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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 10, 24 juin 2024, n° 22/07664

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Époux (L)

Défendeur :

Ceprima Compagnie Européenne de Prêt Immobilier et d'Assurance (Sté), BNP Paribas Personal Finance (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Blanc

Conseillers :

Mme Castermans, M. Loos

Avocats :

Me Lallement, Me Grappotte-Benetreau, Me Benchekh, Me Teytaud, Me Grasso

Paris, pôle 5 ch. 10, du 29 mars 2017, n…

29 mars 2017

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

1. Suivant une offre préalable émise le 28 octobre 2008 et acceptée le 11 novembre 2008, la société BNP Paribas Personal Finance (la société BNPPPF) et M. et Mme [L], après avoir été mis en relation par la société Compagnie européenne de prêt immobilier et assurance (la société Ceprima), aux droits de laquelle est venue la société ACE Patrimoine, ont conclu un contrat de prêt immobilier libellé en francs suisses et remboursable en euros, intitulé Helvet Immo, d'un montant de 617 952,30 francs suisses, soit 417 000 euros au taux de change de l'époque, et d'une durée de 25 ans.

2. Faisant valoir qu'ils avaient constaté sur leurs relevés trimestriels, après avoir procédé à un remboursement partiel d'un montant de 72 000 euros en mars 2012, que le capital restant dû n'avait pas diminué en dépit du paiement des échéances et de ce remboursement partiel, et qu'ils avaient, en conséquence de ce constat, remboursé la totalité du prêt par anticipation en mars 2013, en payant la somme de 417 288,48 euros, au moyen, d'une part, de fonds propres pour environ 100 000 euros et d'un prêt d'un montant de 320 000 euros conclu avec une banque concurrente, M. et Mme [L] ont assigné la société BNPPPF et la société Ceprima devant le tribunal de commerce de Paris, le 28 août 2013, en annulation du contrat de prêt et en indemnisation de divers préjudices, en invoquant notamment l'irrégularité de la clause d'indexation implicitement stipulée au contrat et des manquements de la banque et du courtier à leurs obligations d'information, de conseil et de mise en garde.

3. Par un jugement du 31 novembre 2014, le tribunal a statué comme suit :

« - Déboute M. [D] [S] [K] [L] et Mme [M] [P] [J] [R] épouse [L] de leurs demandes de nullité de tout ou partie de la stipulation du contrat de crédit,

- Déboute M. [D] [S] [K] [L] et Mme [M] [P] [J] [R] épouse [L] de leur demande de dommages et intérêts à l'encontre de la SAS COMPAGNIE EUROPEENNE DE PRET IMMOBILIER ET D'ASSURANCE ' CEPRIMA comme à l'encontre de la SA BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE,

- Débouté mes parties de leurs demandes autres plus amples ou contraires

- Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- Condamne M. [D] [S] [K] [L] et Mme [M] [P] [J] [R] épouse [L], in solidum, aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 129,94 € dont 21,32 € de TVA ».

4. M. et Mme [L] ayant fait appel de ce jugement, la cour d'appel de Paris a statué comme suit, par un arrêt du 31 décembre 2015 :

« Déclare la demande de sursis à statuer irrecevable devant la cour,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne Monsieur et Madame [L] à payer la somme de 3000 € à la BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE et la somme de 3000 €à la société CEPRIMA au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette toutes autres demandes des parties,

Condamne solidairement Monsieur et Madame [L] aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. »

5. Par un arrêt du 29 mars 2017 (1re Civ., 29 mars 2017, n° 16-13.050, Bull. 2017, I, n° 78), la Cour de cassation a cassé et annulé cet arrêt, sauf en ce qu'il déclare irrecevable la demande de sursis à statuer et en ce qu'il rejette les demandes d'annulation du contrat de prêt fondées sur l'article L. 112-2 du code monétaire et financier et sur l'existence d'un vice du consentement.

6. Saisie comme cour de renvoi, la cour d'appel de Paris, autrement composée, a statué comme suit par un arrêt du 22 mai 2019 :

« Déclare recevables les demandes indemnitaires formées contre BNP Paribas Personal Finance et la société CEPRIMA,

Déclare irrecevables comme prescrites les demandes relatives à la reconnaissance du caractère abusif de certaines clauses des contrats HELVET IMMO ainsi que les demandes subséquentes,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a dit que ni BNP Paribas Personal Finance ni la société CEPRIMA n'avaient pas commis de fautes et a débouté les époux [L] de leurs demandes indemnitaires ainsi qu'en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens,

Y ajoutant,

Condamne Monsieur [D] [L] et Madame [M] [R] épouse [L] à payer la somme de 4 000 € à la BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE, et celle de 4 000 € à la société CEPRIMA au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette toutes autres demandes des parties,

Condamne Monsieur [D] [L] et Madame [M] [R] épouse [L] aux dépens d'appel, comprenant ceux de l'arrêt cassé, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. »

7. M. et Mme [L] s'étant pourvus contre cette arrêt, la Cour de cassation, par un arrêt du 19 mai 2021, a ordonné un sursis à statuer jusqu'au prononcé de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne statuant sur des questions préjudicielles transmises par le tribunal de grande instance de Paris et le tribunal d'instance de Lagny-sur-Marne.

8. Par un arrêt 10 juin 2021 (CJUE, 10 juin 2021, C 609/19, ECLI:EU:C:2021:469), la Cour de justice a dit pour droit :

« 1) L'article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens que les clauses du contrat de prêt qui stipulent que les remboursements à échéances fixes sont imputés prioritairement sur les intérêts et qui prévoient, afin de payer le solde du compte, l'allongement de la durée de ce contrat et l'augmentation du montant des mensualités relèvent de cette disposition dans le cas où ces clauses fixent un élément essentiel caractérisant ledit contrat.

