Cass. crim., 17 octobre 2023, n° 22-84.021
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 16 octobre 2009, l'Office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI) a adressé au procureur de la République un procès-verbal selon lequel la société [5] aurait installé un établissement dans les locaux de l'aéroport de [Localité 4], à [Localité 3], où étaient basés quatre de ses avions.
3. L'OCLTI a relevé, dans ce procès-verbal, que la société [5] n'avait pas immatriculé son établissement auprès du registre du commerce et des sociétés (RCS) et n'avait pas déclaré auprès de l'URSSAF les salariés qu'elle avait employés.
4. Deux syndicats ont, en outre, déposé plainte en affirmant que la compagnie [5] avait exercé son activité sur le territoire français avec le concours d'une centaine de salariés, en se soustrayant à la législation sociale.
5. La Caisse de retraite du personnel de l'aéronautique civile a déposé plainte à son tour, en faisant valoir que le personnel de la société [5] était affilié au régime d'assurance irlandais, alors qu'il aurait dû l'être auprès d'elle.
6. Au terme de l'enquête préliminaire, une information a été ouverte le 8 avril 2010 des chefs de travail dissimulé, prêt illicite de main-d'uvre, entrave au fonctionnement des institutions représentatives du personnel et emploi illicite de personnel navigant.
7. Le juge d'instruction a ordonné le renvoi de la société [5] devant le tribunal correctionnel des chefs susvisés pour des faits commis de 2007 à 2010.
8. Par jugement du 2 octobre 2013, le tribunal correctionnel a déclaré la société [5] coupable de l'ensemble des faits qui lui étaient reprochés, l'a condamnée au paiement d'une amende de 200 000 euros et a prononcé sur l'action civile.
9. La société [5] a interjeté appel de cette décision. Le ministère public a interjeté appel incident.
Moyens
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, le deuxième moyen, le troisième moyen, pris en ses première et troisième branches, les cinquième et sixième moyens
Motivation
10. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Moyens
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches
Enoncé du moyen
11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société [5] coupable de travail dissimulé par dissimulation d'activité et dissimulation d'emploi salarié, entrave à la constitution ou à la libre désignation des membres du comité d'entreprise, entrave à la libre désignation des délégués du personnel, entrave à l'exercice du droit syndical, entrave au fonctionnement du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, exercice illégal d'un emploi de personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile et prêt illicite de main-d'uvre, puis l'a condamnée à une amende de 200 000 euros, ainsi qu'à indemniser les parties civiles, alors :
« 2°/ que les personnes morales sont responsables pénalement des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ; qu'il en résulte que la responsabilité d'une personne morale ne peut être retenue, sans que soit désigné son organe ou son représentant ayant commis, pour son compte, les faits objet de la poursuite ; que la qualité de représentant de la personne morale ne peut résulter que d'un acte attribuant à l'intéressé la compétence, l'autorité et les moyens nécessaires à l'accomplissement des actes en cause ; qu'en se bornant à affirmer qu'il ressortait d'un arrêt de la Chambre des appels correctionnels de la Cour d'appel de Paris du 22 mai 2017 que Monsieur [E] [M] représentait la Société [5] en 2009 sans avoir consenti de délégation de pouvoir, sans indiquer aucun élément de fait de nature à caractériser un tel pouvoir de représentation, la Cour d'appel a privé sa décision de motifs, en violation de l'article 593 du Code de procédure pénale ;
3°/ que les personnes morales sont responsables pénalement des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ; qu'il en résulte que la responsabilité d'une personne morale ne peut être retenue, sans que soit désigné son organe ou son représentant ayant commis, pour son compte, les faits objet de la poursuite ; que la qualité de représentant de la personne morale ne peut résulter que d'un acte attribuant à l'intéressé la compétence, l'autorité et les moyens nécessaires à l'accomplissement des actes en cause ; qu'en se bornant à affirmer, pour décider que la Société [5] était valablement représentée sur le territoire français, que Monsieur [R] [L] avait été entendu en interrogatoire de première comparution pour le compte de la Société [5], tandis que messieurs [J] [W] et [B] [N] avaient déclaré jouer un rôle d'interface entre [Localité 1] et [Localité 4] et avaient été désignés par les personnels de l'entreprise comme étant les responsables hiérarchiques sur le site de [Localité 4], la Cour d'appel, qui n'a pas constaté qu'ils auraient eu la qualité de représentants de la Société [5] dotés de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires pour la représenter, et qui n'a au surplus relevé aucun élément de fait en ce sens, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 121-2 du Code pénal, ensemble l'article 593 du Code de procédure pénale ;
