement dénommée SCA HYGIENE PRODUCTS AB :

Vu les articles 3.1 et 9 du règlement (CE) N°593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles

Si de besoin, vu les articles 3.1 et 7.1 de la Convention de ROME du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles,

Vu l'article 21 du contrat du 8 avril 2004 conclu entre les sociétés SCA HYGIÈNE PRODUCTS AB et ALTIPLAST

- JUGER que les parties ont choisi la loi allemande ;

- JUGER que la clause d'electio juris de l'article 21 du contrat est générale ;

- JUGER que la société TB PLAST ne justifie pas d'une limitation de la portée de ladite clause selon le droit allemand applicable à son interprétation ;

- JUGER que la loi allemande est applicable ;

Subsidiairement, à supposer l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce qualifié loi de police

- JUGER que le marché concerné par les fournitures et la relation commerciale sont situés hors de France et que la société TB PLAST ne rapporte pas la preuve de ce que le marché français serait impacté par la situation contractuelle entre les parties ;

- JUGER que les liens les plus étroits sont avec l'Allemagne ;

- JUGER que les dispositions de l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce n'ont pas vocation à s'appliquer ;

- JUGER la loi allemande applicable ;

- JUGER que la société TB PLAST ne rapporte pas la preuve du bien fondé de ses prétentions au regard de la loi allemande ;

- DÉBOUTER la société TB PLAST de ses demandes, fins et conclusions ;

Subsidiairement, sur la loi applicable aux demandes dirigées contre les sociétés allemandes ESSITY OPERATIONS [Localité 7] GmbH, anciennement dénommée SCA HYGIENE PRODUCTS GmbH ([Localité 7]) et ESSITY OPERATIONS [Localité 6] GmbH, anciennement dénommée SCA HYGIENE PRODUCTS GmbH ([Localité 6])

Vu les articles 3.1 et 9 du règlement (CE) n°593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles

Si de besoin, vu les articles 3.1 et 7.1 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles

Vu l'article 21 du contrat du 8 avril 2004 conclu entre les sociétés SCA HYGIENE PRODUCTS AB et ANTIPLAST

- JUGER, qu'il résulte du contrat et des circonstances de la cause que la loi choisie est la loi allemande pour toutes les commandes ;

- JUGER que les dispositions de l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce ne constituent pas une loi de police en matière transfrontalière ;

- JUGER la loi allemande applicable ;

Subsidiairement

Vu les articles 3.3 et 9 du règlement (CE) N°593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles et la jurisprudence européenne

Si de besoin, vu les articles 4.1, 4.5 et 7 de la Convention de ROME du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles

- Juger qu'il résulte de l'ensemble des circonstances de la cause que la relation présente des liens manifestement plus avec l'Allemagne ;

- Juger que les dispositions de l'article L.442-6, I ,5° du Code de commerce ne constituent une loi de police en matière transfrontalière ;

- Juger la loi allemande applicable ;

Infiniment subsidiairement à supposer l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce comme étant une loi de police :

- JUGER que le marché concernant d'une part les fournitures et la relation commerciale sont situés hors de France et que la société TB PLAST ne rapporte pas la preuve de ce que le marché français serait impacté par la situation contractuelle entre les parties

- JUGER que les liens les plus étroits sont avec l'Allemagne ;

- JUGER que les dispositions de l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce n'ont pas vocation à s'appliquer ;

- JUGER la loi allemande applicable ;

- JUGER que la société TB PLAST ne rapporte pas la preuve du bien fondé de ses prétentions au regard de la loi allemande ;

En tout état de cause, reconventionnellement

Vu les articles 3 et 1240 du code civil, anciennement 1382, du code civil,

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

- JUGER abusive et vexatoire la procédure dirigée par la société TB PLAST à l'encontre des sociétés ESSITY AKTIEBOLAG, anciennement dénommée SVENSKA CELLULOSA AKTIEBOLAGET (SCA), ESSITY OPERATIONS [Localité 7] GmbH, anciennement dénommée SCA HYGIENE PRODUCTS GmbH ([Localité 7]) et ESSITY OPERATIONS [Localité 6] GmbH, anciennement dénommée SCA HYGIENE PRODUCTS GmbH ([Localité 6]).

- CONDAMNER la société TB PLAST au paiement de la somme de 30. 000 € à titre de dommages et intérêts pour abus du droit d'ester en justice.

