Cass. crim., 13 décembre 2023, n° 23-80.246
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [J] [U] et Mme [Y] [L] ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel, le premier, pour abus de confiance au préjudice de l'association Cercle du progrès de Beaudinard, la seconde, pour abus de confiance au préjudice de la même victime et travail dissimulé par dissimulation de salarié.
3. Par jugement du 7 juin 2021, le tribunal les a déclarés coupables des faits poursuivis.
4. En répression, il les a condamnés à dix mois d'emprisonnement avec sursis et cinq ans d'interdiction de gérer.
5. Le tribunal a par ailleurs ordonné des confiscations.
6. Enfin, le tribunal a reçu la constitution de partie civile de l'association et a renvoyé l'affaire sur intérêts civils.
7. M. [U] et Mme [L], puis le ministère public, ont interjeté appel de la décision.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen et le troisième moyen, pris en sa première branche
8. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l' article 567-1-1 du code de procédure pénale .
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a refusé de renvoyer l'affaire de M. [U] et Mme [L], épouse [U] à une audience ultérieure, alors « que toute personne poursuivie qui ne souhaite pas se défendre elle-même a droit à l'assistance d'un avocat de son choix, cette assistance devant constituer un droit concret et effectif ; que les juges ne peuvent, sans motiver leur décision, refuser le renvoi d'une affaire, sollicité par cette personne en raison de l'absence de l'avocat choisi ; que s'ils sont souverains pour décider ou non de renvoyer l'affaire à une audience ultérieure, leur décision ne peut reposer sur des motifs erronés, insuffisants ou contradictoires ; qu'en retenant que la demande de renvoi adressée par l'avocate des époux [U] n'est parvenue au greffe que le 31 octobre 2022, jour férié, de sorte que la cour n'en aurait eu connaissance que le 1er novembre, veille de l'audience fixée au lendemain et qu'en conséquence la demande est tardive, quand une demande de renvoi, tant qu'elle est formulée au plus tard à l'audience, ne peut jamais être tardive, la cour d'appel, qui s'est par ailleurs contredite en retenant que la demande de renvoi serait parvenue le 31 octobre 2022 qui n'est pas un jour férié, a violé les articles 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire et 593 du code de procédure pénale. ».
Réponse de la Cour
10. Pour rejeter la demande de renvoi, l'arrêt attaqué relève que l'avocat des prévenus a sollicité, par courrier électronique adressé au greffe le samedi 29 octobre 2022, le renvoi de l'affaire fixée à l'audience du mercredi 2 novembre 2022, au motif que ses clients venaient de le désigner, et que, le lundi 31 octobre 2022 étant un jour férié, cette demande de renvoi est effectivement parvenue à la juridiction le premier jour ouvrable suivant, soit le mardi 1er novembre 2022, c'est-à-dire la veille de l'audience.
11. Les juges ajoutent que les prévenus ont interjeté appel en juin 2021 et qu'ils ont été cités le 4 octobre 2022 afin de comparaître devant la cour d'appel à l'audience du 2 novembre 2022, et, qu'ayant été cités plus de quatre semaines avant l'audience, leur demande de renvoi, transmise la veille de l'audience, motivée uniquement par un changement d'avocat de dernière minute, est tardive et doit être rejetée.
12. Ils énoncent enfin qu'un renvoi serait contraire à l'intérêt d'une bonne administration de la justice en ce qu'il rallongerait de plusieurs mois le délai de jugement en appel, non seulement de la présente affaire, mais aussi des autres affaires dont celle-ci prendrait la place à une audience ultérieure.
13. C'est à tort que la cour d'appel énonce que le 31 octobre 2022 était un jour férié.
14. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure, dès lors qu'en rejetant la demande de renvoi au motif que celle-ci était tardive au regard de la date de la citation et des nécessités d'une bonne administration de la justice, tous motifs procédant de son appréciation souveraine, la cour d'appel a justifié sa décision.
15. Ainsi le moyen doit être écarté.
Sur le troisième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
16. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [U] et Mme [L], épouse [U] coupables d'abus de confiance pour la période du 1er janvier 2012 au 1er octobre 2015, pour avoir détourné le véhicule appartenant à l'association Cercle du progrès de Beaudinard, alors :
« 2°/ que l'utilisation du véhicule mis à disposition et le défaut de restitution de ce véhicule et ne peut suffire à caractériser le détournement, élément essentiel du délit d'abus de confiance ; qu'en retenant que les époux [U] ont utilisé le véhicule de l'association pour voyager en Espagne et qu'ils auraient volontairement omis de le restituer malgré la demande faite en ce sens par le président de l'association, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé le détournement du véhicule par les époux [U], a violé l' article 314-1 du code pénal ;
3°/ que faute d'avoir caractérisé la volonté des époux [U] de s'approprier le véhicule en cause, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 314-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale . »
Réponse de la Cour
17. Pour déclarer les prévenus coupables d'abus de confiance, l'arrêt relève que le véhicule de l'association a été confié aux prévenus afin qu'ils l'utilisent dans l'intérêt de celle-ci, à savoir afin que Mme [L] puisse aller faire des achats pour approvisionner le bar de l'association et que M. [U] puisse aller déposer les recettes de l'association à la banque.