4°/ que les personnes morales sont responsables pénalement des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ; qu'il en résulte que la responsabilité d'une personne morale ne peut être retenue, sans que soit désigné son organe ou son représentant ayant commis, pour son compte, les faits objet de la poursuite ; que la qualité de représentant de la personne morale ne peut résulter que d'un acte attribuant à l'intéressé la compétence, l'autorité et les moyens nécessaires à l'accomplissement des actes en cause ; qu'en se bornant à affirmer, pour décider que la Société [5] était valablement représentée en France, de sorte que les poursuites pénales avaient été régulièrement engagées à son encontre, qu'elle s'était livrée à des « manuvres précitées de soustraction », de sorte qu'elle ne pouvait « invoquer sa propre turpitude pour échapper aux poursuites », la Cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs inopérants, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 121-2 du Code pénal, ensemble l'article 593 du Code de procédure pénale. »
Motivation
Réponse de la Cour
12. Pour identifier l'organe ou le représentant ayant agi pour le compte de la société prévenue dont les actes sont de nature à engager la responsabilité pénale de celle-ci, l'arrêt attaqué énonce notamment que, dans l'arrêt rendu le 22 mai 2017 par la cour d'appel de Paris, statuant dans une autre formation, à l'égard de la même société prévenue, il est mentionné que M. [E] [M] représentait en 2009 l'entreprise qu'il dirige sans avoir consenti de délégation de pouvoirs.
13. Les juges relèvent que l'intéressé a refusé d'être entendu, n'a pas répondu aux convocations d'enquête et s'est abstenu de comparaître devant la cour.
14. Ils observent que cette attitude est une constante de la société qui se soustrait à l'identification de son représentant légal.
15. Ils en déduisent la volonté délibérée de la société [5] d'empêcher l'identification de son représentant en rendant occulte le véritable décideur, ce qui caractérise la fraude.
16. Ils concluent que la responsabilité pénale de la personne morale est suffisamment recherchée, malgré les manoeuvres précitées de soustraction, qui font obstacle à ce que la société [5] invoque sa propre turpitude pour échapper aux poursuites.
17. En se déterminant par ces seuls motifs, desquels il résulte que M. [M], dirigeant de la société [5], qui n'a pas allégué avoir consenti une délégation de pouvoirs, avait la qualité d'organe ou de représentant de la personne morale ayant agi pour son compte, la cour d'appel, qui s'est déterminée sur la base d'éléments de preuve versés au débat qu'elle a souverainement appréciés, a justifié sa décision.
18. Le moyen, inopérant en sa troisième branche, en ce qu'il critique des motifs surabondants, doit dès lors être écarté.
Moyens
Sur le troisième moyen, pris en ses deuxième, quatrième, cinquième et sixième branches
Enoncé du moyen
19. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société [5] coupable de travail dissimulé par dissimulation d'activité et dissimulation d'emploi salarié, entrave à la constitution ou à la libre désignation des membres du comité d'entreprise, entrave à la libre désignation des délégués du personnel, entrave à l'exercice du droit syndical, entrave au fonctionnement du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, exercice illégal d'un emploi de personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile et prêt illicite de main-d'uvre, puis l'a condamnée à une amende de 200 000 euros, ainsi qu'à indemniser les parties civiles, alors :
« 2°/ que le juge national, statuant dans le cadre d'une procédure diligentée contre des personnes soupçonnées d'avoir eu recours à des travailleurs détachés sous le couvert de certificats E 101, ne peut écarter ces certificats, en considérant qu'ils ont été obtenus par fraude, que si l'institution de l'Etat membre dans lequel les travailleurs ont été détachés a préalablement saisi
