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Décisions

CA Basse-Terre, 2e ch., 29 juillet 2024, n° 23/00606

BASSE-TERRE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Comptoir de la Guadeloupe (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Robail

Conseillers :

Mme Clédat, M. Groud

Avocats :

Me Plumasseau, Me Morton

CA Basse-Terre n° 23/00606

28 juillet 2024

FAITS ET PROCEDURE

La société à responsabilité limitée Comptoir de la Guadeloupe a pour objet social « le conseil pour les affaires et autres conseils de gestion » et son capital social d'un montant de 219 000 euros est divisé en 2 190 parts sociales de 100 euros de valeur nominale détenues par M. [Z] [F] à concurrence de 2 189 parts sociales et M. [Y] [F] à concurrence de 1 part sociale.

M. [Z] [F] est le père de M. [Y] [F].

M. [Y] [F] est gérant de la société Comptoir de la Guadeloupe depuis la création de cette dernière en décembre 2018 et il est également salarié de cette société.

Par acte de commissaire de justice en date du 14 février 2023, M. [Z] [F] a assigné M. [Y] [F] et la société Comptoir de la Guadeloupe devant le juge des référés du tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre en vue de voir :

« désigner la SELARL BCM représentée par M. [W] aux fins de convoquer une assemblée générale ordinaire sur l'ordre du jour suivant ou tout autre à préciser :

Rapport de la gérance,

Approbation des comptes de l'exercice clos le 31 décembre 2021 et quitus à la gérance,

Affectation du résultat de l'exercice, - Rapport spécial de la gérance sur les conventions visées à l'article L 223-19 du Code de commerce et approbation desdites conventions, - Nomination d'un gérant,

Révocation du gérant

Pouvoirs en vue de l'accomplissement des formalités ».

Au soutien de sa demande, M. [Z] [F] a exposé que M. [Y] [F], gérant de la société Comptoir de la Guadeloupe, ayant quitté la Guadeloupe, n'exerçait plus ses fonctions dans les faits depuis 2020 et qu'il n'avait donné aucune suite au courrier qu'il lui avait adressé le 28 juillet 2022 pour lui demander de convoquer une assemblée générale. Il sollicitait donc, au visa des articles 872 du code de procédure civile et L. 223-27 du code de commerce, en l'absence de stipulations statutaires spécifiques, la désignation d'un mandataire ad hoc chargé de convoquer une assemblée générale ordinaire.

M. [Y] [F] et la société Comptoir de la Guadeloupe ont contesté l'existence de la condition d'urgence et argué de l'existence de contestations sérieuses et de l'absence d'un différend, ce qui rendait le juge des référés incompétent.

A titre reconventionnel, ils ont sollicité, au visa de l'article 873 du code de procédure civile. la nomination d'un administrateur provisoire, dès lors que seule cette mesure était susceptible de préserver l'intérêt social, au regard des dysfonctionnements de la société résultant de la mésentente entre les associés.

Par ordonnance du 26 mai 2023, le juge des référés du tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre a :

- désigné la société BCM, prise en la personne de Me [B] [C], demeurant [Adresse 5] en qualité de mandataire ad hoc de la société Comptoir de la Guadeloupe avec mission de convoquer une assemblée générale ordinaire sur l'ordre du jour suivant :

* examen et approbation du rapport général de la gérance sur la situation et l'activité de la société,

* présentation et approbation des comptes et du bilan de l'exercice clos au 31 décembre 2021, et quitus à la gérance,

* affectation du résultat de l'exercice,

* rapport spécial de la gérance sur les conventions visées à l'article L. 223-19 du Code de commerce et approbation desdites conventions,

* nomination d'un gérant,

* révocation du gérant,

* pouvoirs en vue de l'accomplissement des formalités,

* questions diverses ».

- débouté M. [Y] [F] et la société Comptoir de la Guadeloupe de leur demande reconventionnelle en désignation d'un administrateur provisoire ;

- dit que le greffier notifiera cette ordonnance au mandataire ad hoc désigné qui fera connaître son acceptation ou son refus ;

- condamné M. [Y] [F] et la société Comptoir de la Guadeloupe aux dépens ;

- débouté M. [Y] [F] et la société Comptoir de la Guadeloupe de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- liquidé les dépens à recouvrer par le Greffe à la somme de 52,12 euros TTC (dont TVA de 4,08 euros).

