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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 15 mai 2024, n° 22/12917

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

LeKiosque.fr (SAS)

Défendeur :

L’Equipe (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bodard-Hermant

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

T. com. Paris, du 30 juin 2022

30 juin 2022

FAITS ET PROCEDURE

Les parties

La SAS Le Kiosque.fr, créée en décembre 2006, exerce sous le nom commercial Cafeyn une activité de distribution de titres de presse en format numérique (PDF, articles et audio). Elle exploite pour les besoins de cette activité le site internet accessible via le nom de domaine cafeyn.co, dont elle est l'éditrice, et l'application Cafeyn, kiosque de presse numérique, et propose ainsi la lecture de nombreux titres de journaux et de magazines en illimité (environ 1 600 titres) sur tous supports (ordinateur, tablette et téléphone mobile), contre le paiement d'un abonnement décliné selon trois offres :

- une offre BtoC (pour les consommateurs) consistant en un abonnement mensuel global à prix fixe ;

- une offre BtoB (pour les professionnels et leurs salariés - entreprise, médiathèques...) dont le prix varie en fonction du catalogue et du niveau de service proposé ;

- une offre BtoBtoC accessible notamment via les sociétés de télécommunications qui proposent à leurs clients l'accès à Cafeyn dans leurs offres (SFR, Free, Bouygues Telecom, Cdiscount...) dont le prix varie également en considération du catalogue et du niveau de service.

Au printemps 2020, la SAS Le Kiosque.fr a acquis l'offre de presse de la société SFR et la plateforme de numérisation de journaux Milibris qui héberge la technologie permettant aux éditeurs de presse de diffuser le PDF de leur journal ou magazine en format liseuse à l'intégralité de leurs abonnés.

La SAS L'Equipe, qui appartient au groupe Amaury, est un éditeur de contenus de presse d'information sportive (générale et spécialisée), numérique et imprimée. Elle est, pour les besoins de cette activité, l'éditrice du site internet lequipe.fr et de la chaine de télévision L'Equipe TV ainsi que des magazines L'Equipe, quotidien d'information générale sportive (dit IGS), France Football (hebdomadaire puis mensuel à compter de juin 2021) et Vélo Magazine, mensuels spécialisés.

Les relations entre les parties

Le 29 mai 2017, la SAS L'Equipe et la SAS Le Kiosque.fr ont conclu un contrat de diffusion numérique de contenus portant sur les titres France Football et Vélo Magazine dans le cadre d'une offre Bouygues Telecom, pour une durée d'un an. En février 2018, les parties s'accordaient pour intégrer les contenus des titres France Football et Vélo Magazine aux offres BtoC, BtoB et BtoBtoC. Constatant le succès de cette opération, elles convenaient le 3 décembre 2018, d'élargir, pour une durée de 24 mois, soit jusqu'au 31 décembre 2020, le périmètre de distribution du titre L'Equipe aux offres BtoC et BtoBtoC de la SAS Le Kiosque.fr en contrepartie du versement de minima garantis de 225 000 euros la première année et de 300 000 euros la suivante.

A l'occasion de l'acquisition par la SAS Le Kiosque.fr de l'offre de presse SFR et de la plateforme Milibris, cette dernière, désireuse de conclure un contrat cadre portant sur les titres L'Équipe, L'Équipe Magazine, France Football et Vélo Magazine et sur toutes ses offres, a adressé à la SAS L'Equipe le 28 septembre 2020 un projet d'avenant au contrat de diffusion puis, en novembre 2020, un document intitulé "Deal Memo" définissant les conditions de leur partenariat globalisé jusqu'au 31 août 2021, ce terme étant tacitement prorogeable par tranches annuelles sauf dénonciation par lettre recommandée quatre mois avant sa survenance. Tandis que la SAS Le Kiosque.fr voit dans ce dernier un contrat formé, la SAS L'Equipe conteste y avoir consenti.

La naissance du litige et la procédure en référé

Par courriel du 18 décembre 2020, la SAS L'Equipe informait la SAS Le Kiosque.fr de sa volonté de ne pas poursuivre le contrat de diffusion à son terme dans un contexte de redéfinition de sa stratégie de commercialisation et de diffusion par abonnements plutôt que par téléchargements. Puis, par lettre du 22 janvier 2021, la première proposait "une résiliation amiable du contrat de distribution des titres du groupe L'Equipe", "hors réseaux SFR", à la seconde, qui s'y opposait par courrier du 3 février 2021.

Parallèlement à des relances portant sur des factures impayées qui étaient finalement honorées par la SAS Le Kiosque.fr, la SAS L'Equipe conditionnait, par courriel du 2 mars 2021, la poursuite de la distribution du titre L'Equipe sur "le périmètre actuel" au paiement d'une somme annuelle de 3 millions d'euros et à l'obtention d'une garantie bancaire. Le 19 mars 2021, la SAS L'Equipe refusait la proposition de moindre augmentation de sa rémunération faite par la SAS Le Kiosque.fr le 5 mars précédent et confirmait sa volonté de mettre un terme à la distribution du titre L'Equipe pour le canal SFR à compter du 31 août 2021 tout en acceptant de prolonger la distribution en exécution du contrat de diffusion jusqu'au 31 décembre 2021, position à nouveau exprimée dans son courrier du 16 avril 2021 visant une rupture d'un commun accord à laquelle s'opposait la SAS Le Kiosque.fr par lettre du 5 mai 2021.

Par courrier du 23 juin 2021 la SAS L'Equipe notifiait à la SAS Le Kiosque.fr la rupture de leurs relations à compter du 31 août 2021 pour le canal SFR et à compter du 31 décembre 2021 pour la distribution sur les canaux BtoC, BtoB Cafeyn, Telma et Digicel.

Après avoir, par courrier du 8 juillet 2021, vainement mis en demeure la SAS L'Equipe de respecter le terme du 31 août 2022 du contrat relatif à la distribution sur SFR et de reprendre les pourparlers de bonne foi, la SAS Le Kiosque.fr l'a assignée en référé devant le tribunal de commerce de Nanterre en sollicitant la poursuite de leurs relations qu'elle estimait globalisée en exécution du Deal Memo de novembre 2020.

Par arrêt du 28 octobre 2021, la cour d'appel de Versailles, infirmant l'ordonnance du 27 août 2021 du tribunal rejetant les demandes de la SAS Le Kiosque.fr, a ordonné à titre de mesure conservatoire la suspension des effets de la dénonciation unilatérale notifiée par la SAS L'Equipe par courrier du 23 juin 2021 "du contrat concernant la diffusion de ses titres sur le réseau SFR/Cafeyn" et la poursuite de l'exécution de cette convention dans les conditions définies dans le Deal Memo jusqu'à ce que la validité de cette résiliation fasse l'objet d'une décision définitive au fond, et au plus tard jusqu'au 31 août 2022, sauf nouvelle résiliation régulière. Le pourvoi formé contre cette décision était rejeté par arrêt du 22 juin 2022 de la Cour de cassation.

Ainsi, depuis le 1er septembre 2022, les titres de la SAS L'Equipe ne sont plus diffusés par la SAS Le Kiosque.fr qui a créé une offre Corner Sport constituée d'articles sportifs extraits de titres de presse déjà présents sur le catalogue Cafeyn et de contenus sportifs achetés auprès de groupes médias éditeurs de site internet.

L'introduction de l'instance et l'avis de l'Autorité de la concurrence

Reprochant à la SAS L'Equipe d'avoir tenté de lui imposer des tarifs excessifs sous la menace d'une rupture finalement notifiée abusivement et lui imputant de ce fait un abus de position dominante et des pratiques restrictives de concurrence sur le fondement des articles L 420-2, L 442-1 et L 442-4 du code de commerce et 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après, "le TFUE"), la SAS Le Kiosque.fr l'a, par acte d'huissier signifié le 26 octobre 2021, assignée devant le tribunal de commerce de Paris en sollicitant, à titre principal, la suspension de la résiliation du contrat de distribution et la reprise des pourparlers ayant pour objet la poursuite de leurs relations commerciales et, subsidiairement, l'indemnisation de ses préjudices.

Par ordonnance du 25 octobre 2021 portant autorisation d'assigner à bref délai sur le fondement de l'article 858 du code de procédure civile, le délégataire du président du tribunal de commerce de Paris a, sur le fondement des articles R 153 et suivants du code de commerce, permis à la SAS Le Kiosque.fr de ne pas signifier sa pièce 26, protégée au titre du secret des affaires, avec l'assignation, à charge pour cette dernière d'en permettre la consultation par l'avocat de la SAS L'Equipe chez son propre conseil.

Par jugement du 30 juin 2022, le tribunal de commerce de Paris a statué en ces termes :

- "Déboute la SAS LEKIOSQUE.FR de sa demande principale d'enjoindre à la SAS L'EQUIPE de négocier la reconduction des contrats de distribution ;

- Déboute la SAS LEKIOSQUEFR de toutes ses demandes de condamnation au titre de l'abus de position dominante et de réparation de préjudices et de ses demandes autres, plus amples et contraires ;

- Déboute la SAS L'EQUIPE de ses demandes reconventionnelles ;

- Condamne la SAS LEKIOSQUE.FR à payer à la SAS L'EQUIPE 15.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

- Condamne la SAS LEKIOSQUE.FR aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 70,86 € dont 11,60 € de TVA".

Par déclaration reçue au greffe le 28 juillet 2022, la SAS Le Kiosque.fr a interjeté appel de ce jugement.

Par arrêt du 14 décembre 2022 avant-dire droit sur l'existence d'un abus de position dominante de la SAS L'Equipe, la cour d'appel de Paris a, au visa de l'article L 462-3 du code de commerce et en sursoyant à statuer sur les autres demandes présentées dans l'attente de l'avis sollicité, consulté l'Autorité de la concurrence pour avis sur les points suivants :

- la définition du marché amont pertinent sur lequel la SAS L'Equipe est prétendument en position dominante et le marché aval pertinent sur lequel les pratiques alléguées par la SAS Le Kiosque.fr auraient été commises ;

- la détermination d'une position dominante de la SAS L'Equipe sur le marché aval défini.

L'Autorité de la concurrence a conclu, dans son avis 23-A-11 du 12 juillet 2023, que :

- en premier lieu, sur la définition des marchés pertinents :

* à l'amont, le marché pertinent sur lequel la SAS L'Equipe est active est le marché de dimension nationale de la presse quotidienne d'information sportive ;

* à l'aval, la SAS Le Kiosque.fr est active sur le marché des kiosques numériques, de dimension nationale et distinct du marché de l'exploitation de sites éditoriaux portant sur la thématique du sport, de dimension nationale, sur lequel la SAS L'Equipe est active à travers le site lequipe.fr ;

- en second lieu, sur la détermination de la position dominante de la SAS L'Equipe sur le marché aval, cette dernière ne détient pas, au sens des articles 102 TFUE et L 420-2 du code de commerce, une position dominante sur le marché de l'exploitation de sites éditoriaux relatifs à la thématique du sport. En revanche, s'agissant de trois des quatre pratiques alléguées dans le cadre du litige au principal, la SAS L'Equipe est susceptible de détenir une position dominante sur le marché amont de la presse quotidienne nationale d'information sportive.

Les prétentions des parties

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 16 février 2024, la SAS Le Kiosque.fr demande à la cour :

- d'infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a :

* débouté la SAS Le Kiosque.fr de sa demande principale d'enjoindre à la SAS L'Equipe de négocier la reconduction des contrats de distribution ;

* débouté la SAS Le Kiosque.fr de toutes ses demandes de condamnation au titre de l'abus de position dominante et de réparation de préjudices et de ses autres demandes ;

* condamné la SAS Le Kiosque.fr à payer à la SAS L'Equipe 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

* condamné la SAS Le Kiosque.fr aux dépens ;

- statuant à nouveau, de juger que la SAS L'Equipe a commis un abus de position dominante dans l'exécution du contrat de distribution conclu avec la SAS Le Kiosque.fr, et de juger que la SAS L'Equipe a commis une pratique restrictive de concurrence au préjudice de la SAS Le Kiosque.fr ;

- en conséquence, sur l'injonction de négocier de bonne foi :

* d'ordonner à la SAS L'Equipe de reprendre l'exécution du contrat de distribution du 25 novembre 2020 dans l'attente des mesures ci-après ;

* d'enjoindre aux deux parties de reprendre les pourparlers en vue de s'accorder sur la poursuite de leurs relations commerciales antérieures selon des conditions transparentes, objectives et non discriminatoires ;

* à cette fin, d'ordonner à la SAS L'Equipe :

° dans les huit jours de la signification de l'arrêt à intervenir, d'adresser à la SAS Le Kiosque.fr les éléments d'information nécessaires à une évaluation transparente de la rémunération due ;

° dans les huit jours de la signification de l'arrêt à intervenir, d'adresser à la SAS Le Kiosque.fr une offre pour la distribution de son titre qui soit loyale, transparente et non discriminatoire ;

° de conduire les négociations de bonne foi visées ci-dessus pendant un délai de 6 mois à partir de l'ouverture desdites négociations matérialisée par une lettre recommandée avec demande d'avis de réception confirmée sous forme électronique adressée par la SAS Le Kiosque.fr à la SAS L'Equipe au plus tard dans les quinze jours suivant la réception des éléments d'information visés ci-dessus ;

° d'assortir la décision à intervenir d'une astreinte de 100 000 euros par jour de retard à compter du 8ème jour après la signification à partie ;

- sur la réparation du préjudice, de :

* condamner la SAS L'Equipe à payer à la SAS Le Kiosque.fr la somme de 2 600 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la résiliation du contrat Cdiscount ;

* condamner la SAS L'Equipe à payer à la SAS Le Kiosque.fr la somme de 923 311 euros en réparation du préjudice subi du fait de la réduction de la rémunération par SFR ;

* condamner la SAS L'Equipe à payer à la SAS Le Kiosque.fr la somme de 1 859 348 euros en réparation du préjudice subi du fait des résiliations aux abonnements Cafeyn sur le canal SFR via l'offre Upsell entre le 1er septembre 2022 et le 28 février 2024 ;

* condamner la SAS L'Equipe à payer à la SAS Le Kiosque.fr la somme de 720 000 euros en réparation du préjudice subi du fait des désabonnements sur le canal BtoC entre le 1er septembre 2022 et le 31 décembre 2022 ;

* condamner la SAS L'Equipe à payer à la SAS Le Kiosque.fr la somme de 2 100 000 euros en réparation du préjudice subi du fait du ralentissement de la croissance du parc d'abonnés sur le canal BtoC entre le 1er septembre 2022 et le 28 février 2024 ;

* condamner la SAS L'Equipe à payer à la SAS Le Kiosque.fr la somme de 23 420 euros en réparation du préjudice subi correspondant à l'application de la "remise L'Equipe" par lekiosque.fr à son client BtoB Air-France ;

* condamner la SAS L'Equipe à payer à la SAS Le Kiosque.fr la somme de 2 050 000 euros en réparation du préjudice subi du fait du ralentissement de la croissance sur le canal BtoB entre le 1er septembre 2022 et le 28 février 2024 ;

* condamner la SAS L'Equipe à payer à la SAS Le Kiosque.fr la somme de 400 000 euros au titre du surcoût correspondant à la campagne marketing d'acquisition ;

* condamner la SAS L'Equipe à payer à la SAS Le Kiosque.fr la somme de 114 000 euros au titre des surcoûts salariaux supportés pour la gestion de la sortie du titre L'Equipe ;

* condamner la SAS L'Equipe à payer à la SAS Le Kiosque.fr la somme de 173 394 euros au titre des coûts pour la procédure devant l'Autorité de la concurrence ;

* condamner la SAS L'Equipe à payer à la SAS Le Kiosque.fr la somme de 1 300 000 euros au titre des dommages et intérêts en réparation du préjudice d'image subi ;

- sur les demandes reconventionnelles de la SAS L'Equipe, de :

* à titre principal, confirmer la décision du tribunal de commerce du 30 juin 2022 en ce qu'elle a jugé que les demandes reconventionnelles de la SAS L'Equipe ne se rattachaient pas par un lien suffisant avec les demandes de la SAS Le Kiosque.fr et a "débouté la SAS L'Equipe de ses demandes reconventionnelles" ;

* à titre subsidiaire, juger nulles les demandes reconventionnelles de la SAS L'Equipe ;

* à titre infiniment subsidiaire, rejeter les demandes reconventionnelles de la SAS L'Equipe ;

- en tout état de cause :

* d'ordonner que la décision à intervenir soit publiée dans une version non-confidentielle occultant (i) les montants financiers versés par la SAS Le Kiosque.fr à la SAS L'Equipe au cours de leur relation commerciale (ii) toutes les informations financières produites par la SAS Le Kiosque.fr relatives à son modèle économique (iii) les montants reçus par la SAS Le Kiosque.fr au titre des contrats conclus avec ses partenaires ;

* condamner la SAS L'Equipe à payer à la SAS Le Kiosque.fr la somme de 120 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

* condamner la SAS L'Equipe aux entiers dépens de la présente instance.

