CA Lyon, 8e ch., 26 juin 2024, n° 23/03548
LYON
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Nour et Naima (SASU)
Défendeur :
Léonard de Vinci (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Boisselet
Conseillers :
Mme Masson-Bessou, Mme Drahi
Avocats :
Me Ouchia, Me Aguiraud, Me Guittet
EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte sous seing privé en date du 2 décembre 2020, la SCI Léonard de Vinci a consenti à la SASU Nour et Naïma, représentée par son Président, M. [D] [X], un bail commercial portant sur un local de 660 mètres carrés, ainsi que 12 places de parking, situés [Adresse 1] à [Localité 7] pour y exercer une activité de «'traiteur, fabrication de gâteaux, pains et pâtisserie, préparation de plats cuisinés et grillades à emporter ou sur place'» d'une durée de 9 ans, moyennant le paiement d'un loyer annuel hors taxe de 38'400 € payable par mois d'avance.
Dans le même acte, M. [D] [X] s'est porté caution solidaire de l'exécution par le preneur de ses obligations.
Ce contrat comportait une clause prévoyant, en cas d'impayé de loyer, sa résiliation de plein droit un mois après une mise en demeure de payer ou un commandement de payer resté sans effet.
Le 18 février 2022, la SCI Léonard de Vinci a fait délivrer à la SASU Nour et Naïma, exerçant sous l'enseigne «'Le Goût du Maghreb'», un commandement visant la clause résolutoire, d'une part, de payer la somme de 59'598,96 € en principal, et d'autre part, de justifier d'une assurance se rapportant au local donné à bail.
Le 29 mars 2022, la SCI Léonard de Vinci a fait assigner la SASU Nour et Naïma et M. [D] [X] devant le Tribunal de commerce de Lyon, puis s'est désistée pour assigner le preneur et la caution devant le juge des référés du Tribunal Judiciaire de Lyon.
Par ordonnance de référé contradictoire rendue le 20 mars 2023, la Première vice-Présidente du Tribunal Judiciaire de Lyon a statué ainsi':
CONSTATONS la résiliation du bail à la date du 19 mars 2022,
CONDAMNONS solidairement la SASU Nour et Naïma et M. [D] [X] à payer à la SCI Léonard de Vinci la somme de 99'815,19 € au titre des loyers et charges arrêtés au 15 février 2023 et la somme de 72,68 € montant du commandement de payer,
CONDAMNONS la SASU Nour et Naïma et tout occupant de son chef à quitter les lieux si besoin par expulsion avec le concours si nécessaire de la force publique,
DISONS n'y avoir lieu à une astreinte,
DISONS n'y avoir lieu à statuer sur le sort du dépôt de garantie,
DISONS n'y avoir lieu à ordonner une nouvelle production de pièces,
CONDAMNONS solidairement la SASU Nour et Naïma et M. [D] [X] à payer une indemnité d'occupation provisionnelle d'un montant équivalent à celui des loyers et charges du mois de mars 2023 jusqu'au départ effectif des lieux,
REJETONS tout délai de paiement,
CONDAMNONS in solidum la SASU Nour et Naïma et M. [D] [X] aux dépens,
CONDAMNONS in solidum la SASU Nour et Naïma et M. [D] [X] à payer à la SCI Léonard de Vinci la somme de 800 € par application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par déclaration en date du 27 avril 2023, M. [D] [X] et la SASU Nour et Naïma exerçant sous l'enseigne «'Le Goût du Maghreb'» ont relevé appel de cette décision en certains de ses chefs et, par avis de fixation du 26 mai 2023 pris en vertu de l'article 905 et suivants du Code de procédure civile, l'affaire a été fixée à bref délai.
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Aux termes de ses écritures remises au greffe par voie électronique le 23 juin 2023 (conclusions d'appelant), M. [D] [X] et la SASU Nour et Naïma exerçant sous l'enseigne «'Le Goût du Maghreb'» demandent à la cour':
Vu l'article 834 du Code Civil,
Vu l'article 455 du Code de Procédure Civile,
Vu l'article 1343-5 du Code Civil,
ANNULER, INFIRMER, REFORMER l'ordonnance de référé du Tribunal Judiciaire de LYON en date du 20 mars 2023, dont appel, en ce qu'elle a :
CONSTATÉ la résiliation du bail à la date du 19 mars 2022,
CONDAMNÉ solidairement la société NOUR ET NAIMA et Monsieur [D] [X] à payer à la société LEONARD DE VINCI la somme provisionnelle de 99'815,19 € au titre des loyers et des charges arrêtés au 15 février 2023 et la somme de 72,68 €, montant du commandement de payer,
CONDAMNÉ la société NOUR ET NAIMA et tout occupant de son chef à quitter les lieux, si besoin est par expulsion, avec le concours si nécessaire de la force publique,
CONDAMNÉ solidairement la société NOUR ET NAIMA et Monsieur [D] [X] à payer une indemnité d'occupation provisionnelle d'un montant équivalent à celui des loyers et des charges du mois de mars 2023 jusqu'au départ effectif des lieux,
REJETÉ tout délai de paiement,
CONDAMNÉ in solidum la société NOUR ET NAIMA et Monsieur [D] [X] aux dépens,
CONDAMNÉ in solidum la société NOUR ET NAIMA et Monsieur [D] [X] à payer à la société LEONARD DE VINCI la somme de 800 € par application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
ET, STATUANT A NOUVEAU, DE :
A titre principal :
SE DECLARER incompétent
DEBOUTER la société LEONARD DE VINCI de ses demandes,
Subsidiairement :
SUSPENDRE les effets de la clause résolutoire,
ACCORDER à la société NOUR ET NAIMA des délais de paiement sur une durée de 24 mois, à raison de 5'000 € par mois pendant 23 mois et le solde au 24ème,
CONDAMNER la société LEONARD DE VINCI à payer à la société NOUR ET NAIMA et Monsieur [X] la somme de 3'000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile, outre les dépens.