M. [Y] [F] et la société Comptoir de la Guadeloupe ont interjeté appel de cette décision par déclaration remise au greffe de la cour par voie électronique le 14 juin 2023, en visant expressément chacun des chefs de l'ordonnance entreprise.

La procédure a fait l'objet d'une orientation à bref délai avec fixation de l'affaire à l'audience du 27 novembre 2023.

M. [Z] [F] a remis au greffe sa constitution d'intimé par voie électronique le 18 juillet 2023.

Le 22 juillet 2023, les appelants ont notifié à avocat leurs conclusions déposées au greffe de la cour d'appel le 13 juillet 2023, le bordereau de pièces en appel et des pièces numérotées de 1 à 31.

Par conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 31 octobre 2023, la société Comptoir de la Guadeloupe, représentée par M. [X] [F], nouveau gérant de la société à la suite de la tenue de son assemblée générale le 24 juillet 2023, s'est désistée de son appel.

La procédure a fait l'objet dMBOL 61 "WP TypographicSymbols" \s 12une orientation à bref délai avec fixation de l'affaire à l'audience du 27 novembre 2023. Lors de cette audience, l'affaire a été renvoyée au 19 février 2024 à l'issue de laquelle la décision a été mise en délibéré au 16 mai 2024 ; les parties ont ensuite été avisées de la prorogation de ce délibéré à ce jour, par mise à disposition au greffe, en raison de l'absence d'un greffier et de la surcharge des magistrats.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

1/ M. [Y] [F], appelant :

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 20 décembre 2023 par lesquelles M. [Y] [F] et la société Comptoir de la Guadeloupe demandent à la cour au visa des articles 4, 5, 872 et 873 du code de procédure civile, L. 223-7, L. 223-18 et L. 226-26 du code de commerce, de la jurisprudence et des pièces versées aux débats, de :

- prononcer la recevabilité et le bien-fondé de l'appel et de leurs demandes et y faire droit ;

A titre principal,

- déclarer que le président du tribunal de commerce de Pointe-à-Pitre, au sein de son ordonnance en date du 26 mai 2023 avait omis de statuer sur sa compétence et tout particulièrement sur la caractérisation des conditions de l'article 872 du Code de procédure civile, fondement de sa saisine ;

En conséquence,

- prononcer l'annulation pour irrégularité de l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Pointe-à-Pitre en date du 26 mai 2023 ;

« Que la cour d'appel estime ou non que le président du tribunal de commerce de Pointe-à-Pitre a omis de statuer sur sa compétence, elle devrait statuer sur la compétence de la formation des référés et, à ce titre », il lui est demandé de :

- déclarer que la condition d'urgence n'était pas remplie ;

- déclarer qu'il existait des contestations sérieuses ;

- déclarer qu'aucun différend n'opposait les parties sur la tenue des assemblées générales d'approbation des comptes ;

En conséquence de quoi,

- infirmer l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Pointé-à-Pitre en date du 26 mai 2023 en ce qu'elle avait procédé à la nomination d'un mandataire ad hoc ;

Statuant de nouveau,

- déclarer que les conditions de l'article 872 du code de procédure civile n'étant pas réunies, la formation des référés n'était pas compétente pour statuer sur la demande de nomination d'un mandataire ad hoc ;

A titre extraordinaire, si la cour d'appel devait considérer que la formation des référés était compétente, elle devrait néanmoins :

- infirmer l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Pointe-à-Pitre en date du 26 mai 2023 en ce qu'elle a :

* procédé à la nomination d'un mandataire ad hoc ;

* rejeté la demande de nomination d'un administrateur provisoire formulée par eux ;

- confirmer l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Pointe-à-Pitre en date du 26 mai 2023 en ce qu'elle a constaté l'existence d'un trouble manifestement illicite ;

Statuant de nouveau,

- désigner sur le fondement de l'article 873 du code de procédure civile la SELARL BCM en qualité d'administrateur provisoire avec un mandat général de gestion courante de la société à compter de sa nomination et un mandat spécial d'examen de la légalité des décisions prises en son nom depuis le 7 octobre 2020 jusqu'à la date de sa nomination ;

En tout état de cause,

- infirmer l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Pointe-à-Pitre en date du 26 mai 2023 en ce qu'elle a :

condamné M. [Y] [F] et la société Comptoir de la Guadeloupe aux entiers dépens;

débouté M. [Y] [F] et la société Comptoir de la Guadeloupe de leur demande de condamnation au titre de l'article de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [Z] [F], à verser la somme de 3 000 euros à M. [Y] [F] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [Z] [F] aux entiers dépens.

