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Décisions

CA Basse-Terre, 2e ch., 25 juillet 2024, n° 23/00132

BASSE-TERRE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

EDF (SA)

Défendeur :

Allianz Iard (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Robail

Conseillers :

Mme Clédat, M. Groud

Avocats :

Me Deraine, Me Boucher, Me Comollet

CA Basse-Terre n° 23/00132

24 juillet 2024

FAITS ET PROCEDURE

Le 24 juin 2010, un incendie a ravagé un immeuble situé [Adresse 3] à [Localité 8] appartenant à M. [P] [H], assuré auprès de la compagnie Allianz Iard, dont le rez-de-chaussée, loué en vertu d'un bail commercial à la Sarl L'Objet Land, était occupé par un commerce de librairie exploité par la SAS Carbet du Livre.

Par acte du 6 juillet 2010, la compagnie Allianz Iard a saisi le juge des référés qui, par ordonnance du 22 juillet 2010, a commis M. [I] afin de procéder à une expertise au contradictoire de la société EDF Services Archipel Guadeloupe. Cette expertise a ultérieurement été étendue à la Sarl Objet Land, au SDIS de Guadeloupe, à la SAS Générale des Eaux de Guadeloupe et à la société Carbet du Livre.

L'expert a déposé son rapport le 13 juillet 2012.

Par acte du 30 novembre 2015, la compagnie Allianz Iard a assigné la société EDF Services Archipel Guadeloupe devant le tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre afin d'obtenir sa condamnation à lui rembourser, à titre provisionnel, la somme de 1.745.647,57 euros correspondant aux indemnités versées à la suite de ce sinistre.

Par jugement du 12 décembre 2017, le tribunal mixte de commerce a :

- ordonné la réouverture des débats et invité les parties à fournir leurs observations sur la recevabilité de l'action de la société Allianz Iard en qualité de subrogée dans les droits de la Sarl L'Objet Land ou de la Sas Carbet du Livre,

- sursis à statuer dans cette attente sur la recevabilité de l'action de la société Allianz Iard en qualité de subrogée dans les droits de la Sarl L'Objet Land ou de la Sas Carbet du Livre et sur son préjudice en cette qualité,

- reçu l'action de la société Allianz Iard en qualité de subrogée dans les droits d'[P] [H], décédé en 2011, et de ses héritiers,

- déclaré la société EDF responsable du sinistre par incendie survenu le 24 juin 2010 dans l'immeuble situé [Adresse 2] à [Localité 8],

- condamné la société EDF à indemniser le préjudice subi par la société Allianz Iard en sa qualité de subrogée dans les droits d'[P] [H] et de ses héritiers,

- avant dire droit sur l'indemnisation du préjudice, ordonné une expertise confiée à M. [E] destinée à évaluer les préjudices subis par [P] [H] et par ses héritiers à la suite du sinistre survenu le 24 juin 2010,

- condamné EDF à verser à Allianz Iard une provision de 80.000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice,

- sursis à statuer sur les autres demandes dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise,

- renvoyé l'affaire à l'audience du 2 février 2018.

La société EDF a interjeté appel de cette décision le 06 février 2018, en limitant son appel aux chefs de jugement par lesquels le tribunal l'a déclarée responsable du sinistre, l'a condamnée à indemniser le préjudice subi par Allianz en qualité de subrogée dans les droits d'[P] [H] et de ses héritiers et l'a condamnée à ce titre au paiement d'une provision de 80.000 euros.

Par arrêt du 15 novembre 2021, la cour d'appel de céans a confirmé le jugement déféré en toutes ses dispositions contestées.

L'expert commis dans le cadre du jugement du 12 décembre 2017 a déposé son rapport le 25 juillet 2019.

Par jugement du 21 octobre 2022, le tribunal mixte de commerce a :

- condamné la société EDF à verser à la société Allianz Iard la somme de 154.492 euros avec intérêts au taux légal à compter du 31 août 2011, date de signature de la quittance, et capitalisation des intérêts échus pour une année entière par application de l'article 1343-2 du code civil, par suite de l'indemnisation versée à la société Carbet du Livre,

- condamné la société EDF à verser au total à la société Allianz Iard, subrogée dans les droits et action de son assuré par application de l'article L.121-12 du code des assurances, la somme de 1.055.000 euros en réparation des dommages immobiliers causés par l'incendie, avec intérêts au taux légal à compter du 26 juin 2012, date de versement des indemnités à l'assuré, et capitalisation des intérêts échus pour une année entière par application de l'article 1343-2 du code civil, par suite de l'indemnisation versée à l'indivision [H],

- condamné la société EDF à verser au total à la société Allianz Iard la somme de 10.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société EDF, succombant à l'instance, à devoir supporter les dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement.