En réponse, dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 19 février 2024, la SAS L'Equipe demande à la cour, au visa des articles 1er et 3 de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 dite loi Bichet, 11 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, L 420-2, L 420-3, L 442-1, L 442-4 et R 153-2 et suivants du code de commerce, 102 du TFUE, 1240 du code civil, L 111-2, 121-2, 132-2 et suivants du code de la consommation, 4 du règlement 2016/679 du 27 avril 2016 dit RGPD, 1302-1 et suivants du code civil, 70, 15 et 16 du code de procédure civile et 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (ci-après, "la CESDH") :

- de dire recevable la SAS L'Equipe en toutes ses demandes ;

- l'y déclarant bien fondée, d'écarter des débats les pièces adverses n° 26, 26bis, 71 et 72, 78, 81 produites au mépris des articles 15 et 16 du code de procédure civile et 6§1 de la CESDH et R 153-2 et suivants du code de commerce ;

- de débouter la SAS Le Kiosque.fr de son appel et de toutes ses demandes ;

- en conséquence, de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SAS Le Kiosque.fr de l'ensemble de ses demandes, sauf à lui substituer les motifs de la cour sur l'absence de position dominante ;

- à titre subsidiaire, de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SAS Le Kiosque.fr de l'ensemble de ses demandes ;

- au titre de l'appel incident de la SAS L'Equipe, d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SAS L'Equipe de ses demandes reconventionnelles ;

- statuant à nouveau de ces chefs, de :

* dire la SAS L'Equipe recevable et bien fondée en ses demandes reconventionnelles ;

* débouter la SAS Le Kiosque.fr de toutes ses demandes ;

* dire qu'il existe un lien suffisant entre les demandes principales et les demandes reconventionnelles ;

* en conséquence, dire que la SAS L'Equipe a valablement mis fin aux deux relations commerciales qu'elle entretenait avec la SAS Le Kiosque.fr - la relation commerciale LKI d'une part et la relation commerciale Presse by Cafeyn (SFR) d'autre part ;

* sur la relation commerciale LKI, dire que la relation commerciale LKI a pris fin au 31 décembre 2021 ;

* sur la relation commerciale Presse by Cafeyn (SFR) :

° à titre principal, dire que la relation commerciale Presse by Cafeyn (SFR) a pris fin le 31 août 2021 ;

° à titre subsidiaire, dire que la relation commerciale Presse by Cafeyn (SFR) a pris fin le 31 août 2022 ;

- en tout état de cause :

* de condamner la SAS Le Kiosque.fr à payer à la SAS L'Equipe la somme de 500 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'atteinte portée par la SAS Le Kiosque.fr à l'image de marque de la SAS L'Equipe par la diffusion illicite de ses contenus au-delà de l'échéance de leurs relations commerciales, et ce sans autorisation, par application de l'article 1240 du code civil ;

* de condamner la SAS Le Kiosque.fr à payer à la SAS L'Equipe la somme de 500 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du non-respect par la SAS Le Kiosque.fr de réglementations notamment de protection des consommateurs, constitutifs d'actes de concurrence déloyale par application de l'article 1240 du code civil ;

* de condamner la SAS Le Kiosque.fr à restituer sur minute de l'arrêt à intervenir la somme de 9 000 000 d'euros perçue indument au détriment de la SAS L'Equipe pendant deux ans dans le cadre des relations commerciales Presse by Cafeyn (SFR) par application des articles 1302-1 et suivants du code civil ;

* d'ordonner à la SAS Le Kiosque.fr de publier, à ses frais, dans les 5 jours ouvrés suivant le prononcé de l'arrêt à intervenir sur minute de la décision, un communiqué reprenant les termes de la condamnation à l'interdiction faite à la SAS Le Kiosque.fr d'utiliser et de diffuser de quelque manière que ce soit les contenus de la SAS L'Equipe au-delà de l'échéance des relations commerciales telles que fixées par l'arrêt dans une publication de presse quotidienne nationale d'information politique et générale ;

* d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il n'a retenu la condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile de la SAS Le Kiosque.fr qu'à hauteur de 15 000 euros ;

* statuant à nouveau de ce chef, de condamner la SAS Le Kiosque.fr à payer à la SAS L'Equipe la somme de 50 000 euros au titre de l'indemnité par application de l'article 700 du code de procédure civile pour la première instance ;

- en tout état de cause, de :

* condamner la SAS Le Kiosque.fr à payer à la SAS L'Equipe la somme de 150 000 euros au titre de l'indemnité par application de l'article 700 du code de procédure civile pour la défense de la SAS L'Equipe pour la procédure d'appel incluant la procédure d'avis devant l'Autorité de la concurrence ;

* condamner la SAS Le Kiosque.fr aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

* débouter la SAS Le Kiosque.fr de son appel et de l'ensemble de ses demandes.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 février 2024. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l'arrêt sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile.

MOTIVATION

1°) Sur la recevabilité des pièces, leur confidentialité et la confidentialisation de l'arrêt

a) Sur la recevabilité des pièces 26, 26 bis, 71 et 72, 78, 81 de la SAS Le Kiosque.fr et le secret des affaires

Moyens des parties

La SAS L'Equipe soutient que, en violation des articles R 153 du code de commerce et 15 et 16 du code de procédure civile (ainsi que 6§1 de la CESDH dans le dispositif de ses écritures sans explication spécifique), la SAS Le Kiosque.fr a soustrait du débat contradictoire ses pièces 26, 26 bis, 58, 71, 78, et 81 censées fournir des évaluations de ses préjudices mais qui ne sont pas étayées par des données claires et vérifiables.

En réponse, la SAS Le Kiosque.fr explique que le tribunal de commerce lui a accordé la protection au titre du secret des affaires concernant sa pièce 26 qui a été, avec sa pièce 26 bis, consultées par le conseil de la SAS L'Equipe conformément aux dispositions des articles R 153 et suivants du code de commerce. Elle ajoute que ses pièces 71 (attestation certifiée par son expert-comptable) et 72 (attestation actualisée de son directeur administratif et financier), produites devant la Cour, visent les mêmes informations actualisées que celles contenues dans ses pièces 26 et 26 bis et bénéficient de ce fait, "par extension", de la protection au titre du secret des affaires accordée par le tribunal de commerce.

Réponse de la cour

Sur le secret des affaires

En vertu de l'article L 153-1 du code de commerce, lorsque, à l'occasion d'une instance civile ou commerciale ayant pour objet une mesure d'instruction sollicitée avant tout procès au fond ou à l'occasion d'une instance au fond, il est fait état ou est demandée la communication ou la production d'une pièce dont il est allégué par une partie ou un tiers ou dont il a été jugé qu'elle est de nature à porter atteinte à un secret des affaires, le juge peut, d'office ou à la demande d'une partie ou d'un tiers, si la protection de ce secret ne peut être assurée autrement et sans préjudice de l'exercice des droits de la défense :

1° Prendre connaissance seul de cette pièce et, s'il l'estime nécessaire, ordonner une expertise et solliciter l'avis, pour chacune des parties, d'une personne habilitée à l'assister ou la représenter, afin de décider s'il y a lieu d'appliquer des mesures de protection prévues au présent article ;

2° Décider de limiter la communication ou la production de cette pièce à certains de ses éléments, en ordonner la communication ou la production sous une forme de résumé ou en restreindre l'accès, pour chacune des parties, au plus à une personne physique et une personne habilitée à l'assister ou la représenter ;

3° Décider que les débats auront lieu et que la décision sera prononcée en chambre du conseil ;

4° Adapter la motivation de sa décision et les modalités de publicité de celle-ci aux nécessités de la protection du secret des affaires.

Si l'article L 153-2 du code de commerce in fine, précise que l'obligation de confidentialité perdure par principe à l'issue de la procédure, cette survivance ne concerne que l'obligation s'imposant aux parties ayant eu accès à une pièce confidentielle et non les modalités de protection judiciairement décidées pour les besoins d'une instance déterminée, l'appel engageant une nouvelle instance ainsi que l'induit l'article 561 du code de procédure civile (en ce sens, Ass. Plén, 3 avril 1962, n° 61-10.142). Aussi, la protection accordée par le délégataire du président du tribunal de commerce dans son ordonnance du 25 octobre 2021 portant par ailleurs autorisation d'assigner à bref délai ne vaut que pour l'instance achevée par le jugement du 30 juin 2022 et a cessé de produire ses effets à la date de son prononcé.

En l'absence de demande formée en cause d'appel à ce titre et respectant les dispositions des articles R 153-2 et suivants du code de commerce, ni la pièce 26, initialement concernée, ni les autres pièces litigieuses "par extension", ne bénéficient de la protection accordée en première instance.

Sur la recevabilité des pièces

En application des articles 15, 16 et 132 du code de procédure civile, les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense, la partie qui fait état d'une pièce s'obligeant à la communiquer spontanément à toute autre partie à l'instance et le juge devant, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

La SAS L'Equipe ne conteste pas que son conseil, qui n'est pas lié par l'obligation de confidentialité visée à l'article L 153-2 du code de commerce à son égard faute de mise en œuvre des dispositions de l'article L 153-1 1° du même code, a pu consulter les pièces litigieuses dans un délai suffisant pour les appréhender et en discuter utilement les termes ou les carences. En outre, sa contestation ne porte pas tant sur leurs conditions d'obtention, de production ou de communication que sur le fait qu'elles "n'apportent aucun des éléments comptables et financiers minimaux requis pour permettre un quelconque débat contradictoire, [qu'elles] sont truffées d'imprécisions et de contradictions avec d'autres pièces versées à la procédure" et qu'elles "sont [ainsi] dépourvues de toute valeur probante" (page 96 de ses écritures). Or, le défaut de force probante d'une pièce, qu'il découle de l'impossibilité de son exploitation, de sa nature, de ses incohérences ou de la qualité de son auteur, n'est pas cause de son irrecevabilité ou de sa "mise à l'écart des débats", mais exclusivement de son inaptitude, qui doit être appréciée au fond, à établir contradictoirement la réalité des faits sur lesquels elle porte et à emporter la conviction du juge.

Aussi, la pertinence et la valeur probatoires de chaque pièce seront examinées au stade des moyens de fait et de droit qu'elle appuie et la demande d'écartement de pièces sera, en tant que telle, rejetée.

b) Sur la confidentialisation de l'arrêt

En vertu de l'article L 153-1 4° du code de commerce, lorsque, à l'occasion d'une instance civile ou commerciale ayant pour objet une mesure d'instruction sollicitée avant tout procès au fond ou à l'occasion d'une instance au fond, il est fait état ou est demandée la communication ou la production d'une pièce dont il est allégué par une partie ou un tiers ou dont il a été jugé qu'elle est de nature à porter atteinte à un secret des affaires, le juge peut, d'office ou à la demande d'une partie ou d'un tiers, si la protection de ce secret ne peut être assurée autrement et sans préjudice de l'exercice des droits de la défense, adapter la motivation de sa décision et les modalités de publicité de celle-ci aux nécessités de la protection du secret des affaires.

Et, en application de l'article R 153-10 du code de commerce, à la demande d'une partie, un extrait de la décision ne comportant que son dispositif, revêtu de la formule exécutoire, peut lui être remis pour les besoins de son exécution forcée. Une version non confidentielle de la décision, dans laquelle sont occultées les informations couvertes par le secret des affaires, peut être remise aux tiers et mise à la disposition du public sous forme électronique.

La SAS Le Kiosque.fr demande que "la décision à intervenir soit publiée dans une version non-confidentielle occultant (i) les montants financiers versés par LEKIOSQUE.FR à L'Equipe au cours de leur relation commerciale (ii) toutes les informations financières produites par LEKIOSQUE.FR relative à son modèle économique (iii) les montants reçus par LEKIOSQUE.FR au titre des contrats conclus avec ses partenaires".

La SAS L'Equipe ne s'opposant pas à cette demande, la Cour, pour prévenir toute difficulté à ce titre, ne mentionnera pas les sommes versées en exécution des contrats liant les parties ou celles perçues par la SAS Le Kiosque.fr dans le cadre de relations commerciales avec des tiers. En revanche, la formulation étant trop floue pour identifier l'objet de cette demande, les données financières générales sur son "modèle économique" ne seront pas occultées, toutes les informations déjà rendues public lors du prononcé des décisions rendues entre les parties ne relevant par hypothèse plus du secret des affaires au sens de l'article L 153-2 du code de commerce in fine.

2°) Sur l'abus de position dominante

La SAS Le Kiosque.fr fonde cumulativement son action sur les dispositions des articles 102 du TFUE et L 420-2 du code de commerce.

Conformément à l'article 102 du TFUE, est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre Etats membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci. Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à :

a) imposer de façon directe ou indirecte des prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction non équitables,

b) limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs,

c) appliquer à l'égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence,

d) subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats.

Par ailleurs, en vertu de l'article L 420-1 du code de commerce, sont prohibées même par l'intermédiaire direct ou indirect d'une société du groupe implantée hors de France, lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à :

1° Limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ;

2° Faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ;

3° Limiter ou contrôler la production, les débouchés, les investissements ou le progrès technique ;

4° Répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement.

Et, en application de l'alinéa 1 de l'article L 420-2 du même code, est prohibée, dans les conditions prévues à l'article L 420-1, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées.

Aux termes de l'article 3§1 du règlement UE 1/2003 du 16 décembre 2002, lorsque les autorités de concurrence des Etats membres ou les juridictions nationales appliquent le droit national de la concurrence à une pratique abusive interdite par l'article 82 du traité (devenu 102 du TFUE), elles appliquent également ce dernier.

Aussi, l'abus de position dominante est régi cumulativement par les dispositions internes et du droit de l'Union européenne si l'abus est susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres, mais exclusivement par l'article L 420-2 du code de commerce si cette condition fait défaut et que seul le marché national français est concerné. Néanmoins, les conditions d'application de ces textes sont, hors ces effets, identiques, la caractérisation de la pratique supposant celle d'une position dominante d'une entreprise sur un marché, qui n'est pas critiquable en soi, et d'un abus de celle-ci. Ainsi que l'a précisé le Tribunal de l'Union (Volkswagen AG c. Commission, 6 juillet 2000, T-62/98, §230), "la définition adéquate du marché pertinent est une condition nécessaire et préalable au jugement porté sur un comportement prétendument anticoncurrentiel, puisque, avant d'établir l'existence d'un abus de position dominante, il faut établir l'existence d'une position dominante sur un marché donné, ce qui suppose que ce marché ait été préalablement délimité".

a) Sur le marché pertinent des produits et services

Moyens des parties

Au soutien de sa définition du marché amont, la SAS Le Kiosque.fr expose que L'Equipe est un titre de presse quotidienne nationale d'information sportive et que le marché pertinent comprend indistinctement l'édition de titres de presse en version numérique ou imprimée, à raison de la substituabilité des supports papiers et PDF du point de vue de l'offre comme de la demande, sans pour autant intégrer les sites internet ou applications numériques dérivées des titres de presse qui se distinguent des supports dématérialisés, son offre Corner Sport n'étant de ce fait pas un substitut à L'Equipe qui répond à un besoin ciblé de ses lecteurs. Elle ajoute que l'exploitation des sites éditoriaux en ligne (tels le site l'équipe.fr) constitue un marché distinct de la presse écrite (telle le titre L'Equipe).

