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Décisions

CA Montpellier, ch. com., 23 juillet 2024, n° 22/06632

MONTPELLIER

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Fleurs & O (SAS)

Défendeur :

Cliken Web Pro (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Demont

Conseillers :

Mme Bourdon, M. Graffin

Avocats :

Me Garrigue, Me Celeste

T. com. Béziers, du 21 nov. 2022, n° 202…

21 novembre 2022

FAITS et PROCEDURE

Le 25 novembre 2016, la SAS Fleurs & O, en qualité d'abonnée, a souscrit un contrat de licence d'exploitation de site internet avec la SAS Cliken Web, moyennant le paiement d'un loyer mensuel de 372 euros TTC.

Le 3 janvier 2017, la société Fleurs & O a signé sans réserve le procès-verbal de livraison et de conformité de son site internet « www.fleurs-et-o.fr », en présence du bailleur, la SAS Locam, et du fournisseur, la société Cliken Web.

Par apport partiel d'actif du 30 novembre 2019, la société Cliken Web, devenue CW Group, a transmis sa branche d'activité relative à la gestion de sites internet à la société Cliken Web Pro.

Par lettre du 31 janvier 2022, la société Cliken Web Pro, par l'entremise de son conseil, a vainement mis en demeure sous peine de déchéance du terme prévu à l'article 18 des conditions générales du contrat, la société Fleurs & O de s'acquitter de mensualités échues non payées soit la somme de 4 092 euros, outre celle de 176 euros au titre de l'indemnité de recouvrement et les intérêts de retard aux taux d'intérêts légal majoré de cinq points, ainsi que d'avoir rétablir l'autorisation de prélèvement, annulée au mois de mars 2021, au titre du renouvellement du contrat les liant à partir du 1er janvier 2021 et de onze mensualités impayées.

Par ordonnance du 17 mars 2022, le président du tribunal de commerce de Béziers a partiellement fait droit à la requête de la société Cliken Web Pro, et condamné la société Fleurs & O à lui payer la somme en principal de 9 072 euros, aux intérêts au taux contractuels à compter du 31 janvier 2022.

Par jugement contradictoire du 21 novembre 2022, le tribunal de commerce de Béziers, statuant sur son opposition du 8 juin 2022 a :

reçu la société Fleurs & O en son opposition et l'en a déboutée ;

mis à néant l'ordonnance d'injonction de payer ;

statuant à nouveau,

dit et jugé que la société Fleurs & O n'apporte la preuve d'aucune inexécution ;

rejeté les demandes de la société Fleurs & O ;

condamné la société Fleurs & O à payer à la société Cliken Web Pro, la somme globale de 9 627, 60 euros, outre les intérêts de retard au taux légal majorés de 5 points, soit 5,76% conduisant à un montant d'intérêts de 526,90 euros se décomposant comme suit :

4 536 euros au titre des loyers échus, outre les dommages et intérêts au taux légal majorés de cinq points plus taxes, à parfaire au jour du paiement ;

453,60 euros au titre de la clause pénale à valoir sur les loyers échus ;

3 780 euros au titre des loyers restant à devoir jusqu'au terme du contrat ;

378 euros au titre de la clause pénale portant sur les loyers à échoir ;

rappelé que l'exécution provisoire est de droit ;

condamné la société Fleurs & O à payer à la société Cliken Web Pro, la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Par déclaration du 30 décembre 2022, la SAS Fleurs & O a relevé appel de ce jugement.

Par conclusions du 6 juillet 2023, elle demande à la cour, au visa de l'article 32 du code de procédure civile, L.442-1 du code de commerce et des articles 1103, 1104, 1110, 1130 et suivants, 1178, 1217, 1219, 1224, 1229 et 1231-1 du code civil, de :

infirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il l'a reçue en son opposition ;

à titre principal, juger irrecevable les demandes formulées contre elle par la société Cliken Web Pro ;

à titre subsidiaire, prononcer la nullité du contrat « contrat de licence d'exploitation de site internet » du 25 novembre 2016 ;

à titre infiniment subsidiaire, prononcer sa résolution judiciaire aux torts exclusifs de la société Cliken Web Pro pour inexécution de ses obligations contractuelles ;

à titre très subsidiaire, prononcer la résiliation du contrat à compter du 25 novembre 2021 ;

et en toutes hypothèses, juger qu'elle ne doit aucune somme à la société Cliken Web Pro ;

la condamner à lui rembourser la somme de 20 268 euros correspondant aux sommes par elle réglées alors qu'aucune prestation ne lui a été fournie du fait de l'annulation du contrat ou de sa résolution ou du défaut de qualité à agir ou de la résiliation, et celle de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens outre les frais d'huissier de justice de 400 euros pour le procès-verbal de constat du 29 juin 2022.

