CA Toulouse, 2e ch., 23 juillet 2024, n° 23/01348
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Locadepots (SARL)
Défendeur :
Larrieu Automobiles (SASU)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Salmeron
Conseillers :
Mme Martin de la Moutte, Mme Norguet
Avocats :
Me Poulizac, Me Chesneau, Me Fessaguet, Me Fournier
Exposé des faits et procédure :
le 28 juillet 2017, la sarl Locadepots a donné à bail à la SASU Larrieu Automobiles des locaux sis à [Adresse 3].
Le 9 février 2022, la societe SASU Larrieu Automobiles a fait assigner la SARL Locadépots en requalification d'un bail précaire du 28 juillet 2017 en un bail commercial en raison de sa tacite reconduction et sur le fondement de l'article L.145-5 du code de commerce.
Elle exposait que depuis le mois de décembre 2021, elle était sous le coup d'une menace d'éviction.
La societe Locadépots a saisi le juge de la mise en état de conclusions tendant au prononcé de l'irrecevabilité de la demande en raison de la prescription de l'article 145-60 du code de commerce qui, selon elle, courait à compter de la signature du bail ; elle ajoutait que la notion de transmutation du bail mise en avant dans les écritures au fond de son adversaire n'avait aucune portée juridique.
La société Larrieu Automobiles a conclu que sa demande était recevable et elle demandait la somme de 3 000 euros pour ses frais de conseil et celle de 2000 euros de dommages et intérêts.
Elle a fait valoir que le juge de la mise en état n'était pas compétent et que la société défenderesse avait conclu au fond ; que la prescription biennale ne s'appliquait pas en présence d'une transmutation automatique du bail qui ne supposait donc pas une action judiciaire ; que la prescription était alors celle du droit commun ; elle ajoutait que la demande reconventionnelle en résiliation du bail n'était pas fondée et que c'est par
fraude que le bailleur avait conclu un bail précaire.
Par ordonnance du 23 mars 2023, le juge de la mise en état (JME) du tribunal judiciaire de Toulouse a :
- dit que Ia société Locadépots est recevable à proposer Ia fin de non-recevoir tirée de la prescription
- dit que Ia demande de Ia société Larrieu automobiles n'est pas prescrite et qu'elle est recevable
- s'est déclaré incompétent pour apprécier Ie bien-fondé de la demande
reconventionnelle
- condamné la société Locadépots aux dépens de l'incident et à payer la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile (cpc).
- débouté la société Larrieu automobiles de sa demande de dommages et intérêts.
- dit que l'affaire serait rappelée à l'audience de mise en état du 3 mai 2023 a 8 h 30 et a fait injonction la société Locadépots de conclure pour cette date a défaut de quoi elle serait clôturée en l'état.
- rappelé que l'exécution provisoire était de doit.
Par déclaration en date du 13 avril 2023, la sarl Locadépots a relevé appel de l'ordonnance d'incident.
La clôture est intervenue le 8 janvier 2024.
Prétentions et moyens des parties :
Vu les conclusions notifiées le 20 juin 2023 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la sarl Locadépots demandant, au visa des articles L.145-5 et L.145-60 du Code de commerce, de :
- Infirmer l'Ordonnance de Monsieur le Juge de la Mise en Etat du 23 mars 2023 en ce qu'elle a dit que la demande de la société LARRIEU AUTOMOBILES n'était pas prescrite et qu'elle était recevable ;
- Infirmer l'Ordonnance de Monsieur le Juge de la Mise en Etat du 23 mars 2023 en ce qu'elle a condamné la société LOCADEPOTS aux dépens et au paiement de 3000 euros au titre de l'article 700 ;
Et, statuant de nouveau,
- Déclarer prescrite et irrecevable l'action en requalification du Bail résultant de l'assignation délivrée suivant exploit d'huissier en date du 9 février 2022 par la société LARRIEU AUTOMOBILES à la société LOCADEPOTS;
- Condamner la société LARRIEU AUTOMOBILES au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 ;
- Ordonner la restitution par la société LARRIEU AUTOMOBILES de la somme de 3.000 euros versée par la société LOCADEPOTS au titre de l'article 700 en application de l'Ordonnance de Monsieur le Juge de la Mise en Etat du 23 mars 2023.
Vu les conclusions notifiées le 23 octobre 2023 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la Sasu Larrieu automobiles demandant, au visa des articles R 211-3-26 du Code de l'Organisation judiciaire, L145-5, L145-15 et L145-60 du Code de Commerce, 122, 123, 789 du Code de Procédure Civile, et 789 6°) du Code de Procédure Civile, 1738 du code civil, et les articles 65, 776 et 795-2 du Code de Procédure Civile, de :
A TITRE PRINCIPAL
IN LIMINE LITIS
- déclarer l'appel immédiat d'une Ordonnance Mixte de la Société LOCADEPOTS irrecevable.
A TITRE SUBSIDIAIRE
IN LIMINE LITIS
- débouter la Société LOCADEPOTS de sa demande de fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en transmutation du bail précaire en bail commercial.
- confirmer l'ordonnance du Juge de la Mise en Etat dans toutes ses dispositions,
SUR LE FOND
- confirmer l'Ordonnance du Juge de la Mise en Etat dans toutes ses dispositions,
- déclarer la Société LARRIEU AUTOMOBILES bien fondée à agir,
- dire que l'action de la Société LARRIEU AUTOMOBILES en transmutation automatique d'un bail précaire en bail commercial n'est pas soumise à la prescription biennale.