En réponse, la SAS L'Equipe, soulignant l'ancienneté et l'inadéquation des données exploitées par la SAS Le Kiosque.fr qui concernent la presse papier étrangère aux pratiques litigieuses, explique que le marché pertinent est celui de l'exploitation de sites éditoriaux d'information générale et sportive en ligne (édition et diffusion), distinct du marché de l'édition de presse papier, support non substituable avec d'autres formats de presse, les sites éditoriaux adossés à un titre de presse écrite étant toutefois en concurrence avec les sites internet liés à d'autres médias (télévision ou radio) et les sites d'acteurs spécialisés de la presse en ligne. Elle ajoute que, concernant la production de contenus d'information générale et sportive en ligne, l'offre disponible (écrite, vidéo et audio) s'étend, du point de vue du consommateur de contenus, à plusieurs éditeurs de contenus généralistes et spécialisés fournissant une information en temps réel (médias traditionnels,pure players, Eurosport, Sports24 ou RMC) ainsi qu'à l'ensemble des sections sports des autres éditeurs généralistes, tels ceux qui sont intégré dans le Corner Sport de la SAS Le Kiosque.fr. S'agissant de la diffusion de ces contenus en ligne, elle indique que les offres sont pléthoriques, les tarifs étant libres et aucune barrière à l'entrée ou à l'expansion n'existant, mais précise néanmoins que la substituabilité de l'offre d'un éditeur avec celle d'une plateforme numérique de diffusion, telle celle de la SAS Le Kiosque.fr, est imparfaite, le consommateur ne pouvant considérer équivalents l'accès au contenu d'un éditeur spécialisé et celui à plus de 1 600 titres de presse d'un kiosque numérique généraliste.

Réponse de la cour

Le marché se définit comme le lieu de rencontre de l'offre et de la demande de produits ou de services spécifiques considérés par les acheteurs ou les utilisateurs comme substituables entre eux, mais non substituables aux autres biens ou services offerts (en ce sens, notamment, Autorité de la concurrence, décision 17-D-25 du 20 décembre 2017, §379), la Commission ayant précisé dans sa communication du 9 décembre 1997 (JOCE, C 372, 9 décembre 1997, citée par la SAS L'Equipe) que le marché des produits ou des services, pertinent pour apprécier la puissance économique effective d'une entreprise en tenant compte de l'ensemble du contexte économique contemporain des pratiques dénoncées, est celui qui comprend tous les produits ou services que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leurs prix et de l'usage auquel ils sont destinés. Sont substituables, et se situent de ce fait sur un même marché, les produits et les services dont on peut raisonnablement penser que les demandeurs les regardent comme des moyens entre lesquels ils peuvent arbitrer pour satisfaire une même demande (Conseil de la concurrence, décision 05-D-13, 18 mars 2005, §44), la substituabilité, à défaut d'être parfaite, se satisfaisant d'un degré suffisant d'interchangeabilité et s'appréciant tant du point de vue de la demande que de celui, plus secondaire, de l'offre.

En l'absence d'études quantitatives portant sur les élasticités-prix croisées, l'analyse du marché pertinent repose sur la constitution d'un faisceau d'indices convergents croisant plusieurs critères d'analyse qualitatifs, tels la nature du bien, sa notoriété et l'utilisation qui en est faite, les caractéristiques de l'offre (les stratégies de commercialisation mises en place par les offreurs, comme la différenciation des produits ou celle des modes de distribution et le type de clientèle visée), l'environnement juridique, les différences de prix ou les préférences des demandeurs, ces indices permettant d'apprécier quel serait le comportement du demandeur en cas de hausse relative du prix des biens ou services en cause. Les précédents de la pratique décisionnelle de la Commission européenne ou de l'Autorité de la concurrence sont à ce titre mobilisables.

A cette délimitation matérielle du marché (marché de produits) s'ajoute sa détermination géographique (marché géographique), la Commission précisant à ce titre que le marché géographique pertinent comprend le territoire sur lequel les entreprises concernées sont engagées dans l'offre de biens et services en cause et sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes, et qui peut être distingué de zones géographiques voisines parce que les conditions de concurrence y diffèrent de manière appréciable (communication du 9 décembre 1997 déjà citée ; CJCE, United Brands Company et United Brands Continentaal BV c. Commission, 14 février 1978 27/76 , §44 : "zone dans laquelle les conditions objectives de concurrence du produit en cause doivent être similaires pour tous les opérateurs économiques").

Sur l'avis de l'Autorité de la concurrence

Aux termes de son avis 23-A-11 du 12 juillet 2023, l'Autorité de la concurrence rappelle que le secteur de la presse fait intervenir traditionnellement plusieurs catégories d'opérateurs, dont les éditeurs et agences de presse, les imprimeurs et les distributeurs (messageries, dépositaires et diffuseurs), l'avis ne concernant que l'édition de presse numérique d'information sportive, qui implique une "mosaïque d'opérateurs" se différenciant par l'objet de leur publication, leur publicité, leur modèle économique ou leurs modes de diffusion, et la diffusion de tels contenus. Concernant cette dernière, elle précise que la dématérialisation des usages a conduit au développement de nouveaux intermédiaires, actifs notamment dans la publication elle-même et dans la diffusion auprès du public (agrégateurs de contenus, kiosques numériques) :

- les éditeurs de titres imprimés, qui prennent en charge la diffusion numérique de leur propre titre, tels la SAS L'Equipe, l'offre en ligne pouvant alors être enrichie d'autres contenus (reportages, vidéos, actualités) ;

- les kiosques numériques, qui proposent aux lecteurs un abonnement payant permettant l'accès illimité en ligne (via leur application ou leur site) à de nombreux contenus de presse, principalement des titres et magazines, tels la SAS Le Kiosque.fr, les éditeurs pouvant alors, tout en conservant leurs droits sur leurs titres, conclure un contrat de diffusion de contenus numériques avec un kiosque numérique chargé de mettre en ligne les contenus sur ses sites et applications afin que ceux-ci soient accessibles auprès de ses clients, en contrepartie d'une commission ou d'une rémunération forfaitaire annuelle versée à l'éditeur ;

- le pure players de l'information, éditeurs qui ne sont pas adossés à un titre ou magazine imprimé et ne proposent pas de titre de presse en format PDF mais de l'information en continu tous les jours et/ou toute la journée selon des rythmes de publication qui leur sont propres et uniquement en ligne ;

- les agrégateurs de contenus, les moteurs de recherches et les réseaux sociaux.

Au titre de la définition du marché amont, l'Autorité de la concurrence explique que :

- les éditeurs de titres de presse ou de contenus d'information fournissent aux kiosques numériques un intrant (un contenu d'information en version numérique correspondant à la version PDF des titres ou à l'accès aux articles). Elle ajoute que les marchés amont sur lesquels s'opèrent les activités d'édition et de commercialisation de contenus de presse numériques à destination des kiosques numériques se distinguent des différents marchés, à l'aval, de la diffusion des contenus de presse numériques à destination des consommateurs, sur lesquels sont présents notamment la SAS Le Kiosque.fr, via son application et son site internet, et la SAS L'Equipe, par l'autodiffusion de son titre de presse via son site lequipe.fr. Elle en déduit que, pour apprécier cette relation verticale, le marché de l'exploitation de sites éditoriaux en ligne d'information générale et sportive défini par la SAS L'Equipe n'est pas pertinent en ce qu'il vise une activité aval mettant en relation des exploitants de sites internet et leurs consommateurs et inclut des opérateurs non susceptibles de fournir aux kiosques numériques un intrant qu'ils seraient à même de diffuser ;

- sur ce marché amont qui met en relation l'éditeur de presse avec les kiosques numériques, les offres de ce dernier sont en concurrence avec celles des autres éditeurs capables de fournir un produit suffisamment substituable du point de vue des kiosques numériques, notamment en termes de formats et de thématiques. Elle indique que cette substituabilité des offres des éditeurs de presse du point de vue des kiosques numériques doit s'apprécier au regard de la manière dont ces kiosques élaborent leur offre en vue d'accroître leur attractivité vis-à-vis de leurs propres utilisateurs qui tient, outre au prix, principalement à l'exhaustivité du portefeuille de titres diffusés par le kiosque en termes de thématiques et de quantité de titres portant sur celles-ci, ainsi qu'à la notoriété des titres diffusés. Elle considère ainsi que le pouvoir de marché dont dispose un éditeur vis-à-vis d'un kiosque numérique est reflété par la position qu'il occupe sur le marché plus général du lectorat qui place les éditeurs du côté de l'offre et le public du côté de la demande ;

- la presse écrite constitue un marché distinct des autres médias traditionnels (télévision, radio...), en particulier parce que ces derniers n'offrent pas une analyse de l'information aussi large et aussi approfondie que la presse écrite. Elle ajoute que, au sein de ce secteur, la presse quotidienne d'information sportive répond à un besoin des consommateurs distinct de celui satisfait par les quotidiens d'information générale et les quotidiens économiques et financiers ; les titres de presse au format PDF constituent un intrant incontournable dans l'élaboration de l'offre des kiosques numériques, l'essentiel des contenus diffusés par la SAS Le Kiosque.fr consistant ainsi en une version PDF des titres de presse qui représentent environ 80 % des contenus lus par ses usagers. Elle en déduit une substituabilité plus limitée, du point de vue des kiosques numériques, entre les titres de presse sous format PDF et les contenus issus d'autres sources (pure players ou articles des sites éditoriaux) qu'entre titres de presse eux-mêmes, cette substituabilité n'étant pas suffisante pour inclure dans le marché amont les contenus des titres de presse ou des magazines édités sous un format autre que PDF ;

- le marché amont pertinent de la presse quotidienne nationale d'information sportive, de dimension nationale, inclut l'édition de titres de presse en version numérique ou en version papier, dès lors qu'il vise à apprécier l'attractivité d'un titre de presse vis-à-vis de son lectorat.

Au titre de la définition du marché aval, qu'elle évoque à raison de l'invocation par la SAS Le Kiosque.fr d'une pratique restrictive tenant à l'imposition de prix prédateurs entre le 18 et le 25 février 2022, elle estime que le marché pertinent est celui, de dimension nationale, des kiosques numériques dont l'activité est distincte de celle des kiosques physiques, de l'autodiffusion des éditeurs de presse, l'activité des kiosques numériques et l'activité d'exploitation de sites éditoriaux n'exerçant pas une pression concurrentielle mutuelle suffisante pour justifier de les inclure au sein d'un seul et même marché, ainsi que des agrégateurs web, des moteurs de recherches et des réseaux sociaux. Elle ajoute néanmoins qu'une segmentation du marché des kiosques numériques en fonction des canaux de commercialisation (BtoB, BtoC et BtoBtoC) peut être pertinente. Elle estime enfin que, à travers le site lequipe.fr, la SAS L'Equipe est active sur le marché de dimension nationale de l'exploitation de sites éditoriaux portant sur la thématique du sport.

La SAS L'Equipe déploie dans ses écritures une critique autonome de cet avis en dénonçant la violation du principe de l'égalité des armes au stade de l'instruction. Outre le fait qu'elle n'en tire aucune conséquence juridique claire, elle admet que l'Autorité de la concurrence a examiné les vices qu'elle invoquait et "que [ses] arguments présentés sur les marchés pertinents [...] en réponse au Rapport ont été entendus et accueillis sur plusieurs aspects", "l'Autorité [ouvrant] la voie à une discussion contradictoire devant la Cour de Céans sur le contrepouvoir de Lekiosque.fr vis-à-vis de L'Equipe pour conclure [à] l'absence de position dominante de cette dernière" (§229 de ses écritures). Ainsi, elle reconnaît la réalité d'un débat contradictoire utile devant l'Autorité de la concurrence et sa pleine potentialité devant la cour d'appel.

Or, ainsi que l'a rappelé la Cour européenne des droits de l'Homme (ci-après, "la CEDH"), l'article 6 de la CESDH ne se satisfait pas d'un examen isolé des violations alléguées mais commande une appréciation de l'équité de la procédure dans son ensemble pour apprécier l'impact effectif des premières sur le procès et sur l'appréciation portée par le tribunal au sens de l'article 6 de la CESDH (notamment, illustrant une jurisprudence constante, CEDH, 9 novembre 2018, Beuze c. Belgique, n° 71409/10, §121 : "le respect des exigences du procès équitable s'apprécie au cas par cas à l'aune de la conduite de la procédure dans son ensemble et non en se fondant sur l'examen isolé de tel ou tel point ou incident, bien que l'on ne puisse exclure qu'un élément déterminé soit à ce point décisif qu'il permette de juger de l'équité du procès à un stade précoce. Pour apprécier l'équité globale d'un procès, la Cour prend en compte, s'il y a lieu, les droits minimaux énumérés à l'article 6§3, qui montrent par des exemples ce qu'exige l'équité dans les situations procédurales qui se produisent couramment dans les affaires pénales [...]. Ces droits minimaux garantis par l'article 6§3 ne sont toutefois pas des fins en soi : leur but intrinsèque est toujours de contribuer à préserver l'équité de la procédure pénale dans son ensemble [...]").

Par ailleurs, l'avis de l'Autorité de la concurrence ne liant pas la juridiction qui l'a sollicité et ne pouvant permettre de caractériser à lui seul une position dominante, les parties sont libres d'en critiquer les conclusions contradictoirement tant sur le fond que sur la forme, le débat qui anime les parties sur la transposition de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 9 mars 2022 étant ainsi sans pertinence.

Sur la détermination du marché pertinent

Ainsi que le rappelle à juste titre l'Autorité de la concurrence (§53), la détermination des marchés pertinents ne peut être décorrélée des pratiques incriminées qui délimitent concrètement l'espace de rencontre des offres et demandes des produits en cause qui y circulent. A cet égard, la SAS Le Kiosque.fr, qui a renoncé à sa demande au titre des prix prédateurs susceptibles d'avoir été pratiqués entre le 18 et le 25 février 2022, invoque une tentative d'imposition de conditions contractuelles non équitables (augmentation de 84 % du prix) sous la menace d'une rupture des relations commerciales, puis l'exécution de cette menace à travers le refus discriminatoire de vente du titre L'Equipe.

Ces pratiques touchent, en écho au contenu du contrat du 29 mai 2017 et de ses modifications successives (pièces 3 à 5 de la SAS Le Kiosque.fr), aux conditions de fourniture par la SAS L'Equipe, en sa qualité d'éditrice de titres de presse, de contenus informatifs sportifs généralistes et spécialisés au format PDF à la SAS Le Kiosque.fr, kiosque numérique agissant en qualité de diffuseur auprès du public. Elles s'inscrivent dans une relation verticale entre la SAS L'Equipe, fournisseur d'intrants constitués de ses titres, et la SAS Le Kiosque.fr qui, active à l'aval, exerce une activité de diffusion de ces contenus agrégés qu'elle ne produit pas. Ces deux marchés, amont et aval, se distinguent ainsi en ce que les acteurs en présence (offreurs et demandeurs) sont, comme les besoins satisfaits, différents. La SAS L'Equipe n'est pas sur le marché amont, à la différence du marché aval par l'autodiffusion, en concurrence avec les diffuseurs en relation avec les consommateurs, et la SAS Le Kiosque.fr, comme la plupart des opérateurs du marché aval, n'est pas en mesure de produire les intrants qu'elle exploite. Aussi, la définition du marché de référence retenue par la SAS L'Equipe n'est pas pertinente en ce qu'elle occulte cette intégration verticale et mêle marchés amont et aval.

Au regard de la nature des informations traitées, les titres de la SAS L'Equipe relèvent de la presse quotidienne (L'Equipe) ou mensuelle (France Football et Vélo Magazine) nationale d'information sportive, marché distinct de celui de la presse d'information générale ou de la presse spécialisée dans d'autres secteurs (économiques et financiers notamment) qui répondent à des besoins informatifs très différents des lecteurs (en ce sens, Autorité de la concurrence, décisions 14-D-02 du 20 février 2014 et 21-DCC-25 du 12 février 2021), à l'instar de la presse régionale, qui rapporte des informations locales n'intéressant pas le même public.

