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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 19 mars 2021, n° 18/19188

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Orange (SA)

Défendeur :

Canal+ Antilles (SAS), Canal+ International (SAS), Canal+ Réunion(SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ardisson

Conseillers :

Mme Sentucq, Mme Paulmier-Cayol

T. com. Paris, 18 juin 2018, n° 20150187…

18 juin 2018

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

La société ORANGE est un opérateur de télécommunications présent sur le marché de l'internet haut débit en métropole et dans les régions et départements d'Outre-Mer.

La société CANAL PLUS OVERSEAS, dite COS, devenue CANAL PLUS INTERNATIONAL, filiale du groupe CANAL PLUS a pour principale activité la conception et la distribution dans les départements et régions d'Outre-Mer d'offres de télé1 avril 2021293 vision payante essentiellement diffusées par satellite.

Dans le courant de l'année 2014 COS a fait l'acquisition du capital de la société MEDIASERV, devenue au mois de février 2016 CANAL PLUS TELECOM, fournisseur d'accès internet actif dans les territoires ultra marins.

L'opération notifiée à l'Autorité de la Concurrence (ADLC) sous le n° 13-131 a été autorisée, sous réserve des engagements décrits et annexés à la Décision n° 14-DCC-15 du 10 février 2014 relative à la prise de contrôle exclusif de MEDIASERV, MARTINIQUE NUMERIQUE, GUYANE NUMERIQUE et LA REUNION NUMERIQUE par CANAL PLUS OVERSEAS.

COS a procédé au lancement de sa 'Canal Box' via ses filiales CANAL PLUS REUNION, et CANAL PLUS ANTILLES proposant au consommateur une 'offre double play' dite offre 2P la 'Canal Plus Internet + Téléphone' alors proposée par MEDIASERV ainsi que trois formules 'triple pay', 3P, à savoir : 'CanalBox Librement, CanalBox Essentiel et CanalBox Premium' regroupant l'internet, le téléphone et les chaînes de télévision CANAL + et/ou CANALSAT.

Par exploits délivrés le 2 mai 2014 à COS et à la société CANAL PLUS ANTILLES et le 5 mai 2014 à la société CANAL PLUS REUNION, ORANGE sommait ces dernières de: 'Cesser immédiatement toute pratique de démarchage de leurs abonnés aux offres de télévision payante du Groupe Canal Plus, sous quelque forme que ce soit, en vue dc placer les offres CanalBox ct/ou toute offre équivalente sur le marché dc l'accès Internet Haut débit.'

A l'appui de cette sommation ORANGE rappelait la mise en oeuvre par ces trois sociétés le 25 avril 2014 de la commercialisation à la Réunion, d'une part, et en Martinique, Guadeloupe ct Guyane, d'autre part, d'une nouvelle offre intitulée 'CanalBox', proposant un accès ADSL Internet ct téléphone et indiquait qu'à partir de cette memo date, ces sociétés out massivement démarché par emails ct courriers leurs abonnés aux offres de télévision payante du groupe Canal Plus, aux fins de leur proposer cette offre de 'Canal Box' et alors que les sociétés Canal Plus Réunion ct Canal Plus Antilles disposent sur leur marché géographique respectif de télévision payante, d'une position dominante, voire de quasi-monopole qui crée une responsabilité particulière notamment celle de ne pas perturber le jeu de la concurrence par les mérites sur des marches connexes. Elle précisait que dc toute évidence, le marché de la télévision payante, particulièrement développé dans les territoires ultramarins en cause, permet d'adresser la quasi-totalité des foyers de ces territoires et présente une connexité étroite avec les marchés télécom se référant à la décision de l'Autorité de la concurrence (ADLC) n°14-DCC-15 du l0 février 2014 et qu'ainsi, les sociétés Canal Plus Réunion et Canal Plus Antilles s'appuient sur une base dc clientèle exploitée en dominance sur le marché dc la télévision payante, pour placer une offre en concurrence sur un marché connexe, indépendamment de leurs mérites propres sur ce marché et dans des conditions non reproductibles par leurs compétiteurs, les sociétés Canal Plus Réunion et Canal Plus Antilles méconnaissant par le fait de cette campagne de démarchage leur responsabilité particulière au regard des règles de marché et de concurrence, en particulier les dispositions de l'article L. 420-2 du code de commerce. ORANGE soulignait enfin le préjudice grave, immédiat et inversible, d'une ampleur qui ne peut qu'être considérable à l'échelle des marchés en cause causé par cette pratique de démarchage illicite.

