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Décisions

CA Caen, 1re ch. civ., 31 juillet 2024, n° 23/00232

CAEN

Ordonnance

Autre

CA Caen n° 23/00232

31 juillet 2024

COUR D'APPEL DE CAEN

1ère Chambre civile

O R D O N N A N C E

N° RG 23/00232 - N° Portalis DBVC-V-B7H-HERX

Affaire :

La S.A.R.L. ESPACE NORMAND DU VEHICULE INDUSTRIEL (ENVI)

prise en la personne de son représentant légal

représentée et assistée de Me Franck THILL, avocat au barreau de CAEN - N° du dossier 20230013

C/

La S.A.S. S.T.E. INSTALLATIONS ELECTRIQUES

prise en la personne de son représentant légal

Représentée par Me Florence TOUCHARD, avocat au barreau de CAEN - assistée de Me MALBESIN avocat au barreau de ROUEN N° du dossier 2018969

La S.A.S. STE PFAUSSER FRANCK TRUCKS ( PFT)

prise en la personne de son représentant légal

Représentée par Me Nadège TARDIF, avocat au barreau de CAEN - assistée de Me HONNET, avocat au barreau de l'AUBE N° du dossier 2019021

La S.A. LIXXBAIL

prise en la personne de son représentant légal

Représentée par Me Axelle DE GOUVILLE, avocat au barreau de CAEN - assistée de Me BERTIN avocat au barreau de BORDEAUX N° du dossier E0000MI1

