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Décisions

CA Limoges, ch. soc., 31 juillet 2024, n° 23/00511

LIMOGES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Comcentre Est (SARL), Comcentre Ouest (SARL)

Défendeur :

Happy Cash (SARL), I.C.S. (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pugnet

Conseillers :

Mme Voisin, Mme Chaumond

Avocats :

Me Doizon, Me Des Champs De Verneix

T. com. Gueret, du 17 mai 2023, n° 23/00…

17 mai 2023

EXPOSÉ DU LITIGE

Les sociétés COMCENTRE EST et COMCENTRE OUEST exploitent des fonds de négoce et réparation de téléphones mobiles neufs et d'occasion.

La société I.C.S exerce une activité d'achat, vente et réparation de téléphones mobiles à [Localité 6], et est dirigée par deux associés, M. [P] et la société HAPPY CASH [Localité 6].

La société HAPPY CASH [Localité 6] (ci-après HAPPY CASH) est gérée par M. [P], et dirigée par deux associés, M. [P] et son épouse Mme [Z], associée minoritaire depuis le 18 avril 2018. Elle exploite une activité de vente de produits d'occasion dont des téléphones portables et accessoires afférents.

Mme [Z] a été embauchée en contrat à durée indéterminée à temps complet par société COMCENTRE EST le 9 janvier 2017 en qualité d'employé de vente.

Par une convention tripartite signée le 21 août 2017, ce contrat de travail a été rompu avec la SARL COMCENTRE EST et un nouveau contrat de travail a été conclu entre Mme [Z] et la SARL COMCENTRE OUEST

Le 7 janvier 2019, un contrat de travail a été signé entre la SARL COMCENTRE EST et Mme [Z] afin de l'employer en qualité de responsable du magasin situé au sein du Centre commercial Leclerc de [Localité 6].

Par lettre recommandée avec accusé réception du 1er février 2021, la société COMCENTRE EST a licencié Mme [Z] pour faute grave à effet immédiat, en lui reprochant notamment des ventes de téléphones et accessoires avec remises commerciales à la société HAPPY CASH, société concurrente dont le gérant est son conjoint.

Le 18 février 2022, les sociétés COMCENTRE EST et COMCENTRE OUEST ont saisi le tribunal de commerce de Guéret afin de faire condamner les sociétés HAPPY CASH et I.C.S SAS ainsi que Mme [Z] pour des faits parasitaires constitutifs de concurrence déloyale.

***

Par jugement du 17 mai 2023, le tribunal de commerce de Guéret a débouté les sociétés COMCENTRE EST et COMCENTRE OUEST de leurs demandes dirigées contre Mme [Z] et HAPPY CASH, a mis hors de cause la société I.C.S et a condamné les sociétés COMCENTRE EST et COMCENTRE OUEST aux dépens.

Les sociétés COMCENTRE EST et COMCENTRE OUEST ont interjeté appel de ce jugement le 29 juin 2023.

***

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de leurs dernières écritures déposées le 16 avril 2024, les sociétés COMCENTRE EST et COMCENTRE OUEST demandent à la cour de :

Déclarer tant recevable que fondé l'appel interjeté par les sociétés COMCENTRE EST et COMCENTRE OUEST à l'encontre du jugement RG N°2022.000103 du Tribunal de commerce de Guéret du 17 mai 2023 ;

Faisant droit à leurs demandes, statuer comme suit :

1/ Sur l'annulation ou l'infirmation du jugement dont appel :

A titre principal, annuler le jugement attaqué en ce que par sa motivation le Tribunal de commerce de Guéret a manqué aux exigences d'objectivité et d'impartialité des décisions de justice, garanties notamment par les exigences du procès équitable ;

Subsidiairement, infirmer le jugement attaqué en son entier, sauf en ce qu'il a retenu sa compétence ;

2/ En toutes hypotheses, sur les actes de concurrence deloyale et parasitaire :

Déclarer les sociétés HAPPY CASH [Localité 6] et I.C.S et Mme [Z] responsables, comme auteurs et complices, d'actes de concurrence déloyale et de parasitisme commis au préjudice des sociétés COMCENTRE OUEST et COMCENTRE EST;