Par acte du 18 juin 2014 ORANGE a fait assigner les sociétés défenderesses en référé d'heure à heure aux fins de voir cesser ces troubles manifestement illicites.

Par l'ordonnance rendue le 4 juillet 2014 le juge des référés, au visa de l'article 873, alinéa 1, du code de procédure civile, a notamment :

Ordonné aux sociétés CANAL PLUS OVERSEAS, CANAL + ANTILLES at CANAL PLUS REUNION, sous astreinte provisoire de 4.000 € par infraction constatée à compter du 8ème jour suivant la signification de la présente ordonnance, la cessation de la pratique de COS consistant à subordonner la vente de l'offre Canal Box à l'achat ou la détention d'une offre de télévision payante du groupe Canal Plus ;

Débouté la SA ORANGE de sa demande d'ordonner aux sociétés CANAL + OVERSEAS, CANAL + ANTILLES et CANAL PLUS REUNION l'arrêt du démarchage de sa clientèle ;

Condamné in solidum les sociétés CANAL + OVERSEAS, CANAL + ANTILLES at CANAL PLUS REUNION à payer à la SA ORANGE la somme de 4.000 €, au titre de l'article 700 CPC ;

Débouté pour le surplus ;

Rejeté toutes demandes plus amples ou contraires des parties ;

Par acte du 18 mars 2015 ORANGE a fait assigner les sociétés CANAL PLUS INTERNATIONAL anciennement COS, CANAL PLUS ANTILLES et CANAL PLUS LA REUNION devant le tribunal de commerce de Paris, aux visas des dispositions des articles L 420-2 et L 420-7 du code de commerce, 1382 du code civil, de l'article 102 du TFUE, de l'avis n° 10-A-13 de l'Autorité de la concurrence du 14 juin 2010, des articles L 121-1, L 121-2, L 121-3 et L 121-11 du code de la consommation aux fins de juger à titre principal et pour l'essentiel que :

- CANAL PLUS INTERNATIONAL(COS) occupait lors du lancement de l'offre 'Canal Box' au mois d'avril 2014 une position dominante sur le marché des offres de télévision payante dans les départements et régions d'Outre-Mer ;

- Les liens de connexité existants entre le marché de la télévision payante et le marché de l'internet haut débit ;

- CANAL PLUS INTERNATIONAL (COS) via ses filiales a massivement démarché les abonnés aux offres de télévision payante de CANAL PLUS INTERNATIONAL (COS) tout en s'appuyant sur la notoriété des marques CANAL : que lors du lancement de l'offre CANAL BOX INTERNET + Téléphone les trois sociétés ont lié la souscription de cette offre à la souscription préalable et/ou parallèle aux offres CANAL + et/ou CANALSAT et ont de ce fait abusé de leur position dominante ;

- La campagne publicitaire mise en oeuvre lors du lancement de l'offre CANAL BOX Internet + Téléphone par les trois sociétés caractérise une pratique commerciale trompeuse à l'égard d'ORANGE ;

- Les effets restrictifs de concurrence des pratiques mises en place par les trois sociétés sur le marché de l'internet haut débit sont constitutifs d'une faute au sens de l'article 1382 du code civil nouvellement référencé 1240, que la responsabilité des trois sociétés est engagée et justifie leur condamnation solidaire à verser à ORANGE la somme de 2 054 563 euros à parfaire en réparation du préjudice subi et le débouté de leurs demandes.

Les sociétés défenderesses concluaient au débouté et sollicitaient la condamnation de la société ORANGE à leur verser à chacune une somme de 100 000 euros en réparation du préjudice lié au caractère abusif de la procédure outre 50 000 euros chacune au titre des frais irrépétibles.

