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Décisions

CA Basse-Terre, 2e ch., 29 juillet 2024, n° 21/00948

BASSE-TERRE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Le Corsaire (SCI)

Défendeur :

Encherimmo (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Robail

Conseillers :

Mme Clédat, M. Groud

Avocats :

Me Cuartero, Me Fructus-Barathon

Jur. prox. Saint-Martin/Saint-Barthélemy…

7 juin 2021

FAITS ET PROCEDURE

'Le 2 février 2016, la SCI Le Corsaire, bailleresse, a conclu avec la société Encherimmo [Localité 4], locataire, un bail commercial portant sur des locaux d'environ 58 m2 situés [Adresse 1] à [Localité 4], pour une durée de neuf années, à effet rétroactif au 1er novembre 2015.

Par acte d'huissier en date du 13 juillet 2016, la bailleresse a fait délivrer à son preneur un commandement d'avoir à exploiter le local donné à bail en visant la clause résolutoire stipulée dans le contrat.

Par acte en date du 2 novembre 2016, la même bailleresse a fait assigner la locataire devant le tribunal de grande instance de Basse-Terre aux fins de voir constater, à titre principal, l'acquisition de la clause résolutoire du bail pour défaut d'exploitation du local loué et subsidiairement, prononcer la résiliation judiciaire du bail pour fautes et, en tout état de cause, ordonner son expulsion.

Par jugement du 4 octobre 2018, le tribunal de grande instance de Basse-Terre a donné acte à M. [G] [U], associé unique de la société Encherimmo [Localité 4], de son intervention volontaire, sans se prononcer sur sa recevabilité et son bien-fondé, prononcé la réouverture des débats, révoqué l'ordonnance de clôture du 14 juin 2018, constaté son incompétence au profit de la chambre détaché de Saint-Martin et renvoyé l'affaire devant le juge de la mise en état de la chambre détachée de Saint-Martin à l'audience du 12 novembre 2018 pour qu'il statue sur le rejet de la pièce n° 8 communiquée par la requérante, le sursis à statuer, la mise sous séquestre des loyers dus par la société Encherimmo et les mesures de vérifications personnelles.

'

Par ordonnance du 9 septembre 2019, le juge de la mise en état du tribunal de proximité de Saint-Martin a renvoyé les parties au fond sur la question de la recevabilité de l'intervention volontaire de M. [G] [U], l'a débouté de sa demande d'annulation de la pièce n° 8 et de ses autres demandes incidentes, a rejeté les demandes incidentes de la société Encherimmo [Localité 4] et a renvoyé les parties à l'audience de mise en état du 25 novembre 2019.

Par ordonnance du 14 décembre 2020, le juge de la mise en état du tribunal de proximité de Saint-Martin a débouté la SCI Le Corsaire de sa demande en communication de pièces adverses sous astreinte, a débouté la société Encherimmo et M. [U] de leurs demandes indemnitaires et a renvoyé l'affaire à la mise en état du 8 février 2021.

'La SCI Le Corsaire demandait au tribunal de :

'A titre liminaire,

- constater la recevabilité de la pièce n° 8 qui lui avait été communiquée par son destinataire ,

- débouter la société Encherimmo de sa demande de sursis à statuer,

- prononcer l'irrecevabilité de l'intervention volontaire de M. [U],

'

A titre principal, «'résilier'» le bail commercial en constatant le défaut d'exploitation du local commercial situé à [Adresse 7] à [Localité 4], et ce, même après commandement délivré par huissier le 13 juillet 2016,

'

A titre subsidiaire, prononcer la résiliation judiciaire du bail commercial aux torts exclusifs de la société Encherimmo,

'

En tout état de cause,

- ordonner l'expulsion de la société Encherimmo des locaux, au besoin, avec l'assistance de la force publique et d'un serrurier,

- débouter la société Encherimmo de ses demandes, la condamner à lui verser 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens avec distraction au profit de Me Cuartero, ordonner l'exécution provisoire.

