CA Besançon, 1re ch., 13 août 2024, n° 23/00455
BESANÇON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Jura Thermi (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Wachter
Conseillers :
M. Saunier, Mme Manteaux
Avocats :
Me Gay, Me Bach, Me Mordefroy
Faits, procédure et prétentions des parties
M. [M] [L] a conclu le 09 octobre 2020, avec échéance au 30 septembre 2025 et renouvellement tacite à date anniversaire, un contrat d'agent commercial avec la SARL Jura Thermi, spécialisée dans la distribution et la pose de menuiseries.
Au cours d'un entretien organisé le 29 juin 2021, confirmé par courrier du 1er juillet 2021, la société Jura Thermi a indiqué à M. [L] qu'elle mettait 'en suspens' le contrat d'agent commercial pour les motifs évoqués lors de l'entretien susvisé, à savoir son impossibilité d'absorber l'intégralité des commandes.
Après avoir indiqué par courriel adressé le 26 juillet 2021 à la société Jura Thermi reprendre le cours des ventes d'initiative 'sans retour écrit de [sa] part', M. [L] a adressé le 26 octobre suivant, par l'intermédiaire de son conseil, un courrier à la société en sollicitant une indemnisation suite à la rupture unilatérale de son contrat d'agent commercial.
Par acte signifié le 09 décembre 2021, M. [L] a assigné la société Jura Thermi devant le tribunal de commerce de Lons le Saunier en sollicitant, après constatation de la rupture unilatérale anticipée du contrat d'agent commercial par la défenderesse, sa condamnation à lui verser la somme totale de 1 284 816,04 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 1er juillet 2021 avec capitalisation, au titre des indemnités compensatrice de rupture, de préavis et en réparation du préjudice subi du fait de la rupture.
La société Jura Thermi invoquait en première instance l'imputabilité de la rupture du contrat à M. [L] en raison de sa faute grave et sollicitait le rejet de ses demandes.
Par jugement rendu le 30 décembre 2022, le tribunal a :
- 'dit et jugé' la rupture du contrat d'agent commercial imputable à M. [L] ;
- débouté ce dernier de l'intégralité de ses demandes ;
- ordonné l'exécution provisoire ;
- condamné M. [L] à payer à la société Jura Thermi la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
- rejeté toutes autres demandes, fins et conclusions contraires.
Pour parvenir à cette décision, le juge de première instance a considéré :
- que si le contrat d'agent commercial ne comportait aucune clause en permettant la suspension, M. [L] n'atteste d'aucune opposition à la suspension de la commercialisation sollicitée par la société Jura Thermi ;
- que le contrat a repris son cours le 29 juillet 2021, à défaut de réponse de la société Jura Thermi au courriel de M. [L] envoyé ce jour là ;
- qu'aucune vente n'ayant cependant été conclue postérieurement, M. [L] a donc commis un grave manquement au regard du contrat d'agent commercial en ne reprenant pas les ventes à compter de cette date alors qu'il avait informé la société Jura Thermi de la reprise de son activité ;
- que le contrat n'a pas été rompu par la société Jura Thermi mais par M. [L].
Par déclaration du 20 mars 2023, M. [L] a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a été débouté de l'intégralité de ses demandes et condamné à payer à la société Jura Thermi la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Selon ses dernières conclusions transmises le 09 avril 2024, il conclut à sa 'réformation' et demande à la cour statuant à nouveau de :
- 'juger' que la société Jura Thermi a, le 1er juillet 2021, rompu unilatéralement et de manière anticipée son contrat d'agent commercial stipulé pour une durée courant du 1er octobre 2020 au 30 septembre 2025 et a empêché celui-ci de poursuivre la relation d'affaires ;
- condamner la société Jura Thermi à lui payer la somme totale de 1 284 816,04 euros répartie de la manière suivante et augmentée des intérêts au taux légal à compter du 1er juillet 2021 :
. 210 611,77 euros au titre de l'indemnité compensatrice de rupture ;
. 21 061,18 euros au titre de l'indemnité de préavis ;
. 1 053 143,09 euros au titre du préjudice subi du fait de la rupture ;
- ordonner la capitalisation des intérêts ;
- constater sinon prononcer l'exécution provisoire de la décision à intervenir ;
- condamner la société Jura Thermi à lui payer la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- la condamner aux entiers dépens d'instance.