2) L'article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d'un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l'exigence de transparence des clauses de ce contrat qui stipulent que les paiements à échéances fixes sont imputés prioritairement sur les intérêts et qui prévoient, afin de payer le solde du compte, l'allongement de la durée dudit contrat et l'augmentation du montant des mensualités, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat.

3) L'article 3, paragraphe l, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que les clauses d'un contrat de prêt qui stipulent que les paiements à échéances fixes sont imputés prioritairement sur les intérêts et qui prévoient, afin de payer le solde du compte, lequel peut augmenter de manière significative à la suite des variations de la parité entre la monnaie de compte et la monnaie de paiement, l'allongement de la durée de ce contrat et l'augmentation du montant des mensualités, sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant dudit contrat au détriment du consommateur, dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s'attendre, en respectant l'exigence de transparence à l'égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d'une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses. »

9. Par un arrêt 10 juin 2021 (CJUE, 10 juin 2021, C 776/19 à C 782/19, ECLI:EU:C:2021:470,), la Cour de justice a dit pour droit

« 1) L'article 6, paragraphe 1, et l'article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d'effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale soumettant l'introduction d'une demande par un consommateur :

' aux fins de la constatation du caractère abusif d'une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur à un délai de prescription ;

' aux fins de la restitution de sommes indûment versées, sur le fondement de telles clauses abusives, à un délai de prescription de cinq ans, dès lors que ce délai commence à courir à la date de l'acceptation de l'offre de prêt de telle sorte que le consommateur a pu, à ce moment-là, ignorer l'ensemble de ses droits découlant de cette directive.

2) L'article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que les clauses du contrat de prêt qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l'emprunteur relèvent de cette disposition dans le cas où ces clauses fixent un élément essentiel caractérisant ledit contrat.

3) L'article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d'un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l'exigence de transparence des clauses de ce contrat qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l'emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat.

4) La directive 93/13 doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à ce que la charge de la preuve du caractère clair et compréhensible d'une clause contractuelle, au sens de l'article 4, paragraphe 2, de cette directive, incombe au consommateur.

5) L'article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que les clauses d'un contrat de prêt qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change, sans qu'il soit plafonné, sur l'emprunteur, sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant dudit contrat au détriment du consommateur, dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s'attendre, en respectant l'exigence de transparence à l'égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d'une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses. »

10. Par un arrêt du 30 mars 2022 (1re Civ., 30 mars 2022, n° 19-22.074), la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 22 mai 2019 , sauf en ce qu'il dit que ni la société BNPPPF ni la société Ceprima n'ont commis de faute en ce qu'il rejette les demandes indemnitaires formées par M. et Mme [L].

11. Pour statuer ainsi, la Cour de cassation a notamment retenu que la demande tendant à voir réputer non écrite une clause abusive sur le fondement de l'article L. 132-1 précité n'est pas soumise à la prescription quinquennale.

12. Par une déclaration du 7 avril 2022, M. et Mme [L] ont saisi cette cour d'appel, de nouveau désignée comme juridiction de renvoi.

13. Par un arrêt du 28 novembre 2023, la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Paris a confirmé un jugement du 26 février 2020 du tribunal correctionnel de Paris, notamment en ce qu'il déclare la société BNPPPF coupable du délit de pratiques commerciales trompeuses commis lors de la commercialisation des prêts intitulés Helvet Immo. Cet arrêt alloue à M. et Mme [L], parties civiles, les sommes respectives de 38 908,09 euros et de 10 000 euros en réparation des préjudices financier et moral causés par l'infraction.

14. En exécution d'un accord transactionnel conclu avec l'association de consommateurs Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie (l'association CLCV), qui avait engagé à son encontre une action de groupe et une action collective en suppression de clauses abusives, la société BNPPPF a adressé à M. et Mme [L] une lettre du 21 février 2024 proposant l'annulation de leur prêt et établissant un décompte des restitutions réciproques, déduction faite des sommes versées au titre du préjudice financier en exécution du jugement du tribunal correctionnel. Par une lettre du 5 avril 2024, la société BNPPFF a actualisé sa proposition, en tenant compte de la réduction par la chambre des appels correctionnels de l'indemnité allouée à M. et Mme [L].

15. M. et Mme [L] n'ont pas donné suite à cette proposition.

16. La présente affaire été plaidée à l'audience du 22 avril 2024, après que la demande de renvoi à une audience ultérieure présentée par la société BNPPPF a été rejetée, faute pour l'avocat de cette société de justifier de son indisponibilité pour représenter cette société lors de l'audience.

17. Aux termes de leurs dernières conclusions, remises au greffe le 17 avril 2024, M. et Mme [L] demandent à la cour d'appel de :

« Vu la directive 93/13/CEE du 5 avril 199 ; les articles L.132-1 et suivants du Code de la consommation alors en vigueur (devenus les articles L.212-1 et suivants) ; les articles 1304 et 2224 ; l'article L.341-1 et suivants du Code de la consommation ;

Vu les arrêts de la CJUE du 10 juin 2021 relatifs au prêt HELVET IMMO (aff. C-609/19 et aff. jointes C-776/19 à C-782/19) et ses ordonnances du 24 mars 2022 (aff. C-82/20 et C- 288/20) ;

Vu les arrêts de la Première chambre civile du 30 mars 2022 (n°19-17.996, n°19-12.947, n°19- 18.997, n°19-18.998, n°19-20.717 ' 5 arrêts) et du 20 avril 2022 (n°20-16.941, n°19-11.600, n°20- 16.940, n°19-11.599 et n°20-16.942) ;

Vu le jugement rendu le 13 novembre 2014 par le Tribunal de Commerce de PARIS,

Vu l'arrêt rendu le 29 mars 2017 par la Première chambre civile de la Cour de Cassation,

Vu l'arrêt rendu le 22 mai 2019 par la Cour d'appel de PARIS,

Vu le jugement rendu par la 13ème chambre correctionnelle 1 du Tribunal judiciaire de Paris relatif au prêt HELVET IMMO ;

Vu l'arrêt de la Cour d'appel de Paris - 12 ème chambre correctionnelle - Pôle 2 du 28 novembre 2023,

Vu le contrat de crédit du 11 novembre 2008,

Vu les pièces versées au débat ;

INFIRMER le jugement rendu le 13 novembre 2014 par le Tribunal de commerce de PARIS,

[...]

