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Décisions

CA Basse-Terre, 2e ch., 25 juillet 2024, n° 23/01034

BASSE-TERRE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

La Pointe Invest (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Robail

Conseillers :

Mme Cledat, M. Groud

Avocat :

Me Forest

TJ Pointe-à-Pitre, du 6 oct. 2023, n° 23…

6 octobre 2023

FAITS ET PROCEDURE

Par acte sous seing privé en date du 23 janvier 2019, M. [R] [P] [G], bailleur, a conclu un contrat de bail avec M. [I] [D], preneur exerçant sur l'enseigne [W], portant sur un local commercial situé [Adresse 1], moyennant un loyer initial mensuel de 1 380 euros TTC, pour une durée de 12 mois à compter du 1er février 2019, tacitement renouvelable deux fois.

Le contrat stipulait une clause résolutoire prévoyant qu'à défaut de paiement d'un seul terme de loyer, et un mois après un commandement de payer resté infructueux, il serait résilié de plein droit.

Le 30 septembre 2022, M. [G] a cédé son immeuble à la SCI La Pointe Invest.

Par acte de commissaire de justice en date du 25 avril 2023, cette société a fait délivrer au preneur un commandement de payer la somme de 6.020 euros selon décompte du 20 mars 2023, visant la clause résolutoire.

Par acte de commissaire de justice en date du 19 juin 2023, la bailleresse a fait assigner le preneur devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre aux fins de voir :

- juger qu'elle est recevable et bien fondée dans toutes ses demandes ;

- ordonner la résiliation du bail commercial en date du 23 janvier 2019 entre M. [D] et elle à compter du 26 mai 2023, date d'expiration du délai d'un mois à compter de la signification du commandement de payer visant la clause résolutoire,

En conséquence,

- ordonner l'expulsion de M. [D] et de tous occupants de son chef, en la forme ordinaire et avec l'assistance du commissaire de police et de la force publique si besoin est,

- condamner M. [D] à quitter les lieux loués sous astreinte de cent euros par jour de retard à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir, et ce jusqu'au jour de la complète libération des lieux,

- ordonner la séquestration des meubles et objets garnissant les lieux en tel garde-meuble qu'il plaira à la juridiction de désigner, aux frais, risques et périls de M. [D],

- condamner à titre provisionnel, M. [D] à lui payer :

* la somme mensuelle de 1 380 euros au titre de l'indemnité d'occupation à compter du 26 mai 2023 jusqu'à parfaite libération des lieux,

* la somme de 6 600 euros au titre des arriérés de loyer de septembre 2022 à avril 2023,

* la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens, y compris le coût du commandement d'un montant de 173,56 euros.

M. [D], assigné en l'étude du commissaire de justice, n'a pas comparu et ne s'est pas fait représenter.

Par ordonnance du 6 octobre 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre a :

- au principal, renvoyé les parties à se pourvoir ainsi qu'elles en aviseraient,

- constaté l'acquisition de la clause résolutoire et la résiliation à la date du 26 mai 2023 du bail conclu le 23 janvier 2019,

- dit que dans le mois de la signification de l'ordonnance, M. [I] [D] dit [W] devait rendre les locaux qu'il occupe situés à [Adresse 1],

- à défaut, ordonné l'expulsion de M. [I] [D] dit [W] ou de tout occupant de son chef des lieux loués avec, si besoin est, le concours de la force publique et d'un serrurier,

- condamné M. [I] [D] dit [W] à payer à la SCI La Pointe Invest une indemnité d'occupation mensuelle égale au montant du loyer courant à compter du 26 mai 2023 et jusqu'à son départ effectif des lieux par la remise des clefs au propriétaire,

- condamné M. [I] [D] dit [W] à payer à la SCI La Pointe Invest une provision de 5 220 euros à valoir sur l'arriéré des loyers et indemnités d'occupation du au 20 avril 2023,

- rejeté le surplus des demandes,

- condamné M. [I] [D] dit [W] à payer à la SCI La Pointe Invest la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [I] [D] dit [W] aux dépens comprenant le coût du commandement du 25 avril 2023.

M. [I] [D] a interjeté appel de cette décision par déclaration remise au greffe de la cour par voie électronique le 30 octobre 2023, en visant expressément chacun des chefs du jugement entrepris.

La procédure a fait l'objet d'une orientation à bref délai avec fixation de l'affaire à l'audience du 11 mars 2024.

Le 29 novembre 2023, en réponse à l'avis du 22 novembre 2023 donné par le greffe, M. [I] [D] a fait signifier à la SCI La Pointe Invest la déclaration d'appel, l'ordonnance de fixation de l'affaire et l'avis d'avoir à signifier. Cette signification a été faite à domicile.