Il fait valoir :
- que le mandat a été rompu unilatéralement par la société Jura Thermi par son courrier du 1er juillet 2021 lui demandant de ne plus passer de commandes auprès de la clientèle, sans évocation d'une quelconque faute et pour le seul motif des difficultés rencontrées par la société pour respecter les délais de livraison, lesquelles lui sont imputables ;
- que la société Jura Thermi précise d'ailleurs dans ledit courrier que lui-même n'est soumis à aucune clause de non concurrence, ce qui démontre qu'elle entendait procéder à la rupture du contrat ;
- qu'il a refusé cette rupture par courriel du 26 juillet suivant, en évoquant expressément sa dépendance économique au contrat concerné ainsi que les préjudices subis du fait de cette rupture imposée sans préavis ;
- que cependant, la société Jura Thermi ne l'a ensuite pas mis en mesure de reprendre d'une part les démarchages, en ne lui envoyant plus de listes de prospects, et d'autre part les commandes, en le lui envoyant pas le nécessaire ;
- que le contrat d'agent commercial étant un mandat d'intérêt commun au sens de l'article L. 134-4 du code de commerce, sa mandante devait respecter un préavis en application de l'article 134-11 du même code et est donc tenue de lui verser une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi en vertu de l'article L. 134-12 du code précité ;
- qu'en application de l'article 07 du contrat, la société Jura Thermi est tenue à une indemnité de préavis égale à un mois de commissions brutes soit 210 611,77 / 10 = 21 061,18 euros ;
- qu'il a valablement indiqué à sa co-contractante dans le délai d'un an sa volonté de faire valoir ses droits conformément aux dispositions précitées, de sorte que l'indemnité compensatrice de rupture, d'ordre public et en principe équivalente à deux années de commissions brutes, ne peut être inférieure à la somme de 210 611,77 euros correspondant aux commissions brutes perçues durant la période de dix mois d'exécution du contrat ;
- qu'il a enfin subi un préjudice du fait de la rupture anticipée du contrat, équivalent à la perte de commissions qu'il aurait dû percevoir jusqu'au terme de celui-ci soit 21 061,18 x 50 mois = 1 053 143,09 euros.
La société Jura Thermi a répliqué en dernier lieu par conclusions transmises le 16 avril 2024 pour demander à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de condamner l'appelant à lui verser la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Elle expose :
- qu'en application de l'article L. 134-13 du code de commerce, l'indemnisation de l'agent commercial en réparation du préjudice subi du fait de la cessation du contrat n'est pas due si celle-ci est provoquée par la faute grave de ce dernier ;
- qu'elle a demandé le 29 juin 2021 à M. [L], sans opposition de sa part, de suspendre de manière temporaire son activité de prospection afin de lui laisser le temps d'honorer l'intégralité des commandes reçues et de ne pas prendre un retard trop important ;
- que contre toute attente, M. [L] n'a pas repris les ventes comme annoncé dans son courriel du 26 juillet suivant ;
- que ce dernier a donc décidé de rompre unilatéralement le contrat, sans respecter le délai de prévenance ou préavis, ce qui caractérise la commission d'une faute grave ;
- qu'en tout état de cause, M. [L] est soumis à l'obligation d'établir les préjudices qu'il invoque, mais ne produit aucun élément ;
- qu'il n'a exécuté le contrat que pendant une période de dix mois et n'a au surplus perçu qu'un montant total brut de commissions de 165 834,57 euros.