- juger que le bail précaire consenti transmute en bail commercial,
- dire que la demande reconventionnelle en résiliation du bail est infondée,
- condamner la Société LOCADEPOTS à payer à la Société LARRIEU la somme de 4000€ de dommages et intérêts pour moyen dilatoire,
- condamner la Société LOCADEPOTS à payer à la Société LARRIEU la somme de 4000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- condamner la Société LOCADEPOTS aux entiers dépens de première d'instance et d'appel.
A TITRE SUBSIDIAIRE
au visa de l'article L145-60 du code de Commerce,
- juger que le Bailleur a consenti un bail précaire en fraude à la loi,
- dire que l'action de de la Société LARRIEU AUTOMOBILES en transmutation automatique d'un bail précaire en bail commercial n'est pas prescrite en raison de la fraude du Bailleur,
- dire que la fraude de la Société LOCADEPOTS suspend le délai de prescription,
- condamner la Société LOCADEPOTS à payer à la Société LARRIEU la somme de 4000€ de dommages et intérêts pour moyen dilatoire,
- condamner la Société LOCADEPOTS à payer à la Société LARRIEU la somme de 4000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- condamner la Société LOCADEPOTS aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Motifs de la décision :
- Sur la recevabilité de l'appel immédiat :
le preneur soulève l'irrecevabilité de l'appel immédiat d'une ordonnance du JME statuant sur la fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action
En application de l'article 795 alinéa 4, 2° cpc l'appel immédiat est possible lorsque le JME a statué sur une exception de procédure ou sur une fin de non recevoir. Ce texte ne distingue pas entre l'ordonnance mixte ou pas comme voudrait le faire trancher à tort le preneur.
Le dit texte vise l'exception qui dispense l'appelant de solliciter l'autorisation préalable du premier président de la cour d'appel pour relever appel immédiat.
Le JME était saisi de la fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action du preneur à bail en requalification du bail dérogatoire en bail précaire.
Il importe peu que la décision du JME ne mette pas fin à l'instance dès lors qu'il a tranché une fin de non recevoir.
L'appel immédiat est recevable.
- Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action :
Le bailleur a soulevé la prescription biennale de l'action en application de l'article L145-60 du code de commerce alors que le bail litigieux a été signé le 28 juillet 2017 et que l'action en requalification du bail a été initiée le 9 février 2022.
Le preneur invoque le fait qu'un bail dérogatoire qui laisse en possession le preneur au-delà de 36 mois s'est « transmuté » en bail commercial et sollicite la confirmation de l'ordonnance en ce qu'elle a débouté le bailleur de sa demande de fin de non recevoir tirée de la prescription.
Il est désormais de jurisprudence constante que les dispositions de l'article L145-60 du code de commerce ne s'applique en matière de requalification de bail dérogatoire. En effet, la demande tendant à faire constater l'existence d'un bail soumis au statut né du fait du maintien en possession du preneur à l'issue d'un bail dérogatoire, qui résulte du seul effet de l'article L. 145-5 du code de commerce, n'est pas soumise à la prescription (cf. 3e Civ., 25 mai 2023, pourvoi n° 21-23.007).
De plus, la cour de cassation a précisé concernant les baux dérogatoires, depuis la loi dite Pinel qu'en application de l'article L. 145-5 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 18 juin 2014, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogatoire pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux à l'expiration d'une durée totale de trois ans que ne peuvent excéder les baux dérogatoires successifs et qui court dès la prise d'effet du premier bail dérogatoire, même si le preneur a renoncé, à l'issue de chaque bail dérogatoire, à l'application du statut des baux commerciaux. Il s'ensuit que, pour pouvoir déroger aux dispositions du statut des baux commerciaux, les baux dérogatoires conclus à compter du 1er septembre 2014 ne doivent pas avoir une durée cumulée avec celle des baux dérogatoires conclus précédemment pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux de plus de trois ans courant à compter de la date d'effet du premier bail dérogatoire (cf.3em civ 22 oct 20 n° 1920443).
Dès lors, l'action du preneur engagée le 9 février 2022 et tendant à faire juger que le bail dérogatoire qu'il a souscrit le 28 juillet 2017 est un bail soumis au statut commercial n'est pas prescrite.
Il convient de confirmer l'ordonnance déférée.
- Sur la demande de dommages-intérêts du preneur pour procédure dilatoire :
Le preneur considère que l'appel formée contre l'ordonnance est dilatoire.
Or, l'exercice d'une action en justice ne dégénère en faute pouvant donner lieu à des dommages-intérêts que si le demandeur a agi par malice ou de mauvaise foi, ou avec légèreté blâmable tous faits insuffisamment caractérisés en l'espèce ; il semble plutôt que le bailleur se soit mépris sur l'étendue de ses droits en matière de requalification de baux dérogatoires et de prescription applicable.
La demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive présentée par la société Larrieu Automobiles doit être rejetée.
- Sur les demandes accessoires :
la sarl Locadépots qui succombe sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et à verser 5.000 euros au total à la société Larrieu Automobiles au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
- Déclare l'appel immédiat recevable
- Confirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions
- Déboute la sasu Larrieu Automobiles de sa demande de dommages-intérêts
- Condamne la sarl Locadépots aux dépens d'appel
- Condamne la sarl Locadépôts à payer à la sasu Larrieu Automobiles la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles d'appel.