Le TRENTE ET UN JUILLET DEUX MILLE VINGT QUATRE,

Nous, M.C. DELAUBIER, Conseillère chargée de la mise en état de la première chambre civile de la Cour d'Appel de CAEN, assistée de Mme COLLET, greffière,

~~~~

Selon facture du 15 novembre 2013, la Sa Lixxbail, organisme pratiquant le crédit-bail, a acquis auprès de la Sarl Espace Normand du Véhicule Industriel (ci-après société ENVI), professionnel de la vente de véhicules industriels, un camion bibenne moyennant le prix de 85 035,60 euros TTC ce, en vue de le donner en location financière avec option d'achat au profit de la société S.T.E Installations Electriques, spécialiste de la construction de réseaux électriques et de télécommunications.

Un contrat de location a ainsi été régularisé le 15 novembre 2013 entre la société Lixxbail et la société S.T.E Installations Electriques.

Le 27 décembre 2013, peu après la livraison du véhicule par le fournisseur intervenue le 19 novembre 2013, le moteur du camion d'occasion a soudainement manqué de puissance et émis un bruit anormal avec dégagement d'une grosse fumée blanche de sorte que le véhicule a été immédiatement immobilisé.

Une expertise judiciaire a été sollicitée par la société S.T.E Installations Electriques et ordonnée par le juge des référé le 18 septembre 2014 au contradictoire de la société ENVI, la Macif, la société Lixxbail et la société Pfausser Franck Trucks assignée en intervention forcée par la société ENVI.

L'expert a rendu son rapport le 28 septembre 2014.

Par actes des 27 et 28 septembre 2018, la société S.T.E Installations Electriques a assigné la société ENVI, la Macif et la société Lixxbail devant le tribunal judiciaire de Caen aux fins notamment de voir prononcer la résolution judiciaire de la vente conclue le 15 novembre 2013 entre la société ENVI et la société Lixxbail 'pour son compte'.

Par acte du 12 avril 2019, la société ENVI a assigné la société Pfausser Franck Trucks en intervention forcée aux fins notamment, dans l'hypothèse où il serait fait droit aux demandes présentées par la société S.T.E Installations Electriques à son encontre, de voir prononcer la nullité de la vente du camion régularisée le 18 octobre 2013 entre la société Pfausser Franck Trucks et elle-même.

Suivant déclaration en date du 26 janvier 2023, la société ENVI a relevé appel à l'égard de la société S.T.E Installations électriques, la société Pfausser Franck Trucks et la société Lixxbail du jugement rendu le 24 novembre 2022 par le tribunal judiciaire de Caen en ce qu'il a :

- mis hors de cause la société Lixxbail ;

- rejeté la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de l'action en garantie des vices cachés soulevée par la société ENVI ;

- prononcé la résolution de la vente du camion bibenne de marque Renault, modèle Kerax 370 DXI type 34APA2, conclue le 15 novembre 2013 entre la société ENVI et la Société Lixxbail ;

- condamné la société ENVI à payer à la société S.T.E Installations Electriques les sommes suivantes :

* 85 035,60 euros TTC en restitution du prix de vente ;

* 8440 euros HT au titre des frais de parking facturés par la société Garage du Mont du 24 mars 2014 au 28 février 2017 ;

* 10 000 euros en réparation de son préjudice de jouissance ;

- dit que les sommes susmentionnées seront productives d'intérêts au taux légal à compter du 28 septembre 2018, ce avec capitalisation des intérêts à compter du 28 septembre 2019 ;

- débouté la société ENVI de sa demande tendant à voir prononcer la nullité, pour cause de dol, de la vente du camion conclue le 18 octobre 2013 entre elle-même et la société Pfausser Franck Trucks ;

- débouté la société ENVI de sa demande tendant à la condamnation de la société Pfausser Franck Trucks à lui payer la somme de 4717 euros au titre du montant HT des travaux par elle effectués sur le camion en vue de sa revente et celle de 16 383 euros HT au titre de la marge commerciale qu'elle aurait dû réaliser ;

- condamné la société ENVI aux dépens (....) ;

(...)

- condamné la société ENVI à payer :

* à la société S.T.E Installations Electriques la somme de 5200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

* à la société Lixxbail la somme de 800 euros sur le même fondement ;

- déclaré la société ENVI recevable mais non fondée en son recours en garantie dirigé contre la société Pfausser Franck Trucks ; l'en a déboutée intégralement ;

- débouté la société ENVI de sa demande formée au titre de ses frais irrépétibles.

La société S.T.E Installations Electriques a constitué avocat le 10 février 2023 et la société Lixxbail le même jour.

La déclaration d'appel a été signifiée par la société ENVI à la société Pfausser Franck Trucks par acte de commissaire de justice du 9 mars 2023.

L'appelante a conclu pour la première fois le 13 avril 2023 et a fait signifier ses conclusions à la société Pfausser Franck Trucks par acte du 14 avril 2023.

La société Pfausser Franck Trucks a constitué avocat le 19 avril 2023.

Par conclusions d'incident du 6 juillet 2023, la société Pfausser Franck Trucks a demandé au conseiller de la mise en état, au visa de l'article 122 du code de procédure civile et compte tenu de la dissolution anticipée de la société ENVI et la nomination d'un liquidateur amiable en date du 9 décembre 2019 de :

- déclarer irrecevable, faute de qualité à agir, la société ENVI en son appel ;

- confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions ;