- CONDAMNER la société TB PLAST à payer aux sociétés appelantes la somme de 40.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens avec droit pour Maître Hélène DUJARDIN de se prévaloir de ses dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

12. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 4 décembre 2023, TB PLAST demande, au visa des dispositions de la Convention de Rome du 19 juin 1980, de l'article L.442-6, I, 4° et 5° du code de commerce, des articles 9, 31, 544, 545, 700 et 1355 du code de procédure civile à la cour de bien vouloir confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Lyon du 27 septembre 2021 et jugera pour ce faire :

1. Sur la confirmation de la recevabilité de l'action introduite par la société TB Plast à l'encontre des sociétés Svenska Cellulosa Aktiebolaget, SCA Hygiene Products GmbH ([Localité 7]) et SCA Hygiene products Gmbh Meinz-Kostheim)

- JUGER que la demande des sociétés SCA n'est pas fondée en droit ;

- JUGER au contraire que la société TB PLAST justifie d'une relation commerciale établie avec les sociétés Svenska Cellulosa Aktiebolaget, SCA Hygiène Products GmbH ([Localité 7]) et SCA Hygiène Products Gmbh (Meinz-Kostheim) ;

En conséquence ;

- CONFIRMER le jugement rendu le 27 septembre 2021 par le Tribunal de commerce de Lyon en ce qu'il a déclaré la société TB Plast recevable en ses demandes à l'encontre des sociétés Svenska Cellulosa Aktiebolaget, SCA Hygiène Products GmbH ([Localité 7]) et SCA Hygiène Products Gmbh (Meinz-Kostheim) ;

2. Sur la confirmation du Jugement en ce qu'il a déclaré applicable la loi française

A titre liminaire

- JUGER que la compétence des juridictions françaises pour connaître des demandes de la société TB Plast fondées sur les dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce a été définitivement retenue par un arrêt de la Cour de cassation du 19 septembre 2019 (RG 18-18.363) ;

- JUGER que la contestation soulevée par les sociétés Svenska Cellulosa Aktiebolaget, SCA Hygiène Products GmbH ([Localité 7]) et SCA Hygiène Products Gmbh (Meinz- Kostheim) au titre de l'inapplicabilité du droit français ensuite de l'arrêt de la Cour de cassation, revient à tenter de remettre en cause ce dernier, alors qu'il s'agit d'une décision définitive ayant l'autorité de la chose jugée ;

En conséquence,

- CONFIRMER le jugement rendu le 27 septembre 2021 par le Tribunal de commerce de Lyon en ce qu'il a jugé que la loi française était applicable au litige ;

A titre principal

- JUGER que la rupture brutale des relations commerciales fondée sur les dispositions de l'article L.442-6 I 5° du Code de commerce engage la responsabilité contractuelle de son auteur dans le cadre d'un litige transnational ;

- JUGER en conséquence que les dispositions de la Convention de Rome du 19 juin 1980 trouvent à s'appliquer

- JUGER que l'article L.442-6 I 5° du Code de commerce est une loi de police dans le cadre d'un litige international et dès lors qu'il trouve à s'appliquer quelle que soit la loi applicable de manière plus globale à la relation entretenue ;

En conséquence,

- CONFIRMER le jugement rendu le 27 septembre 2021 par le Tribunal de commerce de Lyon en ce qu'il a jugé que la loi française était applicable au litige ;

A titre subsidiaire

- JUGER que la clause de la loi applicable insérée au contrat d'approvisionnement conclu entre la société TB Plast et la société SCA Products AB, n'est pas applicable aux demandes fondées sur la rupture brutale des relations commerciales ;

- JUGER que la loi française a les liens les plus étroits au titre de la relation contractuelle entretenue entre la société TB Plast et les sociétés Svenska Cellulosa Aktiebolaget SCA, SCA Hygiène Products GmbH ([Localité 7]) et SCA Hygiène Products Gmbh (Meinz-Kostheim) ;

En conséquence,

- CONFIRMER le jugement rendu le 27 septembre 2021 par le Tribunal de commerce de Lyon en ce qu'il a déclaré que la loi française était applicable au litige ;

3. Sur la confirmation du Jugement en ce qu'il a débouté les sociétés Svenska Cellulosa Aktiebolaget, SCA Hygiène Products GmbH ([Localité 7]) et SCA Hygiène Products Gmbh (Meinz-Kostheim) de leur demande reconventionnelle

