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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 9, 23 juillet 2024, n° 24/10550

PARIS

Ordonnance

Autre

PARTIES

Demandeur :

Fav Washington (SARL)

Défendeur :

Mediatransports (GIE)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pelier-Tetreau

Avocats :

Me Lahana, Me Caillaboux-Rouquet, Me Dutreuilh

T. com. Paris, du 15 mai 2024, n° 202401…

15 mai 2024

Exposé des faits et de la procédure

La SARL F.A.V Washington, créée en 2006 et dirigée par M. [E] [I], en qualité de gérant, a une activité de bar, brasserie, restaurant musical, dîner dansant et spectacle au [Adresse 3] à [Localité 9], sous l'enseigne Carré Washington.

L'activité est exercée au moyen d'un contrat de bail commercial conclu le 30 janvier 2006 avec la société B & W Europe, aux droits de laquelle vient désormais la société Aestiam Pierre Rendement, société civile de placement immobilier immatriculée au RCS de Paris sous le numéro 378 557 425.

Selon la dernière quittance de loyer datant du mois de mars 2024, le loyer annuel actualisé s'élevait à la somme de 639 388 euros.

Plusieurs contentieux sont en cours avec le bailleur.

Par acte extra-judiciaire signifié le 23 février 2024, le GIE Media Transports, agissant pour le compte de la société Metrobus Ile-de-France, a fait assigner la société FAV Washington aux fins d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à son encontre ou, subsidiairement, d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire, arguant d'une créance chirographaire liquide et exigible, d'un montant de 8 902,68 euros, en vertu d'une ordonnance de référé rendue le 30 novembre 2023, devenue définitive.

Par jugement du 15 mai 2024, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à son égard, désignant la SELAS Etude [F], en la personne de Me [X] [P], en qualité de liquidateur judiciaire.

Le dirigeant n'a pas comparu à l'audience d'ouverture.

Par déclaration au greffe du 24 mai 2024, la société F.A.V Washington a interjeté appel dudit jugement.

Par requête du 27 mai 2024, la SELAS Etude [F], ès qualités, a sollicité le maintien de l'activité de la société FAV Washington pour une durée de trois mois à compter de la date d'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, aux motifs que :

- la société FAV Washington a indiqué ne pas avoir eu connaissance de l'assignation en liquidation judiciaire ;

- la société FAV Washington a fait état d'une activité en cours avec 28 salariés et, malgré un endettement, une possibilité de redressement et d'apurement de son passif ;

- la société FAV Washington a indiqué régulariser une déclaration de cessation des paiements aux fins de solliciter l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ;

- l'arrêt de l'activité serait de nature à causer un préjudice à la société FAV Washington, à ses salariés, au nombre de 28, dont le licenciement devrait être prononcé mais également à ses créanciers et à ses clients ayant procédé à des réservations ;

- l'arrêt de l'activité de la Société aurait pour conséquence une perte de revenus sur la période à venir, préjudiciable à un éventuel redressement judiciaire, outre l'annulation des réservations et la perte des acomptes versés par les clients ;

- la société FAV Washington a fait appel du jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire ;

- le prononcé de la poursuite de l'activité de la société FAV Washington permettrait de ne pas compromettre ses chances dans sa volonté de redressement et donc d'aboutir dans son appel et de suspendre les opérations de licenciement des 28 salariés ;

- la société FAV Washington a indiqué bénéficier d'une trésorerie suffisante pour lui permettre de financer le maintien de l'activité.

La SELAS Etude [F], ès qualités, a également sollicité du tribunal la désignation d'un commissaire de justice aux fins de réaliser l'inventaire et la prisée, ainsi que la désignation d'un administrateur judiciaire, compte tenu du dépassement des seuils fixés aux articles R. 641-19 et R. 621-11 du code de commerce.

Par jugement du 28 mai 2024, le tribunal de commerce de Paris a fait droit à ces demandes et a ordonné le maintien de l'activité de la Société pour une durée de 3 mois, soit jusqu'au 15 août 2024, désigné la SELARL 2M & Associés, en la personne de Me [Z] [D], en qualité d'administrateur judiciaire avec mission d'assistance et désigné la SELARL Allemand-Nguyen-Hong, commissaire de justice, afin de procéder à l'inventaire.