'

La SCI Le Corsaire soutenait à ces fins que la société locataire n'avait pas exploité le local commercial contrairement à ce que prévoyait le contrat, que cette situation avait été constatée par huissier de justice les 7, 8, 9, 11 et 12 juillet 2016, que malgré la sommation qui lui avait été faite d'exploiter le local et de payer les loyers, le 13 juillet 2016, au terme du mois accordé, aucune réponse n'avait été donnée. Elle ajoutait que, par ailleurs, l'extrait K-bis du preneur mentionnait une société sans exploitation. Dès lors, elle sollicitait la résiliation du bail à titre principal. A titre subsidiaire, elle demandait le prononcé d'une résiliation judiciaire du bail pour faute de la locataire, notamment du fait du changement d'activité sans autorisation préalable du bailleur, pour réaliser de la vente d'art. Elle demandait également que la pièce n° 8 qu'elle communiquait ne fût pas écartée du débat, que la demande de sursis à statuer fût rejetée, son but étant dilatoire et que l'intervention volontaire de M. [U] fût déclarée irrecevable pour défaut d'intérêt à agir.

'La société Encherimmo et M. [U] avaient conclu quant à eux aux fins de voir :

'- ordonner la cancellation de la pièce n° 8 des débats,

- débouter la SCI Le Corsaire de ses demandes,

- rejeter sa demande en résiliation du bail en constatant qu'elle avait exploité le local commercial depuis son entrée dans les lieux et que la clause résolutoire n'était pas acquise,

- condamner la SCI Le Corsaire à lui verser 20 000 euros pour son préjudice moral et matériel, 1 500 euros pour procédure abusive, 7 500 euros pour les frais irrépétibles outre les dépens avec distraction au profit de Me Andre,

- ordonner l'exécution provisoire

'Au soutien de ses demandes, la société Encherimmo indiquait que la pièce n° 8 devait être écartée car elle avait été obtenue illicitement. Elle soulignait que le constat d'huissier relevait l'existence d'une activité au sein des locaux, que les activités exercées par la société étant principalement intellectuelles, celles-ci ne nécessitaient pas une ouverture quotidienne des lieux, leur fermeture n'étant pas une preuve d'inexploitation. Par ailleurs, elle faisait valoir l'incohérence de la SCI Le Corsaire qui parlait d'abord d'une absence d'activité pour ensuite soulever un changement d'activité fautif car non autorisé, constaté par huissier en septembre 2016. Sur ce point, elle ajoutait que l'huissier avait été trompé par une blague qui lui avait été faite et qu'en tout état de cause, le bail l'autorisait à exercer en tant que salle de vente.

'Par jugement du 7 juin 2021, le tribunal de proximité de Saint-Martin/Saint-Barthélémy a :

'- reçu l'intervention volontaire à titre accessoire de M. [G] [U],

- déclaré irrecevable la demande de cancellation de la pièce n° 8 produite par le requérant eu égard à l'autorité de la chose jugée,

- rejeté la demande de résiliation du bail commercial conclu entre la SCI Le Corsaire et la SASU Encherimmo [Localité 4] du 2 février 2016, pour le local sis [Adresse 2],

- rejeté la demande d'expulsion de la société Encherimmo [Localité 4] des locaux commerciaux à défaut de résiliation du bail commercial,

- rejeté les demandes indemnitaires de la SASU Encherimmo [Localité 4],

- condamné la SCI Le Corsaire à verser à la SASU Encherimmo [Localité 4] 3'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SCI Le Corsaire aux entiers dépens,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision.

'La SCI Le Corsaire a interjeté appel de cette décision par déclaration remise au greffe de la cour par voie électronique le 2 septembre 2021, en limitant son appel aux chefs du jugement par lesquels le tribunal de proximité a :

'- «'rejeté la demande de résiliation du bail commercial conclu entre la SCI Le Corsaire et la SASU Encherimmo [Localité 4] du 2 février 2021, pour le local sis [Adresse 3]»,

- rejeté la demande d'expulsion de la société Encherimmo [Localité 4] des locaux commerciaux à défaut de résiliation du bail commercial,

- rejeté les demandes indemnitaires de la SASU Encherimmo [Localité 4],

- condamné la SCI Le Corsaire à verser à la SASU Encherimmo [Localité 4] 3'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SCI Le Corsaire aux entiers dépens.

'

La procédure a fait l'objet d'une orientation à la mise en état.

'

La société Encherimmo [Localité 4] et M. [G] [U] ont remis au greffe leur constitution d'intimés par voie électronique le 21 septembre 2022.