Par conclusions du 22 juin 2023, la société Cliken Web Pro demande à la cour, au visa des articles L. 236-6-1, L.442-1, R.236-8, D. 442-2 et D.442-4 du code de commerce, des articles 1103, 1171, 1179, 1181, 1182, 1224, 1225, 1229, 1230, 1352 et 1353 du code civil et de l'article 9 du code de procédure civile , de rejeter les demandes de la société Fleurs & O, de confirmer le jugement entrepris, et ajoutant, de condamner la société Fleurs & O à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

Il est renvoyé, pour l'exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est datée du 2 mai 2024.

MOTIFS :

Sur la fin de non-recevoir tirée d'un défaut de qualité à agir de la société Cliken Web Pro

En versant aux débats les avis de projet d'apport partiel d'actif et de modifications publiés au BODACC ainsi qu'une attestation de transfert des créances datée du 8 juillet 2020, la société Cliken Web démontre que par acte sous seing privé du 30 novembre 2019, ayant pris effet rétroactivement le 1er septembre 2019, la société Cliken Web a apporté à la société Cliken Web Pro sa branche complète de son activité de gestion de sites internet moyennant la prise en charge par la société Cliken Web Pro des éléments de passif dépendant de cette branche d'activité.

Lesdites sociétés ont placé cet apport partiel d'actif sous le régime de l'article L. 236-6-1 du code de commerce, applicable à l'espèce, soit les dispositions générales propres aux fusions et scissions.

Un apport partiel d'actif soumis à ce régime et portant sur une branche d'activité, entraîne automatiquement transmission universelle du patrimoine (biens, droits et obligations) de la branche apportée et de ce fait, dispense la société apporteuse de notifier les débiteurs cédés.

La société bénéficiaire de l'apport se substitue à la société apporteuse auprès des cocontractants de cette dernière, il en va de même pour les créances et les éléments du passif se rattachant à la branche d'activité, faisant l'objet de l'apport, et ce indépendamment de toute absorption entre les sociétés.

Par conséquent, en vertu du contrat de licence d'exploitation de site internet conclu le 25 novembre 2016 entre Fleurs & O et les sociétés Cliken Web, celle-ci est seule titulaire du droit d'agir depuis le 1er septembre 2019 et ses demandes sont dès lors recevables.

Sur la nullité du contrat pour dol

La société Fleurs & O soutient que son consentement a été vicié du fait d'une réticence dolosive la société Cliken Web sur les qualités substantielles du contrat énoncées dans ses conditions particulières ou générales (durée, nature exacte du contrat, informations précises sur les prestations devant être réalisées).

Or, la durée de 48 mois est clairement mentionnée au contrat en ces termes « [les parties] CONCLUENT CE CONTRAT D'ABONNEMENT DE SITE INTERNET D'UNE DUREE FIXE, INDIVISIBLE ET IRREVOCABLE DE 48 MOIS AUX CONDITIONS PARTICULIERES DEFINIES CI-APRES », la nature du contrat est explicitement indiquée en son en-tête : « CONTRAT DE LICENCE D'EXPLOITATION DE SITE INTERNET » ainsi que les prestations énumérées de façon détaillée, cochée, et adaptée aux besoins précis de la société Fleurs & O.

La société Fleurs & O a formellement reconnu avoir pris connaissance des conditions générales en apposant sa signature sur celles-ci.

Faute de rapporter la preuve d'un dol, elle sera déboutée de sa demande de nullité du contrat présentée sur ce fondement.

Sur la demande au titre d'une pratique respective de concurrence

La société Fleurs & O invoque au soutien de son appel l'article L. 442-1 du code de commerce relatif aux pratiques restrictives de concurrence, issu de l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019, dans sa version en vigueur du 20 octobre 2021 au 1er avril 2023, alors que le contrat a été conclu entre les parties le 25 novembre 2016, de sorte que cet article n'est pas applicable au litige.

Les dispositions des articles L.442-1 ancien et suivants et D.442-2 ancien du code de commerce alors en vigueur, donnant compétence exclusive à la cour d'appel de Paris pour connaître des litiges relatifs à cette demande, la demande de nullité du contrat formulée par la société Fleurs & O, en se basant sur les dispositions précitées du code de commerce, sont en conséquence irrecevables devant la présente cour.

Sur la nullité du contrat pour déséquilibre significatif

Selon les articles 1130 et 1131 du code civil, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n°2016-131 en date du 10 février 2016, la violence vicie le consentement lorsqu'il est de telle nature que, sans lui, l'une des parties n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes, son caractère déterminant s'apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné ; ce vice du consentement est une cause de nullité relative du contrat.

Les articles 1142 et 1143 suivants, applicables en l'espèce, précisent que la violence économique se caractérise par le fait qu'une partie, abusant de l'état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu'il n'aurait pas souscrit en l'absence d'une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif.

Il est par ailleurs constant que la contrainte économique se rattache à la violence et non à la lésion.

En l'espèce, la société Fleurs & O soutient que le contrat litigieux est vicié en ce qu'il crée un déséquilibre significatif en sa défaveur à la lecture de plusieurs clauses dudit contrat.

La société Fleurs & O ne démontre pas que les conditions de la violence économique seraient réunies, de sorte que la nullité du contrat ne saurait être retenue pour vice du consentement.