l'institution émettrice de ces certificats d'une demande de réexamen et de retrait de ceux-ci, à la lumière d'éléments recueillis dans le cadre d'une enquête judiciaire ayant permis de constater que ces certificats ont été obtenus ou invoqués de manière frauduleuse ; que cette demande doit être assortie d'éléments concrets, donnant à penser que les certificats ont été obtenus ou invoquer de manière frauduleuse ; qu'en s'abstenant de rechercher, comme elle y était invitée, si la demande de retrait dont se prévalait l'URSSAF, comme ayant été prétendument adressée à l'autorité judiciaire émettrice au mois de décembre 2010, était dépourvue d'éléments concrets donnant à penser que les certificats avaient été obtenus ou invoqués de manière frauduleuse, dès lors que les certificats dont le retrait était demandé n'étaient pas identifiés, aucun salarié n'étant visé dans ce courrier, ce qui faisait nécessairement obstacle à tout examen de l'exercice concret de leur activité, à défaut duquel le caractère frauduleux ou non frauduleux desdits certificats ne pouvait être établi, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 5 du règlement n° 987/2009 du 16 décembre 2009 fixant les modalités d'application du règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, ensemble l'article 14, paragraphe 2, sous a), du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non-salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) n° 647/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 2005, l'article 12 bis, point 1 bis, du règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d'application du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, susvisé, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, précité, tel que modifié par le règlement (CE) n° 647/2005 du Parlement européen et du Conseil, et l'article 593 du Code de procédure pénale ;
4°/ que le juge national, statuant dans le cadre d'une procédure diligentée contre des personnes soupçonnées d'avoir eu recours à des travailleurs détachés sous le couvert de certificats E 101 ? ne peut écarter ces certificats, en considérant qu'ils ont été obtenus par fraude, que si l'institution de l'Etat membre dans lequel les travailleurs ont été détachés a préalablement saisi l'institution émettrice de ces certificats d'une demande de réexamen et de retrait de ceux-ci, à la lumière d'éléments recueillis dans le cadre d'une enquête judiciaire ayant permis de constater que ces certificats ont été obtenus ou invoqués de manière frauduleuse ; que l'institution d'un Etat membre ne peut saisir le juge national, aux fins de voir écarter un certificat E 101 pour fraude, que si l'institution émettrice ne s'est pas prononcée sur sa demande de retrait dans un délai raisonnable ; qu'en décidant que l'autorité émettrice irlandaise ne s'était pas prononcée sur la demande de retrait dans un délai raisonnable, soit six mois, bien que le délai pris par cette autorité pour statuer sur une demande de retrait portant sur 127 certificats, soit 8,5 mois (la demande étant datée du 20 décembre 2010 et la réponse du 2 septembre 2011) constituait un délai raisonnable pour statuer sur une demande d'une telle ampleur, la Cour d'appel a violé l'article 5 du règlement n° 987/2009 du 16 décembre 2009 fixant les modalités d'application du règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, ensemble l'article 14, paragraphe 2, sous a), du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non-salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) n° 647/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 2005, l'article 12 bis, point 1 bis, du règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d'application du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, susvisé, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, précité, tel que modifié par le règlement (CE) n° 647/2005 du Parlement européen et du Conseil, et l'article 593 du Code de procédure pénale ;
5°/ que, subsidiairement, le juge national, statuant dans le cadre d'une procédure diligentée contre des personnes soupçonnées d'avoir eu recours à des travailleurs détachés sous le couvert de certificats E 101, ne peut écarter ces certificats, en considérant qu'ils ont été obtenus par fraude, que si l'institution de l'Etat membre dans lequel les travailleurs ont été détachés a préalablement saisi l'institution émettrice de ces certificats d'une demande de réexamen et de retrait de ceux-ci, à la lumière d'éléments recueillis dans le cadre d'une enquête judiciaire ayant permis de constater que ces certificats ont été obtenus ou invoqués de manière frauduleuse ; que l'institution d'un Etat membre ne peut saisir le juge national, aux fins de voir écarter un certificat E 101 pour fraude, que si l'institution émettrice ne s'est pas prononcée sur sa demande de retrait dans un délai raisonnable ; que lorsque la réponse de l'autorité émettrice intervient après l'expiration d'un délai raisonnable, mais avant que le juge national ait été saisi afin de voir écarter le certificat E 101 pour fraude, l'institution de l'Etat membre contestant le certificat E 101 est tenue de contester la décision devant les instances européennes, sans pouvoir saisir le juge national afin de voir écarter le certificat pour fraude ; qu'en décidant néanmoins que, l'autorité émettrice irlandaise ne s'étant pas prononcée sur la demande de retrait dans un délai raisonnable, l'URSSAF était recevable à demander au juge national d'écarter les certificats E 101 pour