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Décisions

CA Montpellier, ch. com., 23 juillet 2024, n° 22/00247

MONTPELLIER

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Aux Saveurs du Jardin (SARL), Comptoir Central du Froid (SARL)

Défendeur :

Épouse

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Demont

Conseillers :

Mme Bourdon, M. Graffin

Avocats :

Me Adamou, Me Feres, Me Fombonne

T. com. Béziers, du 29 nov. 2021, n° 202…

29 novembre 2021

FAITS, PROCEDURE - PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES:

Par acte authentique en date des 9 et 10 juillet 2009, Mme [N] [M] épouse [U] a donné à bail commercial à la SARL Aux saveurs du jardin un local, situé [Adresse 6] à [Localité 8] pour une durée de neuf années, à compter du 10 juillet 2009.

Le bail a été consenti moyennant un loyer annuel hors charges de 9 009,64 euros, payable trimestriellement et d'avance.

Le bail prévoit que le local loué communique avec le local voisin, faisant l'objet, concomitamment, d'un bail au profit du même preneur et qu'à la fin du bail et sur simple demande du bailleur, le preneur s'engage à remettre les locaux dans leur état d'origine, à savoir':

- reconstruction du mur mitoyen du rez-de-chaussée et du 1er étage,

- reconstruction de l'escalier.

En effet, par acte authentique du même jour, la société Aux saveurs du jardin et Mme [U] ont conclu également un bail commercial pour une durée de neuf années portant sur des locaux mitoyens, situés [Adresse 5], avec la même clause concernant la communication des locaux avec le local voisin et l'engagement du preneur de remettre les lieux dans leur état d'origine (hormis la reconstruction de l'escalier).

Ces locaux ont été vendus par acte authentique du 31 décembre 2013 à la SCI Campredon, l'acte précisant que l'acquéreur est informé de l'absence d'escalier pour accéder aux étages et rappelant que le preneur des deux baux relatifs aux locaux commerciaux situés au rez-de-chaussée de l'immeuble vendu et de l'immeuble contigu, qui communiquent entre eux, s'engage à reconstruire le mur mitoyen du rez-de-chaussée et du premier étage.

Par actes d'huissier en date des 9 mai 2019, 17 octobre 2019 et 25 août 2020, Mme [U] a fait délivrer à la société Aux saveurs du jardin des commandements de payer visant la clause résolutoire.

Saisi par acte d'huissier en date du 27 janvier 2021 délivré par Mme [U], le président du tribunal judiciaire de Béziers a, par ordonnance de référé en date du 6 avril 2021 :

- constaté l'acquisition de la clause résolutoire du contrat de bail conclu entre les parties le 10 juillet 2009,

- ordonné en conséquence, l'expulsion dans les délais légaux de la SARLU Aux saveurs du jardin, ainsi que tout occupant de son chef, si besoin avec le concours de la force publique, d'un serrurier et de déménageurs,

- condamné provisionnellement la SARLU Aux saveurs du jardin à payer à Mme [N] [M] épouse [U] la somme de 8 414 euros au titre des loyers et charges impayés arrêtés à la date du 31 janvier 2021,

- condamné la SARLU Aux saveurs du jardin au paiement d'une indemnité d'occupation d'un montant mensuel de 750 euros à compter du 1er février 2021 et ce jusqu'à la libération effective des lieux,

- rejeté la demande de délais de paiement,

- condamné la SARLU Aux saveurs du jardin au paiement de la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

Le 2 septembre 2021, un procès-verbal de reprise des lieux a été établi.

Entre-temps, la SARL Comptoir central du froid, associée unique de la société Aux saveurs du jardin, a décidé la dissolution avec liquidation amiable de cette société à compter du 31 mars 2020 par une assemblée générale extraordinaire du même jour, M. [V] [E] étant désigné comme liquidateur amiable (annonce publiée le 8 avril 2020) et une dissolution sans liquidation dans les conditions de l'article 1844-5 du code civil à compter du 1er juin 2021 (annonce publiée le 14 juillet 2021).