En fait, ils exposent qu'alors qu'il avait été convenu dès le départ que la société Nour et Naïma partagerait l'exploitation des locaux avec des sous-locataires, la société bailleresse n'a eu de cesse d'ajouter des conditions supplémentaires, ce qui a empêché la mise en place du projet économique du preneur, l'empêchant de générer des revenus. Ils précisent avoir pourtant chaque fois tenté de répondre aux exigences de la société Bailleresse qui a néanmoins mis en échec les projets successifs de sous-locations.
En droit, ils considèrent que la responsabilité du bailleur dans les difficultés financières rencontrées constitue une contestation sérieuse faisant échec à la résiliation de plein droit du bail.
A titre subsidiaire, ils sollicitent des délais de paiement suspensif des effets de la clause résolutoire compte tenu des difficultés financières rencontrées et de la bonne foi de la société Nour et Naïma.
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Aux termes de ses écritures remises au greffe par voie électronique le 22 septembre 2023 (conclusions d'intimé n°1 et d'appel incident), la SCI Léonard de Vinci demande à la cour':
CONFIRMER l'ordonnance de référé rendue par le Tribunal judiciaire de Lyon en date du 10 mars 2023 en ce qu'elle a constaté la résiliation du bail à la date du 19 mars 2022 et a condamné la société Nour et Naima et tout occupant de son chef à quitter les lieux, si besoin est par expulsion, avec le concours si nécessaire de la force publique,
En conséquence, DEBOUTER la société NOUR ET NAIMA et Monsieur [D] [X] de l'intégralité de leurs demandes, ces derniers ayant en outre renoncés à contester l'ordonnance de référé rendue par le Tribunal judiciaire de Lyon en date du 10 mars 2023,
INFIRMER l'ordonnance de référé du 10 mars 2023 en ce qui concerne le montant de la provision accordée et par conséquent :
CONDAMNER la société NOUR ET NAIMA et Monsieur [D] [X] à payer à la société LÉONARD DE VINCI une somme de 116'836,62 euros à titre de provision sur le montant des loyers et de l'indemnité d'occupation impayés au 10 mai 2023,
Y ajoutant,
CONDAMNER la société NOUR ET NAIMA et Monsieur [D] [X] à payer chacun à la SCI LÉONARD DE VINCI une somme de 2'500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de la procédure d'appel,
CONDAMNER in solidum la société NOUR ET NAIMA et Monsieur [D] [X] aux entiers dépens d'appel et ceux afférents à la procédure d'expulsion.
A titre principal, elle invoque la renonciation de l'appelant à contester l'ordonnance de référé dont appel puisque, postérieurement à l'appel interjeté, la SASU Nour et Naïma a signé le 29 juillet 2023 un état des lieux de sortie aux termes duquel il était acté l'accord des parties pour une remise des clés le 31 juillet 2023. Elle précise que les clés ont bien été remises le 1er août 2023.
A titre subsidiaire, elle estime que l'appelante échoue à établir l'existence d'une contestation sérieuse, rappelant d'abord que le projet de la société Nour et Naïma de sous-louer les locaux présentés comme sur-dimensionnés nécessitait son accord, sans constituer un droit pour le locataire. Elle se défend d'être responsable de l'échec de négociations entre le preneur et les éventuels candidats à la sous-location et elle se défend également d'avoir fait obstacle à l'exploitation par le preneur de son activité. Elle rappelle qu'en tout état de cause, ce dernier paie aléatoirement les loyers depuis l'origine du bail et que la dette locative n'a pas été régularisée dans le délai d'un mois imparti par le commandement de payer. Elle conclut au rejet de la demande de délais de paiement suspensif de la clause résolutoire puisque la société Nour et Naïma ne justifie pas de sa situation financière. Elle forme appel incident pour actualiser sa créance.
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Par message transmis au greffe par voie électronique le 11 mars 2024, le conseil de M. [D] [X] et la SASU Nour et Naïma exerçant sous l'enseigne «'Le Goût du Maghreb'» a fait savoir que sa cliente avait été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Lyon du 11 octobre 2023, avec désignation de la SELARL [F] [E] en qualité de liquidateur judiciaire, sollicitant soit le rabat de l'ordonnance de clôture, soit la radiation de l'affaire.