'

Par ordonnance du 27 février 2023, le conseiller de la mise en état a':

'

- 'rejeté les demandes de la société Encherimmo [Localité 4] et de M. [G] [U] tendant':

* au rejet des dernières écritures d'incident de mise en état de la société Le Corsaire en date du 13 janvier 2023,

* à l'irrecevabilité de la demande de communication de pièces.

- débouté la société Le Corsaire de son exception de communication de pièces,

- débouté la société Encherimmo [Localité 4] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile s'agissant des frais irrépétibles d'incident de mise en état,

- renvoyé cause et parties à la mise en état virtuelle du lundi 20 mars 2023 pour d'éventuelles conclusions au fond de l'appelante en réponse aux dernières écritures au fond des intimé et intervenant en date du 30 mars 2022, ou, à défaut, radiation ou clôture et fixation,

- condamné la SCI Le Corsaire aux entiers dépens de l'incident de mise en état.

'

L'ordonnance de clôture est intervenue le 16 octobre 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience du 19 février 2024, date à laquelle la décision a été mise en délibéré au16 mai 2024'; les parties ont ensuite été avisées de la prorogation de ce délibéré à ce jour, par mise à disposition au greffe, en raison de l'absence d'un greffier et de la surcharge des magistrats.

'

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

'

1/ La SCI Le Corsaire, appelante :

'

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le' 10 août 2023, par lesquelles la SCI Le Corsaire demande à la cour, au visa des articles L. 145-1,1 du code de commerce, 1134 et 1184 du code civil et 325 du code de procédure civile, de :

'

- réformer entièrement le jugement rendu le 7 juin 2021 par le tribunal de proximité de Saint-Martin et, statuant à nouveau,

- constater le défaut d'exploitation du local commercial situé à [Adresse 8],

- constater que le défaut d'exploitation a perduré plus d'un mois après le commandement délivré par huissier à la société Encherimmo Saint-Barth le 13 juillet 2016,

En conséquence,

- constater la résiliation du bail commercial signé le 2 février 2016 entre elle et la société Encherimmo [Localité 4] par acquisition de la clause résolutoire insérée dans le bail,

'

A titre subsidiaire,

- constater les fautes multiples commises par la société Encherimmo [Localité 4],

- prononcer la résiliation judiciaire du bail commercial signé le 2 février 2016 entre elle et la société Encherimmo [Localité 4] aux torts exclusifs de cette dernière société,

- annuler le bail commercial signé le 2 février 2016 entre elle et la société Encherimmo [Localité 4] compte tenu de son caractère frauduleux,

'

En tout état de cause';

- ordonner l'expulsion de la société Encherimmo [Localité 4] des lieux loués, ainsi que celle de tout occupant de son chef';

- ordonner si besoin est le concours de la force publique et la présence d'un serrurier.

'

2/ La société Encherimmo [Localité 4] et M. [G] [U], intimés :

'

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le' 15 septembre 2023 par lesquelles les intimés demandent à la cour, au visa des articles L. 145-1 et suivants du code de commerce, 325 et suivants du code de procédure civile, 564, 566 et 910-4 du code de procédure civile et 1240 du code civil, de :

'

- les recevoir en leurs demandes et les disant bien fondées,

- dire la SCI Le Corsaire irrecevable et en tout état de cause mal fondée en ses demandes de réformation du jugement du 7 juin 2021 comme en sa demande nouvelle d'annulation du bail pour cause de fraude et l'en débouter intégralement,

- confirmer partiellement la décision entreprise en ce qu'elle a accueilli l'intervention volontaire de M. [U] et a rejeté les demandes de la SCI Le Corsaire en résiliation du bail et en expulsion à l'encontre de la société Encherimmo [Localité 4]';

- les accueillir en leurs demandes de réformation partielle du jugement du 7 juin 2021 et en conséquence, statuant à nouveau,

* condamner la SCI Le Corsaire à verser à la société Encherimmo [Localité 4] la somme de 50'000 euros à titre de dommages et intérêts,

* condamner la SCI Le Corsaire à verser à M. [G] [U] la somme de 30'000 euros à titre de dommages et intérêts,

* condamner la SCI Le Corsaire à verser à la société Encherimmo [Localité 4] la somme de 15'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamner la SCI Le Corsaire à verser à M. [U] la somme de 10'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamner la SCI Le Corsaire aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Me Fructus Barathon dans les conditions prévues par le code de procédure civile.