Pour apprécier plus finement la substituabilité des produits du point de vue du client (substitution de la demande), il est nécessaire de déterminer la gamme de produits que les clients de l'entreprise concernée considèrent comme des substituts effectifs et immédiats ainsi que leur degré de substitution avec ses produits en examinant une série d'éléments de preuve comprenant, des indicateurs directs de substitution, tels que la preuve d'une substitution passée ou hypothétique, des facteurs expliquant les raisons pour lesquelles les clients remplaceraient ou non un produit par un autre, tels que les préférences des clients en ce qui concerne les caractéristiques du produit, son prix, les fonctionnalités, l'usage auquel il est destiné et les barrières au changement de produit ainsi que son coût. A cet égard, des titres de presse sont des produits spécifiques dont la substituabilité à l'égard du lectorat, souvent attaché à une publication habituelle qu'il soit abonné ou non, dépend non seulement des sujets abordés mais également de la richesse des sources exploitées, de l'orientation politique du titre ainsi que de la forme du traitement des informations. Cette limite subjective intrinsèque à la substitution de la demande sera néanmoins plus marquée pour les titres relevant de la presse d'opinion, qui engage des valeurs pouvant cliver le lectorat, que pour ceux touchant à des informations plus factuelles dont la qualité dépendra essentiellement de l'étendue de la couverture ainsi que de la primeur et de l'exhaustivité des informations.

Or, ainsi que l'a relevé l'Autorité de la concurrence (§76 et suivants), sur ce marché amont de la presse quotidienne d'information sportive, la substituabilité des produits de l'éditeur, en concurrence avec les autres éditeurs de contenus équivalents (thématiques et formats), doit être appréciée en considération du marché du lectorat qui reflète son pouvoir de marché à l'égard des kiosques numériques qui adaptent leurs demandes aux offres qu'ils définissent en contemplation des intérêts de leurs publics cibles. La SAS Le Kiosque.fr, comme les autres kiosques numériques, détermine le prix de son offre en considération de l'exhaustivité quantitative et qualitative (thématiques couvertes et notoriété des publications) de son portefeuille de titres, chacun d'eux faisant l'objet d'une promotion individualisée en fonction de son degré de connaissance par le public au sein de la thématique concernée (présentation visible dans l'avis de l'Autorité de la concurrence, dans les conclusions de la SAS Le Kiosque.fr non critiquées sur ce point - page 5 -, ainsi que dans sa pièce 57, sur l'offre de la plateforme de partage d'abonnements SPliiit). L'attractivité de l'offre du kiosque numérique, comparable sur ce point à un kiosque physique, dépend ainsi largement de celle du titre auprès du public, critère pertinent pour apprécier la substituabilité des produits du point de vue de la demande et fondant l'intégration du support papier dans la définition du marché pertinent.

L'attractivité d'un titre et la nature de son contenu étant centrales du point de vue de la demande ainsi conçue, les offres d'autres médias traditionnels (télévision et radio dont la forme est, comme la présentation des informations et le rythme de leur renouvellement, nettement distincte), des supports ou sites gratuits, qui contiennent des informations moins riches, travaillées et détaillées (décision 14-D-02), et des pure players, qui constituent un intrant résiduel pour la SAS Le Kiosque.fr (§89 de l'avis 23-A-11 non contesté sur ce point), relèvent d'un marché distinct de la presse écrite à raison de la nette différence qualitative dans le traitement de l'information et d'absence de titre susceptible de rallier la clientèle sur lequel ils seraient adossés. L'évolution du secteur de la presse numérique invoquée par la SAS L'Equipe, qui affecte plus significativement le marché aval, ne se traduit pas par une pression concurrentielle suffisante pour fonder l'intégration de ces acteurs et produits dans le marché mettant en relation un éditeur fournisseur d'intrants et un kiosque diffusant ses contenus. A ce titre, la SAS L'Equipe ne peut de bonne foi, pour étendre le marché de référence, diluer corrélativement sa position et voir dans le Corner Sport de la SAS Le Kiosque.fr une offre substitutive, assimiler son titre L'Equipe aux contenus fournis par d'autres éditeurs en ligne (Europsort, RMC et Sports24) et les pure players (pages 67 et suivantes de ses écritures) alors que, à raison de la qualité et de la spécialisation de son contenu, il est le troisième quotidien le plus lu en France en 2020-2021 et le premier quotidien sportif sur le territoire (pièces 27 et 31 de la SAS Le Kiosque.fr), cette dévalorisation paraissant d'ailleurs peu compatible avec ses ambitions tarifaires exprimées lors de la renégociation des relations avec la SAS Le Kiosque.fr. De fait, les plaintes reçues par la SAS Le Kiosque.fr lors du retrait du titre L'Equipe de son bouquet témoignent de l'attachement du lectorat à ce dernier et du caractère non substituable des offres généralistes et gratuites évoquées par la SAS L'Equipe (pièces 73, 75 et 76 de la SAS Le Kiosque.fr).

Enfin, en ce que l'attractivité du produit dépend sur le marché du lectorat du titre papier auquel est adossée sa version numérique, peu important la numérisation de la production des supports imprimés évoquée par la SAS L'Equipe, les titres de presse en version papier et PDF (réplique exacte de la précédente), format incontournable pour le kiosque numérique (§89 de l'avis 23-A-11 qui précise, sans critique utile de la SAS L'Equipe, que "l'essentiel des contenus diffusés par Cafeyn consistent [...] en une version PDF des titres de presse, lesquels représentent environ 80 % des contenus lus par les usagers de Cafeyn ", sont interchangeables. Les contenus sont identiques et le lectorat, très largement guidé par la notoriété du titre, manifeste une certaine indifférence au format de lecture (pièce 32 de la SAS Le Kiosque.fr, Baromètre du numérique, édition 2021, page 171 : "Les lecteurs sont, le plus souvent, des lecteurs aussi bien de la presse papier que de la presse numérique (43 %). 20 % ne lisent que la presse papier tandis que 13 % ne sont que des lecteurs de la presse numérique"). Les éléments retenus par l'Autorité de la concurrence pour l'année 2022 confirment cette analyse (§47 et 89) : "au dernier trimestre de l'année 2022, 90,8 % de l'ensemble des contenus proposés sur Cafeyn sont issus de versions PDF des titres (représentant 77,2 % de la consommation), 7,9 % sont issus des sites internet des éditeurs (18,9 % de la consommation) et 1,3 % sont issus d'opérateurs pure players (3,9 % de la consommation)".

La Cour déduit de ces éléments, comme l'Autorité de la concurrence (§89), une substituabilité plus limitée, du point de vue des kiosques numériques, entre les titres de presse sous format PDF et les contenus issus d'autres sources qu'entre titres de presse eux-mêmes, substituabilité insuffisante pour inclure dans le marché amont les contenus des titres de presse ou des magazines édités sous un format autre que PDF, à l'exclusion du papier qui est déterminant de l'attractivité du titre pour le lectorat et, partant, pour le kiosque numérique.

Aussi, le marché amont de référence, de dimension nationale, est celui de la fourniture de contenus de presse quotidienne d'information sportive en version numérique PDF ou papier, ainsi que l'a retenu l'Autorité de la concurrence et l'a jugé le tribunal de commerce.

La SAS Le Kiosque.fr ayant renoncé à ses demandes au titre de la pratique de prix prédateurs et n'invoquant plus, à raison de la position de l'Autorité de la concurrence, un abus de position dominante sur le maché aval, l'analyse de ce dernier est inutile.

b) Sur la position dominante de la SAS L'Equipe

Moyens des parties

La SAS Le Kiosque.fr soutient que l'Autorité de la concurrence a justement retenu la position dominante de la SAS L'Equipe sur le marché amont et que le développement de l'offre de contenus d'information en ligne n'était pas de nature à remettre en cause son pouvoir de marché, L'Equipe étant le seul titre de presse quotidienne nationale d'information sportive qui bénéficie d'une forte notoriété en matière d'information générale et sportive. Elle ajoute que la SAS L'Equipe ne subit pas de pression concurrentielle de la part des opérateurs en ligne spécialisés dans le sport en tant qu'offreurs d'un intrant pour les kiosques numériques et dispose d'un pouvoir de marché renforcé par l'attractivité du titre L'Equipe dans le portefeuille d'un kiosque numérique vis-à-vis de ses utilisateurs. Elle précise que la puissance compensatrice des kiosques numériques par rapport à la SAS L'Equipe ne remet pas en cause sa position dominante, ceux-là ne représentant pas un intermédiaire incontournable pour celle-ci, capable de s'autodiffuser. Prenant acte de l'avis de l'Autorité de la concurrence écartant toute position dominante de la SAS L'Equipe sur le marché aval (i.e., le marché des kiosques numériques, de dimension nationale), elle abandonne ses demandes au titre de la pratique de prix prédateurs, seule pratique restrictive supposant l'existence d'une concurrence entre elle et la SAS L'Equipe.

En réponse, la SAS L'Equipe, qui souligne que sa seule notoriété est sur ce point insuffisante et que le titre L'Equipe n'intéresse pas tout son lectorat, conteste être en position dominante en soulignant la forte concurrence sur le marché de l'édition d'information générale et sportive en ligne qui inclut des opérateurs significatifs entrant en concurrence frontale, tels qu'Eurosport, RMC, Sports24 et Bein, qui traitent les mêmes informations en temps réel et sous les mêmes formats consultables en ligne, parfois gratuitement. Elle ajoute que la SAS Le Kiosque.fr n'est pas un client mais un fournisseur de services d'intermédiation en ligne au sens du règlement n° 2022/720 et que la position concurrentielle des kiosques numériques au stade de la diffusion des contenus exclut les pratiques de discrimination ou de prédation ainsi que de refus de vente alléguées tout en confirmant à l'inverse "la cannibalisation de la base d'abonnés adressables pour [la SAS L'Equipe]".

Elle note que l'Autorité de la concurrence a retenu à tort un "lien de rattachement avec l'économie du papier" et a écarté sans fondement et non contradictoirement le contrepouvoir à l'achat de la SAS Le Kiosque.fr à raison de sa capacité d'autodiffusion qui n'est que la conséquence de l'exercice de la liberté de la presse. Mails elle souligne qu'elle est revenue sur la position exprimée dans sa décision 14-D-02, qui portait sur des faits de

2008, en précisant qu'elle n'était que "susceptible" d'occuper une position dominante, nuance s'expliquant notamment par la baisse de 80 % de la diffusion du journal papier entre 2008 et 2022 et par la part croissante (67,5 %) que représente la diffusion individuelle numérique. Elle en déduit que cet avis ne suffit pas à caractériser sa position dominante, et ce d'autant moins que la SAS Le Kiosque.fr dispose d'un contrepouvoir d'achat très important, ses parts sur le marché des kiosques numériques étant de 75 % et ces derniers représentant entre 61 et 81% du chiffre d'affaires lié à la diffusion du PDF L'Equipe entre 2017 et 2021 tandis que, à compter de la reprise du canal SFR en 2020, la SAS Le Kiosque.fr générait entre 92 et 95 % du chiffre d'affaires dégagé sur ce segment entre 2020 et 2021.

Réponse de la cour

La position dominante, notion économique plus que juridique qui s'apprécie au jour des pratiques litigieuses, s'entend, de manière identique en droit interne et en droit de l'Union (CJCE, United Brands Company déjà cité, §65 et 66 ; CJCE, Hoffmann-La Roche & Co. AG c. Commission, 13 février 1979, 85/76, §38 et 39 ; solution reprise par l'Autorité de la concurrence dans sa décision D 22-D-06 du 22 février 2022) comme une situation de puissance économique détenue par une entreprise qui, faute de pression concurrentielle suffisamment efficace, lui donne un pouvoir de marché substantiel et durable faisant obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis des actions et réactions de ses concurrents, de ses clients et, in fine, des consommateurs (décision 15-D-20 du 17 décembre 2015, §297). Pareille position, à la différence d'une situation de monopole ou de quasi-monopole, n'exclut pas l'existence d'une certaine concurrence mais met la firme qui en bénéficie en mesure, sinon de décider, au moins d'influencer notablement les conditions dans lesquelles cette concurrence se développera et, en tout cas, de se comporter dans une large mesure sans devoir en tenir compte et sans pour autant que cette attitude lui porte préjudice.

L'existence d'une position dominante résulte de la réunion de plusieurs facteurs, qui, pris isolément, ne seraient pas nécessairement déterminants, l'existence de parts de marché d'une grande ampleur étant néanmoins hautement significative (CJCE, Hoffmann-La Roche déjà cité, §39). Elle est identifiée à partir d'un faisceau d'indices convergents (en ce sens, Autorité de la concurrence, décision 13-D-11 du 14 mai 2013, §312) constitués de données d'ordre structurel (monopole, importance, répartition et rapport des parts de marché, barrières à l'entrée sur le marché pertinent) ou propres à l'entreprise dotée d'un ou plusieurs avantages concurrentiels (envergure de l'entreprise ou de son groupe d'appartenance et faiblesse relative de ses concurrents, détention de droits de propriété intellectuelle exclusifs ou d'avantages matériels ou financiers tels l'accès préférentiel à certaines sources de financement, notoriété des signes distinctifs et des produits et services, étendue de la gamme proposée, détention d'une avance technologique ou d'un savoir-faire spécifique, maîtrise de la fixation des prix). Cette appréciation doit prendre en considération le pouvoir de marché des acheteurs sur le marché pertinent : s'ils disposent, notamment à raison de leur taille ou de leur importance commerciale, d'un pouvoir de négociation certain, facilité par l'abondance de l'offre de produits substituables, une entreprise détenant une part de marché élevée n'est pas nécessairement en mesure d'observer un comportement indépendant dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses clients et n'est ainsi pas en position dominante (en ce sens, Autorité de la concurrence, décision 17-D-19 du 6 octobre 2017, §74 à 78).

Sur l'avis de l'Autorité de la concurrence

Aux termes de son avis 23-A-11 du 12 juillet 2023, l'Autorité de la concurrence précise que :

- sur le marché aval de l'exploitation de sites éditoriaux portant sur la thématique du sport, la SAS L'Equipe, à travers l'exploitation de son site lequipe.fr, fait face à la concurrence de nombreux opérateurs exploitant des sites relatifs à la thématique du sport et capables d'offrir une alternative à lequipe.fr pour tout ou partie des contenus proposés, tels que rmcsport.bfmtv.com, beinsports.com, eurosport.fr, sofoot.com ou rugbyrama.fr. Elle indique que la part de marché mensuelle de lequipe.fr déterminée en nombre moyen mensuel de visiteurs uniques quotidiens ne dépasse pas 30 % sur l'ensemble de la période allant de janvier 2019 à décembre 2022 (20 % en 2021 et 2022). Elle explique que, malgré la notoriété du titre L'Equipe auquel son site est adossé, deuxième titre de presse quotidienne nationale en termes d'audience avec une audience quotidienne de 2 635 000 personnes au deuxième semestre 2022 (après Le Monde -2 872 000- mais devant le couplage Le Parisien/Aujourd'hui en France -2 504 000), le pouvoir de marché de la SAS L'Equipe n'est pas suffisant pour qualifier, sur ce marché, une position dominante de lequipe.fr compte tenu notamment de la présence de nombreux opérateurs concurrents exploitant des sites éditoriaux sur le thème du sport ;

- sur le marché amont, l'offre de contenus d'information en ligne, y compris ceux relatifs au sport, s'est considérablement développée depuis la date des constatations de la décision n° 14-D-02 (2008) qui lui avaient permis de conclure que la SAS L'Equipe bénéficiait depuis "plus de cinquante ans d'une position dominante, caractérisée par un monopole quasiment continu, au sein du marché de la presse quotidienne nationale d'information sportive". Elle conclut cependant que ces nouvelles offres ne sont pas de nature à remettre en cause le pouvoir de marché de la SAS L'Equipe sur le marché de la presse nationale d'information sportive car :

* L'Equipe demeure le seul titre de presse quotidienne nationale d'information sportive, la SAS L'Equipe conservant ainsi, formellement, une position de monopole sur le segment de la presse quotidienne nationale d'information sportive ;

* L'Equipe bénéficie d'une forte notoriété en matière d'information sportive, liée à sa position de troisième titre de presse quotidienne le plus diffusé parmi les titres de presse quotidienne nationale payante et à la couverture de sa marque ;

* le pouvoir de marché de la SAS L'Equipe est celui dont elle dispose vis-à-vis des kiosques numériques, en tant que fournisseur d'un intrant. Elle ajoute que, l'essentiel des contenus d'information diffusés et consommés sur Cafeyn provenant de titres de presse sous format PDF, la pression concurrentielle exercée sur la SAS L'Equipe par les opérateurs en ligne spécialisés dans le sport en tant qu'offreurs d'un intrant pour les kiosques numériques est limitée, dès lors qu'ils ne disposent pas d'un titre de presse sous format PDF ;

* le pouvoir de marché de la SAS L'Equipe est renforcé par l'attractivité que constitue le titre L'Equipe dans le portefeuille d'un kiosque numérique vis-à-vis de ses clients, les téléchargements de ce dernier représentant jusqu'à 90 % de l'ensemble des téléchargements de PDF de titres de sports sur la période durant laquelle ils étaient diffusés sur Cafeyn ;

* le marché de la presse quotidienne nationale d'information sportive se caractérise toujours par des barrières à l'entrée importantes liées aux investissements significatifs requis pour le lancement d'un nouveau titre quotidien et le savoir-faire notamment éditorial nécessaire en vue d'élaborer un titre capable de constituer une alternative crédible au titre L'Equipe qui mobilise à lui seul une rédaction unique print/web de plus de 300 journalistes ;

* la SAS L'Equipe appartient à un groupe actif sur plusieurs marchés liés à celui de la presse quotidienne nationale d'information sportive et est verticalement intégrée puisqu'elle est présente à l'aval via son site lequipe.fr ;

* la puissance compensatrice de la SAS Le Kiosque.fr n'est pas établie, les kiosques numériques ne constituant pas pour elle un débouché essentiel compte tenu notamment de la capacité de la SAS L'Equipe à s'autodiffuser. Elle ajoute que la SAS L'Equipe semble avoir été en position d'agir de manière indépendante par rapport au modèle de diffusion des kiosques, notamment quand elle a choisi de cesser de proposer du contenu aux kiosques numériques au profit de l'autodiffusion, dans la mesure où ceux-ci grèveraient ses revenus d'éditeur, et quand elle exprime son souhait de privilégier une stratégie numérique globale de recentrage vers l'abonné afin d'améliorer la perception de la valeur éditoriale du titre, et de préserver le lien avec les lecteurs. Inversement la SAS Le Kiosque.fr, qui n'a pas les capacités de s'intégrer verticalement en vue de produire un titre alternatif à L'Equipe, en position de monopole sur le segment de la presse quotidienne nationale d'information sportive, n'a pas trouvé d'intrant alternatif crédible à la suite de l'arrêt de sa diffusion.

