Livv
Décisions

CA Bordeaux, 1re ch. civ., 17 juillet 2024, n° 23/05842

BORDEAUX

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Poirel

Conseillers :

M. Breard, Mme Louwerse

Avocats :

Me Genty, Me Mousseau, Me Brouillou-Laporte

TJ Bordeaux, du 11 déc. 2023, n° 23/0170…

11 décembre 2023

* * *

Par acte en date du 24 septembre 1999, M. [N] [OZ] a acquis de Mme [V] [J] un ensemble immobilier aujourd'hui cadastré section [Cadastre 1] AC n°[Cadastre 7], [Cadastre 9] et [Cadastre 11] sis [Adresse 14] à [Localité 21] (Gironde).

Par acte du 20 janvier 2003, M. [P] [U] a acquis de Mme [Z] [S] et M. [B] la parcelle cadastrée section B n°[Cadastre 10] aujourd'hui cadastrée section [Cadastre 1] AC n°[Cadastre 6] laquelle était initialement contigue à la parcelle acquise par M. [OZ].

M. [OZ] a divisé son fonds en trois lots A, B et C, puis a vendu plusieurs parcelles,

- par acte du 1er mars 2001 à M. et Mme [F] la fraction de parcelle cadastrée section B n°[Cadastre 16] devenue AC n°[Cadastre 7] soit le lot 1 du lot B qui l'ont revendu à Mme [R] [I] épouse [O] par acte du 27 janvier 2012

- le 10 mai 2001 à M. [T] [E] et Mme [C] [IX] épouse [E] la parcelle cadastrée section B n°[Cadastre 16] devenue AC n°P4, soit le lot 2 du lot B

- le 8 juillet 2002, à M. [W] [M] et Mme [Y] [K] épouse [M] la fraction de parcelle cadastrée section B n°[Cadastre 15] devenue AC n°[Cadastre 11] soit lot 2 du lot A.

Le lot C restant appartenir à M. [OZ] constitue l'assiette d'une servitude de passage consentie au profit des lots A et B décomposés chacun en lots 1 et 2 desservant notamment les parcelles acquises par M. et Mme [E], Mme [O] et M. et Mme [M].

Se plaignant d'un trouble manifestement illicite consécutif à la pose d'un portail obstruant l'exercice de la servitude de passage dont leurs propriétés respectives bénéficient, M. et Mme [E], Mme [O], M. et Mme [M] et M. [U] ont assigné M. [OZ] par actes des 31 juillet 2023 devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux aux fins notamment de voir juger que M. [OZ] et sa compagne ont rendu incommode et dangereuse l'utilisation de la servitude dont M. et Mme [E], M. [U], Mme [O] ainsi que M. et Mme [M] disposent sur son fonds et les a privés de la libre jouissance de leurs propriétés et de la servitude de passage, et, le trouble ainsi provoqué étant manifestement illicite, ordonner la remise en état de la servitude de passage par le retrait du portail aux frais de M. [OZ] sous astreinte de 300 euros par jour de retard, dans un délai de 8 jours à compter de la signification du jugement à intervenir, ainsi qu'aux fins d'obtenir la somme de 4.000 euros à valoir sur l'indemnisation définitive des préjudices de M. et Mme [E], M. [U], Mme [O] ainsi que M. et Mme [M], qu'ils devront se répartir à parts égales.

Par ordonnance du 11 décembre 2023, le juge des référés a :

- déclaré M. [U] irrecevable à agir à l'encontre de M. [OZ],

- débouté les consorts [E], [O] [U] et [M] de l'intégralité de leurs prétentions, - condamné les consorts [E], [O] [U] et [M] à payer à M. [OZ] la somme provisionnelle de 2 000 euros à titre de préjudice,

- condamné les consorts [E], [O] [U] et [M] à payer à Monsieur [OZ] la somme de 2 000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné les consorts [E], [O] [U] et [M] aux entiers dépens avec application de l'article 699 du code de procédure civile.

Par déclaration électronique du 26 décembre 2023, Mme [R] [I] épouse [O], Mme [C] [IX] épouse [E], M. [T] [E], Mme [Y] [K] épouse [M] et M. [W] [M] ont formé appel de cette ordonnance.