'

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter' aux dernières conclusions pour un exposé détaillé des prétentions et moyens des parties.

'

'

MOTIFS DE L'ARRET

'

Sur la recevabilité de l'appel

L'article 538 du code de procédure civile dispose que le délai de recours par la voie ordinaire est d'un mois en matière contentieuse.

Ce délai court à compter de la signification de la décision contestée.[GT1]'

De plus, aux termes de l'article 644 du même code, lorsque la demande est portée devant une juridiction qui a son siège en Guadeloupe, en Guyane, à la Martinique, à La Réunion, à Mayotte, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, à Saint-Pierre-et-Miquelon et dans les îles Wallis et Futuna, les délais de comparution, d'appel, d'opposition de tierce opposition dans l'hypothèse prévue à l'article 586 alinéa 3, et de recours en révision sont augmentés d'un mois pour les personnes qui ne demeurent pas dans la collectivité territoriale dans le ressort de laquelle la juridiction a son siège et de deux mois pour les personnes qui demeurent à l'étranger.

En l'espèce, la SCI Le Corsaire a interjeté appel le 2 septembre 2021 du jugement 'rendue le 7 juin 2021 qui lui avait été signifié le 8 juillet 2021.

La SCI Le Corsaire dont le siège social est situé à Saint-Barthélémy, bénéficie du délai de distance d'un mois lorsqu'elle agit devant la cour d'appel ayant siège en Guadeloupe.

Son appel est donc recevable quant au délai.

L'appel incident de la société Encherimmo [Localité 4]'et de M. [U] a été formé dans des conclusions déposées au greffe dans le délai de la loi. Il sera donc également jugé recevable.

Par ailleurs, la société Encherimmo [Localité 4] et M. [U] soutiennent que l'appel de la société Le Corsaire serait irrecevable car dans la déclaration d'appel de cette dernière il est demandé la réformation du jugement entrepris en ce que le tribunal de proximité a notamment «'rejeté la demande de résiliation du bail commercial conclu entre la SCI Le Corsaire et la SASU Encherimmo [Localité 4] du 2 février 2021, pour le local sis [Adresse 3]», alors que le bail litigieux a été conclu le 2 février 2016.

Cependant, cette erreur matérielle manifeste ne remet pas en cause la régularité de la déclaration d'appel qui vise expressément les chefs du jugement critiqués. L'irrecevabilité alléguée sera donc rejetée.


Sur la demande principale au titre de l'acquisition de la clause résolutoire

Aux termes de l'article L. 145-41 du code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.

En vertu de l'article 1134, alinéa 1 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

En l'espèce, le bail liant les sociétés Le Corsaire et Encherimmo [Localité 4] énonce dans une clause intitulée «'Exploitation du commerce'»':

«'En ce qui concerne plus particulièrement l'exploitation, le preneur devra l'assurer en se conformant rigoureusement aux lois, règlements et prescriptions administratives et autres pouvant s'y rapporter, avec précision que l'autorisation donnée au preneur d'exercer l'activité mentionnée ci-dessus n'implique de la part du bailleur aucune garantie pour l'obtention des autorisations administratives ou autres nécessaires à quelque titre que ce soit pour l'utilisation du bien loué en vue de l'exercice de ses activités'; en outre, le magasin devra être constamment ouvert et achalandé, sauf fermeture d'usage'; aucun étalage ne sera fait en dehors du bien loué, notamment sur la voie publique'».

En outre, le contrat litigieux stipule «'à défaut de paiement d'un seul terme de loyer à son échéance ou d'exécution d'une seule des conditions du présent bail, qui sont' toutes de rigueur et un mois après un simple commandement de payer ou une sommation d'exécuter fait à personne ou à domicile élu, contenant mention de la présente clause et mentionnant ce délai, resté sans effet (')'».

Il est constant que par acte d'huissier en date du 13 juillet 2016, la bailleresse a fait délivrer à son preneur un commandement d'avoir à exploiter le local donné à bail en visant la clause résolutoire stipulée dans le contrat.