Elle en déduit que la SAS L'Equipe est susceptible d'occuper (ou " occupe " selon la variation terminologique entre les paragraphes 176, 177 et la conclusion générale) une position dominante sur le marché de la presse quotidienne nationale d'information sportive.

A nouveau, la SAS L'Equipe développe une critique de cet avis dissociée de son argumentation générale en critiquant l'introduction au stade de l'avis, sans débat contradictoire, d'une analyse du contrepouvoir à l'achat de la SAS Le Kiosque.fr (pages 113 et suivantes de ses écritures). Elle n'en tire toutefois qu'une conséquence : la nécessité pour la Cour de tenir un débat contradictoire sur ce point. Elle admet ainsi que, cette question ayant été largement évoquée dans les écritures respectives des parties et soumise à l'appréciation de la Cour, l'équité de la procédure dans son ensemble est garantie au sens de l'article 6 de la CESDH.

Sur la caractérisation d'une position dominante

Il est acquis que L'Equipe, titre phare de la SAS L'Equipe, est le seul titre de presse quotidienne nationale d'information sportive, ce qui lui procure une position de monopole de fait sur le segment de la presse quotidienne nationale d'information sportive, et qu'il est le troisième quotidien le plus lu en France en 2020-2021 et le premier quotidien sportif sur le territoire (pièces 27 et 31 de la SAS Le Kiosque.fr). L'attractivité du titre, accrue par la couverture de la marque, est ainsi particulièrement forte, ce que confirment les plaintes déjà évoquées reçues par la SAS Le Kiosque.fr lors de sa perte (ses pièces 73, 75 et 76) et le taux de téléchargement du quotidien par les clients de la SAS Le Kiosque.fr (90 % de l'ensemble des téléchargements de PDF de titres de sports). Elle confère à la SAS L'Equipe un fort pouvoir de marché à l'amont, renforcé par son intégration verticale dans un groupe solide (pièce 32 de la SAS Le Kiosque.fr) et par sa capacité d'autodiffusion à l'aval, dont il importe peu qu'elle découle d'une liberté constitutionnellement garantie, la titularité d'un droit ou d'une liberté n'impliquant en rien l'aptitude matérielle et économique à l'exercer effectivement qui seule compte ici.

De fait, la SAS L'Equipe propose sur son site internet aux particuliers, hors accès libre limité à certains articles ou certaines rubriques, d'effectuer un achat immédiat ou de souscrire un abonnement selon trois offres (Découverte, Essentiel, Intégral) sans engagement (d'un montant respectif de 9,99 euros par mois, 11,99 euros par mois, 15,99 euros par mois) ou avec engagement (d'un montant respectif de 7,99 euros par mois, 9,99 euros par mois et 13,99 euros par mois les douze premiers mois). De son côté, en dépit de l'importance quantitative de son portefeuille de titres, la SAS Le Kiosque.fr propose un abonnement mensuel BtoC à 10,99 euros. Cette comparaison, qui révèle l'aptitude de la SAS L'Equipe à maintenir ses prix à un niveau élevé indépendamment de l'activité des kiosques numériques, fait écho à celle effectuée par l'Autorité de la concurrence dans sa décision 14-D-02 entre les prix pratiqués par cette dernière et ceux de ses éphémères concurrents, qui lui avait permis d'affirmer que le prix du titre L'Equipe était nettement plus élevé que les deux autres titres quotidiens d'information sportive générale ayant tenté de pénétrer le marché sur les périodes 1987-1988 et 2008-2009 (§203).

De plus, ainsi que le relève l'Autorité de la concurrence, l'essentiel des contenus diffusés par la SAS Le Kiosque.fr provenant de titres de presse sous format PDF, la pression concurrentielle exercée sur la SAS L'Equipe par les opérateurs en ligne spécialisés dans le sport en tant qu'offreurs d'un intrant pour les kiosques numériques est limitée, faute pour eux de disposer d'un titre de presse sous ce format, toute création d'un titre sur le marché de la presse quotidienne nationale d'information sportive se caractérisant par des barrières à l'entrée importantes (investissements et savoir-faire). Ainsi, dans sa décision 14-D-02 dont l'ancienneté ne prive pas de pertinence les données sur ce point en l'absence de tout élément contraire, l'Autorité de la concurrence précisait que, "pour lancer Aujourd'hui Sport, le groupe Amaury [avait] mobilisé un capital humain important bénéficiant de fortes synergies à l'intérieur du groupe et aurait anticipé un investissement sur les 8 premiers mois de 7 M€" (§205), investissements largement irrécupérables. Dans son avis, elle souligne que le groupe Amaury indique sur son site internet que L'Equipe "est au cœur de la production des contenus avec une rédaction unique print/web de plus de 300 journalistes" (§170).

Demeure en conséquence la question du contrepouvoir à l'achat des kiosques numériques. A cet égard, si les kiosques numériques représentaient jusqu'en 2020 entre 50 % et 54 % des téléchargements du PDF de L'Equipe parmi tous les modes de distribution en ligne, la part de la SAS Le Kiosque.fr atteignant 95 % postérieurement au rachat du kiosque SFR, la décision de la SAS L'Equipe de se tourner vers l'autodiffusion n'a eu aucun impact notable sur le nombre de téléchargements lui-même (tableau non contesté en sa teneur de la SAS L'Equipe, §313 de ses écritures). Cette constance, comme la décision de se dispenser de toute intermédiation malgré la part de chiffre d'affaires de la SAS Le Kiosque.fr et sa position sur le marché aval (92 à 95 % pour la diffusion du PDF dans les kiosques numériques entre 2020 et 2021 et 75 % sur le marché global des kiosques numériques selon les données non contestées de la SAS L'Equipe, pages 118 et 119 de ses écritures), révèle l'indépendance de la SAS L'Equipe à l'égard de l'activité des kiosques numériques qui ne représentent pas pour elle un débouché d'importance, à la différence de tout acteur émergent en quête de notoriété ou ne disposant pas d'un titre attractif. A l'inverse, la SAS Le Kiosque.fr, qui n'a pas les capacités de produire les intrants qu'elle utilise et n'est pas intégrée dans un groupe susceptible de pourvoir à ce besoin (rien ne démontrant le succès de la tentative de rachat du titre Gala en juillet 2023, pièce 51 de la SAS L'Equipe), n'a pas trouvé d'offre alternative à L'Equipe. Son Corner Sport, qui agrège l'ensemble des contenus sportifs (journaux, magazines, articles issus du PDF, des articles web et audio) déjà présents sur le catalogue Cafeyn et des contenus sportifs achetés auprès de groupes médias éditeurs de site internet, n'est pas, pour les raisons déjà exposées et contrairement à ce que soutient la SAS L'Equipe, un contenu équivalent, ce que confirment les plaintes de clients évoquées. Et, la SAS Le Kiosque.fr n'a pas "forcé le maintien de la diffusion du PDF de L'Equipe au-delà de son échéance" à raison de son pouvoir de marché mais en exécution d'une décision de justice qui lui était favorable. Aussi, la puissance compensatrice des kiosques numériques en général et de la SAS Le Kiosque.fr en particulier, même en lui reconnaissant un fort pouvoir de marché à l'aval, n'affecte pas la position dominante de la SAS L'Equipe sur le marché amont pertinent.

Ces éléments combinés caractérisent la position dominante de la SAS L'Equipe sur le marché de référence, analyse que le développement significatif de l'offre de contenus d'information sportive en ligne (pièces 2, 3, 29 et 50 de la SAS L'Equipe), dont il est désormais acquis qu'il n'affecte pas suffisamment le marché pertinent, n'est pas de nature à remettre en cause.

c) Sur l'abus de position dominante

Moyens des parties

Au soutien de ses prétentions, la SAS Le Kiosque.fr expose que la SAS L'Equipe a utilisé sa position dominante sur le marché amont de la presse quotidienne nationale d'information sportive pour l'évincer à raison de la pression concurrentielle qu'elle exerce sur la rubrique " kiosque sportif " du site lequipe.fr et pour favoriser ses concurrents, tels le kiosque numérique "ToutApprendre" qu'elle détenait à l'époque des faits. Elle lui impute ainsi une tentative d'imposition de conditions contractuelles non équitables (augmentation de 84 % de sa rémunération) sous la menace d'une rupture des relations commerciales, puis l'exécution de cette menace à travers le refus discriminatoire de vente du titre L'Equipe.

Au titre des conditions de transaction non équitables imposées pendant la période de renégociation de la relation commerciale et du refus de vente subséquent, elle explique que l'imposition de conditions de transaction non équitables est présumée lorsque l'entreprise en position dominante exige une rémunération disproportionnée et injustifiée par rapport à la valeur économique de la prestation qu'elle fournit. Elle indique que, alors que le Deal Memo du 25 novembre 2020, exécuté rétroactivement depuis le 21 juillet 2020, fixait un minimum garanti annuel déjà élevé par rapport aux titres distribués, la SAS L'Equipe a utilisé sa situation de monopole sur le marché amont de la presse quotidienne nationale d'information sportive pour tenter de lui imposer, sans justification et sous la seule menace d'une rupture prochaine des relations, une augmentation brutale, significative et injustifiée de 84 % de sa rémunération. Soulignant l'indifférence de la poursuite de l'exécution des contrats à l'égard de la caractérisation de l'abus, elle prétend que l'imposition de ces conditions de transactions non équitables par la SAS L'Equipe a eu pour effet de fausser le jeu de la concurrence, une telle pratique étant de nature à dissuader tous tiers de négocier avec la SAS L'Equipe afin de nouer un partenariat pour la diffusion de son titre.

Elle soutient par ailleurs que la résiliation de l'accord passé sur SFR Presse by Cafeyn au 31 août 2021 ainsi que celle du contrat de distribution du titre L'Equipe sur les autres canaux de diffusion notifiée pour le 31 décembre 2021 par courrier du 23 juin 2021 cristallise l'échec des négociations à des conditions de transaction non équitables et constitue un refus de vente illicite. Elle précise à ce titre que le titre L'Equipe, seul quotidien national d'information sportive et troisième quotidien national le plus lu en France, est pour elle incontournable en PDF, la part annuelle de ses lecteurs qui consultent L'Equipe sur les canaux de distribution où le titre est présent étant de 40 % et l'intégration de ce titre dans son offre ayant eu un impact considérable sur l'augmentation du nombre mensuel de souscriptions et sur la croissance de ses revenus. Elle ajoute que ce refus de vente a pour objet et pour effet de limiter la concurrence et de renforcer sa position dominante au motif que :

- sur le segment BtoC (application sur smartphone), elle a pu mesurer une augmentation de son taux de désabonnement de 46 % sur le mois de septembre 2022, un mois après le retrait du titre L'Equipe et malgré le lancement de son offre Corner Sport, et identifie un ralentissement de 30 % dans la conquête de nouveaux abonnés l'année suivante. Elle ajoute que cette pratique a un impact négatif sur les consommateurs qui, faute d'avoir accès à une offre diversifiée, devront arbitrer entre plusieurs abonnements au risque de l'augmentation de ses prix par la SAS L'Equipe, libérée de toute contrainte concurrentielle ;

- sur le segment BtoBtoC, l'impact de l'annonce de ce dernier a été considérable, SFR ayant réduit sa rémunération de 31 % dès le 24 juin 2022 et Cdiscount ayant résilié son contrat le 31 août 2022 ;

- sur le segment BtoB, de nombreux comités d'entreprise ont menacé de rompre les relations ou d'en renégocier les termes.

Elle expose que cette stratégie d'éviction, destinée à favoriser l'émergence de son offre " Kiosque Sportif ", est renforcée par la pratique discriminatoire de la SAS L'Equipe qui a confié la distribution exclusive de ses titres à la société ToutApprendre, concurrent direct de la SAS Le Kiosque.fr sur le segment BtoB, qui avait jusqu'en octobre 2022 des liens capitalistiques directs avec la famille Amaury, propriétaire de la SAS L'Equipe.

En réponse, la SAS L'Equipe, qui voit une contradiction dans le fait de soulever simultanément l'imposition d'un prix excessif sous la menace d'une rupture et la concrétisation de celle-ci, soutient qu'elle n'a tenté d'imposer aucun prix, que la résiliation a été notifiée en amont pour des motifs objectifs et transparents, que la relation commerciale a été maintenue et qu'aucune pratique discriminatoire ne lui est imputable, l'offre de la société ToutApprendre, dont la situation n'est pas comparable puisqu'elle était une entité du groupe Amaury, étant limitée à des comités d'entreprise et n'étant de ce fait pas équivalente à celle d'un kiosque numérique généraliste grand public. Elle ajoute que l'effet d'éviction allégué n'est pas prouvé, les données opposées par la SAS Le Kiosque.fr, non étayées, étant inexploitables, l'offre de cette dernière ayant quoi qu'il en soit été renforcée avec le lancement de son Corner Sport et ses craintes ne s'étant pas matérialisées.

Elle précise par ailleurs que la SAS Le Kiosque.fr ne démontre pas que le marché intracommunautaire ou national serait impacté par la pratique dénoncée, qui procède d'une confusion entre les régimes distincts des conditions inéquitables et des conditions tarifaires imposées, et que le standard de preuve retenu par la jurisprudence qui consiste, d'une part, à examiner les modalités selon lesquelles les conditions de transaction ont été conclues et, d'autre part, à apprécier le caractère inéquitable de ces conditions, n'est pas rempli, le prix proposé étant raisonnable et calculé par référence à des données tangibles et vérifiables.

Sur le refus de vente, elle expose qu'un contenu d'information est un produit et non une infrastructure et que le titre L'Equipe n'est ni essentiel ni incontournable, la SAS Le Kiosque.fr ayant d'ailleurs commercialisé ses offres sans lui durant des années.

Réponse de la cour

Les articles L 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE ne sanctionnent pas la situation de domination elle-même mais son exploitation abusive, les listes figurant dans ces textes, introduites par l'adverbe "notamment", n'étant à ce titre pas limitatives. La définition de l'abus est commune au droit interne et au droit de l'Union européenne : l'exploitation abusive d'une position dominante est une notion objective qui vise les comportements d'une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure ou le fonctionnement d'un marché où, à la suite précisément de la présence de l'entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli, et qui ont pour effet actuel ou potentiel de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition par les mérites, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence (CJCE, Hoffmann-La Roche déjà cité, §91 ; Autorité de la concurrence, décision 22-D-06 déjà citée, §441). Ainsi, la démonstration du caractère anticoncurrentiel de l'exploitation, qui peut avoir toute pratique pour support sans égard pour leur dimension intentionnelle ou frauduleuse, est une condition nécessaire de la prohibition de l'abus de position dominante, les effets anticoncurrentiels n'ayant pas à être réalisés concrètement et pouvant être seulement potentiels dès lors qu'ils sont sensibles.