« D'une première part :

JUGER que l'appréciation du caractère abusif d'une clause d'un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur n'est pas soumise à la prescription quinquennale,

En conséquence :

DECLARER RECEVABLE la demande formée par Monsieur [D] [L] et Madame [M] [R] épouse [L] visant à voir déclarer abusive et à réputer non écrite des clauses abusives du contrat de crédit conclu avec la société BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE le 11 novembre 2008,

D'une seconde part :

JUGER que les clauses n°1 à 5 du contrat HELVET IMMO conclut le 11 novembre 2008 entre Monsieur [D] [L] et Madame [M] [R] épouse [L] et la société BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE forment ensemble le mécanisme implicite d'indexation du contrat sur le franc suisse ;

JUGER que les clauses n°1 à 5 (clause implicite d'indexation) du contrat HELVET IMMO conclut le 11 novembre 2008 entre Monsieur [D] [L] et Madame [M] [R] épouse [L] et la société BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE sont abusives en ce qu'elles créent un déséquilibre significatif entre les parties à leur détriment et, en tout état de cause, en ce qu'elles ne sont ni claires ni intelligibles pour les emprunteurs ;

JUGER que les clauses n°6 à 8 (clauses de variation du taux d'intérêt) et la clause de TEG du contrat HELVET IMMO conclut le 11 novembre 2008 entre Monsieur [D] [L] et Madame [M] [R] épouse [L] et la société BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE sont abusives en ce qu'elles ne sont ni claires ni intelligibles pour les emprunteurs ;

JUGER que la clause n°9 (clause de reconnaissance d'information) du contrat HELVET IMMO conclut le 11 novembre 2008 entre Monsieur [D] [L] et Madame [M] [R] épouse [L] et la société BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE est abusive en ce qu'elle crée un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties à leur détriment ;

JUGER que les clauses n°1 à 9 du contrat HELVET IMMO conclut le 11 novembre 2008 entre Monsieur [D] [L] et Madame [M] [R] épouse [L] et la société BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE sont réputées non écrites ;

En conséquence,

PRENDRE ACTE que la SA BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE accepte de voir déclarer non écrites les clauses abusives liées à l'indexation et au TEG indexé stipulées dans son crédit HELVET IMMO et de voir prononcer la nullité rétroactive du crédit HELVET IMMO conclu le 11 novembre 2008 avec Monsieur [D] [L] et Madame [M] [R] épouse [L],

JUGER que le contrat HELVET IMMO conclut le 11 novembre 2008 entre Monsieur [D] [L] et Madame [M] [R] épouse [L] et la société BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE ne peut subsister sans ces clauses abusives ;

JUGER le contrat HELVET IMMO souscrit par conclut le 11 novembre 2008 entre Monsieur [D] [L] et Madame [M] [R] épouse [L] et la société BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE est anéanti de manière rétroactive ;

JUGER que Monsieur [D] [L] et Madame [M] [R] épouse [L] justifient avoir remboursé au 13 mars 2013, date du remboursement par anticipation, à la société BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE en exécution du contrat de crédit HELVET IMMO conclu le 11 novembre 2008 une somme totale de 593.286,75 euros pour un capital emprunté en euros de 417.000 euros,

ORDONNER la compensation entre ces créances réciproques ;

DEBOUTER la société BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE de sa demande visant à obtenir le remboursement des condamnations pénales allouées par les juridictions répressives à Monsieur [D] [L] et Madame [M] [R] épouse [L] en raison de leur nature et de leur fondement distinct, par soustraction sur les décomptes des créances réciproques, »

CONDAMNER la société BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE à restituer à Monsieur [D] [L] et Madame [M] [R] épouse [L] la somme totale de 176.286,75 euros (cent soixante seize mille deux cent quatre vingt six euros et soixante quinze centimes) correspondant aux conséquences financières des clauses abusives du contrat de crédit HELVET IMMO, après compensation ; cette somme portant intérêt au taux légal à compter du prononcé du 28 août 2013,

ORDONNER la capitalisation des intérêts dans les conditions prévues par l'article 1343-2 du Code civil ;

JUGER que la société BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE a commis une faute en stipulant les clauses abusives litigieuses ;

D'une troisième part:

JUGER que cette faute de BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE a causé à Monsieur [D] [L] et Madame [M] [R] épouse [L] un préjudice moral distinct du préjudice moral réparé par la juridiction pénal de manière non individualisée compte de l'acharnement procédural de la banque à leur égard,

En conséquence,

CONDAMNER la société BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE à payer à Monsieur [D] [L] et Madame [M] [R] épouse [L] une somme de 20.000 euros chacun (vingt mille euros) en réparation de leur préjudice moral ;

Enfin :

CONDAMNER in solidum la banque BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE et la société CEPRIMA à payer à Monsieur [D] [L] et Madame [M] [R] épouse [L] une somme de 25.000 euros chacun (vingt cinq mille euros) au titre de l'article 699 du CPC,

CONDAMNER in solidum la banque BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE et la société CEPRIMA aux entiers dépens. »

18. Aux termes de ses dernières conclusions, remises au greffe le 19 avril 2024, la société BNPPPF demande à la cour d'appel de :