La société EDF a interjeté appel de cette décision par déclaration remise au greffe de la cour par voie électronique le 03 février 2023, en précisant que son appel portait expressément sur chacun des chefs de jugement, à l'exception de celui afférent à l'exécution provisoire.

La société Allianz Iard a régularisé sa constitution d'intimée par voie électronique le 31 mars 2023.

L'instruction de cette procédure, orientée à la mise en état, a été clôturée le 02 octobre 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience du 29 janvier 2024.

A cette date, elle a été renvoyée à l'audience du 15 avril 2024, à laquelle elle a été plaidée. La décision a ensuite été mise en délibéré au 18 juillet 2024.

Suivant message adressé aux avocats par RPVA le 07 juin 2024, la cour a invité les parties à faire valoir leurs observations, avant le 18 juin 2024, sur le moyen de droit qu'elle envisageait de relever d'office, tiré de l'irrecevabilité de l'appel incident formé par la société Allianz Iard, faute de demande d'infirmation ou d'annulation dans le dispositif de ses conclusions.

Aux termes de ses observations remises au greffe le 11 juin 2024, la société Allianz Iard soutient que son appel incident est recevable dès lors que le libellé du dispositif de ses conclusions, même s'il ne vise pas expressément les termes 'infirmation' et 'annulation', ne laisse aucun doute quand à son intention de former appel incident, ceci d'autant qu'elle forme une prétention à ce titre. Néanmoins, pour le cas où son appel incident serait déclaré irrecevable, elle sollicite la confirmation du chef de jugement par lequel la société EDF a été condamnée à lui payer la somme de 1.055.000 euros, déféré à la cour par son appel principal.

Le 18 juillet 2024, le prononcé de l'arrêt a été reporté au 25 juillet 2024, en raison de l'absence d'un greffier.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

1/ La SA EDF, appelante :

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 27 avril 2023, par lesquelles l'appelante demande à la cour:

- de déclarer son appel recevable,

- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

- dit que la société Allianz Iard ne pouvait pas être admise à se prévaloir de la subrogation légale de l'article L.121-12 du code des assurances,

- dit que la société Allianz Iard ne pouvait pas être admise à se prévaloir d'une assurance conclue pour compte, en l'occurrence pour le compte de la société Carbet du Livre, et de la subrogation légale qui pourrait en résulter,

- écarté les sommes retenues par l'expert judiciaire correspondant à des forfaits au titre du contrat d'assurance mais pour lesquels il n'était produit aucun justificatif : l'évaluation forfaitaire du contenu, les frais de clôture ou de gardiennage selon assurance et les honoraires d'expert d'assurance, selon les conditions du contrat d'assurance,

- écarté l'indemnisation du dommage financier résultant de la perte des loyers sur deux années, retenu par l'expert judiciaire, cela en l'absence de toute volonté de reconstruction et alors qu'il n'est pas contesté que le bail s'est trouvé résilié à la suite de l'incendie,

- d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

- condamné la société EDF à verser à la société Allianz Iard la somme de 154.492 euros avec intérêts au taux légal à compter du 31 août 2011, date de signature de la quittance, et capitalisation des intérêts échus pour une année entière par application de l'article 1343-2 du code civil,

- condamné la société EDF à verser au total à la société Allianz Iard, subrogée dans les droits et action de son assuré par application de l'article L.121-12 du code des assurances, la somme de 1.055.000 euros en réparation des dommages immobiliers causés par l'incendie, avec intérêts au taux légal à compter du 26 juin 2012, date de versement des indemnités à l'assuré, et capitalisation des intérêts échus pour une année entière par application de l'article 1343-2 du code civil,

- condamné la société EDF à verser au total à la société Allianz Iard la somme de 10.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société EDF, succombant à l'instance, à devoir supporter les dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire,

