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Décisions

CA Limoges, ch. soc., 31 juillet 2024, n° 23/00378

LIMOGES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Bibliothèque pour l'École (SAS)

Défendeur :

SAS Lo Diffusion (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pugnet

Conseillers :

Mme Voisin, Mme Chaumond

Avocats :

Me Des Champs De Verneix, Me Chabaud

T. com. Gueret, du 15 mars 2023, n° 23/0…

15 mars 2023

FAITS ET PROCÉDURE :

La société BPE, a pour objet la diffusion d'ouvrages dans les écoles, ainsi que, depuis l'absorption de sa filiale ADRS en mars 2020, la diffusion d'ouvrages à destination des musées et sites touristiques.

Cette société a eu, avant 2016, pour actionnaire majoritaire et président M. [C] [Y], et M. [J] pour salarié et actionnaire minoritaire. La conjointe de M. [J] en a également été salariée entre 2001 et 2016.

Mme [E] [O] a été engagée par la société ADRS suivant contrat à durée indéterminée du 9 mai 2011 en qualité d'assistante administrative et commerciale. Mme [V] [K] a été engagée par cette même société en qualité d'assistante commerciale.

Le 1er décembre 2016, les époux [J] ont pris acte de la rupture de leur contrat de travail.

Le 20 avril 2017, ils ont saisi le conseil de prud'hommes de Limoges afin d'obtenir des indemnités au titre de la rupture de leur contrats de travail, l'estimant due à des fautes de la SAS BPE. Par deux jugements du 21 novembre 2017, confirmés par la cour d'appel de Limoges le 18 février 2019, le conseil de prud'hommes a débouté les époux [J] de leurs demandes.

Le 5 mai 2017, Mme [J] a déposé à l'INPI une marque au nom de LO DIFFUSION. La société LO DIFFUSION a été immatriculée le 15 juillet 2017.

Le 14 juin 2017 Mmes [K] et [O] ont démissionné de la SAS BPE, leur préavis cessant au 13 juillet 2017. Elles ont ensuite fondé, par statuts du 13 juillet 2017 enregistrés au greffe le 26 juillet 2017, la SAS LO DIFFUSION dont l'objet social est la diffusion, la distribution, l'achat, la vente, l'édition, la conception de livres, objets, peluches et objets publicitaires, bibelots, mais également le conseil et la logistique dans ces domaines.

Le 4 août 2017, les époux [J] sont devenus actionnaires de la société LO DIFFUSION.

Le 26 septembre 2017, la SAS BPE a obtenu du président du tribunal de grande instance de Guéret une ordonnance désignant un huissier de justice afin de pénétrer dans les locaux de la société LO DIFFUSION et procéder à la copie de l'ensemble des données informatiques afin de rechercher et saisir tous les documents liés à un détournement de clientèle. Cette saisie a eu lieu le 10 octobre 2017.

Le 18 décembre 2017, la SAS BPE a déposé plainte contre X pour vol et destruction de fichiers clientèles. Il était reproché à Mme [O] d'avoir supprimé l'intégralité du fichier 'clientèles' de la société ADRS. Par jugement du 9 octobre 2020 le tribunal de commerce de Limoges l'a relaxée des fins de la poursuite et a débouté la société BPE de ses demandes au titre de l'action civile.

Le 28 décembre 2017, BPE a assigné en référé la société LO DIFFUSION devant le président du tribunal de commerce de Guéret afin d'obtenir la cessation provisoire de toutes ses activités pour concurrence déloyale, ainsi que sa condamnation à lui verser la somme de 50000 € en réparation du préjudice subi.

Par ordonnance du 12 février 2018, le juge des référés s'est déclaré incompétent pour statuer sur la demande présentée par la BPE au profit du juge du fond.

Le 12 février 2018, la SAS BPE a fait appel de cette ordonnance, mais sa déclaration d'appel a été déclarée caduque au visa de l'article 905-1 du code de procédure civile par ordonnance de mise en état de la cour d'appel de Limoges du 14 mars 2018.