« Vu l'article 6 §1 de la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme ; la Directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs ; les articles L. 120-1, L. 132-1 et suivants du Code de la consommation 39 ; le principe de la réparation intégrale du préjudice ; les articles 31, 122, 699 et 700 du Code de procédure civile ;

Vu l'Offre de prêt ;

Vu le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 13 novembre 2014 ;

Vu l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris le 31 décembre 2015, RG 14/24721 ;

Vu l'arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 29 mars 2017, n°16- 13.050 ;

Vu l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris le 22 mai 2019, RG 17/10006 ;

Vu l'arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 30 mars 2022, n°19- 22.074 ;

Vu le jugement rendu par la 13 ème chambre correctionnelle 1 du Tribunal judiciaire de Paris le 26 février 2020 ;

Vu l'arrêt rendu par le Pôle 2 chambre 12 des appels correctionnels de la Cour d'appel de Paris le 28 novembre 2023 ;

[...]

Sur les demandes formées par Monsieur et Madame [L] tendant à l'annulation du contrat de prêt Helvet Immo sur le fondement du droit des clauses abusives

- Donner acte à BNP Paribas Personal Finance de ce qu'elle renonce à contester la demande d'annulation du contrat de prêt Helvet immo ;

- Ordonner l'annulation du contrat de prêt de Monsieur et Madame [L] ;

- En conséquence, juger que les parties sont remises dans l'état dans lequel elles se trouvaient avant de contracter, comme si le contrat de prêt n'avait jamais existé ;

- Ordonner la restitution par Monsieur et Madame [L] de la contrevaleur en euros du capital libéré en francs suisses par application du taux de change initial, soit la somme de 417.000,00 euros ;

- Juger que BNP Paribas Personal Finance restituera l'ensemble des sommes qu'elle a perçues de Monsieur et Madame [L] , en ce compris les intérêts, le capital et l'effet de la variation du taux de change, selon les modalités suivantes :

- Juger que l'effet de la variation du taux de change a d'ores et déjà été restitué par BNP Paribas Personal Finance par le versement du préjudice financier alloué à Monsieur et Madame [L] en exécution du Jugement pénal et le cas échéant, de l'Arrêt pénal ;

- Ordonner la restitution par BNP Paribas Personal Finance de la somme de 541.136,01 euros, correspondant à la différence entre l'ensemble des sommes qu'elle a perçues de Monsieur et Madame [L] et le montant des sommes réglées au titre du préjudice financier alloué à Monsieur et Madame [L] en exécution du Jugement pénal et le cas échéant, de l'Arrêt pénal ;

- Ordonner la compensation entre les restitutions réciproques à opérer ;

Sur la demande de dommages et intérêts sur le fondement du préjudice moral

A titre principal,

- Juger que Monsieur et Madame [L] ne souffrent d'aucun préjudice et débouter ces derniers de leur demande au titre du préjudice moral qu'ils prétendent subir ;

A titre subsidiaire,

- Déduire des dommages et intérêts versés au titre du préjudice moral les sommes versées par BNP Paribas Personal Finance en exécution du Jugement pénal rendu le 26 février 2020 par la 13 ème chambre correctionnelle 1 du Tribunal judiciaire de Paris à titre provisoire et de l'Arrêt pénal rendu le 28 novembre 2023 par le Pôle 2 - chambre 12 des appels correctionnels de la Cour d'appel de Paris ;

En tout état de cause

- Débouter Monsieur et Madame [L] de l'intégralité de leurs demandes ;

- Débouter Monsieur et Madame [L] de leur demande de condamnation de BNP Paribas Personal Finance au paiement d'un intérêt légal courant à compter du 28 août 2013 avec capitalisation des intérêts ;

- Débouter Monsieur et Madame [L] de leur demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et, en tout état de cause, tenir compte du fait que BNP Paribas Personal Finance renonce à contester la demande d'annulation du contrat de prêt Helvet Immo et renonce à toute demande sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamner Monsieur et Madame [L] aux entiers dépens. »

19. Aux termes de ses dernières conclusions, remises au greffe le 1er février 2023, la société ACE Patrimoine demande à la cour d'appel de :

« Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 30 mars 2022 (n°19-22.074),

- METTRE HORS DE CAUSE la société COMPAGNIE EUROPEENNE DE PRET IMMOBILIER ET D'ASSURANCE « CEPRIMA » qui est devenue la société ACE PATRIMOINE

- REJETER les demandes, fins et prétentions de Monsieur [D] [L] et de Madame [M] [R] épouse [L] à l'encontre de la société COMPAGNIE EUROPEENNE DE PRET IMMOBILIER ET D'ASSURANCE « CEPRIMA

- CONDAMNER solidairement Monsieur [D] [L] et Madame [M] [R] épouse [L] au paiement d'une indemnité de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens de procédure dont distraction au profit de la SCP GRAPOTTE BENETREAU en application de l'article 699 du Code de procédure civile ».

20. Par un message du 7 juin 2024, la société BNPPPF a produit une note en délibéré. Par un message du même jour, M. et Mme [L] en ont demandé le rejet.

21. En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux conclusions des parties visées ci-dessus quant à l'exposé du surplus de leurs prétentions et de leurs moyens.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le périmètre de la saisine de la cour

22. En l'état de l'arrêt de la Cour de cassation du 30 mars 2022 et des dernières conclusions des parties, la cour est saisie de la demande d'annulation du contrat de prêt du 11 novembre 2018, des demandes tendant à ce que, en cas d'annulation de ce contrat, soient ordonnées les restitutions réciproques entre les parties et de la demande d'indemnisation d'un préjudice moral qu'aurait causé aux emprunteurs la stipulation de clauses abusives.

23. Aucune demande n'étant dirigée contre la société ACE Patrimoine, à l'exception des demandes de condamnation aux dépens et au paiement d'une indemnité de procédure formées par M. et Mme [L], cette société sera mise hors de cause.