2/ M. [Z] [F], intimé :

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 31 octobre 2023 par lesquelles M. [Z] [F] demande à la cour de :

- confirmer l'ordonnance rendue par le président du tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre le 26 mai 2023 ;

Y ajoutant,

- donner acte à la société Comptoir de la Guadeloupe de son désistement d'instance et d'action dans l'instance ;

- débouter M. [Y] [F] de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner M. [Y] [F] à verser à M. [Z] [F] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [Y] [F] aux entiers dépens de l'instance.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux dernières conclusions pour un exposé détaillé des prétentions et moyens.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur la recevabilité de l'appel

L'article 490 du code de procédure civile dispose que le délai d'appel en matière de référé est de 15 jours.

Ce délai court à compter de la signification de la décision contestée.

En l'espèce, M. [Y] [F] et la société Comptoir de la Guadeloupe ont interjeté appel le 14 juin 2023 de l'ordonnance rendue le 26 mai 2023 dont la date de signification ne ressort pas du dossier de procédure.

Leur appel est donc recevable.

Sur le désistement de la société Le Comptoir de la Guadeloupe

Conformément aux dispositions de l'article 400 du code de procédure civile, le désistement de l'appel ou de l'opposition est admis en toutes matières, sauf dispositions contraires.

L'article 401 du même code précise qu'il n'a besoin d'être accepté que s'il contient des réserves ou si la partie à l'égard de laquelle il est fait a préalablement formé un appel incident ou une demande incidente.

Aux termes de l'article L. 223-18 du code de commerce, dans les rapports avec les tiers, le gérant est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société, sous réserve des pouvoirs que la loi attribue expressément aux associés.

En l'espèce, M. [X] [F], gérant actuelle de la société Comptoir de la Guadeloupe expose qu'à la suite de l'assemblée générale du 24 juillet 2023, M. [Y] [F] a été révoqué de ses fonctions de gérant qu'il a lui-même été désigné pour occuper cette fonction. Il manifeste l'intention de la société Le Prestige de se désister sans réserves de son appel.

L'intimé n'a formé ni appel incident, ni demande incidente.

En conséquence, il convient de déclarer le désistement d'appel de la société Comptoir de la Guadeloupe parfait et de rappeler qu'il emporte acquiescement au jugement, en vertu des dispositions de l'article 403 du code de procédure civile.

Sur la compétence du président du tribunal mixte de commerce

En vertu de l'article L. 223-27, alinéa 7, du code de commerce, tout associé peut demander en justice la désignation d'un mandataire chargé de convoquer l'assemblée et de fixer son ordre du jour.

L'article R. 223-20 du code de commerce dispose en son dernier alinéa que le mandataire chargé de convoquer l'assemblée dans le cas prévu par le septième alinéa de l'article L. 223-27 est désigné par ordonnance du président du tribunal de commerce statuant en référé.

Au cas présent, M. [Y] [F] fait valoir que le premier juge, juge des référés, a omis de statuer sur le moyen tiré de son incompétence en l'absence d'urgence. Il ajoute que M. [Z] [F] a fondé son assignation sur leur demande sur l'article 872 du code de procédure civile et que l'intervention du juge des référés suppose la réunion de deux conditions cumulatives, l'urgence et l'absence de contestation sérieuse ou l'existence d'un différend. Il soutient qu'en l'espèce l'urgence n'est pas caractérisée et la complexité des rapports entre les litigants constitue une contestation sérieuse faisant obstacle à la compétence du juge des référés.

Cependant, la compétence attribuée au président du tribunal de commerce statuant en référé par les articles L. 223-27 et R. 223-29 du code commerce précités est une compétence spéciale qui se suffit à elle-même, sans que la réunion des conditions générales de la procédure de référé (urgence et absence de contestation sérieuse) soit exigée.

Dès lors, le premier juge n'avait pas à rechercher si les conditions du référé urgence étaient réunies.

C'est donc sans encourir le grief d'omission de statuer que président du tribunal mixte de commerce a retenu sa compétence en qualité de juge des référés.