Le 15 janvier 2018, la société BPE a fait assigner LO DIFFUSION, ainsi que les conjoints [J], et Mmes [O] et [K] devant le tribunal de commerce de Guéret aux fins de leur interdire d'exercer toute activité concurrente pendant une durée de 5 ans, et de les voir condamner à lui verser la somme de 50 000 € en réparation du préjudice subi ainsi que des dommages et intérêts.

Le 20 juin 2018, l'affaire a fait l'objet d'un sursis à statuer en raison du changement de dirigeants de la société BPE et s'est périmée en raison de l'absence de reprise d'instance.

Le 18 octobre 2019, suite à une plainte déposée le 26 juillet 2017 par M. [Y], le tribunal correctionnel de Limoges de Limoges a déclaré M. [J] coupable d'abus de biens sociaux et usages de faux en écritures, et Mme [J] de recel de bien provenant d'un délit.

Dans le cadre d'une procédure engagée par Mme [O] devant le conseil de prud'hommes de Limoges pour obtenir de son employeur le versement de sa rémunération variable supplémentaire (363,47 € ), à titre reconventionnel la société ADRS, excipant d'un manquement de sa part à son devoir de confidentialité et de loyauté, a sollicité sa condamnation à l'indemniser à hauteur de 10 000 €.

Par jugement du 29 avril 2019 le conseil de prud'hommes a fait droit à la demande de Mme [O] mais s'est déclaré incompétent au profit du tribunal judiciaire de Guéret quant à la demande reconventionnelle de la société ADRS. Par arrêt définitif rendu le 15 juin 2020 la cour d'appel de Limoges, saisi exclusivement de la demande reconventionnelle en paiement, s'est déclaré compétent et a débouté la société ADRS de ses demandes.

Le 9 juin 2022, la SAS BPE a fait assigner la SAS LO DIFFUSION devant le tribunal de commerce de Guéret afin d'obtenir compensation du préjudice subi au titre d'une concurrence déloyale et d'un dommage moral, sollicitant 87 000 € au titre de la perte d'activité et 50 000 € au titre du préjudice moral.

Par jugement du 15 mars 2023, le tribunal de commerce de Guéret a débouté la SAS BPE de toutes ses demandes, et la société LO DIFFUSION de ses demandes reconventionnelles, aux motifs qu'aucun élément ne caractérisait un débauchage de salariés, ni des faits de confusion avec cette société et qu'il existait une impossibilité d'identifier l'auteur de la destruction de fichiers.

La SAS BPE a interjeté appel de ce jugement le 15 mai 2023.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières écritures du 14 décembre 2023, la SAS BPE demande à la cour de :

REFORMER le jugement en ce qu'il a :

débouté la Société BIBLIOTHEQUE POUR L'ECOLE BPE SAS de ses demandes fins et conclusions celles-ci étant mal fondées,

débouté la Société LO DIFFUSION SAS de sa demande d'irrecevabilité,

débouté la même sur le fondement du préjudice moral,

condamné la Société BIBLIOTHEQUE POUR L'ECOLE BPE SAS à verser et porter à l'adresse de la Société LO DIFFUSION la somme de 4.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile et la condamne également en tous dépens d'instance.

ET, STATUANT A NOUVEAU,

DIRE ET JUGER recevable et bien fondée en son appel la Société BPE;

DIRE ET JUGER que la Société LO DIFFUSION a commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la Société ADRS devenue BPE.

En conséquence,

CONDAMNER la Société LO DIFFUSION à verser à la Société BIBLIOTHEQUE POUR L'ECOLE les sommes suivantes :

87.000 € au titre de la réparation du préjudice subi de la perte d'activité,

50.000 € de dommages et intérêts au titre de la réparation du préjudice moral.

CONDAMNER la Société LO DIFFUSION à verser à la Société BIBLIOTHEQUE POUR L'ECOLE la somme de 10.000 € par application des dispositions de l'article 700 du Code Procédure Civile au titre des frais exposés en première instance.

CONDAMNER la Société LO DIFFUSION à verser à la Société BIBLIOTHEQUE POUR L'ECOLE la somme de 10.000 € par application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile au titre des frais exposés en cause d'appel.