- statuant à nouveau :

- sur la recevabilité du recours subrogatoire :

- de déclarer la société Allianz Iard irrecevable en son action subrogatoire pour avoir paiement de la somme de 154.492 euros réglée à la société Carbet du Livre au titre du sinistre survenu le 24 juin 2010,

- de débouter la société Allianz Iard de l'ensemble de ses demandes, notamment de sa demande d'intérêts au taux légal à compter du 31 août 2011 et de sa demande de capitalisation des intérêts échus, ainsi que de sa demande de remboursement des frais d'expertises et de sa demande au titre d'un prétendu enrichissement sans cause,

- 'subsidiairement,' sur le préjudice réparable après expertise :

- de dire que le préjudice subi par [P] [H] et ses héritiers du fait du sinistre survenu le 24 juin 2010 ne saurait excéder la valeur vénale du bien, soit la somme de 634.364 euros,

- de limiter l'indemnisation réclamée par la société Allianz Iard à la somme de 634.364 euros,

- de débouter la société Allianz Iard de toutes demandes plus amples ou contraires en l'absence de justification des autres pertes et frais annexes,

- en tout état de cause, de condamner la société Allianz Iard à lui payer la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux dernières conclusions pour un exposé détaillé des prétentions et moyens.

2/ La S.A. Allianz Iard, intimée :

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 19 juillet 2023, par lesquelles l'intimée demande à la cour:

- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a accueilli la subrogation conventionnelle d'Allianz Iard dans les droits de la société Carbet du Livre et a condamné la société EDF à lui verser la somme de 154.492 euros avec intérêts au taux légal à compter du 31 août 2011, date de signature de la quittance, et capitalisation des intérêts échus pour une année entière par application de l'article 1343-2 du code civil,

- en tant que de besoin :

- de confirmer ladite condamnation en accueillant son action subrogatoire sur le fondement de l'article L.121-12 du code des assurances à l'encontre de la société EDF et de déclarer cette dernière irrecevable et mal fondée en son exception de nullité de la convention supposée de location-gérance intervenue entre la Sarl L'Objet Land et la SAS Carbet du Livre,

- de dire et juger, si par extraordinaire la subrogation n'était pas admise, qu'Allianz Iard serait recevable et bien fondée en son action en remboursement dirigée contre la société EDF par application du principe général du droit suivant lequel nul ne peut s'enrichir injustement aux dépens d'autrui,

- 'en recevant Allianz Iard en son appel incident,

Statuant sur le recours subrogatoire d'Allianz Iard, subrogée dans les droits des consorts [H] à l'encontre d'EDF Services Archipel Guadeloupe :

- [de] condamner EDF Services Archipel Guadeloupe à verser à Allianz Iard, en deniers ou quittances, la somme de 1.591.155,57 euros avec intérêts au taux légal à compter du 26 juin 2012 et capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil,'

- de confirmer la condamnation de la société EDF prononcée par les premiers juges à lui verser une indemnité de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner la société EDF Services Archipel Guadeloupe à lui verser pour les frais irrépétibles exposés devant la cour une indemnité de 10.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner la société EDF Services Archipel Guadeloupe à lui rembourser l'intégralité des frais d'expertises judiciaires dont elle a fait l'avance, ainsi qu'aux entiers dépens de la procédure.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux dernières conclusions pour un exposé détaillé des prétentions et moyens.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur la recevabilité de l'appel

L'article 538 du code de procédure civile dispose que le délai de recours par la voie ordinaire est d'un mois en matière contentieuse.

Ce délai court à compter de la signification de la décision contestée.

En l'espèce, la société EDF a interjeté appel le 03 février 2023 du jugement rendu le 21 octobre 2022, alors que le dossier ne contient aucun élément permettant de démontrer qu'il lui aurait été préalablement signifié.

Son appel doit en conséquence être déclaré recevable.

Sur l'irrecevabilité de l'appel incident :

Conformément aux dispositions de l'article 542 du code de procédure civile, l'appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel.

L'article 909 précise que l'intimé dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant prévues à l'article 908 pour remettre ses conclusions au greffe et former, le cas échéant, appel incident ou appel provoqué.