Saisi par acte d'huissier en date du 12 août 2021 délivré par Mme [U] aux fins d'opposition à la dissolution sans liquidation et de condamnation de la société Aux saveurs du jardin à une provision de 30'000 euros au titre des travaux à réaliser, le tribunal de commerce de Béziers a, par jugement du 29 novembre 2021':

- débouté la société Aux saveurs du jardin, M. [V] [E] et la SARL Comptoir Central du Froid de leur exception d'incompétence au profit du tribunal judiciaire de Béziers ;

- constaté que la dissolution sans liquidation de la société Aux saveurs du jardin cause un préjudice à Mme [U] créancière de ladite société ;

- donné acte à Mme [U] de ce qu'elle ne sollicite plus que la somme de 47000 euros au titre des réparations à titre global et forfaitaire ;

- condamné la société Aux saveurs du jardin au paiement de la somme de 47000 euros au titre des travaux à réaliser à Mme [U] ;

- condamné la société Aux saveurs du jardin, M. [V] [E] et la SARL Comptoir Central du Froid au paiement de la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration reçue le 14 janvier 2022, les sociétés Aux saveurs du jardin et le Comptoir central du froid ont relevé appel de ce jugement.

Par arrêt du 27 février 2024, la cour d'appel de Montpellier a :

- déclaré irrecevable la demande de radiation, fondée sur les dispositions de l'article 524 du code de procédure civile ;

- confirmé le jugement déféré en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la SARL Aux Saveurs du Jardin et la SARL Comptoir Central du Froid ;

- Avant dire droit, ordonné la réouverture des débats ;

- invité les parties à conclure sur le moyen tiré de l'absence d'effet dévolutif des conclusions d'appel des sociétés Aux Saveurs du Jardin et Comptoir Central du Froid en application combinée des articles 908 et 954 du code de procédure civile à l'exclusion de tout autre, avant le 21 mai 2024 ;

- sursis à statuer sur les chefs de demandes non tranchés ;

- renvoyé la cause et les parties à l'audience collégiale du 11 juin 2024 à 14heures, avec nouvelle clôture des débats le 28 mai 2024 ;

- réservé les dépens.

Par conclusions du 10 avril 2024, les sociétés Aux saveurs du jardin et le Comptoir central du froid demandent à la cour, au visa de l'article 1844-5 du code civil, des articles 524, 542, 700, 908 et 954 du code de procédure civile, et des articles R. 211-3, R. 211-4 et L. 311-1 du code de l'organisation judiciaire, de :

- en rejetant toutes conclusions contraires et tenant d'une part, l'existence manifeste de diverses prétentions aussi bien dans le dispositif des conclusions d'appelantes communiquées le 22 mars 2022 que celles du 19 janvier 2023 et, d'autre part, le fait qu'il n'est plus exigé pour l'appelant de préciser, dans le dispositif de ses conclusions d'appel, les chefs de dispositif du jugement dont il est demandé l'infirmation,

- déférer aux conclusions d'appel aussi bien en date du 22 mars 2022 que celles du 19 janvier 2023 un effet dévolutif de sorte à se voir saisir de l'ensemble des demandes restant à juger ;

- ou déclarer qu'aussi bien les conclusions d'appel en date du 22 mars 2022 que celles du 19 janvier 2023 opèrent un effet dévolutif de sorte à se voir saisir de l'ensemble des demandes restant à juger ;

- au fond, infirmer le jugement querellé en ce qu'il a retenu que la dissolution sans liquidation de la société Aux saveurs du jardin aurait causé à Mme [U] un préjudice et en conséquence condamner celle-ci à verser à l'intimée la somme de 47 000 euros au titre des travaux à réaliser et en ce qu'il a solidairement condamné M. [V] [E] au paiement des dépens et frais non compris dans les dépens prévus par l'article 700 du code de procédure civile ;

- en tout état de cause, condamner Mme [U] à leur payer la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de la présente instance.