3 /Avant-dire droit, sur la réparation :

Condamner in solidum la société HAPPY CASH [Localité 6], la société I.C.S et Mme [Z] à indemniser les appelantes des conséquences dommageables des actes de concurrence déloyale et parasitaires par l'allocation à titre de dommages-intérêts provisionnels des sommes suivantes:

- A la société COMCENTRE OUEST:39.285,13 euros en réparation des préjudices économiques et10.000 euros en réparation du préjudice moral infligés par les actes de concurrence déloyale et de parasitisme dont ils sont responsables, soit au total une somme de 49.285,13 € arrondie à 49.285 euros ;

- A la société COMCENTRE EST:40.271,87 euros en réparation des préjudices économiques et10.000 euros en réparation du préjudice moral infligés par les actes de concurrence deloyale et parasitisme dont ils sont responsables soit au total une somme de 50. 271,8 € arrondie à 50.272 euros ;

Ordonner une expertise judiciaire destinée à permettre d'apprécier l'ampleur exacte des détournements opérés par la société HAPPY CASH [Localité 6] et/ou la société I.C.S. et Mme [Z] au préjudice des sociétés COMCENTRE OUEST et COMCENTRE EST, et par voie de conséquence la réparation de leurs dommages;

Commettre tout expert qu'il plaira à la Cour de céans de désigner et dire que celui-ci réalisera sa mission conformément aux dispositions des articles 232 à 248 et 263 à 284-1 du code de procédure civile ;

Fixer le montant de la provision des frais d'expertise à consigner par les sociétés COMCENTRE OUEST et COMCENTRE EST ;

Donner mission à l'expert judiciaire d'avoir à, pour la période courant du 9 janvier 2017 au 1er février 2021 :

- Convoquer et entendre les parties, le cas échéant, assistées de leurs conseils, recueillir leurs observations à l'occasion de l'exécution des opérations ou de la tenue de réunions d'expertise ;

- Se faire remettre par les sociétés COMCENTRE OUEST et COMCENTRE EST outre une copie du constat d'huissier dressé le 27 janvier 2022 (piece n°10), une copie de Ieur livre de police, mentionnant le numéro d'IMEl du téléphone, le nom du client, le prix d'acquisition ;

- Se faire remettre par la société HAPPY CASH [Localité 6] et par la société I.C.S. copie de Ieur livre de police (papier ou électronique) et une liste des téléphones vendus, répertoriés sur ledit livre police, mentionnant le numéro d'IMEl du téléphone, le nom du client, le prix d'acquisition et le prix de revente ;

- Se faire remettre par la société HAPPY CASH [Localité 6] et par la société I.C.S. tous documents comptables (factures, comptes, bilans ou autres) relatifs aux achats de téléphones réalisés auprès des sociétés COMCENTRE OUEST et COMCENTRE EST sur la période courant du 9 janvier 2017 au 1er février 2021 et aux reventes à la clientèle desdits téléphones par la société HAPPY CASH [Localité 6] ;

- Se faire remettre par la société HAPPY CASH GUERET et par la société I.C.S. le registre du personnel couvrant la période courant du 9 janvier 2017 au 1er février 2021 pour identifier tous noms et prénoms de ces personnels ayant pu, le cas échéant, servir de prête-noms pour opérer les achats auprès des sociétés COMCENTRE OUEST et COMCENTRE EST ;

- Plus largement, se faire remettre toute pièces utiles à l'accomplissement de sa mission;

- Identifier, à partir des numéros IMEI de chacun des livres de police, le nombre exact de téléphones achetés par HAPPY CASH [Localité 6] et/ou et par la société I.C.S. auprès des sociétés COMCENTRE OUEST et COMCENTRE EST au cours de la période courant du 9 janvier 2017 au 16 février 2021, le montant de ces achats, le montant des reventes desdits téléphones et le bénéfice que chacune des sociétés HAPPY CASH [Localité 6] et/ou I.C.S. en a retiré;

- Dresser, dans un délai de 3 mois à compter du réglement de sa provision, un pré-rapport en impartissant aux parties un délai raisonnable pour la production de leurs dires auxquels il devra répondre dans son rapport definitif, lequel devra être déposé dans les 6 mois suivant la date à laquelle il aura été informé de la consignation ;