CONDAMNER la Société LO DIFFUSION aux entiers dépens de première instance et d'appel, en accordant pour ces derniers à Maître Philippe CHABAUD, Avocat, le bénéfice de l'article 699 du Code de Procédure Civile.

DEBOUTER la Société LO DIFFUSION de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions.

CONFIRMER le jugement pour le surplus.

DIRE qu'à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par l'arrêt à intervenir et en cas d'exécution par voie extrajudiciaire, les sommes retenues par l'huissier instrumentaire, en application des dispositions de l'article 10 du décret du 08/03/2001 devront être supportées par le défendeur, en plus de l'indemnité mise à sa charge, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Elle soutient qu'une concurrence déloyale a été orchestrée par la société LO DIFFUSION car sa création avait été préparée par des salariés présents dans l'entreprise pour capter déloyalement tout ou partie de sa clientèle sur la base de deux fichiers clients qui lui ont été dérobés.

Elle soutient que cette orchestration est caractérisé par :

la volonté affichée de M. [J] de récupérer la filiale ADRS de BPE dès 2016;

le dépôt du nom de domaine 'LO DIFFUSION' le 5 mai 2017 alors que les salariés qui ont ensuite créée cette société étaient encore en poste au sein d'ADRS, la condamnation des époux [J] par le tribunal de commerce pour des faits d'abus de biens sociaux à son préjudice ;

la tentative de débauchage par M. [J] de M. [M], directeur des ventes de BPE en juin 2017;

l'existence d'un pacte d'actionnaire avant la constitution de LO DIFFUSION prévoyant déjà l'entrée en capital des consorts [J];

l'utilisation par LO DIFFUSION d'une maison acquise par les consorts [J] en tant que locaux de stockage;

la sollicitation par LO DIFFUSION du même prestataire que la filiale ADRS de BPE pour la création de leur site internet, sur le même modèle que celui d'ADRS.

Elle soutient que LO DIFFUSION s'est calquée sur le modèle commercial de BPE, en reproduisant un site internet similaire afin d'introduire une confusion auprès des clients, et a dénigré par emails la filiale ADRS de BPE auprès de ses clients, soulignant son manque de personnel et proposant des rabais importants. Mme [O] elle-même aurait entretenu cette confusion.

Elle souligne que LO DIFFUSION a utilisé des manoeuvres afin de la désorganiser et capter déloyalement sa clientèle. Ainsi, la démission concomitante de Mmes [K] et [O] a eu pour conséquence évidente une désorganisation au sein de sa filiale ne contenant que 4 salariés.

Elle soutient que la société LO DIFFUSION a eu une intention frauduleuse, car ces démissions ont été accompagnées du vol du fichier clients et d'un fichier 'affaires chaudes'de BPE à des fins commerciales. Elle indique que ces détournements de fichiers ont été établis par le tribunal correctionnel de Limoges bien qu'ils n'aient pu être imputés à Mme [O], et que leur utilisation par LO DIFFUSION est prouvée car au cours de l'enquête pénale, un fichier client étant en substance celui de BPE a été retrouvé sur l'ordinateur de Mme [O], et en aurait fait usage.

Selon elle es faits relevés par le tribunal correctionnel de Limoges peuvent être utilisés en l'espèce, bien que Mme [O] ait été relaxée, car l'autorité de la chose jugée ne lui est pas opposable.

Elle soutient également que LO DIFFUSION s'est rendue coupable de concurrence déloyale en débauchant et tentant de débaucher des salariés de BPE. En outre Mmes [K], [O], et M. [M], LO DIFFUSION a débauché Mme [U] et Mme [N], qui sont parties avec leurs fichiers client.

Elle considère que l'ensemble de ces faits constitue une concurrence déloyale de LO DIFFUSION, qui lui a porté préjudice car elle a pour la première fois eu un résultat déficitaire en 2018, avec une perte de 40 000 euros et un manque à gagner constituant la conséquence directe de cette conséquence déloyale.