Enfin, l'article 954 rappelle que les conclusions d'appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée. La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

Il résulte de ces articles que, lorsque l'intimé forme un appel incident et ne demande, dans le dispositif de ses conclusions, ni l'infirmation, ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que déclarer irrecevable l'appel incident, qui n'est pas valablement formé (2e Civ., 1 juillet 2021, pourvoi n° 20-10.694).

En l'espèce, le dispositif des conclusions de la société Allianz Iard remises au greffe dans le délai de l'article 909 précité ne contient aucune demande d'infirmation ou d'annulation du chef de jugement critiqué, puisqu'il est libellé de la façon suivante :

'En recevant Allianz Iard en son appel incident,

Statuant sur le recours subrogatoire d'Allianz Iard, subrogée dans les droits des consorts [H] à l'encontre d'EDF Services Archipel Guadeloupe :

Condamner EDF Services Archipel Guadeloupe à verser à Allianz Iard, en deniers ou quittances, la somme de 1.591.155,57 euros avec intérêts au taux légal à compter du 26 juin 2012 et capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil.'

En conséquence, les parties ayant préalablement été mises en mesure de faire valoir leurs observation sur ce moyen de droit, relevé d'office par la cour, il convient de déclarer son appel incident irrecevable.

Sur l'action subrogatoire exercée par la société Allianz Iard au titre des sommes versées à la société Carbet du Livre :

Le 27 juin 2007, la société L'Objet Land a souscrit auprès de la compagnie d'assurances AGF, devenue Allianz Iard, un contrat d'assurance de ses biens professionnels AGF Pro n°0110021934, qui couvrait le contenu des locaux, notamment en cas d'incendie.

En vertu des conditions générales de ce contrat, le contenu comprenait les biens énumérés au contrat appartenant ou non à l'assuré, parmi lesquels figuraient le mobilier et le matériel professionnel, ainsi que les marchandises, se trouvant dans les locaux professionnels assurés.

Par convention de mise à disposition du 13 mai 2009, la société L'Objet Land a confié l'exploitation de son activité de librairie-papeterie à la société Carbet du Livre. L'article V de ce contrat stipulait : 'La SARL L'Objet Land, en sa qualité de locataire, a souscrit un contrat d'assurance n°0110021934 auprès de Wab Assurances afin de couvrir l'ensemble de l'activité de librairie-papeterie- presse exercée dans les locaux sis [Adresse 2]. En cas de sinistre, l'indemnisation d'assurance sera versée directement entre les mains de Carbet du Livre pour la part de dommages liée à l'exploitation (stocks, pertes d'exploitation...) ainsi que le mobilier et agencements détenus par la SAS Carbet du Livre et entre les mains de L'Objet Land pour le matériel, mobilier, stocks laissés à disposition'.

Le 31 août 2011, la société Carbet du Livre a accepté l'indemnité de 154.492 euros qui lui était proposée par la société Allianz Iard à la suite du sinistre survenu le 24 juin 2010 et signé une quittance aux termes de laquelle elle la subrogeait dans ses droits et actions.

Le règlement de l'indemnité au profit de la société Carbet du Livre est intervenu le 04 octobre 2011.

La société EDF, responsable du sinistre, a conclu à l'irrecevabilité de l'action subrogatoire engagée à son encontre par la société Allianz Iard aux fins de recouvrement de la somme de 154.492 euros, tant au titre de la subrogation légale, y compris en vertu d'une assurance pour compte, qu'au titre d'une subrogation conventionnelle.

A cette fin, elle s'est prévalue de la nullité de la convention de mise à disposition, considérant qu'il s'agissait d'une location-gérance déguisée, conclue en violation des dispositions d'ordre public de l'article L.144-3 du code de commerce, dans sa version applicable, puisque la société L'Objet Land n'exploitait pas le fonds de commerce depuis au moins deux ans lorsqu'elle en avait confié l'exploitation à la société Carbet du Livre. La société EDF en déduit que rien ne justifiait que la société Allianz Iard règle une indemnité à la société Carbet du Livre, ni ne soit subrogée dans ses droits, en dehors de tout contrat d'assurance et sur la base d'une convention nulle et de nul effet. Elle maintient ce moyen en cause d'appel.