Au soutien de leur appel, elles font essentiellement valoir que :

- la cour a relevé à tort qu'elles ne formulaient pas de prétentions dans le dispositif, puisqu'elles en ont formé dans leurs conclusions du 22 mars 2022 et du 19 janvier 2023,

- l'appelant n'a plus à préciser dans le dispositif de ses conclusions les chefs de dispositif du jugement dont il est demandé l'infirmation,

- la dissolution sans liquidation n'a pas causé de préjudice à Mme [U], puisque l'obligation de procéder à une remise en état n'est pas fondée (le mur mitoyen n'existait pas ; il ne peut leur être demandé de le construire et la propriétaire de l'autre fonds s'y oppose),

- la clause relative à la reconstruction du mur, qui relève des grosses réparations et du propriétaire des murs, est nulle et doit être réputée non écrite,

- aucun état d'entrée dans les lieux n'est produit, le devis n'est pas contradictoire,

- l'indemnité d'occupation a été payée et les frais de reprise des clefs (frais d'huissier) ne constituent pas des dépens.

Par conclusions du 22 mai 2024, formant appel incident, Mme [U] sollicite de voir, au visa des articles 908, 954, 542 et 562 du code de procédure civile et des articles 1844-5 et suivants du code civil :

- confirmer le jugement attaqué sauf en ce qu'il a rejeté la demande de constitution de garantie ;

- constater que la dissolution sans liquidation de la société Aux Saveurs du jardin lui cause un préjudice, en sa qualité de créancière de ladite société ;

- condamner la société Aux saveurs du jardin au paiement de la somme de 47020 euros au titre des travaux à réaliser ;

- ordonner la constitution de garanties à hauteur desdites sommes ;

- en tout état de cause, condamner la SARL société Aux saveurs du jardin, M. [V] [E] et la SARL Comptoir Central du Froid au paiement de la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle expose en substance que :

- aucune prétention autre que la demande d'infirmation n'est formée dans le dispositif,

- la dissolution sans liquidation est frauduleuse en ce qu'elle vise à la priver de tout versement alors qu'il existe une dette locative (arriérés d'indemnités d'occupation, les lieux ayant été libérés le 2 septembre 2021 et n'ayant pas été remis en état),

- l'attestation de la SCI, propriétaire des locaux contigus, a été rédigée par sa gérante, qui est l'ancienne concubine du gérant de la société Aux saveurs du jardin.

- la proximité entre l'ordonnance de référé du 6 avril 2021, l'absence de règlements des arriérés d'indemnité d'occupation et les dettes relatives à l'absence de remise en état ainsi que la date de dissolution caractérisent une fraude,

- les indemnités d'occupation postérieures à l'ordonnance de référé avant la remise des clefs et toute expulsion n'ont pas été payées,

- en l'absence de remise en état, elle ne peut relouer le local.

Il est renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est datée du 28 mai 2024.

MOTIFS de la DECISION :

1- sur l'étendue des prétentions

En application de l'article 908 du code de procédure civile, dans sa rédaction postérieure au décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, à peine de caducité de la déclaration d'appel, relevée d'office, l'appelant dispose d'un délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel pour remettre ses conclusions au greffe.

Selon l'article 954 alinéa 3 de ce code, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, la cour d'appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

Il résulte de ces textes que le dispositif des conclusions de l'appelant, remises dans le délai de l'article 908, doit comporter, en vue de l'infirmation du jugement frappé d'appel, des prétentions sur le litige, sans lesquelles la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement frappé d'appel.

En l'espèce, le dispositif des conclusions des sociétés Aux saveurs du jardin et le Comptoir central du froid déposées le 22 mars 2022, est le suivant':

«-' In limine litis, infirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé être compétent pour statuer sur les demandes formulées par Mme [U] de condamnation de la société Aux saveurs du jardin à payer une quelconque somme au titre de la remise en état du local et de l'indemnité d'occupation ou à constituer de quelconques garanties en renvoyant la cause et les parties devant le tribunal judiciaire de Béziers,

- A titre subsidiaire, infirmer le jugement querellé':

- en ce qu'il a retenu que la dissolution sans liquidation de la société Aux saveurs du jardin avait causé à Mme [U] un préjudice et en conséquence condamné celle-ci à verser à l'intimée la somme de 47 000 euros au titre des travaux à réaliser ;

- en ce qu'il a solidairement condamné M. [V] [E] au paiement des dépens et frais non compris dans les dépens prévus par l'article 700 du code de procédure civile.'»