La jurisprudence, nationale comme européenne, distingue les abus d'exploitation des abus d'exclusion, catégories poreuses et non limitatives ne recouvrant pas de manière exhaustive tous les comportements susceptibles de relever de la prohibition des abus de position dominante. Si une même pratique peut être constitutive de ces deux types d'abus (en ce sens, TUE, Duales System Deutschland GmbH c. Commission, 24 mai 2007, T-151/01, §119), le standard de preuve demeure identique. Il implique d'apprécier, en vérifiant le caractère à la fois nécessaire et proportionné du comportement pour remplir l'objectif poursuivi par l'entreprise dominante, si ses actes, destinés à défendre ses intérêts commerciaux menacés, ont été accomplis de manière raisonnable (CJCE, Kanal 5 et TV 4 AB c. STIM Upa, 11 décembre 2008, C-52/07, §26) et sur la base d'une justification objective (CJCE, Sot. Lélos Kai Sia EE et autres c. GlaxoSmithKline AEVE Farmakeftikon Proïonton, 16 septembre 2008, C-468/06, §34), et non seulement pour renforcer cette position dominante et en abuser (CJCE, United Brands déjà cité, §189).

La notion d'abus d'exclusion recouvre les comportements d'une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d'un marché où, à la suite précisément de la présence de l'entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli (CJCE, Hoffmann-La Roche déjà cité, §91, Akzo Chemie BV c. Commission du 3 juillet 1991, C-62-86, §69, et Kanal 5 et TV 4 AB déjà cité, §25). Sont ainsi visés les actes (accords d'exclusivité, rabais de fidélité, ventes liées ou groupées, prédation tarifaire, refus de vente ou compression de marges...) destinés à empêcher un concurrent réputé aussi efficace de se développer ou d'entrer sur le marché sinon à l'en exclure.

Les abus d'exploitation renvoient, notamment, à l'hypothèse, spécifiquement visée par l'article 102a du TFUE, dans laquelle une entreprise en position dominante utilise les possibilités qui découlent de cette position pour obtenir des avantages de transaction qu'elle n'aurait pas obtenus en cas de concurrence praticable et suffisamment efficace (CJCE, arrêts United Brands, §249, et Kanal 5 et TV 4 AB, §27, déjà cités). Peuvent ainsi constituer des abus d'exploitation l'imposition de prix d'achat excessivement bas (CJCE, CICCE c. Commission, 28 mars 1985, C-298/83) ou d'autres conditions de transaction non équitables (CJCE, 5 octobre 1988, Alsatel c. SA Novasam, C-247/86 ; CJUE, Sabam c. Weareone.World BVBA et Wecandance NV, 25 novembre 2020, C-372/19).

Enfin, si l'abus sanctionné est par principe celui pratiqué par une entreprise dominante sur le marché dominé, un lien devant exister entre le comportement abusif et l'occupation d'une position dominante, les abus commis sur un autre marché sur lequel est également présente l'entreprise sont sanctionnables si ce dernier est uni au marché dominé par un lien de connexité et si la pratique n'a pu être mise en œuvre sur le marché non dominé qu'à raison de la position dominante de l'entreprise sur l'autre marché, ce lien devant être si étroit qu'une entreprise se trouve dans une situation assimilable à celle résultant de la détention d'une position dominante sur l'ensemble des marchés en cause (en ce sens, Com., 17 mars 2009, n° 08-14.503 ; CJCE, Akzo Chemie BV déjà cité, §35 à 45).

Au soutien de ses prétentions, la SAS Le Kiosque.fr produit une attestation de son directeur administratif et financier (sa pièce 72). Celle-ci consiste en l'exploitation de données diverses qui ne sont pas produites et sont insusceptibles de la moindre vérification par la SAS L'Equipe et par la Cour, leurs sources ainsi que leurs conditions de recueil et d'analyse étant indéterminées. Elle n'a ainsi, indépendamment même de la qualité de son auteur, aucune force probante et ne sera pas examinée. Ce raisonnement est intégralement transposable aux pièces 26, 26 bis et 81 de la SAS Le Kiosque.fr, attestations antérieurement rédigées par la même personne et affectées des mêmes carences.

Sur l'augmentation de la rémunération de la SAS L'Equipe

Si l'article L 410-2 du code de commerce prévoit la libre détermination des prix par le jeu de la concurrence, un abus d'exploitation peut consister dans la pratique d'un prix excessif sans rapport raisonnable avec la valeur économique de la prestation fournie (en ce sens, CJCE, United Brands déjà cité, §250, CJCE Kanla 5 et TV 4 AB déjà cité, §28), l'une des méthodes pertinente consistant à apprécier s'il existe une disproportion excessive entre le coût effectivement supporté et le prix effectivement réclamé et, dans l'affirmative, d'examiner s'il y a imposition d'un prix inéquitable, soit au niveau absolu, soit par comparaison avec les produits concurrents (CJUE, 14 septembre 2017, Autortiesibu un çšanâs konsultâciju agentura, C-177/16, §36). Le prix ne sera toutefois pas considéré comme excessif si la disproportion ainsi constatée comporte une justification objective (CJCE, 8 juin 1971, Deutsche Grammophon GmbH, C-78/70, §19 des motifs).

L'abus allégué par la SAS Le Kiosque.fr réside dans la tentative de la SAS L'Equipe de lui imposer, dans le cadre de la renégociation des conditions de leur partenariat et sous la menace réitérée de sa rupture, une hausse de sa rémunération de 84 % par rapport au minimum garanti dans le Deal Memo du 25 novembre 2020, dont la portée juridique importe peu à ce stade en ce qu'il n'est ici mobilisé que pour déterminer subjectivement la valeur que la SAS Le Kiosque.fr accordait à la diffusion du titre L'Equipe.

Les échanges entre les parties (pièces 7 à 16 de la SAS Le Kiosque.fr et 13.1 à 13.5 et 14.1 à 14.8 de la SAS L'Equipe) révèlent que :

- la SAS L'Equipe a informé la SAS Le Kiosque.fr par courriel du 18 décembre 2020 de son intention de ne pas poursuivre la distribution du titre L'Equipe dans les réseaux Cafeyn BtoC (achats à l'acte, forfaits crédits et illimités), offre professionnelle et Cdiscount, une négociation sur le préavis de sortie étant annoncée pour l'année suivante ;

- le 22 janvier 2021, la SAS L'Equipe, évoquant des discussions préalables en ce sens, notifiait à la SAS Le Kiosque.fr la résiliation d'un commun accord de la relation nouée le 2017 concernant les "réseaux BtoC et BtoB Cafeyn (hors réseaux SFR), Telma et Digicel" à compter du 19 avril 2021. Le 17 février 2021, en réponse au courrier du 3 février 2021 par lequel la SAS Le Kiosque.fr lui signifiait son intention de poursuivre l'intégralité des relations au moins jusqu'au terme du Deal Memo, la SAS L'Equipe niait avoir consenti à ce dernier et maintenait sa position en dénonçant par ailleurs des impayés ;

- le 2 mars 2021, la SAS L'Equipe adressait à la SAS Le Kiosque.fr le courriel suivant : Nous demandons [somme occultée par la Cour] pour que Cafeyn puisse continuer à distribuer L'Equipe sur le périmètre actuel, assorti d'une garantie bancaire. De plus, nous souhaitons répondre favorablement à votre proposition de générer des abonnements à L'Equipe via Cafeyn, avec un objectif de 500 souscriptions par mois qui, s'il n'est pas atteint, peut ouvrir le droit à résiliation (sans que la résiliation ne soit automatique et immédiate). Sur ce dernier point, nous pouvons travailler avec vous sur les modalités permettant d'arriver aux 500 souscriptions ;

- les 5 et 9 mars 2021 la SAS Le Kiosque.fr formulait une contreproposition minorant le montant réclamé que la SAS L'Equipe refusait en acceptant toutefois de prolonger jusqu'au 31 décembre 2021 les relations (contrat de 2017 et Cdiscount) à l'exception du canal SFR dont le terme était fixé au 31 août 2021, position maintenue par courriers des 16 avril et 23 juin 2021.

Ainsi, la SAS L'Equipe a formulé ses exigences financières trois mois après avoir annoncé sa volonté ferme de mettre un terme aux relations et en réponse à l'insistance de la SAS Le Kiosque.fr qui s'opposait à toute rupture, celle-ci n'étant ainsi pas une menace érigée en moyen d'obtenir un paiement qui n'a été évoqué que postérieurement à la prise de décision de la SAS L'Equipe et à sa notification. En outre, le Deal Memo fixant son terme au 31 août 2021 (article 1, pièce 6 de la SAS Le Kiosque.fr), soit postérieurement à celui défini dans le contrat du 29 mai 2017, la SAS L'Equipe n'a pas envisagé une résiliation anticipée mais une non-reconduction du contrat.

Par ailleurs, la SAS Le Kiosque.fr déduit le caractère excessif de la rémunération sollicitée du taux de son augmentation par rapport à celle fixée dans le Deal Memo qu'elle estime déjà élevée par rapport à celle versée aux autres éditeurs de presse et à l'importance du coût par lecteur mensuel moyen de L'Equipe. Mais, ce dernier n'est pas établi par l'attestation de son expert-comptable du 12 octobre 2022 (sa pièce 71) qui ne comporte aucun élément permettant de vérifier l'exactitude des données qu'elle mentionne et qui sont issues d'un logiciel de suivi interne qui n'a été ni testé ni audité par le professionnel du chiffre, aucun débat contradictoire utile n'étant de ce fait possible. Et, la SAS Le Kiosque.fr bâtit son argumentation sur le caractère incontournable du titre et chiffre d'ailleurs le préjudice causé par sa perte (§49 et suivants de ses écritures) à plus de 12 millions d'euros, indice supplémentaire de la valorisation exceptionnelle du titre dans le portefeuille du kiosque numérique qui estime sa distribution "essentielle [à] l'attractivité de [son] catalogue" (§30 de ses écritures). En outre, le Deal Memo a été rédigé dans la foulée du rachat par la SAS Le Kiosque.fr de l'offre de presse de la société SFR et de la plateforme de numérisation de journaux Milibris qui était de nature à modifier l'équilibre de la relation et dont la SAS L'Equipe, qui dénie d'ailleurs son consentement, n'a pas nécessairement pris toute la mesure en novembre 2020.

Ainsi, rien n'établit la décorrélation alléguée entre l'augmentation réclamée et, d'une part, la valeur de la prestation fournie, et, d'autre part, les prix pratiqués par les concurrents, aucune offre substituable n'existant sur le marché. Et, la SAS Le Kiosque.fr n'explique pas dans quelle mesure l'acceptation d'une telle condition financière entraverait son activité ou réduirait sa rentabilité. Elle ne démontre pas non plus en quoi le comportement de la SAS L'Equipe serait de nature à affecter le marché national ou intracommunautaire.

En conséquence, l'excès n'étant pas démontré et les exigences de la SAS L'Equipe reposant sur des justifications objectives, cet abus n'est pas démontré.

Sur le refus de vente discriminatoire

Le refus de fournir des produits (CJCE, 6 mars 1974, Commercial Solvents, affaires 6 et 7-73, §25), comme celui d'assurer des prestations de services (CJCE, 3 octobre 1985, Telemarketing, affaire 311/84, §26), peut constituer l'exploitation abusive d'une position dominante si le détenteur de cette position sur le marché des matières premières, dans le but de les réserver à sa propre production des dérivés, en refuse la fourniture a un client, lui-même producteur de ces dérivés, au risque d'éliminer toute concurrence de la part de ce client. L'Autorité de la concurrence a ainsi précisé que le refus de vente opposé par une entreprise en position dominante ne constitue pas, en tant que tel, une pratique prohibée et qu'il n'en va différemment que dans la situation où celle-ci refuse de fournir à un concurrent un bien ou un service indispensable ou nécessaire à l'exercice de ses activités et à la condition que ce refus soit de nature à éliminer toute concurrence et qu'il ne puisse être objectivement justifié (décision n° 17-D-11 du 25 juillet 2017, §126).

Par ailleurs, la discrimination consiste à traiter différemment deux personnes placées dans une situation identique ou, inversement, à traiter identiquement deux personnes qui sont dans une situation différente. Au sens du droit des pratiques anticoncurrentielles, les pratiques discriminatoires peuvent être restrictives de concurrence lorsqu'elles ont pour objet ou pour effet d'évincer un concurrent du marché ou quand des clients de l'entreprise en position dominante se voient désavantagés dans la concurrence sur leur propre marché. La discrimination peut consister à renforcer de manière artificielle l'entreprise qui la met en œuvre dans la compétition qu'elle livre sur le marché dominé ou sur un autre marché, ou porter atteinte au jeu concurrentiel sans que l'entreprise qui la met en œuvre ne soit directement partie prenante sur le marché affecté (en ce sens, Autorité de la concurrence, décision n° 13-D-07 du 28 février 2013, §32 et suivants). La sanction de la discrimination suppose la démonstration préalable d'une affectation du marché, le comportement abusif devant produire des effets sur la position concurrentielle de l'entreprise dominante elle-même, sur le marché où elle opère et par rapport à ses éventuels concurrents (en ce sens, CJUE, MEO c. GDA, 19 avril 2018, n° C-525/16, §24 et 25).

L'arrêt de la distribution du titre L'Equipe par la SAS Le Kiosque.fr trouve sa cause dans l'échec des négociations évoquées. Aucun abus n'étant imputable à cet égard à la SAS L'Equipe, qui demeure libre de contracter avec le partenaire de son choix ou de s'autodiffuser pour recentrer son activité les abonnements directs et mieux contrôler ses sources de revenus conformément à l'article 1102 du code civil, son refus est justifié par des éléments tangibles et vérifiables. La décision de la SAS L'Equipe s'inscrit par ailleurs dans une réorientation stratégique transparente annoncée à son partenaire puis dans la presse (pièce 30 de la SAS Le Kiosque.fr) ainsi que l'a justement retenu le tribunal dont les motifs seront adoptés en ce qu'il a jugé que la position de la SAS L'Equipe reposait sur des éléments objectifs clairement exposés consistant à réduire ou supprimer les coûts d'intermédiation et à maîtriser ses relations avec ses 330 000 abonnés en leur proposant une plateforme numérique constituant la porte d'entrée unique du groupe donnant accès au PDF, à la chaîne TV ainsi qu'à l'information en temps réel en renforçant la présence des formats vidéo et audio.

Et, outre le fait que l'attractivité du titre L'Equipe, comme son caractère incontournable sur le marché de la presse d'information sportive, n'est pas en soi de nature à imposer à son éditeur une obligation de contracter, ce quotidien n'est pas indispensable à l'activité de la SAS Le Kiosque.fr qui, sur le marché distinct et plus large des kiosques numériques, s'est développée sans lui pendant plus de dix ans et s'est poursuivie après l'arrêt de sa diffusion, aucun élément comptable fiable ne permettant de mesurer l'impact de ce dernier sur le chiffre d'affaires de la SAS Le Kiosque.fr dont le catalogue est particulièrement étendu et touche à des thématiques très variées ne se réduisant pas au sport. En outre, ainsi que l'a précisé l'Autorité de la concurrence dans son avis 23-A-11 (§110 et suivants), kiosques numériques et exploitation de sites éditoriaux ne relèvent pas d'un même marché faute de répondre aux mêmes besoins et de proposer des offres substituables à raison de la différence de qualité et de profondeur d'analyse des contenus, de l'absence ou non d'éditorialisation ainsi que de la variété ou non des thématiques abordées. La pression concurrentielle exercée par la SAS L'Equipe par l'autodiffusion et son offre spécialisée sur l'activité de la SAS Le Kiosque.fr et son offre globale sur le marché aval est ainsi faible. A ce titre, l'Autorité de la concurrence relève à juste titre que :

- l'offre de contenus relatifs au sport constituait une part relativement limitée des contenus consommés par les abonnés de la SAS Le Kiosque.fr, celle-ci culminant entre 10 % et 12 % sur la période du 1er janvier 2019 au 31 août 2022 durant laquelle le titre L'Equipe était diffusé sur sa plateforme (§115) ;

- l'évolution des abonnements à Cafeyn et à lequipe.fr durant et après le référencement du titre L'Equipe sur la plateforme met en lumière des reports de clientèle limités entre les parties (§116), et ce en dépit des nombreuses plaintes des abonnés de la SAS Le Kiosque.fr et de la réalité des désabonnements consécutifs au retrait du titre L'Equipe.

