Cass. 3e civ., 6 décembre 2000, n° 99-10.804
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Beauvois
Rapporteur :
Mme Fossaert-Sabatier
Avocat général :
M. Sodini
Avocats :
Me Choucroy, SCP Gatineau, SCP Guiguet, Bachellier et Potier de la Varde
Sur le premier moyen du pourvoi P 99-10.804 et le moyen unique du pourvoi n° Q 99-12.116, pris dans sa quatrième branche, réunis :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Fort-de-France, 20 novembre 1998), qu'en 1988, M. Y..., maître de l'ouvrage, a chargé M. Z..., entrepreneur, assuré par le Groupement français d'assurances (GFA) de la construction d'une maison d'habitation, sous la maîtrise d'oeuvre de M. X..., technicien du bâtiment ; qu'ayant constaté, avant réception, des malfaçons nécessitant la démolition de l'ouvrage, M. Y... a sollicité la réparation de son préjudice ;
Attendu que M. Z... et M. Y... font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes formées contre le GFA, alors, selon le moyen :
1 ) que le juge doit trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables, au besoin en les relevant d'office ;
qu'il résultait en l'espèce des constatations de l'arrêt attaqué que, si les dommages ne relevaient pas de la garantie décennale et, par conséquent, de la garantie obligatoire souscrite par l'entrepreneur, ils relevaient en revanche de la garantie complémentaire au titre des risques d'effondrement de l'ouvrage antérieurement à la réception des travaux ; et qu'en refusant d'examiner le litige au regard de cette garantie complémentaire, sous le seul prétexte que le maître de l'ouvrage ne l'avait pas demandé et sans même rechercher si l'entrepreneur n'avait pas soulevé ce moyen, l'arrêt attaqué a violé l'article 12 du nouveau Code de procédure civile ;
2 ) que le juge est tenu de trancher le litige conformément aux règles de droit applicables, de restituer aux faits et prétentions des parties leur exacte qualification, ainsi que le fondement juridique adéquat ;
qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que l'action dirigée par M. Y... contre l'assureur aurait dû prospérer, si M. Y... avait choisi le fondement juridique tiré de la garantie complémentaire due par le GFA pour le risque d'effondrement de l'ouvrage, réalisé en l'espèce ; qu'en ne tirant pas les conséquences de ses constatations, et en refusant de faire droit à l'action de M. Y..., au seul prétexte qu'il n'avait pas invoqué le fondement juridique adéquat pour sous-tendre sa prétention, la cour d'appel a omis de redonner aux faits leur exacte qualification, de trancher le litige conformément aux règles applicables et de redonner aux prétentions des parties le fondement juridique adéquat, violant l'article 12 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant relevé que les désordres étaient apparus avant toute réception et que le GFA était recherché par le maître de l'ouvrage sur le seul fondement de la garantie d'assurance obligatoire couvrant les dommages engageant la responsabilité décennale des constructeurs, la cour d'appel, qui n'était pas saisie par l'entrepreneur d'un moyen tendant à la mise en oeuvre de la police couvrant les risques d'effondrement antérieurement à la réception, et qui n'était pas tenue de l'examiner d'office, a retenu à bon droit que le GFA pouvait refuser sa garantie ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen du pourvoi n° P 99-10.804 :
Attendu que M. Z... fait grief à l'arrêt de le condamner à réparer seul les dommages, alors, selon le moyen, que le fait du maître d'oeuvre constitue une cause étrangère susceptible d'exonérer l'entrepreneur dans le cadre de la responsabilité contractuelle de droit commun ; et que, faute d'avoir indiqué en quoi le défaut de surveillance du maître d'oeuvre ne constituait pas une cause étrangère de nature à exonérer, en tout ou partie, M. Z... de sa responsabilité, l'arrêt attaqué a violé l'article 1147 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant exactement relevé que M. Z... était, avant réception, contractuellement tenu de l'obligation de livrer un ouvrage exempt de malfaçons, la cour d'appel a retenu à bon droit que l'éventuel défaut de "surveillance" du maître d'oeuvre ne constituait pas une cause étrangère de nature à exonérer l'entrepreneur de sa propre responsabilité vis-à-vis du maître de l'ouvrage ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le moyen unique du pourvoi n° Q 99-12.116, pris dans ses trois premières branches :
Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande contre le GFA, alors, selon le moyen :
1 ) que le juge doit faire observer et observer lui-même en toutes circonstances le principe de la contradiction ; qu'il ne peut en conséquence relever de moyen d'office, sans provoquer les explications préalables des parties ; qu'en l'espèce, le GFA, s'il invoquait l'absence de réception pour décliner sa garantie, n'invoquait aucunement le caractère apparent des désordres comme obstacle à la garantie décennale ; que la cour d'appel, qui a relevé d'office le moyen tiré de l'apparence des désordres, pour juger le GFA bien fondé à refuser sa garantie, sans à aucun moment recueillir ni même provoquer les explications des parties sur ce moyen jamais discuté par elles, a violé le principe du contradictoire et l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;
2 ) que ni l'achèvement des travaux, ni leur qualité, ne sont des conditions de prononcé de la réception, laquelle peut être assortie de réserves très importantes sur la qualité desdits travaux ; que le maître de l'ouvrage peut ainsi, suite à l'abandon du chantier par l'entrepreneur, recevoir avec de fortes réserves un ouvrage même très défectueux, dans le but de faire courir le délai de garantie décennale ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a refusé de prononcer la réception, prétexte pris de la qualité trop défectueuse des travaux, a ajouté une condition à la loi, et violé l'article l'article 1792-6 du Code civil ;
3 ) que M. Y... soutenait devant la cour d'appel que la garantie décennale pouvait s'appliquer nonobstant l'absence éventuelle de réception, en présence d'une mise en demeure adressée à l'entrepreneur ; que le GFA lui-même admettait dans ses écritures qu'une mise en demeure pouvait remplacer la réception, mais contestait seulement l'existence d'une telle mise en demeure en l'espèce ; que la cour d'appel, qui n'a aucunement recherché l'existence d'une telle mise en demeure et a laissé sans réponse les écritures de M. Y... sur ce point, a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant retenu, à bon droit, que, les désordres étant apparus avant toute réception des ouvrages, ils n'étaient pas couverts par la garantie obligatoire d'assurance de responsabilité décennale, et constaté que, la maison devant être démolie et reconstruite, les travaux n'étaient pas en état d'être reçus, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre à des conclusions portant sur l'existence éventuelle d'une mise en demeure, que ses constatations rendaient inopérantes, a pu en déduire, sans violer le principe de la contradiction, que la demande de réception judiciaire devait être rejetée, et que le GFA pouvait refuser sa garantie ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
Laisse à chaque demandeur la charge des dépens afférents à son pourvoi ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de M. Y... ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six décembre deux mille.