La lecture de ce dispositif, à l'exclusion de celui des conclusions déposées le 19 janvier 2023 eu égard au délai de l'article 908, enseigne que la seule prétention énoncée consiste dans la demande d'infirmation, à l'exclusion de toute autre.

La circonstance que les appelantes n'aient pas précisé dans le dispositif de leurs conclusions les chefs du dispositif du jugement, dont elles sollicitent l'infirmation, n'est pas de nature à répondre aux exigences de l'article 954.

Ainsi, les appelantes se sont bornées à demander dans ces conclusions (comme, au demeurant, dans celles du'19 janvier 2023) l'infirmation du jugement in limine litis ou à titre subsidiaire, sans former de prétention dans le dispositif de leurs conclusions.

Il s'en déduit que le dispositif des conclusions des appelantes ne comportant pas de prétentions déterminant l'objet du litige, le jugement ne peut qu'être confirmé.

2- sur l'appel incident

Selon l'article 1844-5 du code civil, la réunion de toutes les parts sociales en une seule main n'entraîne pas la dissolution de plein droit de la société. Tout intéressé peut demander cette dissolution si la situation n'a pas été régularisée dans le délai d'un an. Le tribunal peut accorder à la société un délai maximal de six mois pour régulariser la situation. Il ne peut prononcer la dissolution si, au jour où il statue sur le fond, cette régularisation a eu lieu.

L'appartenance de l'usufruit de toutes les parts sociales à la même personne est sans conséquence sur l'existence de la société.

En cas de dissolution, celle-ci entraîne la transmission universelle du patrimoine de la société à l'associé unique, sans qu'il y ait lieu à liquidation. Les créanciers peuvent faire opposition à la dissolution dans le délai de trente jours à compter de la publication de celle-ci. Une décision de justice rejette l'opposition ou ordonne soit le remboursement des créances, soit la constitution de garanties si la société en offre et si elles sont jugées suffisantes. La transmission du patrimoine n'est réalisée et il n'y a disparition de la personne morale qu'à l'issue du délai d'opposition ou, le cas échéant, lorsque l'opposition a été rejetée en première instance ou que le remboursement des créances a été effectué ou les garanties constituées.

Les dispositions du troisième alinéa ne sont pas applicables aux sociétés dont l'associé unique est une personne physique.

Si Mme [U] sollicite, à hauteur de cour, la constitution de garantie, une telle constitution est alternative au remboursement des créances, d'ores et déjà prononcé.

En tout état de cause, la société Comptoir central du froid, qui a bénéficié de la transmission de patrimoine dans le cadre de la dissolution, ne propose aucune garantie, permettant d'en apprécier le caractère suffisant.

La demande de constitution de garantie, formée par Mme [U] sera rejetée, étant entendu qu'à défaut de paiement des créances, la transmission du patrimoine de la société Aux saveurs du jardin à la société Comptoir central du froid demeure inopposable.

Le jugement sera confirmé dans toutes ses dispositions.

3- sur les autres demandes

Les sociétés Aux saveurs du jardin et le Comptoir central du froid, qui succombent, seront condamnées aux dépens et au vu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, à payer la somme de 3'000 euros, tandis que cette même demande, formée, tant en première instance qu'à hauteur de cour, à l'encontre de M. [E], alors qu'il n'était pas défendeur et n'est pas partie à l'instance d'appel, est irrecevable.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a condamné M. [E] à payer la somme de 2'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau de ce chef et ajoutant,

Déclare irrecevable la demande de Mme [N] [M] épouse [U], formée à l'encontre de M. [V] [E], en première instance et à hauteur de cour, fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SARL Aux saveurs du jardin et la SARL Comptoir central du froid à payer à Mme [N] [M] épouse [U] la somme de 3'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SARL Aux saveurs du jardin et la SARL Comptoir central du froid aux dépens d'appel.