A l'issue de l'audience de plaidoirie du 13 mars 2024 et par message transmis aux parties par voie électronique le même jour, la cour d'appel a invité les parties à faire part de leurs éventuelles observations de fait ou de droit, au plus tard pour le 20 avril 2024, sur l'incidence de la procédure de liquidation judiciaire sur la procédure d'appel de référé.
Par message transmis au greffe par voie électronique le 22 avril 2024, la SCI Léonard de Vinci a fait savoir que la mise en liquidation de la société appelante rendait sans objet la procédure d'appel, précisant qu'elle avait produit et déclaré sa créance au passif de cette société.
L'avocat des appelants n'a transmis aucune observation.
MOTIFS,
Sur la demande de provision':
L'article L.622-21 du Code de commerce pose le principe d'ordre public de l'interruption ou l'interdiction de toute action en justice exercée par un créancier contre un débiteur faisant l'objet d'une procédure collective ayant pour objet le paiement d'une somme d'argent, dont la créance est antérieure à la procédure collective.
Au sens de l'article L.622-22 du Code de commerce, l'instance en cours, interrompue jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance, est celle qui tend à obtenir, de la juridiction saisie du principal, une décision définitive sur le montant et l'existence de cette créance.
Dès lors, l'instance en référé, qui tend à obtenir une condamnation provisionnelle, n'est pas interrompue par la survenance de la procédure collective et la créance faisant l'objet d'une telle instance doit être soumise à la procédure de vérification des créances et à la décision du juge-commissaire.
En l'espèce, l'extrait Kbis remis au greffe par voie électronique le 11 mars 2024 par le conseil de M. [D] [X] et de la SASU Nour et Naïma établit que cette dernière société fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire en vertu d'un jugement du tribunal de commerce de Lyon en date du 11 octobre 2023. Cette procédure collective a été ouverte au cours de l'instance d'appel mais, s'agissant d'une instance en référé, celle-ci n'est pas interrompue dans la mesure où le juge commissaire conserve le pouvoir de prononcer l'admission ou le rejet de la créance.
Dès lors, l'ordonnance ayant accueillie la demande en paiement d'une provision ne peut qu'être infirmée, cette demande étant devenue irrecevable en vertu de la règle de l'interdiction des poursuites édictée par le texte susvisé.
Statuant à nouveau, la cour dit n'y avoir lieu à référé sur la demande en paiement d'une provision et rejette l'appel incident formé par la SCI Léonard de Vinci de ce chef.
Sur la résiliation du bail':
L'article L.145-41 du Code de commerce énonce : « Toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement de payer demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai. Les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues aux articles 1244-1 à 1244-3 du Code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge. ».
Combiné au principe de l'arrêt des poursuites individuelles des créanciers, cet article emporte que le jeu de la clause résolutoire insérée au contrat de bail est paralysé dès lors qu'à la date du jugement d'ouverture de la procédure collective, l'action n'a pas encore été engagée ou que la décision ordonnant la résiliation du bail pour défaut de paiement de loyers n'est pas encore passée en force de chose jugée.
En l'espèce, la SCI Léonard de Vinci a engagé son action en résiliation du bail avant l'ouverture de la procédure collective du preneur. Néanmoins, l'ordonnance de référé rendue le 20 mars 2023, dès lors qu'elle a été frappée d'appel, n'était pas passée en force de jugée au jour de l'ouverture de la procédure collective. Dès lors, en vertu de la règle de l'arrêt des poursuites individuelles, la juridiction des référés ne peut pas accueillir la demande en résiliation de bail.
L'ordonnance ayant accueillie la demande en résiliation de bail doit être infirmée, cette demande, au demeurant devenue sans objet du fait de la restitution des clés, étant devenue irrecevable en vertu de la règle de l'interdiction des poursuites édictée par le texte susvisé.
Statuant à nouveau, la cour dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes en résiliation de bail et expulsion du preneur.
Sur les autres demandes':
La SCI Léonard de Vinci succombant, la Cour infirme la décision déférée qui a condamné solidairement M. [X] et la SASU Nour et Naïma aux dépens de première instance et à payer à la société Bailleresse la somme de 800 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Statuant à nouveau, la cour condamne la SCI Léonard de Vinci aux dépens de première instance et rejette la demande qu'elle a présenté à l'encontre de M. [X] et la SASU Nour et Naïma en première instance sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
A hauteur d'appel, la cour condamne la SCI Léonard de Vinci aux dépens à hauteur d'appel et rejette les demandes respectives des parties au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Vu le jugement du tribunal de commerce de Lyon en date du 11 octobre 2023 prononçant l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire au profit de la SASU Nour et Naïma,
Infirme l'ordonnance de référé rendue le 20 mars 2023 par le Président du Tribunal judiciaire de Lyon en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes présentées par la SCI Léonard de Vinci,
Condamne la SCI Léonard de Vinci, prise en la personne de son représentant légal, aux dépens de première instance,
Y ajoutant,
Condamne la SCI Léonard de Vinci, prise en la personne de son représentant légal, aux dépens de l'instance d'appel,
Rejette les demandes respectives des parties au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.