Aux termes de ses dernières écritures du 13 mars 2024, la SAS LO DIFFUSION demande à la cour de:

Sur l'appel principal de la Société BIBLIOTHEQUE POUR L'ECOLE ' BPE,

DECLARER mal fondé l'appel de la Société BIBLIOTHEQUE POUR L'ECOLE ' BPE à l'encontre du jugement rendu par le Tribunal de Commerce de GUERET le 15 mars 2023;

DECLARER mal fondées les demandes de la Société BIBLIOTHEQUE POUR L'ECOLE - BPE, la preuve d'une faute constituée par des actes de concurrence déloyale commis la Société LO DIFFUSION, d'un préjudice subi par la Société BIBLIOTHEQUE POUR L'ECOLE ' BPE et d'un lien de causalité entre cette faute et ce préjudice n'étant pas rapportée,

DEBOUTER la Société BIBLIOTHEQUE POUR L'ECOLE - BPE de toutes demandes, fins et conclusions à l'encontre de la Société LO DIFFUSION,

Sur l'appel incident de la Société LO DIFFUSION,

REFORMER le jugement de première instance en ce que le Tribunal a :

- Débouté la Société LO DIFFUSION de sa demande en réparation de son préjudice moral,

Et statuant à nouveau,

CONDAMNER la Société BIBLIOTHEQUE POUR L'ECOLE ' BPE à verser à la Société LO DIFFUSION la somme de 30 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral;

A titre subsidiaire,

CONFIRMER purement et simplement le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de GUERET le 15 mars 2023;

En toutes hypothèses,

CONDAMNER la Société BIBLIOTHEQUE POUR L'ECOLE - BPE à verser à la Société LO DIFFUSION la somme de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

CONDAMNER la Société BIBLIOTHEQUE POUR L'ECOLE - BPE aux entiers dépens de la procédure.

Elle souligne qu'une une instance a déjà été intentée par la SAS BPE aux mêmes effets le 15 janvier 2018, et qu'elle a fait l'objet d'une péremption depuis le 21 juin 2020 en application de l'article 386 du code de procédure civile.

Elle soutient qu'elle n'a en revanche pas commis d'actes constituant une concurrence déloyale mais a subi un préjudice moral du fait d'un acharnement procédural de BPE à son encontre, citant les nombreux procès prud'homal, pénal et civil intentés par la société BPE à l'encontre des salariés de LO DIFFUSION et de cette société.

Elle avance que la création par d'anciens salariés d'une société concurrente n'est pas un acte de concurrence déloyale en soi lorsque ces salariés ne sont pas tenus par une clause de non concurrence, quand bien même des actes constitutifs de la société concurrente aient été faits avant la fin du contrat de travail.

L'idée de la création de la société LO DIFFUSION émane bien de Mmes [O] et [K], qui ont proposé aux époux [J] de les rejoindre afin d'obtenir un apport financier. Cette démarche ne constituait ainsi pas un plan orchestré des années avant leur départ. Elle souligne qu'encore à ce jour c'est Mme [O] qui assure la gérance de LO DIFFUSION.

Elle verse aux débats l'arrêt de la cour d'appel de Limoges démontrant que Mme [O] n'avait commis aucun manquement à ses obligations de loyauté et de confidentialité à l'égard de la SAS BPE.

Le moyen d'une désorganisation constituée par la démission simultanée de Mmes [K] et [O] est nouveau, et, selon elle, dénué de caractère sérieux, sauf à nier le droit de ces salariées à la démission. L'argument selon lequel le grief de désorganisation est fait à la société LO DIFFUSION et non à Mmes [K] et [O] est inopérant, car la société LO DIFFUSION n'avait pas d'existence au moment de ces démissions.

En troisième lieu, elle soutient qu'il n'y a pas eu de détournement ou restriction du ficher client de Mme [O] et du listing client. Ces accusations sont faites alors que Mme [O] a été définitivement relaxée par le tribunal correctionnel de Limoges pour les faits d'extraction frauduleuse des données contenues dans un système de traitement automatisé au préjudice de la SAS BPE.

Or, au visa des article 4 du code de procédure pénale et 1355 du code de procédure civile, instaurant l'autorité absolue de la décision répressive sur la décision civile, il ne peut désormais être constaté de tels faits par le juge civil.