Par ailleurs, selon les dispositions de l'article 1171 du code civil, dans sa version applicable au litige, dans un contrat d'adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite.

L'appréciation du déséquilibre significatif ne porte cependant ni sur l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix à la prestation.

De plus, l'article 1184 de ce code précise que le contrat est maintenu lorsque la loi répute la clause non écrite, ou lorsque les fins de la règle méconnue exigent son maintien.

En l'espèce, la société Fleurs & O sollicite n'est pas fondée à solliciter la nullité du contrat en invoquant l'existence d'un déséquilibre significatif au sens de l'article 1171 du code civil, alors que cet article n'édicte aucune nullité du contrat en raison d'un supposé déséquilibre significatif.

Par conséquent, l'appelante n'articulant aucune prétention en lien avec ce fondement, sera déboutée de sa demande de nullité du contrat du 25 novembre 2016.

Sur la résolution du contrat

La société Fleurs & O soutient que la société Cliken Web, soumise à une obligation de résultat, ne lui aurait jamais délivré les prestations promises.

Elle se borne à produire deux lettres de son conseil des 10 juillet et 12 août 2021 et un constat d'huissier réalisé le 29 juin 2022 démontrant selon elle que la société Cliken Web n'n'aurait pas respecté le référencement de son site internet « www.fleurs-et-o.fr » et la mise à disposition d'une adresse e-mail professionnelle fonctionnelle.

Ces deux lettres, 4 ans et demi après la souscription du contrat, font état de ses doléances tardives d'une « absence de résultat et de toute prestation claire sur le prétendu référencement », ainsi que le constat d'huissier du 29 juin 2022, indique qu'au titre du référencement, le site litigieux apparait tout de même en cinquième position sur la première page Google suite à la recherche « paysagiste [Localité 7] » et en troisième position sur la troisième page Google suite à la recherche « paysagiste [Localité 5] ».

Le contrat litigieux prévoit notamment dans ses prestations « adresse(s) e-mail(s) professionnelle(s) 5 max » et « référencement » (plus précisément « inscription sur les moteurs de recherche » ainsi que « optimisation des balises tilte (mots clés) »). Selon les conditions générales annexées, l'article 5 sur l'hébergement et le référencement précise que « l'hébergement et le référencement du Site Web sont sous la responsabilité du locataire ». A défaut de précision contractuelle dans le contrat, le référenceur n'est tenu qu'à une obligation de moyens.

Selon le procès-verbal de livraison et de conformité signé par la société Fleurs & O le 3 janvier 2017, elle a déclaré le site internet «www.fleurs-et-o.fr » conforme, notamment au cahier des charges établi avec le fournisseur, la société Cliken Web, elle a également reconnu son état de bon fonctionnement et elle l'a accepté sans restriction ni réserve.

Concernant l'adresse e-mail utilisée par l'huissier de justice « [Courriel 6] », il n'est précisé ni sur le contrat litigieux, ni dans les échanges écrits entre les parties, ni sur les pages du site internet insérées dans le procès-verbal de constat, qu'il s'agissait de l'adresse e-mail convenue entre les parties, de sorte qu'il ne peut être reproché à la société Cliken Web Pro son dysfonctionnement.

De même, l'absence de réponse au message adressé par l'huissier de justice via l'onglet « nous contacter » ne saurait seulement être imputable à la société Cliken Web Pro alors que la société Fleurs & O ne démontre pas l'absence de réception dudit message.

En toute hypothèse un procès-verbal dressé unilatéralement, au mépris du principe du contradictoire, est insuffisant la preuve de manquements contractuels de la part de la société Cliken Web Pro pouvant justifier l'exception d'inexécution opposée par la société Fleurs & O et a fortiori, sa demande de résolution judiciaire du contrat.

Sur la résiliation du contrat

La société Fleurs & O sollicite la résiliation du contrat à compter du 25 novembre 2021 en invoquant ses lettres du 10 juillet et 12 août 2021, alors que le contrat a été signé le 25 novembre 2016 pour une durée déterminée de 48 mois renouvelable « par périodes de deux ans successives » selon la clause 8.1 insérée aux conditions générales, laquelle ne prévoit pas de possibilité de résiliation par le locataire à une autre échéance que la date anniversaire de celui-ci.

Par conséquent, le 25 novembre 2021 n'étant pas une date anniversaire permettant au locataire de mettre fin au contrat, et les manquements contractuels du bailleur n'étant pas établis, comme il est dit supra, la société Fleurs & O sa demande de résiliation à la date du 27 novembre 2021 doit être écartée.

En définitive le jugement qui a condamné la société Fleurs & O au paiement et qui a rejeté toutes ses demandes principales et subséquentes sera entièrement confirmé.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Rejette la fin de non-recevoir soulevée ;

Déclare irrecevable la demande de nullité du contrat au titre du déséquilibre significatif présentée sur le fondement de l'article L441-1 du code de commerce;

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant

Condamne la SAS Fleurs & O à payer à la SAS Cliken Web Pro la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.