- JUGER que la société TB Plast est bien fondée à ester en justice ;

- JUGER que les sociétés Svenska Cellulosa Aktiebolaget, SCA Hygiène Products GmbH ([Localité 7]) et SCA Hygiène Products Gmbh (Meinz-Kostheim ne justifient pas d'éléments permettant de fonder leur demande ;

En conséquence,

- CONFIRMER le jugement rendu le 27 septembre 2021 par le Tribunal de commerce de Lyon en ce qu'il a débouté les sociétés Svenska Cellulosa Aktiebolaget, SCA Hygiène Products Gmbh ([Localité 7]) et SCA Hygiène Products Gmbh (Meinz-Kostheim) de leur demande de dommages et intérêts ;

En tout état de cause

- DÉBOUTER les sociétés Svenska Cellulosa Aktiebolaget, SCA Hygiène Products GmbH ([Localité 7]) et SCA Hygiène Products Gmbh (Meinz-Kostheim) de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

- CONDAMNER les sociétés SCA Hygiène Products AB, Svenska Cellulosa Aktiebolaget, SCA Hygiène Products GmbH ([Localité 7]) et SCA Hygiène Products Gmbh (Meinz-Kostheim), in solidum à verser la somme de 10. 000 € à la société TB Plast au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- CONDAMNER les sociétés SCA Hygiène Products AB, Svenska Cellulosa Aktiebolaget, SCA Hygiène Products GmbH ([Localité 7]) et SCA Hygiène Products Gmbh (Meinz-Kostheim), in solidum aux entiers dépens ;

- RENVOYER les parties à la présente instance devant le Tribunal de commerce de Lyon au titre des demandes « au fond » de la société TB Plast ;

13. La cour renvoie aux écritures susvisées des parties pour le détail de leurs arguments et moyens, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

III/ MOTIFS DE LA DECISION

A) Sur la recevabilité de l'action

14 . Les sociétés appelantes soutiennent, au visa des articles 122 et 32 du code de procédure civile, que TB Plast, venant aux droits de ALTIPLAST est irrecevable à agir à l'encontre de la société suédoise ESSITY AKTIEBOLAG, anciennement dénommée SVENSKA CELLULOSA AKTIEBOLAGET (SCA), et des sociétés allemandes ESSITY OPERATIONS [Localité 7] GmbH, anciennement dénommée SCA HYGIÈNE PRODUCTS GmbH ([Localité 7]) et ESSITY OPERATIONS [Localité 6] GmbH, anciennement dénommée SCA HYGIÈNE PRODUCTS GmbH ([Localité 6]).

Elles font valoir que :

- Il appartient au demandeur de justifier de son droit d'agir et non au défendeur de rapporter la preuve du défaut de droit d'agir du demandeur

- Un groupe de société n'a pas de personnalité morale et ne peut constituer un partenaire commercial au sens de l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce

- Les relations effectivement et réellement entretenues entre des personnes morales ou physiques ne peuvent être appréciées de manière globale au niveau d'un groupe de personnes juridiquement distinctes les unes des autres et indépendantes, mais doivent faire l'objet d'un lien contractuel effectif entre lesdites sociétés

- L'action en réparation du préjudice lié à la rupture brutale d'une relation commerciale établie entre les parties, relève de la matière contractuelle

- Il incombe au demandeur de démontrer l'existence d'une relation commerciale avec chaque société défenderesse, ce qu'il ne fait pas,

- La société Essity Aktiebolag est une société holding, sans activité commerciale,

- Les sociétés allemandes Essity [Localité 7] et Essity [Localité 6] ne sont pas les co-contractantes de TB Plast, mais seulement destinataires des marchandises,

- Faute de démontrer l'existence d'un lien de droit entre TB Plast et les sociétés ESSITY AKTIEBOLAG, société mère holding, ESSITY OPERATIONS [Localité 7], GmbH, et ESSITY OPERATIONS [Localité 6] GmbH, la société TB Plast est irrecevable à agir à leur encontre.