La SCI La Pointe Invest n'a pas constitué avocat de sorte que le présent arrêt sera rendu par défaut.

Le 7 décembre 2023, M. [I] [D] a fait signifier à la SCI La Pointe Invest ses conclusions en date du 29 novembre 2023, un bordereau de communication de pièces et les 12 pièces y énumérées.

A l'audience du 11 mars 2024, la décision a été mise en délibéré au 25 avril 2024 ; les parties ont ensuite été avisées de la prorogation de ce délibéré à ce jour, par mise à disposition au greffe, en raison de l'absence d'un greffier et de la surcharge des magistrats.

PRETENTIONS ET MOYENS

M. [I] [D], appelant :

Vu les dernières conclusions remises au greffe le 29 novembre 2023 et signifiées le 7 décembre 2023, par lesquelles M. [D] demande à la cour, au visa de l'article 835 du code de procédure civile et des pièces versées aux débats, de :

- infirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions

Statuant à nouveau,

- « dire et juger de la caducité du bail dérogatoire en date du 23 janvier 2019,

- dire et juger de l'existence d'un bail commercial ayant commencé à courir le 01 avril 2020,

- dire et juger que le montant mensuel du loyer du bail commercial d'avril 2020 à la somme de 800 euros TTC,

- dire et juger nul et de nul effet le commandement de payer visant la clause résolutoire en date du 25 avril 2023,

- dire et juger que la SCI La pointe Invest est redevable à l'égard de M. [D] [I] , exerçant sous l'enseigne «entreprise individuelle [W] », immatriculée au RCS de POINTE A PITRE, sous le N° SIRET 443 449 426 00040, d'une indemnité d'éviction »;

- condamner la SCI La Pointe Invest à lui verser la somme de 45 000 euros au titre de son indemnité d'éviction,

En tout état de cause,

- condamner la SCI La Pointe Invest à lui verser une somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, outre les entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL Forest Avocats.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux dernières conclusions de l'appelant pour un exposé détaillé des prétentions et moyens.

MOTIFS DE L'ARRET

A titre liminaire, il convient de rappeler qu'il résulte de l'article 472 du code de procédure civile que si, en appel, l'intimé ne comparaît pas et qu'il est néanmoins statué sur le fond, le juge ne fait droit aux prétentions et moyens de l'appelant que dans la mesure où il les estime réguliers, recevables et bien fondés.

Sur la recevabilité de l'appel

L'article 538 du code de procédure civile dispose que le délai de recours par la voie ordinaire est d'un mois en matière contentieuse.

Ce délai court à compter de la signification de la décision contestée.

En l'espèce, M. [D] a interjeté appel le 30 octobre 2023 de l'ordonnance rendue le 6 octobre 2023, qui lui avait été signifiée par la SCI La Pointe Invest à une date qui ne figure pas sur la fiche de signification versée aux débats.

Son appel est donc recevable quant au délai.

Sur l'acquisition de la clause résolutoire

En vertu de l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.

L'urgence est caractérisée chaque fois qu'un retard dans la prescription de la mesure sollicitée serait préjudiciable aux intérêts du demandeur.

En outre, une contestation sérieuse survient lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.

Par ailleurs, aux termes de l'article 835 du même code, le juge des référés peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit.

De plus, l'article L.145-41 alinéa 1er du code de commerce dispose que toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.

En application de ces textes, il est possible, en référé, de constater la résiliation de plein droit d'un contrat de bail en application d'une clause résolutoire lorsque celle-ci est mise en 'uvre régulièrement.

Enfin, aux termes de l'article L. 145-5 du code de commerce en ses deux premiers alinéas :

« Les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans. A l'expiration de cette durée, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogeant aux dispositions du présent chapitre pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux.

Si, à l'expiration de cette durée, et au plus tard à l'issue d'un délai d'un mois à compter de l'échéance, le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du présent chapitre. »

Il est de jurisprudence constante que le loyer de ce nouveau bail doit, à défaut d'accord entre les parties, être fixé à la valeur locative (3e Civ, 14 déc. 2005, pourvoi n° 05-12.587).

En l'espèce, le bail intitulé « bail commercial dérogatoire » conclu pour une durée de 12 mois à compter du 1er février 2019 entre M. [G], bailleur et M. [I] [D], comporte une clause résolutoire prévoyant qu'à défaut de paiement d'un seul terme de loyer, et un mois après un commandement de payer resté infructueux, il serait résilié de plein droit et prévoit que sa durée totale et de ses éventuels renouvellements successifs ne peut excéder 36 mois.