Sur la note en délibéré produite le 7 juin 2024 par la société BNPPPF

24. L'article 445 du code de procédure civile dispose :

« Après la clôture des débats, les parties ne peuvent déposer aucune note à l'appui de leurs observations, si ce n'est en vue de répondre aux arguments développés par le ministère public, ou à la demande du président dans les cas prévus aux articles 442 et 444. »

25. En application de ces dispositions, la note en délibéré produite par la société BNPPPF le 7 juin 2024, qui ne lui a pas été demandée et qui ne tend pas à répondre à des conclusions du ministère public, sera déclarée irrecevable.

Sur l'annulation du contrat de prêt

Moyens des parties

26. Au soutien de leur demande d'annulation du contrat de prêt, M. et Mme [L] soutiennent que :

- ce contrat contient une clause implicite d'indexation, qui résulte de la combinaison de cinq clauses dont il ressort que la monnaie de compte sera le franc suisse et la monnaie de paiement l'euro, que la dette comprend le montant du financement et des frais de change, que la somme prêtée est libérée en euros, pour un montant définitivement arrêté à la date de l'acceptation de l'offre, que des opérations de change auront lieu au cours de la vie du crédit, et que les remboursements se feront en euros tandis que l'amortissement du capital emprunté se fera en francs suisses ;

- cette clause d'indexation, qui relève de l'objet principal du contrat mais ne porte pas sur l'adéquation du prix au service rendu, d'indexation est abusive, en ce qu'elle n'est ni claire, ni intelligible pour le consommateur, auquel n'est pas délivrée une information explicite sur le risque de change, et en ce qu'elle crée un déséquilibre significatif au détriment de l'emprunteur, dès lors que le fonctionnement du contrat implique un risque de change illimité qui est exclusivement supporté par celui-ci, partie faible au contrat ;

- sont également abusives les clauses de révision du taux d'intérêt, la clause de reconnaissance de l'information relative aux opérations de change et la clause relative au calcul du taux effectif global ;

- ces clauses sont réputées non écrites, ce qui entraîne l'anéantissement rétroactif du contrat, dès lors, notamment, que les clauses d'indexation et de révision du taux d'intérêt sont essentielles au fonctionnement du contrat.

27. En réponse, après avoir conclu au rejet de la demande d'annulation dans ses précédentes conclusions, la société BNPPPF demande en dernier lieu à la cour de lui donner acte qu'elle renonce à contester la demande d'annulation du contrat de prêt et d'ordonner cette annulation, en soutenant notamment que :

- aux termes de leurs conclusions du 10 juin 2022, M. et Mme [L] se prévalent du caractère abusif des clauses suivantes : « clause implicite d'indexation », « clauses de variation du taux d'intérêt » et « clause de reconnaissance d'information » et demandent en conséquence l'annulation de leur contrat ;

- à cet égard, en exécution d'un accord transactionnel conclu entre l'association CLCV, elle a proposé à M. et Mme [L] une lettre leur proposant l'annulation de leur prêt ;

- en conséquence, elle entend renoncer à contester la demande d'annulation de ce prêt.

Appréciation de la cour

28. L'article 4 du code de procédure civile dispose :

« L'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

Ces prétentions sont fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense. Toutefois l'objet du litige peut être modifié par des demandes incidentes lorsque celles-ci se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant. »

29. L'article 5 de ce code dispose ensuite :

« Le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé. »

30. En l'espèce, aux termes de ses dernières conclusions, la société BNPPPF renonce à contester la demande d'annulation du contrat de prêt conclu le 11 novembre 2008 en ce qu'elle est fondée sur le caractère abusif des clauses, stipulées au contrat, d'indexation, de variation d'intérêt et de reconnaissance par les emprunteurs de l'information reçue sur les opérations de change.

31. Il convient dès lors de constater cette renonciation de la société BNPPPF, d'infirmer le jugement en ce qu'il rejette la demande d'annulation du contrat de prêt fondée sur la stipulation de ces clauses abusives et de prononcer cette annulation.

Sur les conséquences de l'annulation du contrat de prêt

Moyens des parties

32. S'agissant des restitutions à ordonner en conséquence de l'annulation du contrat de prêt, M. et Mme [L] soutiennent que :

- la créance de la banque correspond au montant du capital emprunté en euros expurgé de toute référence à l'indexation, soit 417 000 euros ;

- leur créance correspond à l'ensemble des versements effectués, à savoir la commission d'ouverture de compte, les mensualités, les frais de gestion et de conversion, le versement effectué lors du remboursement par anticipation et les frais annexes, soit un total de 593 286,75 euros ;

- après compensation entre ces deux créances, il en résulte un solde en leur faveur de176 286,75 euros ;

- la première demande de remboursement ayant été faite dès la première assignation délivrée à la banque le 28 août 2013, ils sont bien fondés à demander que les sommes dues par la banque portent intérêts à compter de cette date, ces intérêts étant capitalisés en application des artile 1343-2 du code civil ;

- la demande de la banque de déduction des dommages et intérêts qui lui ont été alloués par la chambre des appels correctionnels est infondée, dans la mesure où il ne peut y avoir de compensation qu'entre des créances et des dettes de même nature ;

- or une indemnité de nature délictuelle prononcée par une juridiction répressive pour réparer le préjudice d'une victime causé par un comportement réprimé par le code pénal, en l'espèce des pratiques commerciales trompeuses quant aux risques financiers auxquels ils étaient exposés, est totalement décorrélée des effets de l'annulation d'un contrat ;

- ce remboursement des condamnations pénales reviendrait à annuler la condamnation pénale vis-à-vis des victimes et à violer l'autorité de la chose définitivement jugée au pénal, lequel tient le civil en l'état.