Le jugement entrepris, prononcé le 18 juin 2018 a :

Débouté la SA ORANGE de l'ensemble de ses demandes

Condamné la SA ORANGE à payer à chacune des sociétés intimées les sommes de :

- 50 000 euros en réparation de leur préjudice pour procédure abusive

- 50 000 euros à chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Ordonné l'exécution provisoire et condamné la société ORANGE aux dépens.

Pour se déterminer ainsi, le tribunal a principalement retenu qu'en conséquence des engagements pris dans le cadre de l'ADLC du 10 février 2014, si COS avait l'interdiction de donner accès à CANAL PLUS TELECOM aux informations relatives aux abonnés ayant souscrit un abonnement par l'intermédiaire d'un fournisseur d'accès internet (FAI) distribuant ses offres en auto-distribution (engagement n° 7) en revanche COS était de fait autorisée à mettre à la disposition de CANAL PLUS TELECOM les informations relatives à sa base d'abonnés aux offres de télévision payante ; que COS avait donc la possibilité de commercialiser l'offre de télévision payante et l'offre de CANAL PLUS TELECOM à la condition de proposer au consommateur de souscrire sans obligation d'achat ni aucun avantage particulier associé aux offres de télévision payante traditionnelles de COS et que ces offres ne contiennent aucune remise de couplage ; que COS au regard du respect des prescriptions imposées par le mandataire nommé par l'ADLC n'a pas violé les engagements pris devant l'ADLC ; que s'agissant des pratiques commerciales trompeuses et de la vente subordonnée liée entre les offres de télévision et d'internet organisée dans le cadre du démarchage effectué par COS, cette pratique visant des abonnés satellite de COS en direct n'était pas constitutive d'une faute.

La société ORANGE a interjeté appel selon déclaration reçue au greffe de la cour le 25 juillet 2018.

Par ses conclusions d'appel n° 2 signifiées via le réseau privé virtuel des avocats le 19 avril 2019 la société ORANGE demande à la cour :

Vu les dispositions des articles L.420-2 et L.420-7 du Code de commerce ;

Vu les dispositions de l'article anciennement numéroté 1382 du Code civil, nouvellement numéroté 1240 ;

Vu les dispositions de l'article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne ;

Vu l'Avis n°10-A-13 de l'Autorité de la concurrence du 14 juin 2010 ;

Vu les dispositions des articles L.121-1, L.121-2, L.121-3 et L.121-11 du Code de la consommation ;

Vu l'Ordonnance de référé rendue par Monsieur le Président du Tribunal de commerce de Paris le 4 juillet 2014 ;

Vu les pièces produites dans le cadre des débats ;

Vu les dispositions de l'article 32-1 du Code de procédure civile ;

Vu les dispositions de l'article 564 du Code de procédure civile ;

Vu les dispositions de l'article 696 du Code de procédure civile ;

Il est demandé à la Cour d'appel de Paris:

D'INFIRMER le Jugement rendu le 18 juin 2018 par le Tribunal de commerce de Paris dans toutes ses dispositions, notamment en ce qu'il a condamné la société ORANGE à verser à chacune des sociétés CANAL + INTERNATIONAL (anciennement CANAL PLUS OVERSEAS), CANAL PLUS ANTILLES et CANAL PLUS REUNION 50.000 euros au titre d'une procédure prétendument abusive ;

Statuant à nouveau :

A titre principal :

DIRE ET JUGER que la société CANAL + INTERNATIONAL (anciennement CANAL PLUS OVERSEAS) occupait, lors du lancement de l'offre «'Canal Box'» au mois d'avril 2014, une position dominante sur le marché des offres de télévision payante dans les Départements et Régions d'Outre-Mer ;

DIRE ET JUGER les liens de connexité existants entre le marché de la télévision payante et le marché de l'Internet haut débit ;

DIRE ET JUGER que la société CANAL + INTERNATIONAL (anciennement CANAL PLUS OVERSEAS), via ses filiales CANAL PLUS ANTILLES et CANAL PLUS REUNION a massivement démarché les abonnés aux offres de télévision payante de la société CANAL + INTERNATIONAL (anciennement CANAL PLUS OVERSEAS) tout en s'appuyant sur la notoriété des marques "CANAL" ;