Par ordonnance du 15 janvier 2024, l'affaire enregistrée sous le numéro RG23/05842 relevant de l'article 905 du code de procédure civile a été fixée pour être plaidée à l'audience de plaidoiries du 3 juin 2024, avec clôture de la procédure au 21 mai 2024. L'affaire a été reportée à l'audience du 26 juin 2024.

Par déclaration électronique du 2 janvier 2024, M. [U] a relevé appel de la même ordonnance.

Par ordonnance du 7 février 2024, l'affaire enregistrée sous le numéro RG 24/00023, relevant de l'article 905 du code de procédure civile a été fixée pour être plaidée à l'audience de plaidoiries du 26 juin 2024, avec clôture de la procédure au 12 juin2024.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 17 mai 2024 dans l'affaire enrôlée sous le numéro de RG 23/5842 et le 6 juin 2024 dans l'affaire enrôlée sous le numéro de RG 24/0023, M.et Mme [E], Mme [O] et M. et Mme [M] demandent à la cour, sur le fondement des articles 835 du code de procédure civile, 544, 692 et suivants, 701, 1241 et suivants du code civil, 514 et suivants et 700 du code de procédure civile, de :

- prononcer la jonction des appels enregistrés sous les numéros RG 23/05842 et RG 24/00023

- infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé rendue le 11 décembre 2023,

Statuant à nouveau :

- déclarer les requérants recevables dans leur action,

- débouter M. [OZ] de l'intégralité de ses demandes,

- juger que M. [OZ] a rendu incommode et dangereuse l'utilisation de la servitude dont M. et Mme [E], Mme [O] ainsi que de M. et Mme [M] disposaient sur son fonds.,

- juger que M. [OZ] et sa compagne ont privé de la libre jouissance de leurs propriétés et de la servitude de passage dont M. et Mme [E], Mme [O] ainsi que M. et Mme [M] disposent,

- juger que le trouble ainsi provoqué est manifestement illicite,

- juger que ce trouble justifie le prononcé de mesures urgentes,

En conséquence,

- ordonner à M. [OZ] la remise en état de la servitude de passage par le retrait du portail aux frais de M. [OZ] sous astreinte de 300euros par jour de retard, dans un délai de 8 jours à compter de la signification du jugement à intervenir,

- A titre subsidiaire, ordonner la mise en 'uvre aux frais de M. [OZ] d'un dispositif de commande automatisée du portail à distance et l'installation d'un interphone,

- condamner, à titre provisionnel M. [OZ] au paiement de la somme de 10.000euros à valoir sur l'indemnisation définitive des préjudices de M. et Mme [E], Mme [O] ainsi que de M. et Mme [M], qu'ils devront se répartir à parts égales,

- prononcer la restitution des sommes versées à titre provisionnel au titre des condamnations dont appel,

En toute hypothèse :

- condamner M. [OZ] au paiement de la somme de 6.000euros à M. et Mme [E], Mme [O] et ses locataires ainsi que M. et Mme [M] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 20 février 2024 dans le dossier 23/5842, M. [OZ] demande à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé rendue par le président du tribunal judiciaire de Bordeaux, RG n°23/01701, en date du 11 décembre2023,

- débouter M. [A] [U], et les consorts [M], [I], [E] de leurs appels, de toutes leurs demandes, fins et prétentions dirigées contre M. [N] [OZ],

- condamner in solidum M. [T] [E], Mme [C] [IX] épouse [E], Mme [R] [I] épouse [O], M. [P] [U], M. [W] [M] et Mme [Y] [D] [K] épouse [M] à payer à M. [N] [OZ] la somme de 5000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre aux dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Maître Dominique Laplagne conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 7 février 2024, M. [U] demande à la cour de :

- infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé rendue le 11 décembre 2023,

Statuant à nouveau :

- déclarer recevable l'action engagée par M. [U],

- débouter M. [OZ] de l'intégralité de ses demandes,

- ordonner à M. [OZ] de retirer le portail à ses frais sous astreinte de 300euros par jour de retard, dans un délai de 8 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- condamner M. [OZ] à payer à M. [U] la somme provisionnelle de 2.000euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices,

- condamner M. [OZ] à payer à M. [U] la somme de 4.000euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [OZ] aux entiers dépens avec application de l'article 699 du code de procédure civile.