De même, le fait que la SAS BPE soutienne désormais, contrairement à son acte introductif d'instance, que c'est la société LO DIFFUSION et non Mme [O] qui aurait effectué ces extractions frauduleuses, est inopérant.

Elle souligne que le constat d'huissier n'a ainsi pas fait état de telles extraction, détentions ou suppressions de données, et que la base de clients potentiels trouvée sur l'ordinateur de Mme [O] est sans rapport car elle a été constituée après son départ de la SAS BPE avec Mmes [K] et [O], compte tenu de leurs expériences professionnelles.

Elle soutient également ne pas avoir débaucher de salariés de la SAS BPE. Mme [O] et [K] sont les fondatrices de la société. La tentative de débauchage de M. [M] n'a eu aucune conséquence, et Mmes [U] et [N] n'ont pas été débauchées mais ont été mises en relation avec LO DIFFUSION licitement. Par ailleurs, la SAS BPE ne présente pas d'éléments démontrant que ces départs l'ont désorganisée de façon à caractériser une concurrence déloyale, car le recrutement massif de salariés libres ne constitue pas à lui seul un fait caractéristique de concurrence déloyale.

Elle affirme n'avoir pas entretenu de confusion avec la SAS BPE. En réalité, les clients de BPE étaient parfaitement informés de la situation des deux entreprises, le logo et la présentation de LO DIFFUSION étant tout à fait différents de BPE.

La SAS BPE n'a subi aucun préjudice autre que dû à sa propre impossibilité de recrutement rapidement une nouvelle équipe commerciale. Aucun préjudice ne serait dû à des actes de concurrence déloyale de LO DIFFUSION, et par ailleurs, le calcul sur les pertes de bénéfices est erroné car les bénéfices annuel ne sont pas garantis d'une année sur l'autre, et la société BPE ne mentionne pas les sommes qu'elle a mis en provision sur 2017 (32 882 € ), causant une baisse artificielle des résultats.

Par ailleurs, au moment du départ de Mme [O], la société ADRS ne constituait que 1 % du marché et il était donc facile pour LO DIFFUSION de trouver de nouveau clients.

Elle soutient que la SAS BPE ne rapporte aucun élément justifiant de la causalité entre ses prétendus préjudices et des actes de concurrence déloyale de LO DIFFUSION.

Enfin, sur le préjudice moral de 50 000 € réclamé par la société BPE, aucun élément concret n'en démontre l'existence.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 mai 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1. Sur la concurrence déloyale

La Société BPE prétend que la Société LO DIFFUSION a commis plusieurs actes de concurrence déloyale à son encontre.

La théorie de la concurrence déloyale a été développée par la jurisprudence sur les bases du droit commun de la responsabilité civile des articles 1240 et 1241 du code civil.

Le principe de la liberté de la concurrence autorise tout commerçant à chercher à attirer vers lui la clientèle de son concurrent, sans pour autant que sa responsabilité soit engagée, dès lors qu'il agit de manière loyale.

En revanche la concurrence déloyale est constituée lorsque, dans le cadre d'une concurrence autorisée, il est fait un usage excessif de sa liberté d'entreprendre, en recourant à des procédés contraires aux règles et usages, occasionnant un préjudice.

La société ADRS prétend avoir été victime d'une concurrence déloyale de la part de la société LO DIFFUSION dès sa création dont elle affirme qu'elle avait été préparée avec la complicité de salariés présents dans l'entreprise ADRS pour capter tout ou partie de la clientèle détenue par cette dernière.

Elle affirme que les consorts [J], qui ont quitté la société ADRS subitement, en prenant acte de la rupture de leur contrat de travail simultanément le 1er décembre 2016, avaient mis en place, au moyen d'un plan concerté, les conditions pour concurrencer déloyalement la société ADRS, avec le concours de deux salariés, Mmes [E] [O] et [V] [K].

Le fait que la société LO DIFFUSION n'a été immatriculée que le 15 juillet 2017, soit le lendemain de l'expiration du préavis de Mmes [O] et [K], alors que Mme [B] [J] avait déposé le nom de domaine LO DIFFUSION dès le 5 mai 2017, ne révèle pas en soi, l'existence d'un plan en vue de l'organisation d'une concurrence déloyale.