Cependant, cette exception de nullité n'est pas recevable dès lors que, même s'agissant d'une nullité absolue tirée de la violation de dispositions d'ordre public, une exception de nullité ne peut tendre, après l'expiration du délai de prescription quinquennale de l'action en nullité, qu'à faire échec à la demande d'exécution d'un acte juridique n'ayant reçu aucune exécution (1re Civ., 24 avril 2013, pourvoi n° 11-27.082).

Or, en l'espèce, la convention de mise à disposition conclue le 13 mai 2009 a été exécutée jusqu'à la date du sinistre en 2010, et la société EDF n'a soulevé son exception de nullité que dans le cadre de la procédure initiée par l'assignation délivrée le 30 novembre 2015, soit postérieurement à l'acquisition de la prescription.

En conséquence, ce moyen développé au soutien de l'irrecevabilité de l'action subrogatoire de l'assureur doit être écarté.

Pour le surplus, aux termes de motifs qui ne sont pas contestés par l'appelante, les premiers juges ont retenu que la société Allianz Iard ne disposait d'aucun recours en vertu de la subrogation légale prévue par l'article L.112-1 alinéa 2 du code des assurances, dès lors que l'indemnité n'avait pas été réglée à son assurée, mais à un tiers victime.

Ils ont également écarté, aux termes d'une motivation qui n'est pas contestée par l'appelante, l'existence d'une subrogation légale fondée sur l'assurance pour compte, considérant qu'à défaut d'éléments permettant de démontrer que la convention de mise à disposition conclue entre les sociétés L'Objet Land et Carbet du Livre aurait été portée à la connaissance de l'assureur, la volonté non équivoque des parties au contrat d'assurance de souscrire une assurance pour compte n'était pas rapportée.

En revanche, ils ont considéré que la compagnie d'assurance disposait d'un recours en vertu d'une subrogation conventionnelle sur le fondement de l'article 1250 1° du code civil, dans sa version antérieure au 1er octobre 2016, applicable en l'espèce, qui dispose que la subrogation est conventionnelle 'lorsque le créancier recevant son paiement d'une tierce personne la subroge dans ses droits, actions, privilèges ou hypothèques contre le débiteur : cette subrogation doit être expresse et faite en même temps que le paiement'.

En plus de son caractère exprès, la subrogation doit par principe être concomitante au paiement. Cependant, il est admis, de manière parfaitement constante, que la condition de simultanéité est remplie lorsque le subrogeant a manifesté expressément sa volonté de subroger l'assureur au moment du paiement, même si cela résulte d'un document antérieur (Com., 24 juin 2008, pourvoi n° 07-13.727).

En l'espèce, la société Carbet du Livre a signé le 31 août 2011 une quittance libellée en ces termes : 'déclare accepter d'Allianz Iart, établi à [Adresse 7], et moyennant paiement à venir, la somme de 142.619,60 euros (cent quarante deux mille six cent dix-neuf euros et soixante centimes) formant avec la délégation Expert Collomé (11.872,40 euros) la somme de 152.492 euros représentant l'indemnité due au titre du contrat n°0110021934 à la suite du sinistre survenu le 24/06/2010 ayant atteint les biens assurés. Je certifie en outre ne pas avoir été indemnisé(e) préalablement pour les mêmes préjudices et m'engage à n'exercer aucun recours contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage objet de la présente indemnité pour laquelle je subroge dans tous mes droits et actions Allianz Iart, tant légalement que conventionnellement en application de l'article L.121-12 du code des assurances et 1250 du code civil'.

En premier lieu, contrairement à ce que soutient la société EDF, l'erreur consistant à mentionner dans cette quittance Allianz 'Iart' au lieu d'Allianz 'Iard' ne peut s'analyser que comme une erreur purement matérielle, dépourvue d'incidence sur l'effet subrogatoire de la convention, en l'absence de tout doute quant à l'identité de la société désignée comme subrogée.

En second lieu, toujours à l'encontre de l'analyse de l'appelante, la société Carbet du Livre a bien manifesté sa volonté expresse de subroger la société Allianz Iard dans ses droits et actions au moment du paiement, en faisant référence au 'paiement à venir' de la somme de 142.619,60 euros, qui, ajoutée aux frais d'expert déjà réglés à ce dernier par l'assurance à hauteur de 11.872,40 euros, portait l'indemnité d'assurance à la somme totale de 154.492 euros.

