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Décisions

Cass. crim., 24 octobre 2023, n° 23-81.097

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

Cass. crim. n° 23-81.097

23 octobre 2023

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 15 avril 2015, [X] [R], salarié de la société Darbo, a été mortellement blessé par le redémarrage inopiné d'une machine sur laquelle il procédait à des réparations.

3. Par jugement du 24 octobre 2016, le tribunal de commerce a placé la société Darbo en liquidation judiciaire.

4. A l'issue d'une information judiciaire ouverte le 21 décembre 2016, cette société a été renvoyée devant le tribunal correctionnel du chef d'homicide involontaire.

5. Le tribunal a déclaré la prévenue coupable, l'a condamnée à 50 000 euros d'amende, a ordonné une confiscation et a prononcé sur les intérêts civils.

6. La société Legrand, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Darbo, le ministère public et sept parties civiles ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société Darbo coupable d'homicide involontaire par personne morale dans le cadre du travail, l'a condamnée au paiement d'une amende de 25 000 euros, a ordonné la confiscation des scellés et prononcé sur le volet civil, alors :

« 1°/ que, d'une part : le droit à un procès équitable implique de ne pas être placé dans une situation de net désavantage, de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et la possibilité d'interroger ou de faire interroger les témoins à charge et d'obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions ; qu'en considérant que la société Darbo n'avait pas été privée de son droit à un procès équitable en raison des atermoiements et des lenteurs du ministère public, lequel avait attendu plus d'an et demi après l'accident avant de requérir l'ouverture d'une information judiciaire, quand pourtant, en raison de l'obsolescence des preuves et de leur disparition successive, cet écoulement du temps l'avait privée de la possibilité de constituer efficacement sa défense et de bénéficier des garanties d'une procédure contradictoire à une époque où elle en aurait eu, concrètement, besoin, et l'avait placée dans un état de net déséquilibre par rapport à l'accusation, la cour d'appel a violé l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que, d'autre part : en considérant que la société Darbo n'avait pas été privée de son droit à un procès équitable en raison des atermoiements et des lenteurs du ministère public, qui avait attendu qu'elle soit placée en liquidation judiciaire pour requérir l'ouverture d'une information judiciaire, quand pourtant c'est quand cette entreprise était in bonis, que son usine était encore ouverte et que ses salariés et cadres étaient encore présents qu'il aurait pu être procédé aux actes d'instruction nécessaires et susceptibles de concourir à la manifestation de la vérité, la cour d'appel a, derechef, violé ce texte. »

Réponse de la Cour

8. Pour écarter le moyen tiré de la méconnaissance du droit à un procès équitable, l'arrêt attaqué énonce qu'il appartient au procureur de la République, en application des articles 1er, 40 et 41 du code de procédure pénale , de choisir la voie procédurale adaptée, d'apprécier la nécessité d'une ouverture d'information et, le cas échéant, de décider du moment de cette ouverture.

9. Les juges relèvent que le nombre des témoins à entendre et la nécessité d'une recherche complète et précise sur les causes de l'accident ont justifié que l'enquête soit poursuivie par des investigations conduites sous l'autorité d'un juge d'instruction.

10. Ils ajoutent que la société Darbo a été destinataire dès le 29 mai 2015 du rapport établi à la demande de l'inspection du travail, lui donnant connaissance des non-conformités relevées sur l'encolleuse et du constat fait d'un entretien insuffisant de cette machine, et qu'elle a par conséquent été en mesure dès cette date de demander des actes complémentaires.

11. En statuant ainsi, la cour d'appel n'a pas méconnu le texte visé au moyen.

12. En effet, en premier lieu, la demanderesse ne saurait se faire un grief du seul fait de l'ouverture tardive d'une information judiciaire, dès lors que les dispositions des articles 75, 79 et 80 du code de procédure pénale qui confèrent au procureur de la République, lorsqu'il estime que les faits portés à sa connaissance constituent un délit, le pouvoir de choisir le mode de poursuite, ne modifient pas le déroulement du procès pénal et ne privent pas la personne d'un procès juste et équitable, celle-ci, quant au respect des droits de la défense, ayant devant la juridiction saisie, qui apprécie souverainement la valeur des éléments de preuve qui lui sont soumis, des garanties équivalentes à celles dont elle bénéficie à partir de l'ouverture d'une information.

13. En second lieu, la demanderesse n'a saisi les juges d'aucun moyen alléguant l'impossibilité, du fait du temps écoulé, de discuter la valeur et la portée d'un élément de preuve déterminé, ni d'aucune demande de supplément d'information.