15. En réponse, TB Plast soutient qu'elle est recevable à agir à l'encontre de toutes les défenderesses. Elle fait valoir que :

- TB Plast justifie avoir entretenu une relation commerciale établie avec l'ensemble des sociétés assignées,

- Elle rappelle que la société Essity Aktiebolag SCA a acquis la société Segas en 2003 et que du fait de cette absorption la relation précédemment entretenue par Segas avec Altiplast a été poursuivie par la société mère holding SCA ce qui justifie sa mise en cause,

- Concernant les sociétés allemandes SCA Hygiène Products GmbH ([Localité 6] et [Localité 7]), les factures établies par Altiplast démontrent leur relation commerciale avec Altiplast,

- Le fait qu'un groupe de sociétés n'ait pas de personnalité morale n'est pas contesté, TB Plast n'ayant pas assigné un groupe, mais ayant assigné nommément les entités indépendantes de ce groupe, chacune ayant la personnalité morale,

- Son action est dès lors recevable à l'égard de ces sociétés.

Sur ce

16. Selon l'article 122 du code de procédure civile « constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ».

17. Il résulte de l'article 30 du code de procédure civile que « l'action est le droit, pour l'auteur d'une prétention, d'être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée. Pour l'adversaire, l'action est le droit de discuter le bien-fondé de cette prétention. »

18. En vertu de l'article 31 du même code, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention ou pour défendre un intérêt déterminé.

19. En l'espèce, contrairement à ce qui est soutenu, les différentes personnes morales ont été appelées en la cause à titre individuel et non collectivement en tant que « groupe », chacune ayant été assignée et chacune ayant interjeté appel.

20. La fin de non-recevoir alléguée selon laquelle TB Plast aurait assigné un groupe de sociétés dénué de personnalité juridique manque en fait.

21. Par ailleurs, la contestation de la mise en cause de chacune d'elle sur le fondement de la rupture brutale de relations commerciales établies et la contestation de l'existence d'un lien contractuel effectif entre TB Plast et lesdites sociétés ne constitue pas une fin de non-recevoir mettant en jeu la qualité ou l'intérêt à agir de TB Plast à leur égard, mais porte sur le bien-fondé des demandes formulées et ne permet pas de déclarer TB Plast irrecevable à agir contre elles, sans examen au fond.

22. Enfin, le fait que la société Holding n'ait pas d'activité propre ne conditionne pas son droit à défendre, ni le droit de la société TB Plast de l'attraire en justice pour répondre de demandes formulées à son encontre, quand bien même elle ne serait pas liée contractuellement avec TB Plast, ce moyen étant un moyen de fond et non de recevabilité ou d'intérêt à agir.

23. Le moyen sera dès lors rejeté.

B) Sur la loi applicable

24. Les sociétés ESSITY soutiennent que la loi française n'est pas applicable pour trancher le litige, que ce soit à l'égard de la société Essity AB avec laquelle le contrat a été signé, ou à l'égard des trois autres sociétés, seule la loi allemande, choisie par les parties, ou résultant de l'application des règles de conflit de loi, ayant vocation à s'appliquer.

25. Elles rappellent que le Règlement (CE) N°593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles dit Rome I, ou à défaut, pour les contrats conclus avant l'entrée en vigueur du règlement, la Convention de Rome, sont applicables, la nature contractuelle du litige n'étant pas en débat. Elles font notamment valoir que :

- Le contrat-cadre de fourniture a été conclu en 2004 avec la société suédoise Hygiene Products AB devenue Essity AB et la rupture de celui-ci a été notifiée le 6 avril 2009, soit avant l'entrée en vigueur du Règlement Rome I,

- La relation s'est toutefois poursuivie entre la société Essity AB et TB Plast pour la fourniture de ses dévidoirs, postérieurement à la résiliation du contrat, la rupture de cette relation contractuelle ayant eu lieu le 29 mars 2013, soit postérieurement à l'entrée en vigueur du Règlement Rome I,

- Conformément à son article 24, le règlement Rome I, remplace entre les États membres, la convention de Rome et toute référence à celle-ci s'entend comme faite au règlement.

26. Elles indiquent que selon l'article 3 de la Convention de Rome de 1980 et l'article 3.1 du règlement Rome I le contrat est régi par la loi choisie par les parties et qu'en l'espèce :

- Aux termes de l'article 21 du contrat litigieux, les parties sont expressément convenues de soumettre leur relation à la loi allemande,

- La portée de la clause de choix de loi doit être appréciée selon le droit choisi, en l'espèce, selon le droit allemand,

- Selon l'article 10.1 de la Convention de Rome et l'article 12.1 du Règlement Rome I, la loi applicable au contrat régit b) l'exécution des obligations qu'il engendre ; c) les conséquences de l'inexécution totale ou partielle de ces obligations, y compris l'évaluation du dommage dans la mesure où des règles de droit la gouverne,

- La clause de l'article 21 du contrat englobe toute rupture et conséquences, la loi allemande a donc bien vocation à s'appliquer au présent litige.