- condamner la société ENVI prise en la personne de son représentant légal en cette qualité au dit siège à lui verser la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'incident avec faculté de recouvrement au profit de Me Nadège Tardif, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions d'incident n°3 notifiées le 17 juin 2024, la société Pfausser Franck Trucks a réitéré ses demandes.

Au soutien de son incident, elle rappelle qu'à la suite de la saisine des 27 et 28 septembre 2018 du tribunal judiciaire de Caen par la société S.T.E Installations Electriques, elle-même a été assignée en intervention forcée le 12 avril 2019 par la société ENVI, laquelle a dissimulé la réalité de sa situation.

Elle précise qu'aux termes d'une délibération de l'assemblée générale extraordinaire du 10 juillet 2018 (déposée au tribunal de commerce de Caen le 9 avril 2019), la société ENVI a transféré son siège social, puis par une délibération d'une nouvelle assemblée générale extraordinaire du 9 avril 2019 (publiée au BODACC le 3 février suivant), elle a décidé de sa dissolution anticipée, et désigné l'ancien gérant M. [F] [W] en qualité de liquidateur amiable ce, sans que ces informations ne soient portées à la connaissance du tribunal.

Elle en déduit que la société ENVI n'avait plus qualité à agir lorsque les débats ont été clôturés et son appel doit être déclaré irrecevable pour défaut de qualité à agir.

En réplique aux moyens soulevés par la société ENVI, elle relève qu'en application de l'article L237-24 du code de commerce, seul le liquidateur amiable d'une société, en l'occurrence M. [F] [W], a qualité pour former un recours, qui à défaut, est irrecevable.

Elle précise que l'article L.237-2 du même code imposait à la société ENVI, dès le prononcé de sa dissolution, de faire suivre sa dénomination sociale de la 'société en liquidation' et, qu'en tout état de cause, elle n'avait aucun pouvoir de relever appel du jugement déféré, même représentée par son représentant légal auquel elle prétend à tort assimiler son liquidateur.

Considérant que le défaut de pouvoir d'une partie constitue une nullité de fond en application de l'article 117 du code de procédure civile, elle estime ne pas avoir à justifier d'un grief.

Par conclusions d'incident notifiées le 18 décembre 2023, la société Lixxbail demande au conseiller de la mise en état au visa de l'article 546 du code de procédure civile, de juger irrecevable l'appel relevé par la société ENVI à son égard pour défaut d'intérêt à agir et de condamner cette dernière à lui payer la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir que la société ENVI, en cause d'appel comme en première instance, ne formule aucune demande à son encontre.

Elle ajoute que la société ENVI n'avait aucun intérêt à intimer la société Lixxbail dont elle ne conteste nullement la mise hors de cause ordonnée à juste titre en première instance de sorte que pour l'ensemble de ces motifs, l'appel dirigé à son encontre doit être déclaré irrecevable.

Par conclusions notifiées le 18 mars 2024, la société ENVI demande à ce que les sociétés Pfausser Franck Trucks et Lixxbail soient déboutées de toutes leurs demandes et que la première soit condamnée au paiement d'une somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Elle fait valoir que la dissolution intervenue et la désignation de M. [W] en qualité de liquidateur amiable n'ont aucune incidence sur la recevabilité de son appel dès lors que les opérations de liquidation n'ont pas été clôturées et qu'elle est toujours inscrite au RCS de Caen, alors qu'elle a toujours disposé d'un représentant légal et qu'aucun texte n'exige d'informer la juridiction de ce changement de représentant.

Elle en déduit qu'elle avait donc qualité pour relever appel, prise en la personne de M. [W], liquidateur amiable et, à ce titre, son représentant légal désigné conformément à la loi ce, nonobstant l'absence de plus de précision sur ce point indiquée sur sa déclaration d'appel.

Elle ajoute que l'omission de l'une des mentions exigées pour identifier un requérant relève des irrégularités de forme de l'article 114 du code de procédure civile et oblige la société Pfausser Franck Trucks à caractériser le grief causé par la dite irrégularité, ce qu'elle n'établit aucunement.

Par ailleurs, elle indique que l'erreur commise sur le lieu de son siège social est sans incidence sur sa qualité à agir et ne cause de surcroît aucun grief.

Enfin, elle considère son appel recevable en ce qu'il est dirigé à l'encontre de la société Lixxbail alors qu'elle sollicite la réformation du jugement en ses dispositions l'ayant condamnée à payer à l'intimée une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par message RPVA du 18 mars 2024, le conseil de la société S.T.E Installations Electriques a indiqué qu'il s'en rapportait à justice sur le mérite de l'incident régularisé par la société Pfausser Franck Trucks.

L'incident a été évoqué à l'audience d'incident du conseiller de la mise en état du19 juin 2024.

Sur ce,

Il résulte de l'article 914 du code de procédure civile que le conseiller de la mise en état est, depuis sa désignation et jusqu'à la clôture de l'instruction, seul compétent pour déclarer l'appel irrecevable et trancher à cette occasion toute question ayant trait à la recevabilité de l'appel.

En outre, en application des articles 907 et 771 1° du code de procédure civile, le conseiller de la mise en état a le pouvoir de statuer sur les exceptions de procédures et incident mettant fin à l'instance.