Par conclusions notifiées le 13 février 2024 dans le dossier 24/00023, M. [OZ] demande à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé rendue par le président du tribunal judiciaire de Bordeaux, RG N°23/01701, en date du 11 décembre 2023 ;

- débouter M. [A] [U], et les consorts [M], [I], [E] de toutes leurs demandes, fins et prétentions dirigées contre M. [N] [OZ] ;

matériels, financiers et moraux liés aux mauvaises actions des demandeurs à l'instance ;

- condamner in solidum M. [T] [E], Mme [C] [IX] épouse [E], Mme [R] [I] épouse [O], M. [P] [U], M. [W] [M] et Mme [Y] [D] [K] épouse [M] à payer à M. [N] [OZ] la somme de 5000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre aux dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Maître Dominique Laplagne conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Sur quoi,

Sur la demande de jonction des instances n° RG 23/5842 et 24/23.

Aux termes de l'article 367 du code de procédure civile , ' Le juge peut, à la demande des parties ou d'office, ordonner la jonction de plusieurs instances pendantes devant lui s'il existe entre les litiges un lien tel qu'il soit de l'intérêt d'une bonne justice de les faire instruire ou juger ensemble.

Il peut également ordonner la disjonction d'une instance en plusieurs.'

En l'espèce, M. et Mme [E], Mme [O], M. et Mme [M] d'une part et M. [U] d'autre part ont relevé appel de la même ordonnance de référé, le lien unissant des deux instances d'appel justifiant ainsi que celles-ci soient jointes.

Il convient donc d'ordonner la jonction des instances enregistrées sous les numéros 23/05842 et 24/00023 et de statuer par un seul et même arrêt.

Sur la recevabilité de l'action à l'encontre de M. [U].

Le juge des référés a déclaré irrecevable la demande de M. [U] à l'encontre de M. [OZ] au motif que n'est démontrée aucune servitude conventionnelle de passage au profit de la parcelle appartenant à M. [U] en sorte que celui-ci ne justifie pas de sa qualité à agir à l'encontre de M. [OZ].

M. [U] demande l'infirmation de l'ordonnance en se prévalant de la servitude conventionnelle de passage figurant à son acte de vente tandis que M. [OZ] en sollicite la confirmation, en faisant valoir que la servitude de passage stipulée à l'acte de vente de M. [U] n'est pas celle dont il se prévaut aujourd'hui, ne permettant pas le passage par son fonds, soutenant que le titre de propriété ne prévoit aucune servitude de passage sur la parcelle cadastrée section AC n°[Cadastre 9], la convention de servitude ne concernant que les acquéreurs des parcelles vendues par lui référencées au cadastre section AC n°[Cadastre 7] et [Cadastre 11] ou les lots A 1 et 2 et B 1 et 2, résultant de la division de la parcelle acquis par lui en1999.

Il ressort de l'acte en date du 15 janvier 2003 aux termes duquel M. [U] a acquis de Mme [Z] [S] veuve de M. [G] [H] et de M. [B], une parcelle de terrain située à [Localité 21] lieu-dit '[Adresse 23], cadastrée section [Cadastre 8], que l'acte prévoit que 'l'immeuble présentement vendu bénéficie d'une servitude de passage permettant l'accès à la route nationale n°10 relatée dans un acte reçu par Me [X], notaire à [Localité 20] le 18 décembre 1932 dont les termes sont ci-après littéralement rapportés : 'que la parcelle de prairie du [Adresse 23] attribuée à M. [L] [S] (portion à l'est) profitera d'une servitude de passage sur la portion de prairie (ouest)attribuée à Mme [J], ce passage devant s'exercer d'une manière absolue dans les conditions où il est actuellement pratiqué'.