DIRE ET JUGER que lors du lancement de l'offre «'Canal Box Internet + Téléphone'» les sociétés CANAL PLUS INTERNATIONAL (anciennement CANAL PLUS OVERSEAS), CANAL PLUS ANTILLES et CANAL PLUS REUNION ont lié la souscription à cette offre à la souscription préalable et/ou parallèle aux offres CANAL+ et/ou CANALSAT ;

DIRE ET JUGER que les sociétés CANAL + INTERNATIONAL (anciennement CANAL PLUS OVERSEAS), CANAL PLUS ANTILLES et CANAL PLUS REUNION ont de ce fait abusé de leur position dominante ;

En tout état de cause,

DIRE ET JUGER que la campagne publicitaire mise en oeuvre lors du lancement de l'offre «'Canal Box Internet + Téléphone'» par les sociétés CANAL + INTERNATIONAL (anciennement CANAL PLUS OVERSEAS), CANAL PLUS ANTILLES et CANAL PLUS REUNION caractérise une pratique commerciale trompeuse déloyale à l'égard d'ORANGE ;

En conséquence :

DIRE ET JUGER que la responsabilité civile des sociétés CANAL + INTERNATIONAL (anciennement CANAL PLUS OVERSEAS), CANAL PLUS ANTILLES et CANAL PLUS REUNION est de ce fait engagée ;

En tout état de cause,

DIRE ET JUGER, qu'un préjudice, fût-il moral, s'infère nécessairement des pratiques commerciales trompeuses et déloyales mises en oeuvre par CANAL + INTERNATIONAL (anciennement CANAL PLUS OVERSEAS), CANAL PLUS ANTILLES et CANAL PLUS REUNION au préjudice d'ORANGE ;

DIRE ET JUGER que les effets restrictifs de concurrence des pratiques mises en place par les sociétés CANAL + INTERNATIONAL (anciennement CANAL PLUS OVERSEAS), CANAL PLUS ANTILLES et CANAL PLUS REUNION sur le marché de l'Internet haut débit sont constitutifs d'une faute au sens de l'article anciennement numéroté 1382 du Code Civil (nouvellement numéroté 1240) et ont directement causé de lourds préjudices pour la société ORANGE ;

CONDAMNER solidairement les sociétés CANAL + INTERNATIONAL (anciennement CANAL PLUS OVERSEAS), CANAL PLUS ANTILLES et CANAL PLUS REUNION à verser à la société ORANGE, la somme de 2.054.563 euros en réparation du préjudice subi ;

En tout état de cause :

DIRE ET JUGER que la demande de publication du dispositif de la décision à intervenir formée par les sociétés CANAL + INTERNATIONAL (anciennement CANAL PLUS OVERSEAS), CANAL PLUS ANTILLES et CANAL PLUS REUNION est nouvelle en cause d'appel ;

En conséquence la DIRE ET JUGER irrecevable ;

En tout état de cause,

DEBOUTER les sociétés les sociétés CANAL + INTERNATIONAL (anciennement CANAL PLUS OVERSEAS), CANAL PLUS ANTILLES et CANAL PLUS REUNION de leur demande de publication du dispositif de la décision à intervenir ;

DEBOUTER les sociétés CANAL + INTERNATIONAL (anciennement CANAL PLUS OVERSEAS), CANAL PLUS ANTILLES et CANAL PLUS REUNION de leurs demandes de voir ORANGE condamnée à leur verser :

50.000 euros à chacune en réparation de leur préjudice pour procédure abusive devant la Cour d'appel ;

50.000 euros à chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

DEBOUTER les sociétés CANAL + INTERNATIONAL (anciennement CANAL PLUS OVERSEAS), CANAL PLUS ANTILLES et CANAL PLUS REUNION de leurs plus amples demandes, fins et conclusions ;

CONDAMNER solidairement les sociétés CANAL + INTERNATIONAL (anciennement CANAL PLUS OVERSEAS), CANAL PLUS ANTILLES et CANAL PLUS REUNION à verser à la société ORANGE, la somme de 100.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNER solidairement les sociétés CANAL + INTERNATIONAL (anciennement CANAL PLUS OVERSEAS), CANAL PLUS ANTILLES et CANAL PLUS REUNION aux entiers dépens de l'instance.