*****

Par une assignation en référé du 11 juin 2024 devant le premier président de la cour d'appel de Paris, la société FAV Washington a fait assigner le GIE Media Transports, la SELAS Etude [F] et l'avocat général, aux fins de l'arrêt de l'exécution provisoire du jugement du tribunal de commerce de Paris du 15 mai 2024.

Dans son assignation du 11 juin 2024, la société FAV Washington demande au premier président de la cour, au visa de l'article 514-3 du code de procédure civile et de l'article R. 661-1 du code de commerce, de :

- Arrêter l'exécution provisoire du jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 15 mai 2024 ;

- Condamner le GIE Media Transports à lui verser la somme de 3 000 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions en date du 13 juin 2024, la SELAS Etude [F] demande au premier président de la cour, au visa de l'article 514-3 du code de procédure civile, R. 661-1 et L. 640-1 du code de commerce, de :

- La recevoir en ses conclusions,

- La dire bien fondée,

- Arrêter l'exécution provisoire du jugement rendu le 15 mai 2024 par le tribunal de commerce de Paris.

Dans ses dernières conclusions en date du 13 juin 2024, le GIE Media Transports demande au premier président de la cour, au visa de l'article R. 661-1, L. 631-1 et suivants, R. 631-2 et L. 640-1 et suivants, de :

- Débouter la société FAV Washington de sa demande de condamnation au titre de l'article 700 à hauteur de 3 000 euros et des dépens mis à sa charge ;

- Juger que la société FAV Washington ne conteste pas son état de cessation des paiements ;

- Juger que la société FAV Washington demeure défaillante au paiement de la somme de 10 969,84 euros, créance certaine, liquide et exigible ;

- Juger qu'elle se rapporte à justice sur le mérite d'une conversion de la liquidation en redressement judiciaire et sur l'arrêt de l'exécution provisoire de la liquidation judiciaire prononcée selon jugement du 15 mai 2024 ;

Reconventionnellement,

- Condamner la société FAV Washington à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de première instance et d'appel.

Le ministère public, dans son avis du 20 juin 2024, est d'avis que le magistrat délégué par le premier président fasse droit à la demande d'arrêt de l'exécution provisoire, l'appelante soulevant des moyens qui apparaissent sérieux au sens des dispositions de l'article R. 661-1 du code de commerce, et relève que la décision risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives au regard de l'article 514-3 du code de procédure civile.

*****

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'existence de moyens sérieux d'annulation ou de réformation justifiant la suspension de l'exécution provisoire

La société FAV Washington sollicite la suspension de l'exécution provisoire invoquant l'absence de situation irrémédiablement compromise. Elle indique à ce titre qu'elle avait réglé la quasi-totalité de sa dette auprès du GIE Media Transports France en février 2024, soit antérieurement à la délivrance de l'assignation en redressement judiciaire et subsidiairement en liquidation judiciaire ; que la régularisation de la déclaration de cessation des paiements aux fins de solliciter l'ouverture d'une procédure de redressement était en cours ; qu'un prévisionnel d'exploitation avait été établi à cette fin ; qu'elle est en mesure d'apurer son passif dans le cadre d'une procédure de redressement judiciaire ; qu'elle réalise actuellement un chiffre d'affaires journalier de 6 000 euros ; que le prévisionnel d'exploitation fait état d'un chiffre d'affaires annuel de plus de 2 000 000 euros ; que ses résultats lui permettent de financer le maintien de son activité. Elle rappelle en outre que le tribunal a autorisé la poursuite de l'activité, et ce afin de ne pas compromettre ses chances de redressement et de suspendre les opérations de licenciement des 28 salariés.

La SELAS Etude [F], ès qualités, présente les mêmes moyens que ceux développés par la société Washington, estimant au surplus que l'arrêt de l'activité consécutif au prononcé de la liquidation judiciaire serait de nature à causer un préjudice à la société FAV Washington, aux salariés, aux créanciers mais également aux clients.