fraude, bien que la réponse de l'autorité émettrice irlandaise soit intervenue avant que la juridiction correctionnelle ait été saisie, la Cour d'appel a violé l'article 5 du règlement n° 987/2009 du 16 décembre 2009 fixant les modalités d'application du règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, ensemble l'article 14, paragraphe 2, sous a), du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non-salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) n° 647/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 2005, l'article 12 bis, point 1 bis, du règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d'application du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, susvisé, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, précité, tel que modifié par le règlement (CE) n° 647/2005 du Parlement européen et du Conseil, et l'article 593 du Code de procédure pénale ;
6°/ que le juge national ne peut écarter un certificat E 101, émis par une institution d'un Etat membre, que s'il constate qu'il a été obtenu par fraude ; que celle-ci ne peut résulter que de la réunion d'un élément objectif, consistant dans le fait que les conditions requises aux fins de l'obtention et de l'invocation d'un certificat E 101 ne sont pas remplies, et d'un élément subjectif, correspondant à l'intention des intéressés de contourner ou d'éluder les conditions de délivrance dudit certificat ; qu'en se bornant à relever, pour décider que les demandes de certificat E 101 formées par la Société [5] étaient entachées de fraude, que celle-ci s'était livrée à de fausses déclarations concernant l'adresse des salariés, ce qu'elle ne pouvait ignorer, la Cour d'appel, qui s'est déterminée au regard de considérations qui sont étrangères au lieu d'exécution du contrat de travail et qui ne sont donc pas de nature à influer sur la délivrance des certificats E 101, n'a caractérisé ni l'élément objectif de la fraude, la déclaration en cause étant étrangère aux conditions requises aux fins de l'obtention et de l'invocation d'un certificat E 101, ni l'élément subjectif, en ce qu'elle ne révèle pas l'intention de contourner ou d'éluder les conditions de délivrance dudit certificat, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 14, paragraphe 2, sous a), du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non-salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) n° 647/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 2005, et de l'article 12 bis, point 1 bis, du règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d'application du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, susvisé, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, précité, tel que modifié par le règlement (CE) n° 647/2005 du Parlement européen et du Conseil, ensemble l'article 593 du Code de procédure pénale. »
Motivation
Réponse de la Cour
20. La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) juge que les certificats E 101, devenus A 1, délivrés par l'institution compétente d'un État membre, qui créent une présomption de régularité de l'affiliation du travailleur concerné au régime de sécurité sociale de cet État, ne s'imposent aux juridictions de l'État sur le territoire duquel les travailleurs exercent leurs activités qu'en matière de sécurité sociale (CJUE, arrêt du 14 mai 2020, Bouygues travaux publics, C-17/19).
21. Par ailleurs, sauf mention contraire dans l'arrêt même qui statue sur la question préjudicielle qui lui est posée, l'interprétation que la CJUE, dans l'exercice de la compétence que lui confère l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, donne à une règle du droit communautaire, éclaire et précise, lorsque besoin en est, sa signification et sa portée telle qu'elle doit ou aurait dû être comprise et appliquée depuis le moment de sa mise en vigueur. Il en résulte que la règle ainsi interprétée peut et doit être appliquée par le juge même à des rapports juridiques nés et constitués avant l'arrêt statuant sur la demande d'interprétation, si, par ailleurs, les conditions permettant de porter devant les juridictions compétentes un litige relatif à l'application de ladite règle se trouvent réunies (CJUE, arrêt du 2 février 1988, Barra/État belge, n° 309/85).
22. La Cour de cassation en déduit que, les faits reprochés seraient-ils antérieurs à l'arrêt de la CJUE Bouygues travaux publics susrappelé, le délit de travail dissimulé, défini de façon unitaire par l'article L. 8221-1, 1°, du code du travail, qu'il soit par dissimulation de salariés ou par dissimulation d'activité, peut être établi, nonobstant la production de certificats E 101 ou A 1, lorsque les obligations déclaratives qui ont été omises ne sont pas seulement celles afférentes aux organismes de protection sociale, ou aux salaires ou aux cotisations sociales (Crim., 12 janvier 2021, pourvoi n° 17-82.553, publié au Bulletin).