En conséquence, ce paiement ayant bien eu lieu en octobre 2011, c'est à bon droit que les premiers juges ont déclaré recevable l'action subrogatoire de la société Allianz Iard sur le fondement de la subrogation conventionnelle.

Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a condamné la société EDF à verser à la société Allianz Iard la somme de 154.492 euros à ce titre.

Dans le dispositif de ses conclusions, la société EDF demande à la cour de débouter la société Allianz Iard de ses demandes tendant à ce que la condamnation au paiement de cette somme de 154.492 euros soit assortie des intérêts au taux légal à compter du 31 août 2011, date de signature de la quittance, et à ce que les intérêts échus pour une année entière soient capitalisés par application de l'article 1343-2 du code civil. Cependant, elle ne développe aucune motivation au soutien de cette prétention. En conséquence, en vertu des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, ce chef de jugement sera confirmé dans son intégralité.

Sur les demandes relatives à l'indemnisation de l'indivision [H] :

Aux termes du contrat d'assurance souscrit le 17 mars 2006 par [P] [H] auprès de la compagnie AGF, devenue Allianz Iard, l'immeuble assuré était garanti, en cas d'incendie, sur la base de la valeur de reconstruction à neuf ou, si la reconstruction n'intervenait pas dans le délai de deux ans suivant le sinistre, sauf impossibilité absolue, sur la base de cette valeur, vétusté déduite.

La reconstruction n'étant pas intervenue dans le délai de deux ans, l'assurance a réglé à l'indivision [H] une indemnité de 1.591.155,57 euros au titre de l'indemnité immédiate. Après déduction des acomptes de 80.000 euros déjà versés et de la somme de 93.497,96 euros directement réglée par la société Allianz Iard au cabinet Collomé, l'assurance a procédé le 26 juin 2012 au versement d'une somme de 1.417.657,18 euros entre les mains du notaire chargé du règlement de la succession d'[P] [H].

Dans le cadre de son rapport d'expertise judiciaire déposé le 25 juillet 2019, M. [B] a évalué le coût total de la reconstruction à neuf à 1.500.000 euros et a préconisé d'y ajouter divers frais induits par le sinistre :

- contenu, évalué forfaitairement selon assurance : 129.162,86 euros,

- frais de clôture ou de gardiennage, selon assurance : 5.461 euros,

- frais de démolition, évalués par ses soins : 80.000 euros,

- perte de loyers sur deux ans, pour tenir compte du délai réel de reconstruction : 124.800 euros,

- honoraires d'expert d'assurance : 66.791,78 euros, selon conditions du contrat d'assurance,

- soit un total de 1.906.215,64 euros TTC.

Sur la base de ces éléments, et près avoir rappelé que, dans le cadre de la responsabilité délictuelle, la victime avait droit à la réparation intégrale de son préjudice, les premiers juges ont retenu :

- que l'indemnisation à allouer à l'indivision [H], propriétaire de l'immeuble, ne pouvait correspondre qu'à la valeur de reconstruction à neuf de l'immeuble, et non à sa valeur vénale, comme le soutenait la société EDF,

- que dans la mesure où 35% de la surface de l'immeuble avait été construite sur un terrain dont [P] [H] ne pouvait justifier être propriétaire, et sur lequel aucune reconstruction ne serait donc possible, la valeur de reconstruction à neuf retenue à juste titre par l'expert pour l'ensemble de la construction devait être réduite de 35%,

- que les sommes retenues par l'expert, correspondant à des forfaits au titre du contrat d'assurance ne pouvaient être retenues faute de justificatifs : évaluation forfaitaire du contenu, frais de clôture ou de gardiennage, honoraires d'expert d'assurance,

- que ne pouvait pas non plus être indemnisée la perte de loyers sur deux années retenue par l'expert, en l'absence de volonté de reconstruction, et alors que le bail s'est trouvé résilié à la suite de l'incendie,

- que l'indemnité à allouer s'élevait en conséquence à la somme de 1.055.000 euros en réparation des dommages immobiliers causés par l'incendie, avec intérêts au taux légal à compter du 26 juin 2012, date de versement des indemnités à l'assuré, et capitalisation des intérêts échus pour une année entière par application de l'article 1343-2 du code civil.