Aussi, le refus de contracter opposé par la SAS L'Equipe, conséquence mécanique de l'échec des négociations qui ne sont pas critiquables en la forme ou au fond, n'a pas pour but de renforcer sa position dominante ou d'évincer à l'aval un concurrent et repose sur des justifications objectives. Il n'est pas abusif.

Il n'est pas non plus discriminatoire puisque, ainsi que l'a jugé le tribunal dont les motifs seront adoptés sur ce point également, la société ToutApprendre et la SAS Le Kiosque.fr n'étant pas placées dans des situations équivalentes, tant sur le plan de leurs situations capitalistiques que sur celui du contenu de leurs offres et de leurs publics cibles : la première, créée en 2008 et intégrée au groupe Amaury de 2018 à fin octobre 2022, soit à l'époque des faits, propose une offre à destination des comités d'entreprise, des médiathèques, des bibliothèques et des entreprises qui consiste en des cours en ligne sur de nombreuses thématiques (soutien scolaire, sport, secourisme, santé, etc.), des livres et des bandes-dessinées en ligne (plus de 75 000), des services en ligne (consultation avec des psychologues ou des juristes), ainsi qu'en un service de presse en ligne avec plus de 300 titres et magazines sur de nombreuses thématiques (presse d'informations générale, sportive, mode et féminin, jeunesse, santé, loisirs, cuisine, presse régionale). De fait, le partenariat entre la SAS L'Equipe et la société ToutApprendre n'a pas été poursuivi après la sortie de cette dernière du groupe Amaury.

En conséquence, aucun abus n'étant caractérisé, les demandes de la SAS Le Kiosque.fr à ce titre sont infondées et le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il les a intégralement rejetées.

3°) Sur les pratiques restrictives de concurrence

Moyens des parties

Au soutien de ses prétentions, la SAS Le Kiosque.fr expose, au visa de l'article L 442-1 1° du code de commerce, que la SAS L'Equipe a, en cherchant à lui imposer une augmentation de sa rémunération de 84 % en cours de renégociation du contrat les liant sous la menace d'une rupture de leurs relations, tenté d'obtenir un avantage sans contrepartie, une telle hausse, appliquée à un tarif déjà supérieur à celui pratiqué à l'égard des autres titres de presse, excédant le chiffre d'affaires qu'elle réalisait avec la distribution du titre L'Equipe.

En réponse, la SAS L'Equipe explique que le tarif proposé le 25 janvier 2021, sur insistance de la SAS Le Kiosque.fr qui ne se satisfaisait pas de la fin des relations commerciales, était une proposition tarifaire qui reflétait la valeur de la marque à périmètre constant et était cohérente avec les perspectives de croissance qu'elle annonçait, avec les tarifs proposés par des kiosques numériques concurrents ainsi qu'avec l'augmentation des tarifs des publications de la SAS L'Equipe sur tous les autres supports. Elle ajoute que la relation commerciale est désormais inexistante, constat faisant obstacle à l'application de l'article L 442-1 du code de commerce.

Réponse de la cour

Quoiqu'elle évoque des pratiques restrictives, la SAS Le Kiosque.fr n'en définit qu'une au visa de l'article L 442-1 I 1° du code de commerce et, bien qu'elle invoque une tentative d'imposition de ses conditions tarifaires par la SAS L'Equipe, ne fonde pas son action sur le déséquilibre significatif.

Conformément à ce texte, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l'exécution d'un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services d'obtenir ou de tenter d'obtenir de l'autre partie un avantage ne correspondant à aucune contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie

Ainsi, l'application de ce texte exige seulement que soit constatée l'obtention d'un avantage quelconque (ou sa tentative) ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu, quelle que soit la nature de cet avantage qui peut être tarifaire (en ce sens, Com., 11 janvier 2023, n° 21-11.163). Cette interprétation n'autorise ni un contrôle généralisé de la lésion, notion distincte de l'absence totale de contrepartie ou de sa disproportion manifeste qui renvoie à l'analyse de la réalité de la prestation attendue, ni celui de la stricte adéquation du prix à un service en violation de la liberté contractuelle. L'appréciation de l'absence de contrepartie ou de sa disproportion manifeste suppose une analyse essentiellement objective et quantitative et s'opère généralement terme à terme sans égard pour l'existence d'une soumission.

Dans ce cadre, il incombe à la SAS Le Kiosque.fr, conformément à l'article 1353 du code civil, de prouver l'obtention (ou sa tentative) par son partenaire commercial d'un avantage quelconque, et à la SAS L'Equipe d'établir au contraire la réalité et l'effectivité de la contrepartie servie (ou envisagée).

Ainsi qu'il a été dit, le caractère excessif, et a fortiori manifestement disproportionné, de l'augmentation de sa rémunération sollicitée par la SAS L'Equipe n'est établi ni par référence à la valeur de la prestation ni en contemplation des tarifs pratiqués par des concurrents.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de la SAS Le Kiosque.fr à ce titre.

4°) Sur les demandes reconventionnelles de la SAS L'Equipe

Moyens des parties

La SAS L'Equipe soutient que ses demandes reconventionnelles sont connexes aux demandes de la SAS Le Kiosque.fr qui portent sur les mêmes relations, une demande de reprise ou de négociation forcées des relations commerciales supposant l'examen de leur nature et des conditions de leur rupture, de la même manière que l'analyse de pratiques tarifaires suppose celle des prestations auxquelles elles se rapportent. Elle en déduit leur recevabilité.

Sur le fond, elle explique avoir, par courriel du 18 décembre 2020, valablement mis fin à la relation débutée en 2017 en octroyant un préavis d'un an prorogé le 19 mars 2021 et échu le 31 décembre 2021. Soulignant n'avoir accepté aucun des avenants rédigés par la SAS Le Kiosque.fr, elle indique avoir régulièrement, par courrier du 19 mars 2021 puis par lettre du 10 novembre 2021 adressée en contemplation de l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, mis un terme à la "relation Presse by Cafeyn (SFR)" initiée le 1er septembre 2020. Elle fixe la fin de cette relation au 31 août 2021 et à défaut, au jour du prononcé de l'arrêt ou au 31 août 2022. Elle estime que, depuis la fin de ces relations, "toute utilisation faite par Lekiosque.fr des contenus de la SAS L'Equipe l'est sans autorisation et est illicite et engage [sa] responsabilité de sur le fondement de l'article 1240 du code civil", fait portant atteinte à son image et à sa marque et lui causant un préjudice évalué à 500 000 euros.

Elle impute par ailleurs à la SAS Le Kiosque.fr des actes de concurrence déloyale consistant à tromper le consommateur en lui faisant croire que le titre L'Equipe était disponible malgré la rupture des relations, la violation de ses obligations légales lui procurant un avantage concurrentiel et lui causant un préjudice évalué à nouveau à 500 000 euros.

Elle soutient en outre que la rémunération de la SAS Le Kiosque.fr, quatre fois supérieure aux sommes qu'elle lui a versées alors qu'elle ne finance ni la production de l'information ni les salaires des journalistes, est "manifestement indue". Elle en déduit un droit à répétition de neuf millions d'euros "correspondant à la part estimée de revenus générés par L'Equipe uniquement dans l'offre Presse by Cafeyn entre le 01/09/2020 et le 01/09/2022, qui ont été indument perçus par Lekiosque.fr".

Elle expose enfin que le risque que la SAS Le Kiosque.fr n'exécute pas l'arrêt, risque dont la prégnance découle de l'inexécution de l'ordonnance de référé du 27 août 2021, commande sa publication.

En réponse, la SAS Le Kiosque.fr soutient que :

- la demande indemnitaire de la SAS L'Equipe au titre de l'atteinte à son image de marque est nulle au visa des dispositions combinées des articles 4, 15 et 119 du code de procédure civile à raison de l'imprécision de son fondement juridique, rien ne permettant de comprendre si les faits dénoncés sont des actes de concurrence déloyale ou de parasitisme ou portent sur des droits de propriété intellectuelle, l'article 1240 du code civil étant manifestement invoqué pour contourner les dispositions du code de la propriété intellectuelle ;

- les demandes reconventionnelles de la SAS L'Equipe sont irrecevables faute de se rattacher par un lien suffisant aux demandes originaires qui étaient circonscrites, conformément à l'ordonnance présidentielle l'autorisant à assigner à bref délai, aux pratiques anticoncurrentielles et restrictives de concurrence de la SAS L'Equipe, prétentions étrangères à l'exécution des contrats.

Subsidiairement, elle expose que :

- par l'effet de l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 28 octobre 2021, elle disposait des droits de diffuser les contenus de la SAS L'Equipe jusqu'au 31 août 2022, aucune faute ne pouvant lui être imputée de ce chef. Elle ajoute que le préjudice allégué n'est prouvé ni en son principe ni en sa mesure ;

- les conditions de la répétition de l'indu ne sont pas réunies au sens de l'article 1302 du code civil, ni la réalité d'un paiement fait par erreur ni l'inexistence de la dette n'étant démontrées. Elle ajoute que sa rémunération, dont le montant est exagéré par la SAS L'Equipe, a été librement négociée et arrêtée par les parties ;

- ainsi que l'a retenu la cour d'appel de Versailles, un contrat a été conclu le 25 novembre 2020 (Deal Memo), la SAS L'Equipe l'ayant accepté sans réserve conformément aux usages entre les parties depuis 2017 et l'ayant exécuté en respectant ses nouvelles conditions financières, peu important l'absence d'exploitation du flux RSS qui n'est qu'une option technique non nécessaire à la distribution des titres. Elle précise que, faute pour la SAS L'Equipe d'avoir respecté les conditions de dénonciation qu'il stipulait, ce contrat s'est renouvelé jusqu'au 31 août 2022 ;

- la mesure de publication judiciaire est infondée.

Réponse de la cour

a) Sur la nullité des demandes

Conformément aux articles 12 et 16 du code de procédure civile, le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables et doit donner ou restituer dans le respect du principe de la contradiction leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.

Au motif que l'objet et le fondement de la demande indemnitaire de la SAS L'Equipe au titre de l'atteinte à son image de marque sont imprécis, la SAS Le Kiosque.fr invoque sa nullité au visa des dispositions combinées des articles 4 à 6, 15 et 119 du code de procédure civile. Cependant, les articles 112 à 121 du code de procédure civile régissent la nullité des actes de procédure, ce que n'est pas une prétention. L'impossibilité de déterminer l'objet ou le fondement juridique de la demande n'est pas cause de sa nullité mais de son rejet au fond.

En conséquence, l'exception de nullité, improprement qualifiée, sera rejetée et le moyen sera traité comme une défense au fond au sens de l'article 71 du code de procédure civile, aucune réouverture des débats n'étant nécessaire en application de l'article 16 du code de procédure civile, ses termes étant inchangés.

b) Sur la recevabilité des demandes

Conformément à l'article 122 du code de procédure civile, constitue notamment une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Et, en application des articles 63, 64 et 70 du code de procédure civile, la demande reconventionnelle, qui est la demande incidente par laquelle le défendeur originaire prétend obtenir un avantage autre que le simple rejet de la prétention de son adversaire, n'est recevable que si elle se rattache aux prétentions originaires par un lien suffisant qui est apprécié souverainement et concrètement par le juge en considération des données factuelles et juridiques du litige. A ce titre, si une demande reconventionnelle hybride, constituant simultanément une défense au fond en ce que son succès emporte rejet des demandes adverses, est par nature suffisamment liée aux demandes originaires, il n'en est pas de même pour une demande reconventionnelle pure et simple.

Le lien suffisant visé par l'article 70 du code de procédure civile, dont l'appréciation n'est pas contrainte par les termes de l'ordonnance portant autorisation d'assigner à bref délai qui est une mesure d'administration judiciaire, n'est pas un lien d'invisibilité : sa caractérisation ne suppose pas la démonstration d'une impossibilité de juger séparément les demandes, les développements des parties à ce titre n'étant pas pertinents, mais exclusivement la preuve que celles présentées à titre reconventionnelle sont matériellement et juridiquement rattachées aux prétentions originaires et que leur présentation ne modifie ainsi pas substantiellement l'objet du litige au sens de l'article 4 du code de procédure civile.

Le litige introduit au fond par la SAS Le Kiosque.fr a pour objet des pratiques anticoncurrentielles et restrictives consistant dans un abus de sa position dominante par la SAS L'Equipe, abus concrétisé dans la tentative d'obtention d'une augmentation de sa rémunération qu'elle estime excessive et manifestement disproportionnée au regard de la valeur de la prestation fournie, ainsi que dans un refus de la laisser poursuivre la diffusion de ses contenus en général et du titre L'Equipe en particulier. Factuellement, le conflit porte sur les conditions de la rupture des relations contractuelles et commerciales, la SAS Le Kiosque.fr sollicitant ainsi à titre principal l'exécution forcée du Deal Memo du 25 novembre 2020 et la reprise des négociations, prétentions identiques, hors critère temporel, à celles présentées en référé, signe que l'autonomie des litiges n'est pas telle qu'elle l'envisage.

Or, les demandes reconventionnelles de la SAS L'Equipe tendent, le bienfondé de l'absence de renouvellement ou de reconduction du ou des contrats étant précédemment constaté, à la condamnation de la SAS Le Kiosque.fr, sur le fondement de sa responsabilité délictuelle, à l'indemniser des préjudices causés par la poursuite de la diffusion de ses contenus sans son autorisation, par l'allégation trompeuse de la disponibilité du titre L'Equipe dans les offres de la SAS Le Kiosque.fr ainsi que par le caractère indu des sommes perçues dans le cadre de leur partenariat.

S'il est exact que le lien de rattachement entre les demandes originaires et cette dernière prétention est ténu, il est néanmoins suffisant en ce qu'elle touche, comme les demandes de la SAS Le Kiosque.fr, à l'appréciation de la consistance des prestations servies par chacune des parties. Un tel lien est manifeste pour les autres demandes qui portent sur les conditions et les conséquences de la rupture qui sont au cœur du litige.

En conséquence, la fin de non-recevoir opposée par la SAS Le Kiosque.fr sera rejetée et le jugement entrepris infirmé en ce qu'il a déclaré les demandes reconventionnelles de la SAS L'Equipe irrecevables.

c) Sur le bienfondé des demandes

En vertu des dispositions des articles 1240 et 1241 (anciennement 1382 et 1383) du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, chacun étant responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

Sur l'atteinte à l'image de la SAS L'Equipe

L'examen de la demande indemnitaire de la SAS L'Equipe suppose celui, préalable, du cadre contractuel régissant la relation des parties et de la validité de la rupture des ou du contrat la liant à la SAS Le Kiosque.fr. A ce titre, conformément à l'article 488 du code de procédure civile, une ordonnance de référé n'a pas, au principal, l'autorité de la chose jugée. Or, la SAS Le Kiosque.fr ne prétend ni que l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 28 octobre 2021 ferait obstacle à l'examen des dénonciations notifiées par la SAS L'Equipe ni que ses demandes à ce titre ne sont pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile à raison de leur formulation ("dire que..."). Aussi, saisie du principal, la Cour est tenue d'apprécier la régularité des ruptures en la forme et au fond sans égard pour cette décision.

Sur le cadre contractuel régissant les relations des parties

Conformément à l'article 1113 du code civil, le contrat est formé par la rencontre d'une offre et d'une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s'engager. Cette volonté peut résulter d'une déclaration ou d'un comportement non équivoque de son auteur. A ce titre, en vertu de l'article 1120 du code civil, le silence ne vaut pas acceptation, à moins qu'il n'en résulte autrement de la loi, des usages, des relations d'affaires ou de circonstances particulières.