Il ressort des titres de proriété de Mme [O], de M. et Mme [E] et de M. et Mme [M] dont les fonds procèdent de la division réalisée par M. [OZ] des parcelles cadastrées [Cadastre 2] n°[Cadastre 17] et [Cadastre 18], qu'une même servitude de passage est prévue dans chaque acte laquelle est définie comme suit :

'le vendeur déclare que l'immeuble vendu est grevé d'une servitude de passage relatée dans un acte reçu par Me [X] notaire à [Localité 20] le 18 décembre 1932, ci-après littéralement relatée :

'que la parcelle de prairie du [Adresse 23] attribuée à M. [L] [S] (portion à l'est) profitera d'une servitude de passage sur la portion de prairie (ouest)attribuée à Mme [J], ce passage devant s'exercer d'une manière absolue dans les conditions où il est actuellement pratiqué.

Attendu sa nature cet acte n'a pas été transcrit au bureau des hypothèques.

A titre de simples renseignements, la venderesse déclare que le passage s'effecture actuellement le long de la confrontation sud du terrain d'avec la parcelle cadastrée section Bn°[Cadastre 4]

L'acquéreur déclare en être parfaitement informé et en faire son affaire personnelle.

M. [N] [OZ] vendeur susnommé, déclare que la servitude de passage ci-dessus rapportée est une servitude agricole et qu'il a déplacé l'assiette de cette servitude tout en ayant prévenu le bénéficiaire, le long de la confrontation nord de la parcelle acquise par lui en vert de l'acte ci-après énoncé'.

Il doit être relevé que M. [OZ] a acquis la parcelle cadastrée [Cadastre 1] section B n°[Cadastre 5] lieu-dit [Adresse 23] à [Localité 21] par acte du 24 septembre 1999 de Mme [V] [J], qu'il l'a divisée en 3 lots, le lot A sur lequel il a bâti sa maison d'habitation, le lot B qu'il a vendu après l'avoir divisé en lots et le lot C à usage de passage pour desservir les lots A et B pour leur permette l'accès à la route de [Localité 22] (route nationale n°10).

Le plan annexé à l'acte de M. [U] montre que la servitude décrite permet de rejoindre la route nationale n°10, de même que cela est expressément précisé par l'acte, sur laquelle débouche le chemin de servitude litigieux ce qui à l'évidence démontre qu'il s'agit de la même servitude que celle décrite de façon similaire dans les titres de propriété des acquéreurs des fonds divisés par M. [OZ], le déplacement de la servitude auquel a procédé M. [OZ] ne pouvant avoir pour effet de priver M. [U] de la servitude conventionnelle qui lui a été reconnue lors de la vente passée avec Mme [S], cette servitude ayant été créée par un acte du 18 décembre 1932 antérieur à la division de son fonds par M. [OZ]. Il sera par ailleurs relevé que M. [OZ] ne produit pas son propre titre de propriété et qu'il ne précise pas quelle serait l'assiette de la servitude stipulée dans le titre de propriété de M. [U] qu'il soutient ne pas être la même.

Il ressort de ces éléments que le fonds dont est propriétaire M. [U] bénéficie d'une servitude de passage sur la parcelle constituant le lot C de la division réalisée par M. [OZ], et qu'il a ainsi qualité à agir à son encontre, l'ordonnance déférée devant être infirmée en ce qu'elle déclaré M. [U] irrecevable à agir à l'encontre de M. [OZ].

Sur le trouble manifestement illicite reproché à M. [OZ].

Les appelants, se prévalant de la servitude de passage dont ils bénéficient sur le fonds appartenant à M. [OZ], soutiennent que celui-ci est à l'origine d'un trouble manifestement illicite pour avoir installé au mois de mars 2023, après 20 ans d'usage, un portail à l'entrée de la servitude de passage, à ouverture manuelle renforcé par l'apposition d'un fil de fer de gros calibre, que si des clefs permettant l'ouverture du portail leur ont été remises, la présence du portail ainsi fermé rend plus incommode l'usage de la servitude et empêche l'entrée des visiteurs, livreurs ou services publics, exposant que M. [OZ] a ainsi diminué l'usage de la servitude contrairement aux prescriptions de l'article 701 du code de procédure civile.

M. [OZ] fait valoir pour sa part qu'une clef du portail a été remise à chacun des propriétaires l'accès étant ainsi possible, l'usage de la servitude n'étant absolument pas diminué ni rendu plus incommode et la demande de retrait du portail étant disproportionnée et inappropriée.