4/ sur les dépens et frais irrépétibles :

Condamner in solidum la société HAPPY CASH [Localité 6], la société I.C.S et Mme [Z] aux entiers dépens de première instance et d'appel ' en ce compris les frais de l'expertise judiciaire qui sera ordonnée - et à payer à chacune des appelantes la somme de 10.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procedure civile, soit 20.000 euros en tout pour couvrir les frais irrépétibles exposés en premiere instance et en appel ;

Condamner in solidum la société HAPPY CASH [Localité 6], la société I.C.S et Mme [Z] à rembourser aux appelantes la somme de 10.000 euros que celles-ci leur ont versée en exécution du jugement dont appel au titre des frais irrépétibles ;

Et débouter intégralement les intimés de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions.

Les sociétés COMCENTRE EST et COMCENTRE OUEST soutiennent que le tribunal de commerce a violé ses devoirs d'objectivité et d'impartialité, en faisant part de ses opinions personnelles dans le jugement entrepris et en les sanctionnant de leur appartenance à un groupe important, ce qui les auraient rendues fautives d'avoir ignorer la fraude.

Les sociétés COMCENTRE EST et COMCENTRE OUEST soutiennent que Mme [Z], avec la complicité de M. [P], a mis en place un circuit d'approvisionnement au bénéfice d'une société concurrente avec pour but de détourner la clientèle de ses magasins vers HAPPY CASH. Elles indiquent que ce traffic les a transformé à leur insu en 'centrale d'achat' pour leurs concurrentes HAPPY CASH et I.C.S. et soulignent à ce titre qu'elles vendent à une clientèle de particuliers, et non de professionnels

Ainsi, un nombre massif de téléphones a été vendu au profit d'HAPPY CASH GUERETà des prix systématiquement remisés sur la valeur prix client, par l'entremise de Mme [Z] qui les a remis soit à M. [P] soit à HAPPY CASH agissant par un salarié, soit à des salariés de HAPPY CASH intervenant personnellement puis remettant les appareils à HAPPY CASH par rachat direct.

Elles soutiennent que les consorts [Z], [P], HAPPY CASH et I.C.S ont commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme..

Elles soutiennent que les ventes conclues par Mme [Z] étaient illicites car elles ont été faites dans son intérêt personnel, sans faire l'objet d'un accord écrit préalable de la direction, comme il est requis dans le contrat de travail de Mme [Z] pour tout achat personnel remisé des salariés.

Elles demandent à ce qu'une mesure d'expertise judiciaire avant dire droit soit ordonnée aux fins de fixer le quantum de leur préjudice.

Aux termes de leurs dernières écritures déposées le 19 mars 2024, les sociétés I.C.S et HAPPY CASH [Localité 6] ainsi que Madame [R] [Z] demandent à la cour de :

Déclarer les intimées recevables et bien fondés,

Confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Guéret en date du 17 mai 2023 en ce qu'il a :

DEBOUTE les sociétés COMCENTRE EST SARL et COMCENTRE OUEST SARL de leurs demandes fins et conclusions,

MET hors de cause la société I.C.S. SAS,

CONDAMNE les société COMCENTRE EST SARL et COMCENTRE OUEST SARL conjointement et solidairement à lui verser la somme de 4000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile toutes causes confondues,

DEBOUTE les demanderesses de leurs demandes dirigées contre la Dame [Z] [R],

CONDAMNE les société COMCENTRE EST SARL et COMCENTRE OUEST SARL conjointement et solidairement à lui verser la somme de 3000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile toutes causes confondues,

DEBOUTE les demanderesses de leurs demandes dirigées contre la société HAPPY CASH [Localité 6] SARL,

CONDAMNE les société COMCENTRE EST SARL et COMCENTRE OUEST SARL conjointement et solidairement à lui régler la somme de 3 O00 euros toutes causes confondues,

DEBOUTE les parties sur le surplus,

ORDONNE l'exécution provisoire du présent jugement nonobstant appel.