Les sociétés SAS CANAL PLUS ANTILLES, SAS CANAL PLUS INTERNATIONAL, SAS CANAL PLUS REUNION ont signifié le 6 décembre 2019 via le réseau privé virtuel des avocats des conclusions d'intimé n° 2 et demandent à la cour de :

Vu les articles 420-2 du code du commerce et l'article 102 TFUE

Vu l'article 1382 (devenu l'article 1240) du code civil

Vu les pièces versées

- CONFIRMER le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 18 juin 2018 en toutes ses dispositions ;

- DEBOUTER la société ORANGE de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

Et, y ajoutant :

- CONDAMNER la société ORANGE à la publication du dispositif de la décision à intervenir ;

- CONDAMNER la société ORANGE à payer à CANAL+ INTERNATIONAL (anciennement dénommée CANAL+ OVERSEAS) CANAL+ ANTILLES et CANAL+ REUNION les sommes de :

o 50.000 euros à chacune en réparation de leur préjudice pour procédure abusive devant la Cour d 'appel ;

o 50.000 euros à chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- CONDAMNER la société ORANGE aux entiers dépens de l'instance sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile ;

La clôture de l'instruction a été prononcée le 8 octobre 2020 et l'affaire fixée à l'audience du 17 décembre 2020.

SUR QUOI,

LA COUR :

Comme l'y autorisent les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des moyens et des prétentions des parties il sera expressément fait référence aux conclusions récapitulatives visées dans l'exposé de la procédure.

SUR L'ABUS DE POSITION DOMINANTE

Selon les dispositions de l'article 102 du Traité de Fonctionnement de l'Union Européenne (ex-article 82 TCE) :

' Est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci.

Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à:

a) imposer de façon directe ou indirecte des prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction non équitables (...)

d) subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats.'

Aux termes des dispositions de l'article L 420-2 du code de commerce dans sa version issue de la loi du 2 août 2005 applicable jusqu'au 5 juillet 2019 : ' Est prohibée, dans les conditions prévues à l'article L. 420-1, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées'.

L'existence d'une position dominante est caractérisée à partir d'un marché déterminé, dit « marché pertinent », d'une exploitation abusive de cette position et d'un objet ou d'un effet, au moins potentiel, restrictif de concurrence sur un marché.

La légitimité du contrôle a posteriori des pratiques mises en oeuvre par COS à l'issue de l'opération de concentration autorisée par l'Autorité de la concurrence rappelée par la société ORANGE, qui expose avec raison que la décision d'autorisation ne saurait constituer un blanc-seing pour tous les autres comportements à venir, ne fait pas litige : il sera vu infra que les sociétés intimées ont été invitées par le mandataire de l'ADLC à suivre les prescriptions mises en oeuvre par ce dernier dans son rapport n°1 du 22 juillet 2014 dans le prolongement de la décision ayant autorisé l'opération de concentration développée ci-après.

La position dominante de COS sur le marché de la télévision payante dans les DROM est soulignée par l'Autorité de la Concurrence point 163 page 26 de la Décision 14-DCC-15 du 10 février 2014 en ces termes : ' A l'issue de l'opération le nouvel ensemble détiendra une part de marché estimée à 90-100% aux Antilles et 70-80% dans l'Océan Indien. Hormis Parabole Réunion, actif uniquement dans l'Océan indien, la position des Fournisseurs d'Accès Internet, (FAI) concurrents des parties sur les marchés de la distribution de services de télévision payante est relativement faible avec des niveaux de parts de marché systématiquement inférieurs à 5%. La concurrence des FAI est d'autant plus restreinte que les contraintes auxquelles leurs réseaux sont soumis limitent le débit et donc l'éligibilité à la télévision par ADSL de leurs abonnés. Dès lors seule une part limitée du parc d'abonnés de COS est contestable par les FAI dans le cadre de la distribution de leurs offres OPTV5...) Par conséquent compte tenu de sa très forte position, l'accroissement d'un point de la part de marché de COS à l'issue de l'opération est susceptible de modifier significativement l'équilibre concurrentiel des marchés en aval aux Antilles ou dans l'Océan indien'.