27. Elles soutiennent enfin que l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce ne constitue pas une disposition impérative dans les relations commerciales transfrontalières et ne peut trouver application en tant que telle.

28. Elles font valoir que les lois de police ne s'appliquent qu'aux situations entrant dans leur champ d'application, déterminé en considérant l'objectif qu'elles poursuivent, qu'il y a lieu de démontrer un lien de rattachement territorial entre la relation contractuelle et le marché français pour appliquer l'article L.442-6 du code de commerce, conformément à la jurisprudence de la cour d'appel de Paris (Paris, 5, Ch. 4., 9 janvier 2019, n°18/09522), que le critère de rattachement avec la France est le marché destinataire des produits.

29. Elles indiquent que :

- Le contrat d'approvisionnement vise un marché étranger et non français,

- Le contrat comporte une clause de choix de loi désignant la loi allemande comme étant la loi applicable au contrat.

- La livraison effective des produits a lieu en Allemagne

- Les Incoterms ne régissent pas le transfert de propriété mais le transfert des risques

- La rupture de la relation contractuelle a été réalisée par une société suédoise depuis la Suède

30. Elles en déduisent que l'ensemble des éléments tant contractuels que factuels ne sont pas localisés en France et que la loi française n'est pas applicable au litige dans son ensemble, que ce soit à l'égard de Essity AB ou des autres sociétés du groupe.

31. En tout état de cause, elles font valoir que les trois sociétés non signataires du contrat sont couvertes par les termes très larges du contrat, à savoir le contrat cadre d'approvisionnement, qui couvre toutes les commandes, l'article 1er du contrat étant très large et permettant d'inclure les livraisons faites à ces sociétés allemandes.

32. En réponse, la société TB Plast soutient que l'application de la loi française a fait l'objet d'une décision définitive couverte par l'autorité de chose jugée résultant de l'arrêt de la cour de cassation du 19 septembre 2019, ce dernier ayant rejeté le pourvoi formé contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 13 mars 2018 sur la compétence.

33. Elle fait ensuite valoir que l'ancien article L.442-6, I, 5° du code de commerce applicable aux faits de l'espèce est une loi de police au sens de l'article 7 de la Convention de Rome de 1980, évinçant la loi étrangère choisie.

34. Elle soutient que les dispositions de l'article L.442-6 du code de commerce doivent être qualifiées de loi de police au sens de l'article 7 de la convention de Rome, seule applicable compte tenu de la date de signature du contrat, l'article L.442-6 du code de commerce ayant été jugé crucial par le législateur pour la sauvegarde de l'organisation économique de la France et évinçant la loi choisie par les parties et constituant une loi de police au sens du droit européen justifiant d'appliquer la loi française au litige.

35. Elle indique que c'est la convention de Rome qui s'applique et non le règlement Rome I au motif que :

- Le contrat conclu avec l'une des sociétés du groupe SCA a été conclu en avril 2004, et la relation avec SEGAS, poursuivie par SCA remonte à l'année 2000.

- La rupture du contrat a été notifiée par SCA à TB Plast le 6 avril 2009, soit avant l'entrée en vigueur du Règlement Rome I, qui prévoit que ce n'est pas la date de rupture qui doit être prise en compte mais la date de conclusion des contrats.

36. En tout état de cause, la société TB Plast fait valoir que l'application de l'article L.442-6, I, 5° n'est pas subordonnée à ce que l'ensemble des éléments caractéristiques de la relation soient situés en France, mais exige juste un rattachement territorial, ce qui est le cas en l'espèce, la société TB Plast ayant son siège en France et les produits vendus ayant été fabriqués en France.

37. Elle soutient enfin que la rupture brutale n'est pas limitée à la société avec laquelle elle a conclu un contrat écrit, mais concerne l'ensemble des sociétés en cause, avec lesquelles elle était en relation commerciale établie, y compris la holding et les filiales allemandes et que la loi de police s'applique à cette rupture pour l'ensemble des sociétés.