CONDAMNE les société COMCENTRE EST SARL et COMCENTRE OUEST SARL conjointement et solidairement en tous dépens,

- Débouter les sociétés COMCENTRE EST et COMCENTRE OUEST de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

- Condamner solidairement la COMCENTRE EST et COMCENTRE OUEST à payer à Mme [Z] la somme de 6.000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

- Condamner solidairement la COMCENTRE EST et COMCENTRE OUEST à payer Mme [Z], HAPPY CASH [Localité 6] et ICS, chacune, la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamner solidairement les sociétés COMCENTRE EST et COMCENTRE OUEST aux entiers dépens d'appel.

Les sociétés I.C.S et HAPPY CASH [Localité 6] ainsi que Madame [R] [Z] soutiennent ne pas avoir pas commis d'actes de concurrence déloyale ou de parasitisme.

Ils demandent à ce que soit mise hors de cause la société I.C.S. en l'absence d'élément apporté contre elle.

Les sociétés I.C.S et HAPPY CASH [Localité 6] ainsi que Madame [R] [Z] soutiennent que la vente de téléphone au profit d'HAPPY CASH était expressément autorisée par le responsable de Mme [Z], dont les remises de l'ordre de 10 à 20%. Ils versent à cet effet une attestation de l'ancien directeur régional de COMCENTRE EST, ainsi que des attestations d'autres salariés de COMCENTRE EST et COMCENTRE OUEST qui indiquent avoir vendu des téléphones à Happy Cash [Localité 6] avec l'accord du directeur régional à des prix remisés de 10%.

Ils soutiennent qu'en réalité, les reproches formulés à l'encontre de Mme [Z] ont pour unique objectif de justifier son licenciement abusif, causé par son intention de prolonger son temps partiel.

Ils soutiennent par ailleurs que les sociétés COMCENTRE EST et COMCENTRE OUEST ne justifient pas du préjudice financier qu'elles souhaitent voir réparer, car ces ventes remisées aurait été à leur profit au regard de l'obsolescence programmée des smartphones.

Ils soutiennent que les sociétés COMCENTRE EST et COMCENTRE OUEST devraient être condamnées pour procédure abusive, leur action ayant été intentée uniquement pour faire pression sur Mme [Z].

L'ordonnance de clôture a été rendue en date du 29 mai 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le manque d'objectivité et d'impartialité du jugement de première instance

Le droit à un procès équitable implique que la cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial (article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950).

Les sociétés appelantes considèrent que les motifs du jugement entrepris contiennent des opinions personnelles du tribunal qui leur reproche leur appartenance à un groupe important et leur incapacité à mettre en oeuvre une procédure de contrôle destinée à révéler les dysfonctionnements.

En l'espèce, le tribunal a motivé sa décision en relevant, pour l'essentiel, que le contrat de travail de Mme [Z] ne permettait pas de dégager des obligations spécifiques relatives aux ventes groupées ou aux relations commerciales avec des entreprises marchandes, que le non respect des instructions de la Direction n'était pas démontré, insistant sur l'absence de mails, de comptes rendus de réunions sur le sujet, alors que le remisage personnel uniquement autorisé par la Direction ne s'appliquait pas aux opérations de déstockage en cause et que l'illicéité des marges n'était pas démontrée.

Ainsi le tribunal a procédé à une analyse des éléments de preuve soumis à son examen afin d'apprécier si les ventes litigieuses avaient fait l'objet d'un accord implicite de la Direction, et s'il est regrettable qu'il se soit cru autorisé à relever, dans des termes pouvant paraître quelque peu condescendants, une défaillance du système de vérification des sociétés appelantes, il s'agit de considérations sans portée juridique aucune.

En définitive le tribunal de commerce de Guéret a motivé sa décision, en droit et en fait, certes en y ajoutant une considération inadaptée, mais inutile et qui n'était pas de nature à remettre en cause les développements précédents ni à révéler le défaut d'impartialité de la juridiction.

Sur la mise hors de cause de la société I.C.S SAS

Aux termes de l'article 954 du code de procédure civile 'La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.'

La cour constate que les sociétés COMCENTRE EST et COMCENTRE OUEST demandent la condamnation in solidum de la société I.C.S. SAS au regard des faits reprochés.