Pour solliciter l'acquisition de la clause résolutoire, la SCI Le Corsaire soutient que la locataire n'avait débuté aucune activité commerciale dans les locaux loués plus de 10 mois après la date d'effet du bail et que ce défaut d'exploitation ressort d'un constat d'huissier réalisé les 7, 8, 9, 11 et 12 juillet 2016 et des témoignages recueillis à l'occasion de ce constat.

Elle ajoute que cette absence d'activité s'expliquait par le fait que la présidente de la société locataire n'avait pas obtenu la carte d'agent immobilier légalement requise pour exploiter une agence immobilière, comme elle le reconnaissait dans une sommation interpellative du 26 juillet 2016.

Elle affirme aussi qu'à l'exception d'un abonnement téléphonique, le preneur n'a produit aucun élément ni aucun document comptable pour la période d'exercice concernée à savoir du 2 février 2016 au 30 septembre 2016, date de clôture du premier exercice social de la société Encherimmo [Localité 4].

Cependant, il résulte du procès-verbal de constat d'huissier en date du 26 juillet 2016 versé aux débats par les intimés qu'à cette date le local litigieux disposait d'une enseigne «'Encherimmo [Localité 4]'» et était totalement équipé avec des meubles d'accueil, bureaux, ordinateurs et pièce de courtoisie.

En outre, comme l'a relevé le tribunal de proximité, il ressort des factures en dates des 1er mai, 2 mai, 3 juin et 4 juin 2016 émises par la société Encherimmo [Localité 4], pour des travaux d'expertise réalisés au profit du cabinet Rexco SA et du cabinet LGR SA, qu'à compter de mai 2016, la société locataire exploitait son local, étant précisé que l'expertise immobilière figure parmi les activités autorisées par le bail sur le même plan que celle d'agence immobilière.

Certes, le montant de ces factures est modeste et, comme le fait valoir l'appelante, la locataire ne produit pas son bilan pour la période litigieuse.

Toutefois, si le bail litigieux impose l'exploitation du local, il n'énonce aucune exigence relativement à un chiffre d'affaires minimum.

De plus, comme l'a justement souligné la décision entreprise, il ne saurait être reproché à la locataire, société naissante, de ne pas avoir de clients dès le premier instant alors qu'elle avait besoin d'un délai pour installer ses locaux et qu'elle justifiait de travaux d'aménagement et d'acquisition du mobilier durant la période de janvier à avril 2016.

Au regard de cet ensemble d'éléments, il convient de retenir que la violation de l'obligation d'exploitation par la locataire, alléguée par la SCI Le Corsaire, n'est pas établie. Par conséquent la demande aux fins de voir constater l'acquisition de la clause résolutoire sera rejetée et le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

Sur la demande subsidiaire tendant au prononcé de résiliation judiciaire du bail

Aux termes de l'article 1184'du'code'civil'dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement. Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts. La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances.

En vertu de l'article 1134, alinéa 3 du même code, également dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, les conventions doivent être exécutées de bonne foi.

En l'espèce, afin d'obtenir la résiliation judiciaire du contrat de bail la liant à la société Encherimmo [Localité 4], la société Le Corsaire soutient que':

- le défaut d'exploitation commerciale du local et l'inexistence d'une clientèle constituent des manquements graves' de la part de la locataire ;

- en adjoignant, sans son autorisation, l'activité de vente d'art aux activités autorisées par le bail, la locataire a méconnu ses obligations contractuelles.

Cependant, d'une part, le premier juge a justement relevé qu'aucune disposition légale n'impose une obligation d'exploitation du fonds de commerce au preneur, de sorte qu'il ne peut être reproché à la société intimée un manquement à ce titre.

D'autre part, il a été précédemment relevé qu'aucun manquement à l'obligation contractuelle d'exploitation du local loué ne peut être imputé à la société locataire pour la période du 2 février 2016, date de prise d'effet du bail, au 13 août 2016, date d'expiration du délai d'un mois imparti par le commandement d'huissier d'avoir à exploiter le local commercial.

L'expert-comptable de la société Encherimmo [Localité 4] atteste que le chiffre d'affaires de cette dernière était de':

- 11'179 euros pour l'exercice du 1er octobre 2016 au 30 septembre 2017';

- 206'080 euros pour l'exercice du 1er octobre 2017 au 30 septembre 2018';

- 273'356 euros pour l'exercice du 1er octobre 2018 au 30 septembre 2019';

- 240'884 euros pour l'exercice du 1er octobre 2019 au 30 septembre 2019';

Ces résultats démontrent que l'exploitation du local loué est effective.