38. A titre subsidiaire, à supposer que la loi française ne soit pas qualifiée de loi de police, en appliquant les règles de conflit résultant de la convention de Rome, la loi allemande choisie par les parties au contrat devrait être strictement limitée au seul périmètre fixé par le contrat lui-même, à savoir les dispositions contractuelles prévues au contrat de 2004 et n'a pas vocation à s'appliquer à la rupture brutale et aux demandes qui en découlent qui elles, sont soumises à la loi française.

39. Elle soutient que la prestation caractéristique est déterminée par le lieu du siège social de la société fabriquant les produits vendus et non le lieu de paiement des factures et que la loi française est dès lors applicable à l'ensemble des sociétés, y compris à la relation entre TB Plast et Essity AB, la notion de relation commerciale établie étant plus large que le contrat lui-même, et s'étendant à toutes les sociétés du groupe, peu important qu'un écrit formalise certaines parties de cette relation.

40. La société TB Plast considère enfin que l'article L.442-6 du code de commerce, même s'il n'est pas qualifié de loi de police, est applicable à toutes les sociétés dans la mesure où le présent litige entre dans le champ d'application de cette disposition.

Sur ce,

- Sur l'autorité de chose jugée

41. Aux termes de l'article 1355 du code civil, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.

42. Aux termes de l'article 480 du code de procédure civile, le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche.

43. En l'espèce, la société TB Plast soutient que dès lors que la compétence des juridictions françaises pour connaître des demandes de la société TB Plast fondées sur les dispositions de l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce a été définitivement retenue par l'arrêt de la cour d'appel du 13 mars 2018, la cour de cassation ayant rejeté le pourvoi contre cet arrêt, la contestation de l'inapplicabilité du droit français revient à remettre en cause cette décision revêtue de l'autorité de chose jugée.

44. Or, il ne résulte ni de l'arrêt rendu par la cour de cassation le 19 septembre 2019 qui a rejeté le pourvoi par une décision non spécialement motivée, ni de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 13 mars 2018, qui a statué sur contredit de compétence uniquement en désignant dans son dispositif le tribunal de commerce de Lyon, que la question de la loi applicable au fond ait été soumise auxdites juridictions et ait fait l'objet d'une décision investie de l'autorité de chose jugée en application des articles 1355 du code civil et 480 du code de procédure civile rappelés ci-dessus.

454. Si la cour d'appel de Paris a en effet retenu la compétence des juridictions françaises en considérant que « le lieu de livraison, tel qu'il résultait de l'accord des parties, était la sortie des ateliers de TB Plast, peu important que la destination finale des produits se trouve en Allemagne, les ateliers étant situés dans l'Ain », et a désigné le tribunal de commerce de Lyon comme étant compétent « en application de l'article D. 442-3 du code de commerce, à l'égard d'une action fondée sur des pratiques restrictives de concurrence », ce motif n'est investi d'aucune autorité de chose jugée qui s'attache, en vertu des articles susvisés, au seul dispositif de la décision.

46. Le moyen devra être rejeté.

- Sur la loi applicable

47. Selon l'article 12 du code de procédure civile, le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables.

48. La matière contractuelle du litige portant sur la rupture des relations entre la société française et la société suédoise, ainsi que les autres sociétés membres du groupe Essity, sans que cela ne préjuge le bien-fondé de leur implication, a été définitivement qualifiée comme telle par l'arrêt du 13 mars 2018 et n'est plus contestée par les parties.

49. En présence d'un litige international dont les juridictions françaises sont saisies, il y a lieu de déterminer la loi applicable au litige par référence à la règle de con'it applicable dans les Etats membres issue du règlement (CE) n°593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (dit « Rome I »), ou de la convention de Rome si les contrats ont été conclus avant le 17 décembre 2009, ce qui est le cas en l'espèce, les contrats ayant été tous signés avant cette date, peu important qu'ils se soient partiellement poursuivis ensuite.

50. Aux termes de l'article 7 de la Convention de Rome :

« 1. Lors de l'application, en vertu de la présente convention, de la loi d'un pays déterminé, il pourra être donné effet aux dispositions impératives de la loi d'un autre pays avec lequel la situation présente un lien étroit, si et dans la mesure où, selon le droit de ce dernier pays, ces dispositions sont applicables quelle que soit la loi régissant le contrat. Pour décider si effet doit être donné à ces dispositions impératives, il sera tenu compte de leur nature et de leur objet ainsi que des conséquences qui découleraient de leur application ou de leur non-application.