Le juge des référés a considéré que M. [OZ] a diminué la facilité d'accès du droit de passage en installant un portail à l'entrée mais qu'il n'en avait pas diminué l'usage en sorte que le trouble manifestement illicite invoqué par les demandeurs n'était pas démontré.

Le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Une contestation sérieuse sur l'existence du trouble ou sur son caractère illicite ou sur l'existence du dommage imminent fait nécessairement obstacle à ce que le juge des référés puisse prendre une mesure d'anticipation.

Il ressort en l'espèce du procès-verbal de constat produit par les appelants, réalisé les 29 août, 14 septembre et 18 septembre 2023 que le portail litigieux se situe en retrait de l'entrée de la servitude de passage qui est constitué par une chemin de grave blanche, carrossable, l'espace situé à l'entrée du chemin avant l'accès au portail permettant le stationnement d'un véhicule et l'ouverture sans danger du portail. Il n'est pas contesté qu'une clef permettant l'ouverture du portail leur a été remise ou à leurs locataires, à l'exception de M. [U]. Le commissaire de justice a toutefois constaté que la serrure de la clef était détériorée et ne fonctionnait pas. Il ressort en outre des constatations effectuées que le portail est également fermé par un fil de fer galvanisé enroulé à l'arrière du portail, côté servitude, après avoir été passé à travers un trou situé dans le butoir de fermeture du vantail du portail vers l'encadrement où se situe la gâche du portail. Il s'agit d'un fil de fer rigide ne pouvant être déroulé sans risque à mains nues. Le commissaire de justice a constaté que le portail ne pouvait être ouvert qu'après avoir sectionné le fil de fer à l'aide d'une pince coupante.

La mise en place d'un portail à l'entrée d'un chemin de servitude ne constitue pas en soi un trouble manifestement illicite dès lors que l'usage de la servitude n'est pas diminué ni rendu plus incommode ainsi qu'il est interdit de le faire au propriétaire d'un fonds débiteur d'une servitude par l'article 701 du code civil. Cependant, en l'espèce, en raison de la configuration des lieux, le chemin de servitude ayant une longueur de 190 mètres, l'accès aux maisons d'habitation situées le long de ce chemin est incontestablement rendu plus incommode pour les personnes extérieures dès lors qu'il n'existe aucun système d'appel permettant de prévenir les habitants de ces maisons ni aucun système permettant l'ouverture à distance du portail ou code permettant aux personnes extérieures d'accéder au chemin desservant les parcelles des appelants, obligeant les propriétaires des maisons ou leurs locataires à se déplacer sur presque 200 mètres pour la maison la plus éloignée (M. et Mme [E]) pour venir ouvrir le portail. M. [M] indique à cet égard sans que cela soit contesté par M. [OZ] que le siège de son entreprise se situe à son domicile et que les visites de ses clients sont rendues difficiles, Mme [M] étant pour sa part handicapée et ne se déplaçant qu'avec difficulté. Les appelants produisent des attestations émanant d'un artisan venu établir un devis, d'une factrice ne pouvant remettre de colis et de l'aide à domicile de Mme [M] qui ne peut accéder chez celle-ci qu'avec son intervention, témoignant des difficultés quotidiennes générées par cette situation. De surcroît, la fermeture du portail par un fil de fer qui ne peut être ôté qu'à l'aide d'une pince coupante est également et incontestablement de nature à rendre plus incommode l'usage de la servitude en sorte que l'apposition de ce portail et sa fermeture par un fil de fer caractérisent un trouble manifestement illicite qu'il convient de faire cesser.

C'est donc à tort que le juge des référés a débouté les appelants de leurs demandes de retrait du portail sous astreinte. L'ordonnance sera infirmée en ce qu'elle a rejeté les demandes des appelants.

Il convient de faire droit à la demande de remise en état de la servitude de passage par le retrait du portail sous astreinte comme il sera précisé au dispositif suivant. Il sera précisé que M. [OZ], pourra apposer un portail pouvant être actionné à distance ou muni d'un système de code permettant aux personnes invitées d'accéder au chemin de servitude sans difficulté, un tel système ne rendant pas plus incommode l'usage de la servitude.

Sur les demande de provision sur dommages-intérêts.