23. En l'espèce, pour confirmer le jugement ayant écarté les certificats E 101 délivrés aux salariés de la société [5], l'arrêt attaqué, après avoir rappelé les jurisprudences de la CJUE et de la Cour de cassation en ce domaine, énonce, notamment, que, conformément aux principes de coopération loyale et de confiance mutuelle, les certificats E 101 et A 1 délivrés par l'institution compétente d'un État membre créent une présomption de régularité de l'affiliation du travailleur concerné au régime de sécurité sociale de cet État.
24. Se référant à l'arrêt de la CJUE du 27 avril 2017 (A-Rosa Flussschiff GmbH, C-620/15), les juges retiennent que ces certificats s'imposent à l'institution compétente et aux juridictions de l'État membre dans lequel ce travailleur effectue un travail, même lorsqu'il est constaté par celles-ci que les conditions de l'activité du travailleur concerné n'entrent manifestement pas dans les cas prévus par le droit communautaire autorisant leur délivrance.
25. Ils ajoutent que lesdits certificats peuvent être écartés, en matière de sécurité sociale, dans le cas où l'autorité qui les a émis procède à leur retrait ou, en l'absence de retrait, lorsque la fraude peut être caractérisée dans les conditions fixées par la CJUE dans ses arrêts du 6 février 2018 (Omer Altun, C-359/16) et du 2 avril 2020 (Vueling Airlines SA, C-37/17 et C-37/18).
26. Ils constatent que les éléments constitutifs de la fraude sont réunis, en relevant que, d'une part, s'agissant de son élément objectif, la société [5] n'aurait pas pu normalement obtenir les certificats E 101, ne pouvant prétendre que c'est la loi du siège qui s'applique dès lors que le centre de direction en France présente une autonomie par rapport à l'établissement principal, d'autre part, s'agissant de son élément subjectif, les adresses déclarées constituaient une notion vague et mensongère par comparaison avec les adresses réelles telles qu'attestées par les pièces habituelles de domiciliation produites en procédure, de nombreux certificats produits par la société prévenue contenant de fausses déclarations de résidence masquant le fait que la majorité des travailleurs détachés n'avaient pas la qualité de résident, alors, qu'au surplus, a été donnée pour adresse permanente des salariés, celle du siège social de l'entreprise, à l'aéroport de [Localité 1], en contradiction avec les mentions mêmes des contrats de travail.
27. Ils soulignent qu'une demande de retrait a bien été adressée à l'autorité irlandaise émettrice au mois de décembre 2010 mais qu'elle s'est heurtée à un défaut de réponse dans un délai raisonnable.
28. Ils concluent qu'il résulte des pièces produites que la réponse apportée par l'autorité émettrice ne l'a été que pour huit personnes, qu'elle a été rédigée en termes très vagues de sorte qu'elle s'apparente à une absence de réponse, alors qu'il incombait à l'autorité irlandaise de réexaminer, à la lumière des éléments qui lui étaient soumis et qui laissaient penser que les certificats obtenus l'avaient été par fraude, le bien-fondé de la délivrance des formulaires E 101 et qu'il lui appartenait, tout autant, de prendre position sur ces mêmes éléments.
29. En se déterminant ainsi, l'arrêt attaqué n'a méconnu aucun des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.
30. D'une part, la société [5] a été déclarée coupable des chefs de travail dissimulé par dissimulation d'activité et d'emplois salariés pour avoir notamment exploité une entreprise de transport aérien sur le territoire national en se soustrayant à l'obligation de s'enregistrer au registre du commerce et des sociétés au titre de cette activité et omis de procéder à la déclaration nominative préalable à l'embauche de ses employés en France.
31. Il s'ensuit que, s'agissant des déclarations de culpabilité, les deuxième, quatrième, cinquième et sixième branches du moyen, en ce qu'elles reviennent à soutenir que les juges ne pouvaient écarter comme frauduleux les certificats E 101 produits par la société prévenue, faute pour ces derniers d'avoir été retirés ou déclarés invalides, sont inopérantes, pour la raison précitée au paragraphe 22, de tels certificats E 101 étant dépourvus de tout effet contraignant à l'égard de la juridiction qui retient la culpabilité du prévenu pour travail dissimulé par omission de procéder tant à l'enregistrement d'une société au RCS qu'à l'obligation de déclaration à l'embauche.
32. D'autre part, s'agissant de la condamnation de la société [5] à indemniser les parties civiles, la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, caractérisé la fraude.