« 2. Les dispositions de la présente convention ne pourront porter atteinte à l'application des règles de la loi du pays du juge qui régissent impérativement la situation quelle que soit la loi applicable au contrat. »

51. La notion de loi de police définie par l'article 7 de la convention de Rome qui fait référence au caractère « impératif » des dispositions d'un pays avec lequel la situation présente un lien étroit, est une notion qui a été précisée par la CJUE et doit s'interpréter à la lumière du droit européen applicable, en tenant compte de l'article 18 de la même convention, intitulé «Interprétation uniforme», aux termes duquel «Aux fins de l'interprétation et de l'application des règles uniformes qui précèdent, il sera tenu compte de leur caractère international et de l'opportunité de parvenir à l'uniformité dans la façon dont elles sont interprétées et appliquées.»

52. Selon le droit européen et un arrêt Arblade du 23 novembre 1999 (CJUE), il a été dit pour droit que la notion de loi de police interprétée à la lumière de la Convention de Rome suppose que le respect des dispositions qualifiées d'impératives soit jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat, ce qui a pour effet d'écarter la loi choisie par les parties.

53. Cette interprétation a inspiré le libellé de l'article 9 paragraphe 1 du Règlement Rome I, harmonisant ainsi la notion de loi de police, même si ledit règlement n'est pas applicable rationae temporis au litige.

54. Cette définition met en avant le caractère « crucial » du respect de la disposition impérative qui peut être interprétée à la lumière du Règlement Rome I par application de l'article 24 de ce règlement.

55. Selon le considérant 37 de ce règlement, la loi de police n'est pas seulement une disposition impérative au sens du droit national : « Des considérations d'intérêt public justifient, dans des circonstances exceptionnelles, le recours par les tribunaux des États membres aux mécanismes que sont l'exception d'ordre public et les lois de police. La notion de « lois de police » devrait être distinguée de celle de « dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord » et devrait être interprétée de façon plus restrictive ».

56. Dans le cas d'espèce où le litige entre la société TB Plast et la société Essity AB présente un lien, même ténu, avec la France en application du contrat d'approvisionnement souscrit même si le lieu final de livraison est l'Allemagne, il convient de rechercher si les dispositions de l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce dont se prévaut la société française au titre de l'indemnisation de la rupture brutale des relations établies dont elle estime avoir été victime constituent une loi de police française au sens de la Convention susrappelée, justifiant d'évincer la loi étrangère qui serait applicable en retenant les règles de conflit issues de la Convention de Rome, et notamment la loi choisie par les parties, à savoir la loi allemande.

57. Or, s'il est constant que ces dispositions contribuent à la moralisation de la vie des affaires et sont susceptibles de contribuer au meilleur fonctionnement de la concurrence, elles visent davantage à la sauvegarde les intérêts privés d'une partie qui sollicite l'indemnisation d'un préjudice lié à la rupture d'un contrat privé, de sorte qu'elles ne peuvent être regardées comme cruciales pour la sauvegarde de l'organisation économique du pays au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application.

58. Dès lors, ces dispositions ne constituent pas une loi de police au sens de l'article 7 de la convention de Rome et au sens du droit européen tel qu'interprété à la lumière du règlement Rome I, la décision des premiers juges devant être infirmée sur ce point.

59. Il convient en conséquence de rechercher la loi applicable au présent litige par application des règles de conflit de lois qui sont issues de la Convention de Rome et notamment en application de son article 3 aux termes duquel le contrat est régi par la loi choisie par les parties.

60. En l'espèce, l'accord-cadre d'approvisionnement signé entre TB Plast et la société suédoise Essity AB en 2004 contient un article 21 aux termes duquel 'Les lois allemandes régissent ce contrat'.

61. Il prévoit également, dans son article 1er :

« Range of Application : « The conditions of This Agreement apply to all orders. Other conditions or deviations from these conditions must be agreed upon explicitly and in written form to become valid. Order confirmations or similar documents containing information on prices, quantities, delivery periods and similar individual conditions, which comply with the Buyer's order, are to be regarded as an acknowledgement of the conditions of this contract, even if such an order confirmation of the Seller should include his general delivery conditions and a corresponding reference here to ».