Pour l'exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 avril 2024 et l'affaire a été appelée à l'audience du 21 mai suivant et mise en délibéré au 13 août 2024.
En application de l'article 467 du code de procédure civile, le présent arrêt est contradictoire.
Motifs de la décision
L'article L. 134-1 du code de commerce dispose que l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale et s'immatricule, sur sa déclaration, au registre spécial des agents commerciaux.
Il est constant entre les parties que le contrat conclu le 09 octobre 2020 correspond à un contrat d'agent commercial.
L'article L. 134-4 du code précité précise que les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties.
Les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information.
L'agent commercial doit exécuter son mandat en bon professionnel ; le mandant doit mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat.
En application de l'article L. 134-12 du même code, l'agent commercial a droit, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.
L'agent commercial perd le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits.
L'article L. 134-13 du code de commerce exclut cependant la réparation prévue à l'article précédent dans les cas suivants :
- la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial ;
- la cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent commercial, par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée ;
- selon un accord avec le mandant, l'agent commercial cède à un tiers les droits et obligations qu'il détient en vertu du contrat d'agence.
En l'espèce, le courrier adressé, selon les parties, le 1er juillet 2021 par la société Jura Thermi à M. [L] stipule :
' A notre initiative, nous mettons le contrat en suspens à compter du 1er juillet 2021 pour les raisons qui vous ont été invoqué[es] lors de votre entretien avec M. [H] [C].
A noter qu'aucune clause de non-concurrence n'est présente dans ce contrat'.
S'il est constant entre les parties que le contrat d'agent commercial ne comporte pas de clause permettant sa suspension, ce courrier ne manifeste aucune volonté de la société Jura Thermi de mettre fin au contrat.
D'ailleurs, la cour observe que M. [L] ne l'a pas considéré comme tel, mais en a déduit une volonté de suspendre la commercialisation, ainsi qu'il résulte de son courriel adressé à la société le 26 juillet suivant, soit environ trois semaines plus tard, par lequel il indique :
' Tu m'as convoqué le lundi 29 juin 2020, afin d'éviter le surcroît de travail de Jura Thermi et l'impossibilité d'assumer mes futures commandes.
Lors de cette entrevue tu m'as expressément demandé de ne plus réaliser de vente pour Jura Thermi à compter de cette date.
Or, depuis ce jour, je n'ai reçu aucun écrit de ta part confirmant tes propos et ta décision. Et ce malgré plusieurs relances de ma part, et tes promesses d'écrit repoussées de semaine en semaine.
Cette situation porte grandement préjudice à mon activité d'agent commercial, et met ma société en péril.
C'est pourquoi, sans retour écrit de ta part, je reprendrai le cours des ventes à compter de ce jour'.
Il en résulte que le contrat d'agent commercial litigieux n'a pas été rompu le 1er juillet 2021 par la société Jura Thermi.
Par ailleurs, s'il affirme que cette dernière ne l'a pas mis en mesure de reprendre le cours des ventes suite à son courriel du 26 juillet 2021, M. [L] ne produit aucun élément de nature à établir que la société Jura Thermi a commis une faute postérieurement à cette date l'ayant empêché d'exercer sa mission d'agent commercial.
M. [L] n'établit dès lors ni un manquement de la société Jura Thermi à son devoir de loyauté, ni une cessation de ses relations avec le mandant imputable à ce dernier.
Le jugement dont appel sera donc confirmé en ce qu'il a débouté M. [L] de l'intégralité de ses demandes.
Par ces motifs,
La cour, statuant contradictoirement, après débats en audience publique et en avoir délibéré conformément à la loi :
Confirme, dans les limites de l'appel, le jugement rendu entre les parties le 30 décembre 2022 par le tribunal de commerce de Lons le Saunier ;
Condamne M. [M] [L] aux dépens d'appel ;
Et, vu l'article 700 du code de procédure civile, le déboute de sa demande et le condamne à payer à la SARL Jura Thermi la somme de 2 000 euros.