Dès lors, le manquement allégué n'est pas constitué et la demande de résiliation ne peut qu'être rejetée.

Enfin, le contrat de bail litigieux stipule dans la rubrique intitulée «'activités autorisées'»':

«'les lieux objet des présentes ne pourront être utilisés par le preneur que pour l'exercice des activités suivantes, seules autorisées par le bailleur':

- l'activité d'agence immobilière portant sur la transaction sur immeubles et fonds de commerce';

- l'expertise immobilière';

- l'activité de courtage en immobilier';

- cabinet d'affaires';

- salle de vente'».

Comme le soulignent justement les intimés, la SCI Le Corsaire n'explique pas en quoi la vente d''uvres d'art constituerait une adjonction d'activité alors que le contrat de bail autorise expressément cette activité, sans plus de précision et donc, sans exclure la cession d''uvres d'art.

Par conséquent, le jugement entrepris sera de nouveau confirmé en qu'il a rejeté la demande de la société Le Corsaire de résiliation judiciaire du bail litigieux.

Sur la nullité du contrat de bail

L'article 564 du code de procédure civile dispose qu'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

Aux termes de l'article 565 du même code, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.

En l'espèce, la société Le Corsaire fait valoir que la société Encherimmo [Localité 4] a souscrit le contrat de bail sans intention d'exercer une activité commerciale dans les lieux, mais dans le seul dessein de céder le plus rapidement possible son droit au bail. Elle en déduit que le preneur a fait preuve de mauvaise foi et d'abus de droit dans la conclusion du contrat litigieux et sollicite l'annulation de ce dernier en raison de son caractère frauduleux.

Cependant, c'est à juste titre que les intimés soutiennent que cette demande en nullité est irrecevable en raison de sa nouveauté puisqu'elle ne tend pas aux mêmes fins que la demande en résiliation du contrat.

La fin de non-recevoir soulevée par les intimées sera donc accueillie.

Par conséquent, la demande d'annulation du bail litigieux sera déclarée irrecevable.

Sur les demandes indemnitaires

La société Encherimmo [Localité 4] et M. [U] sollicitent la condamnation de la société Le Corsaire à leur payer respectivement les sommes de 50'000 euros et de 30'000 euros à titre de dommages et intérêts.

Dans la discussion de ses écritures, la société appelante invoque l'irrecevabilité de l'intervention volontaire de M. [U]. Cependant, cette prétention n'étant pas énoncée au dispositif de ses conclusions, la cour d'appel n'a pas à statuer sur elle conformément à l'article 954, alinéa 3, du code de procédure civile.

En tout état de cause, les intimés ne justifient pas du préjudice allégué, de sorte que leurs demandes de dommages et intérêts seront rejetées.

Sur les dépens et frais irrépétibles

La société Le Corsaire, qui succombe dans ses prétentions, sera condamnée aux entiers dépens de l'instance d'appel. Le jugement sera par ailleurs confirmé en ce qu'il l'a condamnée aux entiers dépens de première instance.

En outre, l'équité commande de la condamner à payer à la société Encherimmo [Localité 4] la somme de 7'000 euros au titres des frais irrépétibles exposés en appel.

L'appelante sera subséquemment déboutée de sa demande au titre de ses frais irrépétibles, tant de première instance pour lesquels par suite le même jugement sera encore confirmé, que d'appel.

De même, M. [U], intervenant volontaire en cause d'appel, sera débouté de sa demande au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Déclare recevable l'appel de la SCI Le Corsaire,

Déclare recevable l'appel incident de la SAS Encherimmo [Localité 4] et de M. [G] [U],

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions déférées,

Y ajoutant,

Dit irrecevable la demande de la SCI Le Corsaire en annulation du bail commercial conclu le 2 février 2016 avec la SASU Encherimmo [Localité 4],

Déboute la SCI Le Corsaire de ses demandes au titre des dépens et des frais irrépétibles,

Déboute M. [G] [U] de sa demande au titre des frais irrépétibles d'appel,

Condamne la SCI Le Corsaire à payer à la SASU Encherimmo [Localité 4] la somme de 7'000 au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.