(Traduction libre) « Champ d'application : les conditions de cet accord s'appliquent à toutes les commandes. D'autres conditions ou écarts à ces conditions doivent être acceptées d'un commun accord explicitement et sous forme écrite pour être validées. Des confirmations de commandes ou documents similaires comportant des informations sur les prix, quantités, délais de livraison et conditions individuelles similaires qui sont conformes à la commande de l'Acheteur, doivent être considérées comme une reconnaissance des termes du présent contrat, quand bien même une telle confirmation de commande du vendeur inclurait ses conditions générales de fourniture et une référence correspondante à ce sujet ».

62. Il en résulte que ledit accord-cadre couvre expressément toutes les livraisons ou commandes dans des termes identiques aux livraisons contractuellement convenues, lesdites livraisons étant alors reconnues comme soumises aux termes du contrat.

63. La clause contractuelle de choix de la loi contenue dans le contrat s'applique également à l'ensemble de ces livraisons.

64. Il y a lieu par conséquent de dire que la loi allemande, loi choisie par les parties, s'applique au litige, d'infirmer la décision des premiers juges, et de renvoyer les parties devant les premiers juges pour statuer sur les demandes au fond.

C) Sur la demande reconventionnelle

65. Les appelantes sollicitent des dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire, au motif que TB Plast savait qu'elle ne justifiait d'aucun lien de droit avec les sociétés défenderesses, son action à leur encontre étant irrecevable.

66. Elles soutiennent que l'action menée par TB Plast procède d'une instrumentalisation de la justice et d'une tentation d'imposer à un partenaire de bonne foi, la poursuite de la relation dans des conditions non conformes au contrat, ce d'autant qu'il n'y a pas eu de rupture totale puisque la relation contractuelle s'est poursuivie au-delà du préavis accordé.

67. En réponse, la société TB Plast conteste toute action de sa part qui pourrait être qualifiée de procédure abusive et vexatoire et rappelle qu'il incombe à la partie qui s'en prévaut d'en rapporter la preuve, ce qu'elle ne fait pas, nonobstant la longueur de la procédure qui est uniquement imputable aux sociétés Essity qui ont soulevé de nombreux incidents.

Sur ce,

68. L'action en justice constitue un droit qui ne dégénère en abus qu'en cas de faute et sauf circonstances spéciales, elle ne peut constituer un abus dès lors que sa légitimité a été reconnue, même partiellement, par la juridiction de premier degré.

69. En l'espèce, alors que l'action, nonobstant la longueur de la procédure et la complexité liée à l'internationalité du litige, a été reconnue recevable par la juridiction de premier degré, la preuve d'une faute ou d'une légèreté blâmable commise spécifiquement à l'occasion de l'introduction de cette procédure de la part de la demanderesse n'est pas établie.

70. La demande de dommages et intérêts des sociétés appelantes sera rejetée, et la décision confirmée de ce chef.

D) Sur les frais et dépens

71. Compte tenu du sens de la décision, les dispositions prises sur les dépens et les frais des procédures sont infirmées et il convient de statuer à nouveau sur ce chef.

72. La société TB Plast qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, conformément à l'article 696 du code de procédure civile et déboutée de ses demandes formées au titre des frais irrépétibles.

73. Elle sera en outre condamnée à payer aux sociétés Essity, ensemble la somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de première instance et d'appel.

IV/ DISPOSITIF

Par ces motifs, la cour :

1) Confirme le jugement du tribunal de commerce de Lyon entrepris en ce qu'il a :

- déclaré la société TB Plast recevable en ses demandes à l'encontre des sociétés Essity Aktiebolag, la société Hygiene Products AB, Essity Operations [Localité 7] GmbH et Essity Operations [Localité 6] GmbH,

- rejeté la demande pour procédure abusive ;

2) L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau,

- Dit que la loi allemande est applicable au litige,

- Rejette les autres demandes,

- Renvoie la cause et les parties devant ce tribunal,

- Condamne la société TB Plast aux dépens et à payer aux sociétés Essity Aktiebolag, Hygiene Products AB, Essity Operations [Localité 7] GmbH et Essity Operations [Localité 6] GmbH,, ensemble, la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- La condamne aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au bénéfice de Maître Hélène Dujardin en application de l'article 699 du code de procédure civile.