33. En réponse, la société BNPPPF soutient que :

- lorsqu'un contrat de prêt est annulé, les emprunteurs sont tenus de restituer à la banque le capital prêté, tandis que la banque doit restituer toutes les sommes prélevées en exécution du contrat de prêt ; ce faisant, les parties sont remises dans l'état dans lequel elles se trouvaient si le prêt n'avait pas existé ;

- l'annulation du prêt efface ainsi tout éventuel préjudice financier qui aurait été subi par l'emprunteur en raison de l'exécution du prêt ;

- les emprunteurs auront bénéficié de la mise à disposition gratuite des fonds, de sorte qu'il s'agit d'un prêt sans intérêts ni frais, alors qu'elle conservera à sa charge l'ensemble des coûts de mise en place, de gestion et de refinancement du prêt ;

- les restitutions réciproques qui découlent de l'annulation d'un contrat ont pour but de replacer les parties dans l'état dans lequel elles se trouvaient avant la conclusion du contrat, comme si celui-ci n'avait jamais existé, et cet objectif fait écho au principe de réparation intégrale du préjudice ;

- de la même manière que des restitutions peuvent avoir pour effet de réparer un préjudice, l'indemnisation d'un préjudice lié à l'exécution d'un contrat doit être prise en compte dans le cadre des restitutions qui résultent de son annulation ;

- s'agissant des restitutions à opérer, les emprunteurs doivent restituer le capital qu'ils ont perçu, soit 417 000 euros, tandis qu'elle doit leur restituer toutes les mensualités qu'elle a perçues, sous déduction de l'indemnisation allouée par la chambre des appels correctionnels, dès lors que la restitution des mensualités permet notamment d'effacer l'effet de la variation du taux de change, qui a été indemnisé au titre du préjudice financier par la chambre des appels correctionnels ;

- si la nature juridique ou le fondement des condamnations sont distincts, ces condamnations ne sont pas pour autant sans lien ; en particulier, si une action tendant à l'annulation d'un contrat peut se cumuler avec une action visant à l'indemnisation d'un préjudice, le juge doit veiller, en application du principe de la réparation intégrale, à veiller à ce que ce préjudice ne soit pas déjà réparé par l'effet de l'effacement du contrat ;

- s'agissant des intérêts au taux légal, il serait inéquitable de les faire courir à compter du 28 août 2013, avec capitalisation, alors que jusqu'à la fin de l'année 2020, de très nombreuses décisions des juridictions civiles ont jugé que les clauses du contrat étaient claires et compréhensibles et qu'elle avait parfaitement respecté son obligation d'information sur les risques du prêt, en particulier le risque de change, et qu'elle renonce à contester la demande d'annulation du contrat.

Appréciation de la cour

34. L'annulation d'un contrat entraîne la remise des parties dans l'état où elles se trouvaient avant la conclusion de ce contrat, qui n'est censé n'avoir jamais existé. Dans le cas d'un contrat de prêt, l'annulation emporte l'obligation pour chaque partie, prêteur et emprunteur, de restituer l'ensemble des sommes payées à l'autre en exécution du contrat.

35. En l'espèce, il est constant que, lors du déblocage du prêt, la société BNPPPF a payé la somme de 417 000 euros à M. et Mme [L], que ceux-ci sont donc tenus de lui restituer.

36. S'agissant des sommes payées à la société BNPPPFF par M. et Mme [L] en exécution du contrat de prêt, il résulte des pièces versées aux débats, et plus particulièrement du contrat de prêt, du décompte produit par la banque et des relevés trimestriels produits par les emprunteurs, que ceux-ci ont payé la somme totale de 580 044,10 euros, conformément au calcul opéré par la société BNPPFF, étant précisé que le décompte présenté par M. et Mme [L] dans leurs dernières conclusions est affecté de plusieurs inexactitudes, d'abord, en ce qu'il minore le montant des échéances trimestrielles payées par ceux-ci et, ensuite, en ce qu'il intègre des sommes qui n'ont pas fait l'objet d'un règlement par les emprunteurs, soit parce qu'ils n'en étaient pas même débiteurs, comme c'est le cas des primes d'une assurance Crédit logement qu'ils ne justifient pas avoir souscrite, soit qu'elles aient été prélevées directement sur le capital prêté, comme c'est le cas des frais de change facturés lors du déblocage du prêt, soit qu'elles apparaissent deux fois dans leur décompte, comme c'est le cas des sommes mises à leur charge lors du remboursement du prêt, à savoir les intérêts courus entre la date d'échéance et la date d'arrêté, pour un montant de 51,73 euros, l'indemnité de remboursement anticipé, pour un montant de 3 361,18 euros, et les frais de change, pour un montant de 6 166,82 euros, sommes qui sont toutes comprises dans la somme de 417 288,48 euros payées par les emprunteurs, le capital restant dû converti en euros s'élevant alors à 407 708,74 euros.

37. En conséquence de l'annulation du contrat de prêt, la société BNPPPF doit donc restituer à M. et Mme [L] cette somme de 580 044,10 euros, que ceux-ci lui ont versée en exécution du contrat.

38. Cela étant, par l'arrêt du 28 novembre 2023 de la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Paris, dont il n'est pas contesté qu'il a acquis un caractère définitif en ses dispositions pénales et en ses dispositions civiles concernant M. et Mme [L], la société BNPPPF a été déclarée coupable du délit de pratique commerciale trompeuse qui lui était reproché pour avoir notamment, à l'occasion de la commercialisation des contrats de prêts intitulés Helvet Immo, omis de préciser ou indiqué dans des termes inintelligibles l'existence d'un risque de change à la charge exclusive de l'emprunteur, l'éventualité d'un déplafonnement total des mensualités dans la dernière période du prêt en cas d'évolution défavorable du taux de change et l'existence d'un risque d'augmentation du capital restant dû en euros.