Ainsi, le simple fait d'élaborer, avant la fin du contrat de travail, les statuts d'une société concurrente à celle de l'employeur et à l'immatriculer, sans exercer une activité effective n'est pas constitutif d'un acte de concurrence déloyale. Le salarié qui crée une entreprise concurrente à celle de son employeur pendant son préavis ne manque pas à son obligation de loyauté dès lors que l'exploitation de cette entreprise a débuté après la fin du contrat de travail.

En l'espèce, Mmes [O] et [K] ont présenté leur démission par courrier du 14 juin 2017, et leur préavis étant d'une durée d'un mois, leur contrat de travail a cessé, le 13 juillet 2017. Ce n'est qu'après la rupture de leur contrat de travail avec la société ADRS que celles-ci ont démarré effectivement l'exercice de leur nouvelle activité professionnelle avec la société LO DIFFUSION.

Or en l'espèce les seuls actes préparatoires au démarrage de l'activité de la société LO DIFFUSION ont été le dépôt du nom de domaine le 5 mai 2017 et le dépôt d'apports en banque par Mmes [O] et [K] le 6 juillet 2017.

Ces actes ne peuvent pas être considérés comme des actes de concurrence déloyale.

C'est d'ailleurs ce qu'a retenu la cour d'appel de Limoges dans son arrêt rendu le15 juin 2020, en ne retenant aucun manquement de Mme [O] à ses obligations de loyauté et de confidentialité à l'égard de son ancien employeur.

Quant à affirmer que Mmes [O] et [K] ont été « instrumentalisées » par les époux [J] dans le cadre d'un « plan concerté » ce qui permettrait de retenir la responsabilité de la société LO DIFFUSION, il s'agit d'une simple allégation. L'existence d'un courriel que M. [J] a adressé à M. [Y] le 20 septembre 2016, ne constitue qu'un constat selon lequel, au vu de la dégradation de ses conditions de travail, il considérait que si Mme [O] n'évoluait pas dans ses fonctions au sein de la Société ADRS, il existait un risque qu'elle quitte la société.

La création d'une société concurrente par un ancien salarié n'est pas en soi prohibée, étant observé que Mmes [O] et [K] n'étaient pas contraintes par une clause de non concurrence dans leur contrat de travail et qu'elles n'ont préparé de manière effective leur activité concurrente qu'après l'expiration de leur contrat de travail. Le rendez-vous avec la société IMPEXIT, fournisseur de la société BPE, a été pris le 24 juillet 2017 pour le 26 juillet 2017, soit postérieurement à la cessation de la relation contractuelle entre Mme [O] et la Société ADRS. Il a été pris par Mme [O] et non M. [J] et la société ADRS ne disposait d'aucune exclusivité sur ses fournisseurs.

Les époux [J] ont effectivement participé à la constitution de la société LO DIFFUSION, mais l'instrumentalisation de Mmes [O] et [K] par les époux [J] n'est pas démontrée. La signature d'un pacte d'actionnaires préalable à la constitution de la société LO DIFFUSION prévoyant l'entrée au capital de la société des époux [J] n'est pas la preuve d'une quelconque concurrence déloyale. De même la proposition faite par M. [G] [J], postérieurement à la rupture de son contrat de travail avec la société BPE, à M. [Z] [M], directeur des ventes des sociétés BPE et ADRS de rejoindre la future société LO DIFFUSION, ou l'acquisition par les époux [J] de locaux ayant servi au stockage des ouvrages de la société LO DUFFUSION ne sont pas des actes illégitimes relevant d'une concurrence déloyale.

La société BPE soutient que la société LO DIFFUSION a entrepris de débaucher un certain nombre de salariés de la société ADRS, ce qui serait encore constitutif de concurrence déloyale en raison de la désorganisation volontairement ainsi engendrée.

Les débauchages viseraient en premier lieu Mme [O] et [A] [K], « force commerciale » de la société ADRS.