En outre, les parties conviennent que la société Comptoir de la Guadeloupe souffre de la mésentente entre ses associés, laquelle s'est exprimée dans l'impossibilité, d'une part, pour le gérant de droit, depuis son départ de la Guadeloupe, d'obtenir des informations sur la gestion de fait opérée par l'associé majoritaire resté sur place et, d'autre part, pour ce dernier, d'obtenir la convocation de l'assemblée générale.

Au regard de cette constatation, c'est à juste titre que la décision entreprise a désigné un mandataire ad hoc sur le fondement des articles L. 223-27 et R. 223-29 du code commerce dont l'application était demandée par M. [Z] [F].

L'ordonnance entreprise sera donc confirmée de ce chef.

Sur la désignation d'un administrateur provisoire

Il est constant que la désignation judiciaire d'un administrateur provisoire d'une société est une mesure exceptionnelle qui suppose rapportée la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d'un péril imminent.

En l'espèce, M. [Y] [F] fait valoir qu'il a été dans l'impossibilité depuis son départ de la Guadeloupe d'obtenir des informations sur la gestion de fait opérée par l'associé majoritaire. Il ajoute que n'ayant aucun retour sur la gestion de fait de l'intimé, il ne pouvait pas être certain que la société avait continué à fonctionner normalement et que les affaires sociales avaient été gérées correctement.

Il soutient que les dissensions entre lui et son père empêchaient le fonctionnement de la société, le gérant de droit n'ayant plus accès aux comptes et/ou aux documents intéressants la société.

Il précise que si le gérant de droit ne pouvait exercer ses fonctions, la société Comptoir de la Guadeloupe ne pouvait plus fonctionner normalement et que la société était nécessairement paralysée puisqu'il n'avait aucune connaissance effective des éléments la concernant.

Il n'est pas contesté que la société Comptoir de la Guadeloupe souffrait de la mésentente entre ses associés laquelle s'exprimait dans l'impossibilité d'une part, pour le gérant de droit, depuis son départ de la Guadeloupe, d'obtenir des informations sur la gestion de fait opérée par l'associé majoritaire resté sur place et, d'autre part, pour ce dernier, d'obtenir la convocation de l'assemblée générale.

Ces faits peuvent être considérés comme rendant impossible le fonctionnement normal de la société.

Cependant, M. [Y] [F] qui procède par voie d'affirmation, ne rapporte pas la preuve que la situation ci-dessus décrite menaçait la société Comptoir de la Guadeloupe d'un péril imminent. Cette dernière ne s'infère pas du seul fonctionnement anormal de la société.

Faute d'établir l'existence d'un péril imminent pour la société Comptoir de la Guadeloupe, la demande de désignation d'un administrateur provisoire sera donc rejetée et l'ordonnance entreprise de nouveau confirmée.

Sur les dépens et frais irrépétibles

M. [Y] [F] qui succombe dans ses prétentions en appel et la société Comptoir de la Guadeloupe en application de l'article 399 du code de procédure qui dispose que le désistement emporte, sauf convention contraire, soumission de payer les frais de l'instance éteinte, seront condamnés aux entiers dépens de l'instance d'appel.

L'ordonnance sera par ailleurs confirmée en ce qu'elle les a condamnés aux entiers dépens de première instance ainsi que, subséquemment, en ce qu'elle les a déboutés de leur demande au titre de leurs frais irrépétibles de première instance.

En outre, l'équité commande de condamner M. [Y] [F] à payer à M. [Z] [F] la somme de 3 000 euros au titres des frais irrépétibles exposés en appel.

M. [Y] [F] sera subséquemment débouté de sa demande au titre de ses propres frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Déclare recevable l'appel de M. [Y] [F] et de la SARL Comptoir de la Guadeloupe,

Constate le désistement d'appel de la SARL Comptoir de la Guadeloupe,

Dit ce désistement parfait et constate par suite que la cour est dessaisie de l'appel de ladite société,

Sur l'appel de M. [Y] [F]

Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions déférées,

Y ajoutant,

Déboute M. [Y] [F] de ses demandes au titre des dépens et des frais irrépétibles,

Condamne M. [Y] [F] à payer à M. [Z] [F] la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,

Condamne M. [Y] [F] et la SARL Comptoir de la Guadeloupe aux entiers dépens d'appel.

Et ont signé,