39. Sur l'action civile, l'arrêt retient que les emprunteurs savaient souscrire un prêt à taux variable mais n'ont pas compris ni mesuré le risque de change comme susceptible d'entraîner, malgré le règlement des mensualités, une augmentation du capital restant dû et un déplafonnement total des mensualités dans la période de rallongement du prêt, qu'ils se sont ainsi retrouvés exposés à un risque de change, qu'ils supportaient intégralement et exclusivement, et qu'ils n'auraient pas souscrit ce contrat s'ils n'avaient pas été trompés.

40. L'arrêt retient ensuite que l'indemnisation du préjudice financier doit s'apprécier comme correspondant à la neutralisation du risque de change, « de sorte que le taux de change fixé au contrat sera retenu comme s'appliquant durant toute la durée du prêt ». Il précise qu'il ne serait pas fait droit aux demandes d'annulation des mensualités de remboursement, dès lors que cela tendrait à considérer que les emprunteurs ont souscrit un prêt à taux zéro alors même qu'ils avaient conscience de contracter un emprunt à taux variable, la réparation du préjudice lié au risque de change ne pouvant conduire à un enrichissement des emprunteurs.

41. L'arrêt retient enfin que ce préjudice financier est constitué, d'une part, par le capital restant dû à la date d'arrêté de compte produit par la partie civile, somme dont il convient de soustraire le capital restant dû tel que figurant à la même date sur le tableau d'amortissement prévisionnel intégré à l'offre de prêt, converti au préalable en euro sur la base exprimé dans l'offre, et d'autre part par la différence entre le montant total des sommes versées par les emprunteurs à la date de l'arrêté de compte et le montant des sommes dues à la même date telles que résultant du tableau d'amortissement, étant précisé que, pour les prêts remboursés par anticipation, la date retenue est celle de ce remboursement, le risque de change ayant alors disparu.

42. Sur cette base, la société BNPPPF a été condamnée à payer à M. et Mme [L], en tant que parties civiles, la somme de 38 908,09 euros en réparation du préjudice financier causé par l'infraction.

43. Par cette décision, la société BNPPPF a été définitivement condamnée à payer à M. et Mme [L], à titre de dommages et intérêts, une somme correspondant à une partie des sommes que lui avaient payées ceux-ci en exécution du contrat de prêt, à savoir les sommes au paiement desquelles ils n'auraient pas été tenus en l'absence de stipulations faisant dépendre leur charge de remboursement du taux de change de l'euro contre le franc suisse.

44. Il doit dès lors être considéré que la société BNPPPF a été définitivement condamnée, pour réparer le préjudice causé par l'infraction dont elle a été déclarée coupable, à restituer la somme de 38 908,09 euros payées par M. et Mme [L] en exécution de clauses du contrat de prêt auxquelles ils n'auraient pas souscrit s'ils n'avaient pas été trompés par la banque.

45. En conséquence, sauf à condamner cette société, serait-ce sur des fondements distincts, à restituer deux fois les mêmes fonds, cette somme de 38 909,09 euros doit donc être déduite des sommes que les emprunteurs ont payées à la société BNPPPF et qu'elle doit leur restituer en conséquence de l'annulation de l'entier contrat de prêt, pour un montant total de 580 044,10 euros, sans que cela porte atteinte à l'autorité de la chose jugée par la juridiction pénale, puisqu'au contraire, il lui est ainsi donné plein effet.

46. Compte tenu de ces éléments, la société BNPPPF reste tenue de restituer à M. et Mme [L], du fait de l'annulation du contrat de prêt, la somme de 541 136,01 euros.

47. Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il déboute M. et Mme [L] de leurs demandes de restitutions consécutives à l'annulation du contrat et la société BNPPPF sera condamnée, après compensation entre les créances réciproques des parties, d'un montant respectif de 417 000 euros et 541 136,01 euros, à payer à M. et Mme [L] la somme de 124 136,01 euros.

48. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 28 août 2013, date de l'assignation en annulation du contrat de prêt et en restitution, peu important, à cet égard, que des décisions antérieures aient jugé fondées les contestations opposées par la société BNPPPF aux demandes de M. et Mme [L] ou d'autres emprunteurs ou que cette société ait, en dernier lieu, renoncé à contester la demande d'annulation du contrat formée par M. et Mme [L].

Sur la demande d'indemnisation d'un préjudice moral

Moyens des parties

49. Au soutien de leur demande d'indemnisation d'un préjudice moral, M. et Mme [L] font valoir que :

- la stipulation de clauses abusives dans un contrat constitue pour un professionnel une faute constituée par la violation de l'ordre public consumériste ;

- en outre, l'anéantissement rétroactif du contrat n'exclut pas la mise en 'uvre de la responsabilité de la banque dès lors qu'il subsiste un préjudice non réparé ;

- or ils ont particulièrement souffert de cette violation, dès lors qu'ils ont été exposés pendant des années à une dette pouvant évoluer sans limite, puis par le fait de devoir supporter un endettement très élevé après le rachat du crédit, puisque du fait de ce crédit pernicieux, ils sont endettés jusqu'à leurs 69 et 70 ans, pour un capital de 320 000 euros ;

- la bataille judiciaire dure depuis plus de onze ans, ce qui constitue une situation exceptionnellement dure et perturbante ;

- la banque les a laissés dans l'angoisse de la sortie du crédit depuis fin 2012, tout en multipliant les procédures dilatoires et abusives ;

- dans son arrêt du 28 novembre 2023, la chambre des appels correctionnels s'est limitée à confirmer le jugement rendu par le tribunal correctionnel, refusant de l'augmenter au motif que les victimes ne justifiaient pas de l'aggravation de leur préjudice ou d'un préjudice distinct intervenu depuis le jugement, pour s'en tenir à la fixation du préjudice au jour du jugement de première instance ;

- dès lors, le préjudice moral lié à l'écoulement du temps supplémentaire depuis la date des plaidoiries devant le tribunal n'a pas été indemnisé ;

- or l'annulation du prêt ne résoudra pas leurs difficultés financières, alors qu'ils sont désormais à la retraite et que leurs revenus ont fortement chuté ;

- en outre, le préjudice moral est d'autant plus important que la banque s'est acharnée contre eux, allant jusqu'à les obliger à saisir la Cour de cassation à deux reprises, pour reconnaître dans des conclusions de dernière minute que les clauses litigieuses étaient abusives et que le contrat devait être annulé ;

- il s'agit d'un préjudice moral distinct de celui indemnisé par la procédure pénale.