Toutefois la démission est un droit propre au salarié et Mmes [K] et [O] en ont fait un usage régulier, ce qui les autorisait, ensuite, à démarrer une activité concurrente. Au demeurant il est impossible de reprocher à la société LO DIFFUSION un acte antérieur à sa création.

De même, la société BPE évoque des démarchages de Mme [S] [U] et de Mme [N]. Mais Mme [U] affirme que c'est elle qui a contacté la société LO DIFFUSION pour lui proposer ses services, et non l'inverse et soutient qu'elle n'a jamais été débauchée, pas plus qu'elle n'a accompli un quelconque acte déloyal à l'égard de la société ADRS, pour qui elle n'a d'ailleurs jamais travaillé. Quant à Mme [N] elle a fait l'objet d'une rupture conventionnelle avec la société BPE, ce n'est qu'après la rupture de son contrat de travail qu'elle s'est rapprochée de la société LO DIFFUSION et il n'est pas établi que son fichier clientèle a été utilisé par la société LO DIFFUSION.

La preuve n'est pas rapportée que ces prétendus débauchages ont été commis de manière déloyale et ont désorganisé la société ADRS. La concurrence déloyale alléguée n'est pas démontrée.

Selon la société BPE, la société LO DIFFUSION a également « opéré une confusion tout à fait opportune afin de démarcher les clients de la Société ADRS, n'hésitant pas à la dénigrer ».

Elle se fonde sur un courriel émanant de Mme [U], dont elle affirme qu'elle était salariée de la société LO DIFFUSION, alors qu'elle était VRP multicarte. En outre dans ce message Mme [U] confirme à son interlocutrice, qui en doutait car elle ne recevait pas de réponse, l'existence de la société ADRS, en expliquant qu'il ne restait qu' '1 secrétaire qui ne vous a pas répondu et 1 commerciale.'. Aucun acte de confusion n'est établi.

La société BPE invoque également un courriel émanant d'un client, Le Souterroscope des Ardoisières, indiquant avoir été contacté par la société LO DIFFUSION « qui dit remplacer ADRS ». Toutefois d'une part il s'agit d'un message très succinct, dont l'identité de l'auteur n'est pas connue, répondant à un courriel adressé par la société ADRS à l'ensemble de ses clients pour les informer que la société LO DIFFUSION n'avait aucun rapport avec ADRS, et qui n'est pas corroboré par un témoignage.

Enfin la société BPE produit le courriel d'une salariée de la Société BPE qui retranscrit une
conversation avec une cliente lui indiquant qu'elle pensait qu'ADRS avait changé de fournisseur. La cliente n'est pas identifiée et le propos rapporté, abscons, ne permet pas de prouver l'existence d'un acte de confusion opéré par LO DIFFUSION au préjudice de la société ADRS.

Quant au autres pièces, censées rapporter la preuve d'actes de concurrence déloyale ils sont tout autant dépourvus de valeur probatoire dès lors qu'elles émanent des sociétés BPE et ADRS elles-mêmes ou ne se rapportent à aucun acte positif de concurrence déloyale opéré par la société LO DIFFUSION avec ADRS.

Les éléments factuels allégués par la société BPE et imputés à la société LO DIFFUSION renvoient, tout au plus, à de simples actes de concurrence entre deux sociétés, qui ne sont pas de nature à induire en erreur les clients.

En définitive c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré que les pièces communiquées ne permettaient pas d'imputer à la société LO DIFFUSION des agissements de confusion constitutifs de concurrence déloyale au détriment de la société BPE.

S'agissant de la sollicitation par les époux [J] pour la société LO DIFFUSION, du même prestataire que celui de la société ADRS, pour la création d'un site internet, vers la fin de 2017, soit 6 mois après la création de la société LO DIFFUSION, à laquelle cette dernière n'a d'ailleurs pas donné suite, elle ne constitue pas davantage un acte de concurrence déloyale.

La société BPE prétend également que la concurrence déloyale serait caractérisée par le fait

que la société LO DIFFUSION, par l'intermédiaire de Mme [O], a subtilisé le fichier client de la société ADRS à des fins commerciales lors de son départ de la société, et l'a utilisé pour le démarrage de la société LO DIFFUSION.