Selon l'article 122 du même code, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel notamment le défaut de qualité et le défaut d'intérêt.

Par ailleurs, aux termes de l'article 117 du code de procédure civile, constituent des irrégularités de fond affectant la validité de l'acte :

Le défaut de capacité d'ester en justice ;

Le défaut de pouvoir d'une partie ou d'une personne figurant au procès comme représentant soit d'une personne morale, soit d'une personne atteinte d'une incapacité d'exercice ;

Le défaut de capacité ou de pouvoir d'une personne assurant la représentation d'une partie en justice.

En application des articles 117 et 121 du code de procédure civile une procédure engagée par une partie dépourvue de personnalité juridique est entachée d'une irrégularité de fond qui ne peut être couverte.

Il résulte de l'article L. 237-2 du code du commerce que la personnalité morale d'une société dissoute subsiste aussi longtemps que ses droits et obligations à caractère social ne sont pas liquidés.

En l'espèce, la société ENVI a relevé appel du jugement rendu le 24 novembre 2022 par le tribunal judiciaire de Caen par déclaration d'appel du 26 janvier 2023 libellée à son nom 'agissant poursuite et diligences de ses représentants légaux'. La signification de la déclaration d'appel à la société Pfausser Franck Trucks par acte du 9 mars 2023 est formulée de manière identique.

Selon procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire du 9 décembre 2019, il a été décidé de la dissolution anticipée de la société ENVI à compter de cette date, de sa liquidation amiable sous le régime conventionnel conformément aux dispositions statutaires et aux articles L. 237-2 à L. 237-13 du code de commerce et de la nomination de M. [F] [W] en qualité de liquidateur pour toute la durée de la liquidation. Ces délibérations ont été déposées et enregistrées le 29 janvier 2020 au registre du commerce et des sociétés.

Il n'est pas contesté qu'au 26 janvier 2023, date à laquelle la déclaration d'appel a été notifiée par la société ENVI, cette dernière est toujours inscrite au RCS et représentée par son liquidateur amiable et il n'est pas allégué que depuis lors, M. [F] [W] serait dépourvu de pouvoir de représenter la dite société en sa qualité de liquidateur amiable ni que les opérations de liquidation auraient été clôturées depuis lors.

L'appel relevé par la société ENVI par l'intermédiaire de son représentant légal à l'encontre d'un jugement prononçant la résolution d'une vente conclue le 15 novembre 2013 avec la société Lixxbail et la déboutant de sa demande tendant à voir prononcer la nullité de la vente du camion qu'elle avait conclue le 18 octobre précédant avec la société Pfausser Franck Trucks révèle que les droits et obligations nés de ces contrats sont susceptibles de ne pas avoir été intégralement liquidés, ce dont résulte la survie de la personnalité morale de cette société pour les besoins de leur liquidation.

Par suite, il doit être considéré que l'appel n'est pas entaché d'une irrégularité de fond et la société ENVI, qui était partie au procès devant le tribunal judiciaire de Caen, et a relevé appel par l'intermédiaire de son représentant légal, du jugement qui l'a condamnée au paiement de diverses sommes principalement au profit de la société S.T.E Installations Electriques et déboutée de ses demandes formées à l'encontre de la société Pfausser Franck Trucks justifie d'une qualité à agir y compris à l'encontre de cette dernière.

Enfin, il sera rappelé qu'en application de l'article 114 du code de procédure civile, le défaut de mention dans un acte de procédure de l'organe représentant légalement la personne morale constitue un vice de forme, la nullité de cet acte étant subordonnée à la preuve d'un grief dont la société Pfausser Franck Trucks ne justifie pas.

Il en est de même s'agissant de l'erreur portant sur le lieu du siège social de la société ENVI.

Pour l'ensemble de ces motifs, la société Pfausser Franck Trucks sera déboutée en sa demande tendant à voir déclarer irrecevable l'appel relevé par la société ENVI à son encontre.

Enfin, en application de l'article 546 du code de procédure civile, le droit d'appel appartient à toute partie qui y a intérêt, si elle n'y a pas renoncé.

En l'occurrence, la société ENVI justifie d'un intérêt à relever appel du jugement à l'égard de la société Lixxbail à l'encontre de laquelle elle a été condamnée à payer une somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, disposition expressément visée dans sa déclaration d'appel.

En conséquence, la demande présentée par la société Lixxbail aux fins de voir déclarer irrecevable l'appel relevé à son encontre sera rejetée.

L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile dans le cadre de la présente instance.

Les dépens de l'incident suivront le sort des dépens de l'instance au fond.

PAR CES MOTIFS:

Rejetons la demande formée par la société Pfausser Franck Trucks aux fins de voir déclarer l'appel relevé par la société ENVI irrecevable ;

Rejetons la demande présentée par la société Lixxbail aux fins de voir déclarer l'appel relevé par la société ENVI à son égard irrecevable pour défaut d'intérêt à

agir ;

Rejetons les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Disons que les dépens de l'incident suivront le sort des dépens de l'instance au fond.

LA GREFFIÈRE

M. COLLET

LE MAGISTRAT DE

LA MISE EN ETAT

M.C. DELAUBIER