Le GIE Media Transports expose que la société FAV Washington a toujours été rendue destinataire des actes de procédure et a toujours été défaillante aux audiences et ne peut soutenir sérieusement ne pas avoir eu connaissance de l'assignation en redressement et subsidiairement en liquidation judiciaire et ne pas avoir pu assurer sa défense. Sur l'absence de règlement de la dette, elle soutient que la société FAV Washington reste lui devoir la somme totale de 10 969,84 euros et qu'aucun règlement n'est intervenu. Elle ajoute que si la société débitrice reconnaît être en état de cessation des paiements, elle s'en remet toutefois à justice sur ses chances de redressement, plutôt qu'une liquidation judiciaire, à l'examen des preuves comptables produites devant la cour.

Le ministère public reprend les éléments que fait valoir la société FAV Washington.

Sur ce,

Il résulte des dispositions de l'article 514 du code de procédure civile et de l'article R. 661-1 alinéa 1 du code de commerce, que les jugements et ordonnances rendus en matière de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaires sont exécutoires de plein droit à titre provisoire.

L'article 514-3 du code de procédure civile prévoit toutefois que « le premier président peut être saisi afin d'arrêter l'exécution provisoire de la décision lorsqu'il existe un moyen sérieux d'annulation ou de réformation et que l'exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives ».

L'article R. 661-1 alinéa 4 du code de commerce précise que « Par dérogation aux dispositions de l'article 514-3 du code de procédure civile, le premier président de la cour d'appel, statuant en référé, ne peut arrêter l'exécution provisoire des décisions mentionnées aux deux premiers alinéas du présent article que lorsque les moyens à l'appui de l'appel paraissent sérieux. »

Il ressort en l'espèce des éléments produits par le liquidateur judiciaire, non contestés par la société débitrice, que l'état du passif déclaré laisse apparaître trois créances, d'un montant total de 1 279 560,06 euros, sous réserve des déclarations de créances complémentaires qui pourraient intervenir jusqu'au 31 juillet 2024, décomposé comme suit :

- Une créance échue d'un montant de 1 251 172,75 euros, déclarée par l'URSSAF, de 992 866,75 euros au titre de cotisations impayées depuis le mois de novembre 2018, et de 258 306 euros au titre d'une régularisation, étant précisé que cette créance représente une part salariale impayée par la société FAV Washington pour un montant de 393 433 euros.

- Une créance échue d'un montant de 8 950,46 euros, déclarée par le GIE Media Transports, au titre de factures impayées, fondant l'assignation aux fins d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire et, subsidiairement, de liquidation judiciaire ;

- Une créance salariale échue d'un montant de 19 436,85 euros déclarée par le CGEA Ile-de-France Ouest.

S'agissant de l'actif prévisionnel, la société FAV Washington produit un prévisionnel de trésorerie faisant notamment apparaître les soldes suivants :

- 200 464 euros au 30 juin 2024 ;

- 223 349 euros au 31 juillet 2024 ;

- 246 234 euros au 31 août 2024 ;

- 269 119 euros au 30 septembre 2024 ;

- 292 004 euros au 31 octobre 2024.

Il est en outre relevé que la société FAV Washington a été autorisée par le tribunal à poursuivre son activité, en vue notamment de la forte activité envisagée aux mois de juillet et août 2024, et qu'elle démontre valablement réaliser un chiffre d'affaires journalier d'environ 6 000 euros.

Par conséquent, et au regard de ces données chiffrées, il y a lieu de considérer que les moyens développés au soutien de la demande de suspension de l'exécution provisoire paraissent remplir les conditions exigées par l'article R. 661-1 du code de commerce, en ce que la société FAV Washington serait en mesure de faire face à l'ensemble de ses charges courantes d'exploitation au cours de la période d'observation qui pourrait s'ouvrir dans le cadre d'une procédure de redressement judiciaire.

Il en résulte que l'exécution provisoire doit être suspendue.

PAR CES MOTIFS

Nous, magistrate déléguée du premier président,

Ordonnons l'arrêt de l'exécution provisoire du jugement ;

Disons que les dépens du référé ainsi que les frais non compris dans les dépens prévus à l'article 700 du code de procédure civile suivront le sort de ceux de l'appel.