18. Les juges relèvent cependant que les prévenus admettent avoir utilisé le véhicule pour rentrer chez eux et que, s'ils ne reconnaissent pas l'avoir utilisé pour partir en vacances en Espagne, ils ne s'expliquent pas sur les constatations effectuées par un huissier sur le GPS du véhicule, dont il ressort que celui-ci a été utilisé en Espagne, où les prévenus confirment être allés en vacances en famille à plusieurs reprises aux périodes considérées.
19. Ils énoncent encore que les prévenus ne justifient pas avoir restitué ce véhicule alors qu'ils ne contestent pas que le représentant de l'association en a demandé la restitution à Mme [L] dès le 30 mai 2015, puis à nouveau après avoir déposé plainte pour le vol du véhicule puis licencié l'intéressée en juin 2015, les prévenus se bornant à alléguer que cette dernière aurait déposé le véhicule sur le parking de l'association en laissant les clés à l'intérieur, et ce à une date indéterminée en mai 2015, et ne fournissant aucune explication particulière au fait que ce véhicule a été retrouvé, le 1er octobre 2015, près de leur ancien domicile qui est également celui des parents de M. [U].
20. Les juges en concluent que les prévenus ont détourné le véhicule qui leur avait été confié à charge d'en faire un usage déterminé puis de le rendre à l'association, ces derniers ayant délibérément omis de restituer ce véhicule.
21. En l'état de ces énonciations, dont il ressort que les demandeurs n'ont pas seulement omis de restituer le véhicule, mais l'ont détourné en se l'appropriant pendant quatre mois, en dépit de deux demandes de restitution demeurées sans effet, la possession n'ayant cessé qu'en raison de la découverte du véhicule par les services de police, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître les textes visés au moyen.
22. Ainsi le moyen doit être écarté.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
23. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré Mme [L], épouse [U] coupable de travail dissimulé, alors « que seul l'employeur peut être poursuivi et condamné pour travail dissimulé ; que lorsque l'employeur est une personne morale les poursuites peuvent être dirigées contre son dirigeant de droit ou de fait ; que la gérance de fait est caractérisée par une activité positive de gestion et de direction en toute liberté de l'entreprise ; qu'en se bornant à relever que Mme [U], salariée de l'association, avait la charge du service au bar, activité à l'occasion de laquelle elle percevait des règlements en espèces et en chèques qu'elle remettait à son mari, qu'elle conduisait le véhicule de l'association pour effectuer des achats et qu'elle avait concrètement demandé à Mme [E] de venir travailler en son absence, autant de circonstances impropres à caractériser une quelconque gérance de fait de la part de Mme [U], la cour d'appel n'a pas justifié son arrêt au regard des articles L. 8221-5 du code du travail et 593 du code de procédure pénale . »
Réponse de la Cour
24. Pour déclarer Mme [L] coupable du délit de travail dissimulé pour lequel elle était poursuivie en qualité de gérante de fait de l'association Cercle du progrès de Beaudinard, l'arrêt relève notamment qu'il ressort des déclarations concordantes de deux témoins que Mme [R] [E] a été embauchée en avril 2015 par Mme [L], laquelle la rémunérait avec des espèces prises dans la caisse du bar.
25. Les juges ajoutent qu'il est indifférent que le choix de recruter Mme [E], plutôt qu'une autre serveuse, ait été approuvé par la gestionnaire du bar, dès lors que ce n'est pas elle qui a procédé à cette embauche et qu'il ressort des témoignages recueillis que c'était M. [U] et Mme [L] qui étaient décisionnaires au sein de l'association jusqu'en mai 2015.
26. Ils précisent enfin qu'il est par ailleurs établi et non contesté que la déclaration préalable à l'embauche de Mme [E] n'a été effectuée qu'en mai 2015 par le nouveau président de l'association.
27. En se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui a retenu que M. [U] et Mme [L] exerçaient le pouvoir de décision au sein de l'association Cercle du progrès de Beaudinard, et constaté que la prévenue avait procédé à l'embauche et à la rémunération de Mme [E], tous éléments propres à établir la gestion de fait mentionnée à la prévention, a justifié sa décision sans méconnaître aucun des textes visés au moyen.
28. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du treize décembre deux mille vingt-trois.