Toutefois, dans le corps de ses écritures aucun grief n'est formulé contre elle et aucune motivation n'est présentée au soutien de cette demande de condamnation présentée exclusivement dans le dispositif des conclusions des sociétés appelantes.

En conséquence, il convient de confirmer la mise hors de cause de la société I.C.S. SAS par le jugement entrepris, ainsi que la condamnation à son profit des sociétés COMCENTRE EST et COMCENTRE OUEST au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur les actes de concurrence déloyale et de parasitisme

Les actes de concurrence déloyale et de parasitisme sont sanctionnés sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle, aux termes de l'article 1240 du code civil qui dispose que 'Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.'

L'action en concurrence déloyale suppose que la partie qui l'invoque démontre l'existence d'une faute, d'un lien de causalité, et l'étendue du préjudice invoqué.

Les sociétés COMCENTRE EST, COMCENTRE OUEST et HAPPY CASH [Localité 6] opèrent sur le même marché de la revente de biens d'occasion, notamment de téléphonie. Ces sociétés étaient donc dans une situation de concurrence.

Les sociétés COMCENTRE EST et COMCENTRE OUEST allèguent que Mme [Z] et la société HAPPY CASH auraient commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme en détournant leur stock et en conséquence, leur clientèle. Elles disent que Mme [Z] a mis en place un circuit d'approvisionnement en téléphones et accessoires d'occasion au bénéfice de la société HAPPY CASH à des prix remisés, permettant à cette société concurrente de les revendre à sa propre clientèle en dégageant une marge. Ce procédé aurait transformé les sociétés COMCENTRE EST et COMCENTRE OUEST en 'centrale d'achat' de leur société concurrente. Elles produisent pour le démontrer plusieurs courriels, et un procès verbal de constat de leurs livres de police par huissiers, ainsi que plusieurs attestations.

Mme [Z] et la société HAPPY CASH [Localité 6] affirment qu'un accord existait depuis 2017 entre les sociétés COMCENTRE EST et COMCENTRE OUEST sur la vente de téléphones à la société HAPPY CASH [Localité 6] à des prix remisés. Elles versent au débat des attestations de plusieurs anciens salariés des sociétés COMCENTRE EST et COMCENTRE OUEST faisant part d'un tel accord verbal sur la base d'une réduction de 10% du prix de vente.

La Cour constate qu'aucun accord écrit n'est versé aux débats formalisant une remise constante de 10% sur les produits vendus à la société HAPPY CASH. Si l'existence d'un accord verbal sur ces remises ressort des attestations de certains anciens employés, l'origine de cet accord et ses conditions en reste incertaine.

Il est constant que les sociétés COMCENTRE EST et COMCENTRE OUEST n'ont pas été averties que leur salariée était devenue associée minoritaire de la société HAPPY CASH à compter du 18 avril 2018, bien qu'elles aient eu connaissance de manière informelle de l'union entre Mme [Z] et le gérant de la société HAPPY CASH, M. [P].

Le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis.

Or, il ressort de l'examen des récapitulatifs de ventes réalisées avec la société HAPPY CASH ou ses intermédiaires, annexés au procès-verbal de constat, qu'au delà des téléphones d'occasion, des remises systématiques à 10% ont été faites par l'entremise de Mme [Z] en sa qualité de responsable de magasin, à la société HAPPY CASH, portant sur les accessoires de téléphonie associés (boîtes d'accessoires, câbles de recharge, kit piéton et base secteur), pour un montant total significatif. Mme [Z] ne justifie pas avoir disposé, d'un accord, au moins verbal, de sa hiérarchie.

Par ailleurs, selon le procès-verbal de constat d'huissier établi le 27 janvier 2022, un nombre important de téléphones d'occasion ont été remisés de janvier 2017 à février 2021, 153 ventes ayant été enregistrées au profit de la société HAPPY CASH constituant 20% des ventes totales de téléphones d'occasion réalisées par les sociétés COMCENTRE EST et COMCENTRE OUEST. La Cour relève que sur la période courant de janvier 2017 à février 2021, la quasi-totalité des ventes litigieuses a eu lieu postérieurement à la nomination de Mme [Z] en tant que responsable de magasin, le 7 janvier 2019 (seulement 9 sur les 153 ventes sont antérieures à cette date).