Par application de l'article 835 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Il appartient au demandeur d'établir l'existence de l'obligation qui fonde sa demande de provision tant en son principe qu'en son montant et la condamnation provisionnelle, que peut prononcer le juge des référés sans excéder ses pouvoirs, n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.

- sur la demande de M. [OZ].

Le juge des référés a condamné les consorts [E], [O], [U] et [M] à payer à M. [OZ] une somme provisionnelle de 2000 euros en réparation de son préjudice causé par la dégradation volontaire du portail.

Les appelants demandent l'infirmation de l'ordonnance sur ce point en contestant être les auteurs de la dégradation du portail, le sectionnement du fil de fer bloquant l'ouverture du portail ne pouvant leur être reproché. Il sera relevé que M. [OZ] qui demande la confirmation de l'ordonnance ne produit aucune pièce pour justifier d'un préjudice matériel causé par une dégradation du portail dont la preuve n'est pas davantage rapportée que les appelants en seraient les auteurs.

L'ordonnance doit être infirmée en ce qu'elle a statué en ce sens, M. [OZ] étant débouté de sa demande de provision.

- sur la demande des appelants.

M. et Mme [E], Mme [O] et M. et Mme [M] sollicitent pour leur part la condamnation de M. [OZ] à leur verser une provision de 10.000 euros à charge pour eux de se la répartir à valoir sur l'indemnisation de leur préjudice causé par la privation du libre accès à leur propriété et de l'utilisation paisible de la servitude de passage dont ils disposaient jusqu'alors. M. [U] sollicite pour sa part une provision de 2000 euros.

L'allocation d'une provision à valoir sur l'indemnisation d'un préjudice nécessite que celui-ci soit caractérisé de façon incontestable, seule l'appréciation de son montant pouvant être discuté.

En l'espèce, l'usage de la servitude a certes été rendu plus incommode mais le préjudice personnel subi par chaque demandeur n'est pas caractérisé en sorte qu'il existe une contestation sérieuse sur le principe du préjudice et sur son montant. Le dépôt de plainte produit par M. [U] fait certes état d'une menace proférée à son encontre par M. [OZ], cependant le préjudice qui en résulte n'est pas caractérisé. Il n'y a pas lieu en l'état de faire droit à la demande de provision.

Sur les mesures accessoires.

M. [OZ], succombant en ses prétentions, sera condamné aux dépens de première instance et d'appel. L'ordonnance sera infirmée en ce que les consorts [E], [O], [U] et [M] ont été condamnés à payer à M. [OZ] une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

M.[OZ] sera condamné au paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile de 2500 euros à M. et Mme [E], Mme [I] épouse [O] et M. et Mme [M] et de 1500 euros à M. [U] d'autre part.

PAR CES MOTIFS.

La Cour,

Ordonne la jonction des instances enregistrées sous les numéros 23/05842 et 24/00023 sous le numéro 23/05842,

Infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance déférée,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déclare recevable M. [P] [U] en son action à l'encontre de M. [N] [OZ],

Enjoint à M. [N] [OZ] de remettre en état la servitude de passage dont bénéficient les fonds appartenant à M. [T] [E] et Mme [C] [IX] épouse [E], Mme [R] [I] épouse [O], M. [W] [M] et Mme [Y] [K] épouse [M] et M. [P] [U] en retirant le portail apposé à l'entrée de la servitude de passage, ou en apposant un système automatisé d'appel et d'ouverture à distance de celui-ci, dans un délai de 15 jours à compter de la signification de la présente ordonnance, sous astreinte de 150 euros par jour de retard pendant un mois,

Déboute M. [N] [OZ] de sa demande de provision,

Déboute M. [T] [E] et Mme [C] [IX] épouse [E], Mme [R] [I] épouse [O], M. [W] [M] et Mme [Y] [K] épouse [M] et M. [P] [U] de leur demande de provision,

Condamne M. [N] [OZ] à payer à M. [T] [E] et Mme [C] [IX] épouse [E], Mme [R] [I] épouse [O], M. [W] [M] et Mme [Y] [K] épouse [M] une somme de 2500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à M. [P] [U] une somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [N] [OZ] aux dépens de première instance et d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Madame Paule POIREL, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.