A l'occasion de l'acquisition par la SAS Le Kiosque.fr de l'offre de presse SFR et de la plateforme Milibris, les parties ont entamé des négociations portant notamment sur les conditions de diffusion des titres L'Équipe, L'Équipe Magazine, France Football et Vélo Magazine et sur la rédaction d'un avenant formalisant les conditions de leur partenariat. A la faveur d'un échange de courriels des 20 et 21 juillet 2020, elles se sont accordées sur leurs obligations financières que la SAS L'Equipe a respecté dès septembre 2020 sans attendre la régularisation d'un instrumentum (§61 de ses écritures).

Dans la continuité de cette correspondance et à la demande de la SAS L'Equipe qui sollicitait un "mail récapitulant formellement l'accord Cafeyn-L'Equipe pour les abonnés SFR + Telma + Digicel" (courriel du 4 novembre 2020, pièce 50 de la SAS Le Kiosque.fr), la SAS Le Kiosque.fr a adressé à cette dernière le 24 novembre 2020 le Deal Memo litigieux. En réponse à sa transmission en format Word sollicitée pour permettre d'y apporter des "commentaires/révisions", la directrice juridique du Pôle média et corporate du groupe Amaury précisait le 3 décembre 2020 : "rien pour moi" (pièce 19 de la SAS Le Kiosque.fr).

Le Deal Memo ainsi adressé et non amendé (pièce 6 de la SAS Le Kiosque.fr) définit les conditions particulières de leur partenariat pour chaque canal de diffusion (SFR, Telma/Digicel, BtoC/offre professionnelle/Cdiscount), ainsi que leurs obligations générales relatives notamment aux "Engagements Promotion", aux datas, aux conditions de règlement et aux conditions de renégociation des modalités financières. Pour le canal de diffusion SFR, il précise que :

- l'accord couvre la période du 21 juillet 2020 au 31 août 2021 et qu'il est renouvelable par tacite reconduction par tranches annuelles "sauf dénonciation par LRAR au moins 4 mois avant le terme" ;

- la rémunération de la SAS L'Equipe est composée d'un montant forfaitaire, fixe et global et d'une rémunération complémentaire à partir d'un nombre déterminé de téléchargements.

Si aucun contrat n'a finalement été signé par les parties, cette situation fait écho à leur pratique antérieure : les modifications apportées au contrat du 29 mai 2017 n'ont fait l'objet d'aucun avenant écrit et ont été validées par simples échanges de courriels. Ainsi, le 11 décembre 2018, à l'occasion d'un échange portant sur l'intégration du titre L'Equipedans l'offre de la SAS Le Kiosque.fr BtoC et BtoBtoC, la SAS L'Equipe indiquait à cette dernière, qui proposait l'envoi d'un contrat formalisant leur accord global (Bouygues et Free) : "Pour le contrat, je ne sais pas si on aura une V1 avant le lancement car notre juridique traite pas mal de sujets en ce moment mais le deal memo qu'on s'est écrit par mail fait foi contractuellement et a été validé par les personnes concernées en interne !" (pièces 4 et 5 de la SAS Le Kiosque.fr). De la même manière, la SAS L'Equipe se contentait le 4 novembre 2020 d'un simple courriel récapitulatif pour sceller l'accord en cours d'élaboration (pièce 50 de la SAS Le Kiosque.fr déjà citée).

Par ailleurs, outre le fait que la SAS L'Equipe n'a pas émis la moindre réserve à la réception de ce document qui n'avait suscité aucune observation de la directrice juridique de son groupe d'appartenance, elle en a, peu important l'absence de mise à disposition du flux RSS par la SAS L'Equipe qui n'était pas indispensable à l'exploitation des contenus, exécuté les termes ainsi que l'établissent les éléments suivants :

- l'unique contestation de la SAS L'Equipe a été formulée dans son courrier du 3 février 2021 (pièce 9 de la SAS Le Kiosque.fr) dans lequel elle expliquait que "les conditions relatives à la durée des potentiels nouveaux accords [stipulées dans le Memo Deal] n'avaient pas été partagées en amont", critique à la fois tardive, très circonscrite, les autres stipulations n'étant pas évoquées et le désaccord ne concernant pas le "réseau SFR Presse", et inexacte ainsi que le révèle le courriel du 3 décembre 2020 (pièce 19 de la SAS Le Kiosque.fr déjà citée) ;

- la poursuite de la diffusion du titre L'Equipe a été facturée en appliquant les conditions financières du Deal Memo, conformes aux échanges de juillet 2020 (pièce 77 de la SAS Le Kiosque.fr). Et, dans ses courriers des 19 mars, 16 avril et 23 juin 2021 (pièces 13, 14 et 16 de la SAS Le Kiosque.fr déjà citées), la SAS L'Equipe s'est explicitement référée, pour évoquer le canal SFR, au terme du 31 août 2021 qui n'était stipulé que dans le Memo Deal, indice supplémentaire de la conscience de son engagement.

Ainsi, tant la pratique antérieure des parties, conforme à celle adoptée lors de l'envoi du Mémo Deal de novembre 2020, que le comportement de la SAS L'Equipe qui n'a contesté que tardivement son engagement tout en l'ayant exécuté et en s'y référant, démontrent la réalité de l'échange des consentements entre les parties et celle de la formation du contrat renfermé dans cet instrumentum global encadrant les relations et se substituant aux accords antérieurs, peu important la dissociation formelle qu'il opère entre les différents canaux.

Sur la fin des relations et le préjudice de la SAS L'Equipe

Conformément aux articles 1103, 1193 et 1194 du code civil (anciennement 1134), les conventions légalement formées, qui tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise, doivent être exécutées de bonne foi.

Par ailleurs, en vertu de l'article 1212 du code civil, lorsque le contrat est conclu pour une durée déterminée, chaque partie doit l'exécuter jusqu'à son terme. Nul ne peut exiger le renouvellement du contrat.

Alors que le Deal Memo stipulait qu'il couvrait la période du 21 juillet 2020 au 31 août 2021 et qu'il était renouvelable par tacite reconduction par tranches annuelles "sauf dénonciation par LRAR au moins 4 mois avant le terme", la SAS L'Equipe ne démontre aucune notification respectant ces prescriptions. En effet, tandis que le courrier du 19 mars 2021 visait une résiliation amiable soumise par hypothèse à l'accord de la SAS Le Kiosque.fr qui n'a jamais été donné, celui du 23 juin 2021 a été adressé hors délai contractuel. Aussi, faute de dénonciation valable et d'invocation d'un manquement fondant la rupture au sens de l'article 1226 du code civil, la dénonciation de la SAS L'Equipe était inefficace et le contrat a été tacitement reconduit jusqu'au 31 août 2022 concernant le canal SFR.

Dès lors, la poursuite de la diffusion étant contractuellement fondée pour ce canal et la SAS L'Equipe ne prétendant pas ne pas avoir été dûment rémunérée, ses demandes à ce titre seront rejetées.

Concernant les autres canaux, pour lesquels le Deal Memo stipulait des durées variables, la SAS L'Equipe ne démontre aucune utilisation des contenus via ces derniers postérieurement à leurs termes respectifs, le procès-verbal des 25 septembre, 8 et 21 octobre, 8 et 9 et 2 décembre 2021 ne concernant que l'offre SFR Cafeyn ainsi que le précise explicitement l'huissier instrumentaire (pièces 19 et 26 de la SAS L'Equipe).

Et, par-delà l'absence de preuve de la matérialité des faits allégués, la SAS L'Equipe n'explique pas en quoi l'utilisation sans son autorisation de ses contenus informatifs serait en soi fautive : elle ne précise pas si elle entend bénéficier de leur protection au titre du parasitisme, qui supposerait la démonstration d'une valeur économique individualisable fruit d'investissements qu'elle aurait dû justifier en leur principe puis quantifier précisément, ou à celui d'un droit de propriété intellectuelle (marque, droits voisins ou droit d'auteur sur les articles eux-mêmes ou l'œuvre collective) dont les conditions d'application ne sont pas débattues. De fait, si l'invocation de l'article 1240 du code civil exclut par principe toute référence à un tel droit, la SAS L'Equipe entretient une confusion qui interdit toute détermination claire de l'objet de son action en évoquant pêle-mêle l'utilisation de ses contenus mais également de sa marque (§391 de ses écritures : "Lekiosque.fr utilisait la marque L'Equipe auprès de ses abonnés, de ses partenaires commerciaux et de prospects pour le pouvoir d'attraction qu'elle lui attribue", puis "Lekiosque.fr a usé du pouvoir d'attraction de la marque de manière totalement illicite et trompeuse").

Cette indétermination du fondement exact de la demande et de son objet rejaillit sur l'identification du préjudice allégué : alors que chaque atteinte obéit à un régime de caractérisation et de réparation propre, la SAS L'Equipe sollicite, en violation du principe de la réparation intégrale, une indemnisation forfaitaire globale que rien n'étaye par ailleurs, les modalités de fixation du quantum à 500 000 euros n'étant pas explicitées.

En conséquence, les demandes de la SAS L'Equipe au titre de son préjudice d'image seront rejetées.

Sur les messages trompeurs de la SAS Le Kiosque.fr

L'action en concurrence déloyale est une modalité particulière de mise en œuvre de la responsabilité civile délictuelle pour fait personnel de droit commun. Elle suppose ainsi la caractérisation d'une faute, d'une déloyauté appréciée à l'aune de la liberté du commerce et de l'industrie et du principe la libre concurrence, ainsi que d'un préjudice et d'un lien de causalité les unissant, le non-respect d'une réglementation dans l'exercice d'une activité commerciale, qui induit nécessairement un avantage concurrentiel indu pour son auteur, constituant un acte de concurrence déloyale (en ce sens, Com. 17 mars 2021, n° 19-10.414). A ce titre, si une situation de concurrence effective n'est pas une condition préalable de sa mise en œuvre (en ce sens, Com. 10 novembre 2012, n° 1-25.873, déjà cité), l'absence d'incidence prouvée de la faute sur la situation du demandeur à l'action fera obstacle à la caractérisation du préjudice et du lien de causalité (en ce sens, Com. 16 mars 2022, n° 20-18.882). Et, si le préjudice s'infère d'un acte de concurrence déloyale, la victime doit prouver l'étendue de son entier préjudice (en ce sens, Com. 12 février 2020, n° 17-31.614). Dans ce cadre, le juge, tenu de réparer intégralement tout préjudice dont il constate le principe (en ce sens, Com., 10 janvier 2018, n° 16-21.500), apprécie souverainement son montant dont il justifie l'existence par la seule évaluation qu'il en fait sans être tenu d'en préciser les divers éléments (en ce sens, Ass. plén., 26 mars 1999, n° 95-20.640).

La SAS L'Equipe déduit de la pièce adverse 73 "la preuve que des consommateurs ont souscrit à une offre d'abonnement quelques jours avant la fin de la diffusion de L'Equipe dans l'offre Presse by Cafeyn SFR, sans avoir été informés du retrait de ce titre" (§399 de ses écritures). Mais, ce document, qui compile sur 397 pages les doléances des abonnés Cafeyn privés d'accès au journal L'Equipe et que la SAS L'Equipe n'exploite que pour en extraire un unique courriel du 3 septembre 2022, ne dit rien du contenu des messages et allégations promotionnelles ou publicitaires diffusés par la SAS Le Kiosque.fr. Leur caractère trompeur, insusceptible du moindre contrôle par le juge et de contradiction utile par la SAS Le Kiosque.fr, n'est ainsi pas établi.

En outre, la SAS L'Equipe n'explique pas quelles "réglementations, notamment celle d'ordre public relative à la protection des consommateurs [la SAS Le Kiosque.fr aurait violé] dans l'exercice de son activité depuis le 31 août 2021 pour l'offre SFR Presse by Cafeyn et le 31 décembre 2021 pour LKI", le fondement de son action étant ainsi à nouveau indéterminable.

Enfin, le préjudice allégué, fixé forfaitairement à la somme de 500 000 euros sans la moindre explication, n'est prouvé ni en son principe ni en sa mesure.

La SAS L'Equipe ne prouvant ni faute ni préjudice, sa demande indemnitaire sera rejetée.

Sur la répétition de l'indu

En application des articles 1302 et suivants du code civil, tout paiement suppose une dette, ce qui a été reçu sans être dû étant sujet à restitution. Ainsi, celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû doit le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu, et celui qui par erreur ou sous la contrainte a acquitté la dette d'autrui peut agir en restitution contre le créancier. Néanmoins ce droit cesse dans le cas où le créancier, par suite du paiement, a détruit son titre ou abandonné les sûretés qui garantissaient sa créance. La restitution peut aussi être demandée à celui dont la dette a été acquittée par erreur. La restitution est soumise aux règles fixées aux articles 1352 à 1352-9. Elle peut être réduite si le paiement procède d'une faute.

Ainsi, le succès de l'action en répétition de l'indu suppose un indu objectif, caractérisé par l'inexistence de la dette en tout ou partie, ou un indu subjectif, qui réside dans l'erreur de l'auteur du paiement, le solvens, au profit de l'accipiens qui le reçoit, la charge de la preuve du paiement et de son caractère indu incombant à la SAS L'Equipe conformément à l'article 9 du code de procédure civile.

Cette dernière, en s'appuyant sur une pièce qu'elle estime pourtant irrecevable et non probante, déduit l'existence d'un indu de 9 millions d'euros au sens des articles 1302-1 et suivants du code civil, et non d'un avantage sans contrepartie ou d'un déséquilibre significatif au sens de l'article L 442-6 I (devenu L 442-1) du code de commerce qu'elle n'invoque pas, de l'écart entre sa rémunération et les bénéfices retirés par la SAS Le Kiosque.fr de leur relation quoiqu'elle ne finance ni la production de l'information ni les salaires des journalistes la traitant (§403 de ses écritures : "La perception par Lekiosque.fr de tels revenus est manifestement indue, ils ne correspondent à aucune rationalité économique, ni aucun coût").

Ainsi, outre le fait que la SAS L'Equipe, qui n'allègue aucune erreur, ne fournit pas le moindre élément permettant d'évaluer le surcoût qu'elle allègue, les paiements dont la répétition est sollicitée étaient tous causés par le contrat encadrant les relations des parties, contrat qui n'a pas été annulé.

En conséquence, faute de démonstration d'un indu objectif ou subjectif, la demande de la SAS L'Equipe sera rejetée.

Sur la mesure de publication judiciaire

La publication judiciaire est une mesure de réparation par équivalent qui a ainsi une nature indemnitaire. En ce qu'elle est coûteuse, le juge a l'obligation (en ce sens, au visa de l'article 1382 du code civil : Com. 23 mars 2010 n° 09-13.673 : "attendu que le préjudice doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties ; que les juges qui ordonnent la publication d'une décision de condamnation civile sont tenus d'en préciser le coût maximum"), de fixer le montant maximum des frais publication à la charge de la partie condamnée pour s'assurer que la réparation est intégrale et directement et exclusivement corrélée au préjudice effectivement subi.

Outre le fait qu'aucune faute fondant le prononcé d'une telle mesure n'est caractérisée, l'ordonnance opposée ayant été infirmée, la SAS L'Equipe ne précise pas le quantum de sa demande.

En conséquence, la mesure étant par ailleurs inutile puisque la SAS Le Kiosque.fr a cessé toute diffusion des contenus de la SAS L'Equipe, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté sa demande à ce titre.

5°) Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens, rien ne justifiant une augmentation de la somme allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile par le tribunal.

Succombant en son appel, la SAS Le Kiosque.fr, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamnée à supporter les entiers dépens d'appel ainsi qu'à payer à la SAS L'Equipe la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la Cour, sauf en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes reconventionnelles de la SAS L'Equipe ;

Statuant à nouveau du chef infirmé,

Rejette la fin de non-recevoir opposée par la SAS Le Kiosque.fr aux demandes reconventionnelles de la SAS L'Equipe ;

Y ajoutant,

Rejette la demande de la SAS L'Equipe tendant à l'écartement des pièces 26, 26 bis, 71, 72, 78 et 81 de la SAS Le Kiosque.fr ;

Rejette l'exception de nullité opposée par la SAS Le Kiosque.fr ;

Rejette l'intégralité des demandes reconventionnelles de la SAS L'Equipe ;

Rejette la demande de la SAS Le Kiosque.fr au titre des frais irrépétibles ;

Condamne la SAS Le Kiosque.fr à payer à la SAS L'Equipe la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SAS Le Kiosque.fr à supporter les entiers dépens de l'instance.