Ainsi, eu égard à ce volume de transactions réalisées par Mme [Z], celle-ci et la société HAPPY CASH ont tiré profit du stock des sociétés COMCENTRE EST et COMCENTRE OUEST, par l'usage déloyal de la qualité de responsable de magasin de Mme [Z], salariée des sociétés concurrentes et associée minoritaire de la société HAPPY CASH.

Par ce détournement, Mme [Z] a violé son obligation de loyauté en tant que salariée, et la société HAPPY CASH s'en est rendue complice. Au surplus, par ce moyen déloyal, la société HAPPY CASH s'est placée en tant que revendeur de ses sociétés concurrentes, et a pu grâce aux remises indues effectuées par Mme [Z], revendre ces biens à un prix plus avantageux que ce qui aurait été proposé par les sociétés COMCENTRE EST et COMCENTRE OUEST à leur propre clientèle, opérant ainsi un détournement illicite de clientèle constitutif d'un acte de concurrence déloyale parasitaire.

Ce comportement parasitaire fautif a nécessairement causé un préjudice aux sociétés COMCENTRE EST et COMCENTRE OUEST, et il convient donc de condamner Mme [Z] et la société HAPPY CASH à réparer ce préjudice.

Sur les demandes indemnitaires

Sur le préjudice économique allégué

Les sociétés COMCENTRE EST et COMCENTRE OUEST demandent l'octroi des sommes respectives de 40 271,87 € et 39 285,13 € à titre de leurs investissements en personnels, investissements commerciaux et publicitaires dont la société HAPPY CASH et Mme [Z] ont tiré profit, et au titre de la perte de chance de vendre ses produits à sa clientèle.

Mme [Z] et la société HAPPY CASH font valoir que les sociétés appelantes n'ont pas subi de préjudice car les ventes au profit de la société HAPPY CASH leur ont évité une perte financière due à l'obsolescence programmée des smartphones.

Les sociétés COMCENTRE EST et COMCENTRE OUEST ne présentent pas d'éléments de nature à démontrer que la société HAPPY CASH aurait utilisé l'image de marque 'WELCOM' des sociétés COMCENTRE EST et COMCENTRE OUEST, et aurait ainsi bénéficié de leurs investissements en personnels, ou de leurs investissements commerciaux et publicitaires.

Elles ne présentent pas non plus d'éléments probants caractérisant un préjudice économique en raison d'un manque à gagner, autre que celui subi au titre des remises sur le prix de vente initial effectuées par l'entremise de Mme [Z].

Sur les arguments soulevés par Mme [Z] et la société HAPPY CASH, la cour relève que la société HAPPY CASH a fait l'acquisition de ces téléphones précisément pour leur revente à des particuliers, et qu'il est donc évident que ces téléphones avaient bien une valeur marchande plus élevée que leur prix d'acquisition avec remise. A minima, ces téléphones avaient la valeur qui leur avait été assignée hors ces remises de 10% effectuées.

Il a été démontré que Mme [Z] et la société HAPPY CASH [Localité 6] ont bénéficié de remises indues sur les accessoires de téléphonies associés aux ventes de téléphones d'occasion, pour un montant total de 3'788,06 € correspondant à :

162 cables chargeurs entièrement remisés d'une valeur de 3 238.38 € ;

103 boites d'occasion entièrement remisées d'une valeur de 504,70€ ;

un kit piéton entièrement remisé d'une valeur de 19.99 € ;

une base secteur entièrement remisée d'une valeur de 24,99 €.

Il a par ailleurs été démontré que Mme [Z] et la société HAPPY CASH [Localité 6] ont utilisé des moyens déloyaux afin de détourner le stock de leurs sociétés concurrentes à un prix remisé. Il y a donc lieu de considérer que les sociétés COMCENTRE EST et COMCENTRE OUEST ont subi un préjudice équivalent au montant des remises accordées à la société HAPPY CASH sur le prix de vente initial de ces téléphones d'occasion à leur propre clientèle. Selon le constat de l'huissier de justice, ces remises s'élèvent à 8 629,46 € pour les 165 ventes identifiées, dont 3 821,13 € au préjudice de la société COMCENTRE OUEST et 4 807,87 € au préjudice de la société COMCENTRE EST.