Il est constant qu'aucun écrit n'a été établi à l'expiration du bail hors statut d'immeuble commercial, soit au plus tard le 31 janvier 2022 bien que les relations entre les parties se soient poursuivies.

Il est tout aussi constant que le 30 septembre 2022, M. [G] a cédé l'immeuble loué à la SCI La Pointe Invest et que, par acte de commissaire de justice en date du 25 avril 2023, cette société a fait délivrer au preneur un commandement de payer la somme de 6.020 euros selon décompte du 20 mars 2023, visant la clause résolutoire.

Or, M. [D] fait valoir que le bail dérogatoire s'est transformé en un bail commercial de droit commun depuis le 1er avril 2020, date à laquelle un accord serait intervenu entre lui et M. [G], l'ancien bailleur, sur le prix du loyer.

Il affirme que l'ancien bailleur a consenti à son maintien dans les lieux selon les modalités suivantes, compte tenu de la crise sanitaire :

Un loyer mensuel de 500 euros du 1er juin au 31 août 2020 en période post covid ;

Un loyer mensuel de 700 euros du 1er septembre au 30 juin 2021

un loyer mensuel de 800 euros à compter du 1er juillet 2021.

L'appelant précise qu'il a payé ses loyers du 1er avril 2020 au 31 mai 2020 par la remise à M. [G] d'une 'uvre d'art d'une valeur de 2 500 euros.

Il soutient que la preuve du paiement du loyer mensuel convenu de 800 euros, depuis juin 2020, résulte de l'absence de commandement de payer, de mise en demeure ou de relance de la part de l'ancien bailleur durant cette période et que le bail s'est poursuivi aux mêmes conditions après la cession du bien loué à la SCI La Pointe Invest.

Il indique que ce n'est qu'à la suite de la vente de l'immeuble loué que le nouveau bailleur a sollicité le règlement d'arriérés de loyer en invoquant un bail dérogatoire caduc.

Il en conclut que le commandement de payer litigieux qui fait état d'un loyer mensuel de 1 380 euros est nul et de nul effet.

Cependant, en l'absence d'écrit, le point de savoir si le bail de droit commun a opéré aux clauses et conditions du bail dérogatoire expiré en ce qui concerne le montant du loyer échappe au pouvoir du juge des référés, juge de l'évidence.

Il s'en évince que la preuve d'un trouble manifestement illicite résultant du défaut de paiement des loyers visés par le commandement de payer n'est pas rapportée.

L'ordonnance entreprise sera donc infirmée en ce qu'elle a constaté l'acquisition de la clause résolutoire, ordonné l'expulsion de M. [D] et l'a condamné au paiement d'une indemnité d'occupation.

Statuant à nouveau, la cour dira par suite n'y avoir lieu à référé sur ces points.

Sur la demande d'indemnité d'éviction

En vertu de l'alinéa 2 de l'article 835 du code de procédure civile, le juge des référés peut seulement accorder une provision.

En l'espèce, M. [D] fait valoir qu'à la suite de l'ordonnance de référé entreprise, il a dû quitter le local loué dans lequel il pouvait se maintenir jusqu'au 31 mars 2026. En conséquence, il sollicite le versement à son profit d'une indemnité d'éviction d'un montant de 45 000 euros.

Cependant, le juge des référés qui peut seulement accorder une provision en l'absence de contestation sérieuse, excéderait ses pouvoirs en faisant droit à la demande de l'appelant. En effet, outre que la somme réclamée n'est pas provisionnelle, la fixation d'une indemnité d'éviction, fût-ce à titre provisionnel, est par essence porteuse de contestation sérieuse dès lors qu'en l'absence d'accord du bailleur une mesure d'expertise s'impose pour en déterminer le montant.

Il convient donc de dire qu'il n'y a lieu à référé sur ce point.

Sur les dépens et frais irrépétibles

Compte tenu des dispositions du présent arrêt et de la non-comparution de l'appelant en première instance, les deux parties conserveront la charge des dépens dont elles auraient fait l'avance, tant en première instance qu'en appel. En conséquence, d'une part, l'ordonnance entreprise sera infirmée quant à la charge des dépens et des frais irrépétibles de première instance et, d'autre part, la demande de l'appelant au titre de ses frais irrépétibles d'appel sera rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Déclare recevable l'appel de M. [I] [D],

Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions déférées,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à référé,

Déboute M. [I] [D] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens de première instance et d'appel.

Et ont signé,