50. En réponse, la société BNPPPF soutient que :

- M. et Mme [L] ont déjà été indemnisés par le juge pénal pour un montant de 10 000 euros chacun ;

- ils ne justifient pas d'un préjudice moral distinct de celui dont ils ont été ainsi indemnisés et sont ainsi dépourvus pour la demande qu'ils forment au titre du préjudice moral.

Appréciation de la cour

51. S'agissant du préjudice moral des parties civiles, l'arrêt de la chambre des appels correctionnels du 28 novembre 2023 retient notamment que les parties civiles entendues à l'audience ont toutes fait état de l'anxiété dans laquelle les a placées la souscription du prêt intitulé Helvet Immo, qu'elles ont fait part de leur désarroi face à une dette qui ne cessait de croître et que certaines ont été exposées à des procédures contentieuses. Il en déduit que la réalité du préjudice moral de l'ensemble des emprunteurs parties civiles est certaine et de nature à leur ouvrir droit à réparation.

52. L'arrêt ajoute que l'écoulement du temps du fait de l'appel interjeté est réparé par l'allocation d'intérêts compensatoires et ne saurait justifier l'augmentation des sommes octroyées en réparation du préjudice moral et ce d'autant que les parties civiles ne justifient pas de l'aggravation induite par le recours exercé. Il précise que le préjudice moral des parties civiles est déterminé en considération de la situation dans laquelle la souscription du prêt les a placées et compte tenu des justificatifs produits.

53. L'arrêt conclut, s'agissant des parties civiles qui ont converti leur prêt en euros, catégorie à laquelle M. et Mme [L] ont été rattachés, que ces emprunteurs ont dû faire face à une charge financière mensuelle de remboursement plus conséquente mais n'étaient plus exposés au risque de change et confirme en conséquence le jugement en ce qu'il leur alloue, à chacun, la somme de 10 000 euros en réparation de leur préjudice moral.

54. Contrairement à ce que soutiennent M. et Mme [L], la chambre des appels correctionnels n'a pas évalué leur préjudice moral au jour de l'audience devant le tribunal correctionnel, mais au jour auquel elle a statué, en jugeant que ce préjudice n'avait pas subi d'aggravation entre ces deux dates. Cette juridiction a par ailleurs évalué ce préjudice en considération, non seulement des incertitudes concernant l'évolution de la dette résultant du prêt, mais également des procédures judiciaires les ayant opposés à la société BNPPPF.

55. Il en résulte que M. et Mme [E] ne se prévalent pas d'un préjudice moral distinct de celui qu'ils invoquaient devant la chambre des appels correctionnels. Ils seront en conséquence déboutés de leur demande à ce titre.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

56. Compte tenu du sens de la présente décision, le jugement sera infirmé en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

57. La société BNPPPF, qui succombe pour l'essentiel, sera condamnée aux dépens des procédures du première instance et d'appel en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

58. En application de l'article 700 du même code, les sociétés BNPPPF et ACE Patrimoine seront déboutées de leurs demandes de remboursement des frais exposés dans le cadre des procédures de première instance et d'appel et non compris dans les dépens et la société BNPPPF sera condamnée, à ce titre, à payer à M. et Mme [L] la somme globale de 20 000 euros.

PAR CES MOTIFS, la cour d'appel :

Déclare irrecevable la note en délibéré produite le 7 juin 2024 par la société BNP Paribas Personal Finance ;

Met hors de cause la société ACE Patrimoine ;

Constate que la société BNP Paribas Personal Finance renonce à contester la demande de M. et Mme [L] d'annulation du contrat de prêt conclu le 11 novembre 2008 fondée sur la stipulation de clauses abusives ;

Infirme le jugement en ce qu'il déboute M. et Mme [L] de leurs demandes fondées sur la stipulation de clauses abusives dans le contrat de prêt du 11 novembre 2008 et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Le confirme pour le surplus des dispositions soumises à la cour ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Prononce l'annulation du contrat de prêt conclu le 11 novembre 2008 entre la société BNP Paribas Personal Finance et M. et Mme [L] ;

Dit que M. et Mme [L] sont tenus de restituer à la société BNP Paribas Personal Finance la somme de 417 000 euros ;

Dit que la société BNP Paribas Personal Finance est tenue de restituer à M. et Mme [L] la somme de 541 136,01 euros ;

Ordonne la compensation des créances réciproques entre les parties ;

Condamne en conséquence la société BNP Paribas Personal Finance à payer à M. et Mme [L] la somme de 124 136,01 euros ;

Dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 28 août 2013 ;

Déboute M. et Mme [L] de leur demande d'indemnisation d'un préjudice moral ;

Condamne la société BNP Paribas Personal Finance aux dépens des procédures de première instance et d'appel ;

Déboute la société BNPPPF de sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et la condamne, sur ce fondement, à payer à M. et Mme [L] la somme globale de 15 000 euros au titre des frais exposés dans le cadre des procédures de première instance et d'appel et non compris dans les dépens ;

Rejette le surplus des demandes.