En conséquence, il convient de condamner Mme [Z] et la société HAPPY CASH [Localité 6] à verser des dommages et intérêts à hauteur de 5 715,16 € (3 821,13 € + (3'788,06€÷2)) au profit de la société COMCENTRE OUEST et 6'701,90 € (4 807,87 € + (3'788,06 €÷2)) au profit de la société COMCENTRE EST, à raison des actes de concurrence déloyale et de parasitisme subi par les remises indûment effectuées sur les téléphones d'occasion et leurs accessoires.

Sur le préjudice moral allégué

Les sociétés COMCENTRE EST et COMCENTRE OUEST sollicitent10 000 € chacune à titre de préjudice moral causé par l'attitude déloyale de Mme [Z] et de la société HAPPY CASH.

Les sociétés COMCENTRE EST et COMCENTRE OUEST n'apportent aucun élément à l'appui du préjudice subi par une telle attitude déloyale, et ne justifient par ailleurs d'aucune atteinte à leur image de marque causée par la société concurrente.

En conséquence, il convient de rejeter la demande des sociétés COMCENTRE EST et COMCENTRE OUEST au titre du préjudice moral.

Sur la demande d'expertise judiciaire

Aux termes de l'article 144 du code de procédure civile 'Les mesures d'instruction peuvent être ordonnées en tout état de cause, dès lors que le juge ne dispose pas d'éléments suffisants pour statuer'.

En l'espèce, la cour s'estime suffisamment informée par les pièces qui ont été versées au débat, et il convient de rejeter la demande d'expertise.

Sur la demande reconventionnelle pour procédure abusive

Aux termes de l'article 32-1 du code de procédure civile ' Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.'.

En l'espèce, les sociétés COMCENTRE EST et COMCENTRE OUEST obtiennent gain de cause en appel et la mise en oeuvre de leur action en justice ne peut pas être qualifiée d'abusive.

Elles seront donc déboutées de leur demande reconventionnelle de dommages et intérêts présentée sur ce fondement.

Sur les demandes accessoires

Mme [Z] et la société HAPPY CASH [Localité 6] qui succombent à l'instance, doivent être condamnées aux dépens en application de l'article 696 du code de procédure civile.

Il est équitable en outre de les condamner à payer aux sociétés COMCENTRE EST et COMCENTRE OUEST la somme de 2 500 € chacune sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt vaut titre et il n'appartient pas à la cour d'appel de statuer sur les éventuelles restitutions au titre de l'exécution de la décision de première instance.

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PAR CES MOTIFS

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La Cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, par mise à disposition au greffe, après en avoir délibéré conformément à la loi ;

INFIRME le jugement du tribunal de commerce de Guéret du 17 mai 2023, sauf en ce qu'il a retenu sa compétence rationae materiae et en ce qu'il a mis hors de cause la société I.C.S.SAS ;

Statuant à nouveau

CONDAMNE solidairement Mme [R] [Z] ainsi que la société HAPPY CASH [Localité 6] S.A.R.L à payer à la société COMCENTRE EST S.A.R.L la somme de 6'701,90 €, et à payer à la société COMCENTRE OUEST S.A.R.L la somme de 5715,16€ ;

DÉBOUTE les sociétés COMCENTRE EST S.A.R.L et COMCENTRE OUEST S.A.R.L de leur demande d'expertise judiciaire ;

DÉBOUTE les sociétés I.C.S SAS et HAPPY CASH [Localité 6] S.A.R.L ainsi que Madame [R] [Z] de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

CONDAMNE Mme [R] [Z] et la société HAPPY CASH [Localité 6] S.A.R.L solidairement au paiement des dépens de première instance et d'appel ;

CONDAMNE solidairement Mme [Z] et la société HAPPY CASH [Localité 6] S.A.R.L à payer à chacune des sociétés COMCENTRE EST S.A.R.L et COMCENTRE OUEST S.A.R.L la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;