La société EDF demande à la cour d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu l'indemnisation sur la base de la valeur de reconstruction à neuf de l'immeuble, et non sur la base de sa valeur vénale, qu'elle évalue à 634.364 euros.

Elle soutient que les faits de l'espèce caractérisent l'impossibilité de reconstruire l'immeuble et, qu'en conséquence, le propriétaire de l'immeuble ne peut prétendre à la valeur de remplacement du bien, mais seulement à sa valeur vénale, qui indemnise la perte patrimoniale.

Il est parfaitement constant que les dommages-intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi, sans qu'il en résulte pour elle ni perte, ni profit, afin de la replacer dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit. Il s'en déduit que pour évaluer le préjudice subi par le propriétaire d'un immeuble détruit par la faute d'un tiers, il convient de tenir compte du coût de sa reconstruction.

Ce principe ne subit de tempéraments que lorsqu'il est impossible de replacer la victime dans la situation matérielle qui aurait été la sienne en l'absence de sinistre, soit car le bien n'était plus exploité depuis très longtemps avant le sinistre, soit parce qu'il ne peut plus être reconstruit. Dans ces hypothèses, les juges du fond ne peuvent allouer à la victime qu'une indemnité correspondant à la valeur du bien perdu.

Or, en l'espèce, même si, depuis l'incendie, l'immeuble a été démoli et déblayé, cet élément factuel ne suffit pas à prouver que les héritiers d'[P] [H], décédé en 2011, n'aient jamais eu l'intention de faire reconstruire ce bâtiment situé au coeur de [Localité 8], qui générait des revenus. Il ne permet pas non plus de conclure que cet immeuble ne pourra jamais être reconstruit.

En effet, si la société EDF se prévaut de ce qu'[P] [H] ne disposait d'un titre de propriété que sur l'une des deux parcelles sur lesquelles était construit l'immeuble détruit, il convient de rappeler que ce bâtiment a été édifié à la fin du XIXème siècle ou au début du XXème siècle, de sorte que, comme le relève l'intimée, les droits de son propriétaire pouvaient, à tout le moins, découler de l'usucapion. Il n'est dès lors pas démontré que cette situation rendrait toute reconstruction impossible.

En conséquence, c'est à bon droit que les premiers juges ont refusé de limiter l'indemnisation à la valeur vénale de l'immeuble.

Pour le surplus, il convient de relever que la société EDF ne conteste pas la valeur de reconstruction à neuf, vétusté déduite, retenue par les premiers juges, ni leur décision d'écarter certains postes d'indemnisation proposés par l'expert judiciaire.

Elle ne conteste pas non plus la décision des premiers juges de réduire de 35% la valeur de reconstruction évaluée par l'expert.

Dès lors, à défaut d'appel incident recevable, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société EDF à verser au total à la société Allianz Iard, subrogée dans les droits et action de son assuré par application de l'article L.121-12 du code des assurances, la somme de 1.055.000 euros en réparation des dommages immobiliers causés par l'incendie, avec intérêts au taux légal à compter du 26 juin 2012, date de versement des indemnités à l'assuré, et capitalisation des intérêts échus pour une année entière par application de l'article 1343-2 du code civil.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

La société EDF, qui succombe dans ses prétentions, sera condamnée aux entiers dépens de l'instance d'appel. Le jugement déféré sera par ailleurs confirmé en ce qu'il l'a condamnée aux dépens de première instance, comprenant les frais des expertises judiciaires.

En outre, l'équité commande de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société EDF à payer à la société Allianz Iard la somme de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et, y ajoutant, de la condamner à lui payer une somme complémentaire de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles de l'instance d'appel.

En conséquence, la société EDF sera déboutée de sa propre demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, contradictoirement, par arrêt rendu par mise à disposition au greffe,

Déclare recevable l'appel principal formé par la SA EDF,

Déclare irrecevable l'appel incident formé par la SA Allianz Iard,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions contestées,

Y ajoutant,

Condamne la SA EDF à payer à la SA Allianz Iard la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles de l'instance d'appel,

Déboute la SA EDF de sa propre demande à ce titre,

Condamne la SA EDF aux entiers dépens de l'instance d'appel.

Et ont signé,