Cependant, comme cela a été précédemment indiqué, Mme [O] a été définitivement relaxée par le tribunal correctionnel de LIMOGES des faits pour lesquels elle avait été poursuivie, notamment des faits d'extraction frauduleuse des données contenues dans un système de traitement automatisé au préjudice de la société ADRS, en l'espèce un fichier client.

Le fait de les reprocher, dans la présente instance, à la société LO DIFFUSION, ne fait pas disparaître la nécessité de prouver l'existence concrète de ce détournement et son imputabilité. Or les investigations pénales n'ont pas permis de démontrer la détention par la société LO DIFFUSION du fichier client de la société ADRS,. C'est à juste titre que le tribunal, à l'examen des saisies effectuées à la demande de la société BPE dans les fichiers de la société LO DIFFUSION, a constaté que ces extractions n'avaient pu aboutir à rapporter la preuve d'une correspondance entre les fichiers écrasés et ceux saisis.

La société LO DUFFUSION affirme, sans être efficacement démentie, que les fiches d'importation client retrouvées sur l'ordinateur de Mme [O] sont des fiches de prospect qui ont été apportées dans le logiciel interne (dit CRM) de la société LO DIFFUSION et qu'il s'agit d'une liste créée par Mme [O] qui a été intégrée dans ce logiciel pour les distribuer aux deux commerciales de la Société LO DIFFUSION, soit « [S] » pour [S] [U] et « [I] » pour [I] [N]. Sur cette liste, on ne retrouve ni nom, ni budget, ni date, ni commandes prévues, ni « affaires chaudes», ni de démarches, ni de détails de tarifs, ni de remises, etc'et il n'est pas démontré qu'il s'agit des fiches client de la société ADRS.

La Société BPE invoque encore le fait que la société ADRS a été dépossédée de son fichier « affaires chaudes », fichier présenté comme étant particulièrement important pour le bon fonctionnement de la société. Or, ledit fichier n'a jamais été retrouvé dans le cadre de la saisie pratiquée, et il n'a jamais été démontré que Mme [O] ou Mme [K] ou les époux [J] étaient à l'origine de l'écrasement allégué de ce fichier, ce d'autant moins que Mme [X], informaticienne, a rappelé qu'un tel fichier ne pouvait être supprimé que par un administrateur, ce que n'étaient ni Mmes [O] et [K], ni les époux [J].

Aucun acte de concurrence déloyale n'est démontré.

Le jugement déféré mérite d'être confirmé en ce qu'il a débouté la société BPE de ses demandes fondées sur une concurrence déloyale imputée à la société LO DIFFUSION.

2. Sur la demande reconventionnelle et les demandes annexes

La société LO DIFFUSION affirme subir un préjudice moral du fait de l'acharnement procédural dont fait preuve la société BPE à son encontre et demande à la présente juridiction de condamner cette dernière à lui verser la somme de 30 000 € à titre d'indemnisation.

Toutefois si les relations entre les deux sociétés sont particulièrement conflictuelles et alimentent, depuis plusieurs années, des contentieux de différentes natures, il n'apparaît pas que l'engagement par la société BPE de la présente action en concurrence déloyale puisse être qualifié d'abusif.

La décision entreprise sera donc confirmée en ce qu'elle a débouté l'intimée de sa demande d'indemnisation du préjudice moral qu'elle invoquait en raison du caractère abusif des procédures engagées à son encontre.

En revanche il serait inéquitable de laisser à la charge de la société LO DIFFUSION, les frais irrépétibles d'une procédure d'appel qu'elle a dû subir pour défendre ses justes droits. Il y a lieu de condamner la société BPE à lui verser une indemnité de 3 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

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PAR CES MOTIFS

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La Cour, statuant par arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort, par mise à disposition au greffe et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement déféré rendu le 15 mars 2023 par le tribunal de commerce de Guéret ;

CONDAMNE la société BIBLIOTHÈQUE POUR L'ECOLE au dépens de la procédure d'appel ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile .

CONDAMNE la société BIBLIOTHÈQUE POUR L'ECOLE à verser à la société LO DIFFUSION une indemnité de 3 000 € ;