14. Dès lors, le moyen doit être écarté.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

15. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société Darbo coupable d'homicide involontaire par personne morale dans le cadre du travail, faits commis à [Localité 2], [Adresse 1], entreprise Darbo SAS, le 15 avril 2015, alors « que la formation de jugement doit, pour pouvoir retenir la responsabilité pénale d'une personne morale, identifier l'organe ou le représentant de celle-ci par le truchement duquel le délit est réputé avoir été commis, en respectant, le cas échéant, les termes de l'ordonnance de renvoi en vertu de laquelle elle a été saisie ; qu'en retenant que le représentant de la société Darbo qui aurait commis l'infraction reprochée à celle-ci et qui aurait engagé sa responsabilité pénale était M. [V], quand pourtant non seulement l'ordonnance du juge d'instruction, qui avait retenu que « l'information judiciaire n'a pas permis de déterminer la personne physique qui assumait la responsabilité du respect des règles d'hygiène et de sécurité au sein de la SAS Darbo le 15 avril 2015 », avait prononcé un non-lieu à l'égard de ce même M. [V], mais avait considéré, précisément, qu'il n'était pas établi que celui-ci aurait commis les faits infractionnels reprochés à la personne morale, la cour d'appel a méconnu les termes de l'ordonnance de renvoi et a violé les articles 388 du Code de procédure pénale et 121-2 du Code pénal . »

Réponse de la Cour

16. Pour déclarer la prévenue coupable d'homicide involontaire, la cour d'appel, après avoir caractérisé la matérialité d'un manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, énonce que M. [P] [V] exerçait au jour de l'accident les fonctions de directeur général et était à ce titre le représentant de la société en charge du bon fonctionnement des outils de production utilisés par les travailleurs placés sous sa direction, quand bien même il n'aurait pas accepté de signer la délégation de pouvoir proposée par la société mère Tafisa France.

17. Les juges en déduisent que bien que sa responsabilité pénale personnelle n'ait finalement pas été recherchée, M. [V] a, en tant que représentant de la société Darbo, agi pour le compte de cette dernière, qui, par son intermédiaire, a commis les négligences fautives ayant entraîné la mort de [X] [R].

18. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

19. En effet, en premier lieu, l'ordonnance de non-lieu ne lie pas la juridiction de jugement, qui peut retenir la personne bénéficiaire d'une telle décision comme organe ou représentant ayant agi pour le compte d'une personne morale condamnée.

20. En second lieu, les juges, qui étaient tenus d'effectuer eux-mêmes cette recherche sans s'arrêter à l'incertitude résultant des termes de l'ordonnance de renvoi, au besoin à l'aide d'un supplément d'information, ont, appréciant souverainement les faits débattus devant eux, sans insuffisance ni contradiction et sans excéder leur saisine, identifié le représentant de la personne morale prévenue ayant commis l'infraction pour le compte de cette dernière.

21. Ainsi, le moyen doit être écarté.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

22. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné la société Darbo à une amende de 25 000 euros, sans dispense de peine, alors « que lorsqu'une peine d'amende est prononcée, son montant est déterminé en tenant compte de la situation matérielle, des ressources et des charges de l'auteur de l'infraction ; qu'en se fondant sur des considérations, inopérantes, tirées de la responsabilité personnelle pour faute des dirigeants de la société Darbo pour s'abstenir de rechercher, concrètement, si l'amende de 25 000 € qu'elle infligeait à cette entreprise, fragilisée économiquement et en état de liquidation judiciaire, était proportionnée au regard de sa situation matérielle, de ses ressources et de ses charges, la cour d'appel a violé l' article 132-20 du Code pénal . »

Réponse de la Cour

23. Pour condamner la société Darbo à 25 000 euros d'amende, l'arrêt attaqué énonce que la gravité des faits doit être soulignée, s'agissant de manquements aux règles de sécurité et de prudence concernant le maintien en conformité du système de sécurité d'une machine dont le fonctionnement créait un risque mortel.

24. Les juges relèvent qu'elle a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce du 7 septembre 2016 puis en liquidation judiciaire par jugement du 24 octobre 2016, la procédure étant toujours en cours à la date du 8 mars 2021.

25. Ils constatent qu'il résulte du rapport de liquidation judiciaire transmis par le président du tribunal de commerce au juge d'instruction que le passif important de la prévenue résulte de fautes de gestion commises par ses dirigeants, contre lesquels une mesure de faillite personnelle est demandée, ainsi qu'une condamnation solidaire à payer tout ou partie de l'insuffisance d'actif constatée.

26. Ils ajoutent qu'au regard de la gravité des faits et de leurs conséquences, il y a lieu de rejeter la demande de dispense de peine.

27. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître les dispositions visées au moyen.

28. En effet, il résulte du constat de la liquidation judiciaire, qui implique nécessairement une cessation définitive d'activité, un chiffre d'affaire actuel inexistant et un passif exigible excédant l'actif disponible et figé par les déclarations de créances, une prise en compte suffisante des ressources et charges de la prévenue.

29. Dès lors, le moyen doit être écarté.

30. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 2 500 euros la somme globale que la société Legrand, agissant en qualité de mandataire liquidateur de la société Darbo, devra payer à Mmes [I] [H], [B] [R], [E] [R], [D] [R], MM. [K] [R], [Y] [H] et [L] [H] en application de l' article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre octobre deux mille vingt-trois.