33. Dès lors, les griefs ne peuvent qu'être écartés.
Moyens
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
34. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société [5]
coupable du délit d'entrave au fonctionnement du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, au fonctionnement du comité d'entreprise, au fonctionnement des délégués du personnel et à l'exercice du droit syndical, puis l'a condamnée à une amende de 200 000 euros, ainsi qu'à indemniser les parties civiles, alors :
« 1°/ que la loi du contrat de travail, choisi par les parties, ne peut être écartée, en ce qui concerne la représentation du personnel, que si elle prive le travailleur de la protection que lui assure les disposions de la loi qui lui serait applicable, à défaut de choix, en vertu de la Convention de Rome du 19 juin 1980, sur la loi applicable aux obligations contractuelles ; qu'en vertu du principe de la présomption d'innocence, la charge de la preuve de la réunion des éléments constitutifs de l'infraction pèse sur la partie poursuivante ; qu'en décidant néanmoins que la Société [5] ne démontrant pas que les salariés avaient la liberté de se syndiquer conformément au droit syndical irlandais et de prendre attache avec les syndicats irlandais, l'infraction d'entrave aux institutions représentatives du personnel et à l'exercice du droit syndical était caractérisée, la Cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve et méconnu le principe de la présomption d'innocence, a violé les articles 6 § 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, préliminaire, 427 et 593 du Code de procédure pénale, ensemble les articles 3 et 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980, sur la loi applicable aux obligations contractuelles, L 2141-4, L 2141-9, L 2146-1, L 2316-1, L 2322-1 et L 2322-4, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012, L 2328-1 et L 4742-1 du Code du travail ;
2°/ que la loi du contrat de travail, choisi par les parties, ne peut être écartée, en ce qui concerne la représentation du personnel, que si elle prive le travailleur de la protection que lui assure les disposions de la loi qui lui serait applicable, à défaut de choix, en vertu de la Convention de Rome du 19 juin 1980, sur la loi applicable aux obligations contractuelles ; que, sauf à priver la règle de toute portée, le seul éloignement physique du salarié par rapport au siège des institutions représentatives du personnel ne caractérise pas une impossibilité de bénéficier de manière effective du soutien desdites institutions ; qu'en décidant néanmoins que les institutions représentatives du personnel de la Société [5] étant situé en Irlande, le personnel navigant rattaché au site de [Localité 4] ne pouvait, en raison de l'éloignement, bénéficier de leur soutien, afin d'en déduire que la Société [5] avait commis le délit d'entrave aux institutions représentatives du personnel et à l'exercice du droit syndical, la Cour d'appel a violé les articles les articles 3 et 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980, sur la loi applicable aux obligations contractuelles, L 2141-4, L 2141-9, L 2146-1, L 2316-1, L 2322-1 et L 2322-4, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012, L 2328-1 et L 4742-1 du Code du travail. »
Motivation
Réponse de la Cour
35. Il résulte de l'article 27 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne que les travailleurs ou leurs représentants doivent se voir garantir, aux niveaux appropriés, une information et une consultation utiles, dans les cas et conditions prévus par le droit de l'Union et les législations et pratiques nationales.
36. La CJUE juge que, aux termes de l'article 5 de la directive 2002/14 du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l'information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne, les États membres peuvent confier aux partenaires sociaux, au niveau approprié, le soin de définir librement et à tout moment par voie d'accord négocié les modalités d'information et de consultation des travailleurs. Elle précise que l'existence de différences entre les États membres, et même au sein d'un seul État membre, s'agissant des modalités d'information et de consultation des travailleurs visées par la directive 2002/14, ne saurait être exclue dès lors que celle-ci laisse une large marge d'appréciation aux États membres et aux partenaires sociaux quant à la définition et à la mise en uvre desdites modalités (CJUE, arrêt du 11 février 2010, Ingeniørforeningen i Danmark, C-405/08).
37. Par ailleurs, il se déduit des articles L. 2311-1 et suivants du code du travail, dans leur version applicable au moment des faits, que toute personne juridique ayant son siège à l'étranger, qui, pour exercer son activité, emploie des salariés sur le territoire français, exerce la responsabilité de l'employeur selon la loi française et doit appliquer les lois relatives à la représentation des salariés dans l'entreprise et organisme assimilé.
38. La Cour de cassation juge que les lois relatives à la représentation des salariés et à la défense de leurs droits et intérêts sont des lois de police s'imposant à toutes les entreprises et organismes assimilés qui exercent leur activité en France et qui sont dès lors tenus de mettre en place les institutions qu'elles prévoient à tous les niveaux des secteurs de production situés sur le territoire national, ces institutions remplissant l'ensemble des attributions définies par la loi, à la seule exception de celles qui seraient incompatibles avec la présence à l'étranger du siège social (Soc., 3 mars 1988, pourvoi n° 86-60.507, Bull. 1988, V, n° 164).
39. Pour retenir les délits d'entrave aux institutions représentatives du personnel, l'arrêt attaqué énonce que les règles en matière de mise en place d'organisation des institutions représentatives du personnel et en matière de droit syndical sont d'ordre public.
40. Les juges ajoutent que la société [5] avait une base au sein de l'aéroport de [Localité 4] où travaillaient en permanence et de manière stable cent vingt-sept salariés.
41. Ils exposent que, compte tenu notamment de l'ampleur de l'infrastructure mobilisée, soit entre deux et quatre avions, 300 mètres carrés de locaux, le nombre de salariés concernés n'a jamais pu être inférieur à cinquante, indépendamment de la stratégie mise en oeuvre par la société prévenue pour masquer ce seuil.
42. Ils relèvent que les conditions étaient réunies, au sein de la base de [5] située à [Localité 4], pour la mise en place d'un comité d'entreprise, d'un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et de délégués du personnel.
43. Ils en déduisent que l'élément matériel des délits est établi, pour toute la période de prévention, l'élément moral se déduisant nécessairement du caractère volontaire des agissements constatés, la société [5] s'étant toujours refusée à appliquer la législation française en la matière et ayant refusé de donner suite aux demandes qu'elle a reçues de la part des syndicats de salariés.
44. Ils retiennent que la société [5] ne saurait faire valoir, faute d'en démontrer la faisabilité, que les salariés avaient la liberté de se syndiquer conformément au droit syndical irlandais et de prendre attache avec les syndicats irlandais.
45. Ils soulignent qu'en matière de représentation des travailleurs, les législations française et européenne posent la règle fondamentale selon laquelle le cadre d'exercice des attributions des représentants du personnel doit être le plus proche de la collectivité des salariés, en particulier pour ce qui concerne la défense de leurs droits.
46. Ils en déduisent que le personnel navigant rattaché au site de [Localité 4] travaillait en France, habitait en France et qu'il lui était donc impossible de bénéficier de manière effective des institutions représentatives du personnel situées en Irlande, de sorte que les éléments constitutifs du délit d'entrave sont réunis.
47. En se déterminant ainsi, par des motifs procédant de son appréciation souveraine des éléments de preuve contradictoirement débattus, la cour d'appel, qui n'a pas inversé la charge de la preuve ni méconnu le principe de la présomption d'innocence, a justifié sa décision pour les motifs qui suivent.
48. D'une part, les salariés d'une société ayant son siège dans un autre État membre de l'Union européenne qui sont employés en permanence en France au sein d'un établissement, au sens des articles L. 1262-3 du code du travail et R. 330-2-1 du code de l'aviation civile, dans leur version applicable au moment des faits, disposent du droit d'être représentés au niveau le plus approprié. Constitue un tel niveau l'État dans lequel les salariés sont effectivement employés.
49. D'autre part, les délits d'entrave aux institutions représentatives du personnel sont caractérisés tant par l'absence de mise en place de ces institutions que par les agissements ou abstentions délibérés et réitérés de la société tendant à empêcher ses salariés employés sur la base de [Localité 4] [Localité 3] de disposer de leurs représentants sur le territoire français.
50. Le moyen, inopérant en ce qu'il reproche à la cour d'appel d'avoir, par des motifs surabondants, retenu que la société [5] n'a pas démontré la faisabilité d'une représentation en Irlande des salariés employés en France, doit être écarté.
51. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
Dispositif
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 500 euros la somme que la société [5] devra payer à l'URSSAF PACA en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que la société [5] devra payer aux parties représentées par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat à la Cour, en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
FIXE à 2 500 euros la somme que la société [5] devra payer à la Fédération de l'équipement, de l'environnement, des transports et des services force ouvrière en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept octobre deux mille vingt-trois.