C'est en considération de cette position dominante sur le marché de la télévision payante que l'ADLC a proposé un certain nombre d'engagements de nature à remédier aux risques concurrentiels entraînés par l'opération, repris au point 259 et suivants de la décision.

Le démarchage de sa base clients par COS pour le lancement des offres Canal Box et Canal Box Internet + téléphone

La société ORANGE fait grief à la société COS d'avoir pratiqué un démarchage illicite de sa base clients et d'avoir fait une utilisation abusive de son fichier clientèle aggravée par l'utilisation extensive de la notoriété des marques 'CANAL' au regard du fait que la clientèle de COS repésente en volume de du double de celle d'ORANGE et qu'aucun autre fournisseur d'accès internet ne peut espérer atteindre une taille de parc comparable à celle de COS.

Cependant, l'utilisation croisée de sa base de clientèle pour procéder à un démarchage choisi et ciblé des personnes prospectées, fut-ce en faisant directement référence à leurs habitudes de consommation et/ou à leur abonnement actuel, n'est constitutive d'un abus au sens des dispositions de l'article L 420-2 du code de commerce et de l'article 102 du Traité de Fonctionnement de l'Union Européenne (TFUE) que dans la mesure où des circonstances particulières démontrent l'existence d'un lien entre la position dominante et le comportement abusif.

L'appréciation de la conformité de la pratique au droit de la concurrence dépend des conditions dans lesquelles l'entreprise a constitué sa base de données ainsi que de la possibilité pour ses concurrents de reproduire ces informations. Les informations détenues par une entreprise dominante qui ne sont ni accessibles à ses concurrents ni reproductibles par eux dans des conditions aussi efficaces sur le marché, constituent des informations privilégiées dont l'exploitation peut avoir pour effet ou objet d'ériger des barrières à l'entrée sur l'un ou l'autre des marchés concernés.

En l'espèce, il n'est pas sérieusement contesté que les sociétés du groupe COS ont constitué leur base de clientèle dans le cadre d'une compétition par les mérites et n'ont bénéficié d'aucun avantage particulier par rapport à leurs concurrents.

Les données commerciales recueillies : n° d'abonné, n° de carte, solde des semaines programme cadeaux, strictement liées à l'identification formelle du client, sont aisément reproductibles par des concurrents aussi efficaces sur le marché, d'autres opérateurs, à commencer par la société ORANGE, étant parfaitement en mesure d'utiliser les données collectées sur leur base clients pour démarcher ceux-ci et proposer des offres de téléphonie et de fourniture d'accès internet.

L'utilisation de ses bases de données par COS en combinaison avec des ventes groupées n'est donc pas en soi répréhensible dès lors qu'elle permet d'obtenir un avantage concurrentiel en rapport avec les mérites du groupe de sociétés et la société ORANGE ne peut être suivie en ses affirmations contraires quand par ailleurs elle ne s'explique pas sur les facteurs en lien avec cette utilisation, susceptibles de conduire à la distorsion de concurrence dont elle se prévaut.

L'utilisation extensive des marques Canal

La société ORANGE impute aux société intimées comme une faute le fait d'avoir eu recours à l'avantage de la notoriété de sa marque, avantage non reproductible et sans lien avec les propres mérites des sociétés. Elle souligne que la documentation promotionnelle de l'offre Canal Box Internet + téléphone ne mentionne jamais l'existence de MEDIASERV si ce n'est en très petits caractères et que le tribunal ne pouvait s'exonérer de l'analyse concrète de l'impact de l'utilisation par COS de l'utilisation des marques Canal en ' assénant' que l'ADLC n'a dans ce cadre jamais exigé d'engagement relatif à l'utilisation par COS des marques Canal.

Cependant, pour que l'usage de la marque et du logo d'un opérateur historique soit susceptible de devenir anti concurrentiel, il faut que le recours à la notoriété de la marque procure à la société ou au groupe le bénéfice d'un avantage non reproductible et sans lien avec ses propres mérites.

Le bénéfice d'un tel avantage non reproductible n'est en l'espèce aucunement démontré quand les intimées produisent deux extraits d'études de l'institut de sondage IPSOS (Pièce n°21 à 25) non contredites par l'appelante, sur la notoriété spontanément exprimée par les personnes sondées concernant les différents opérateurs internet et FAI dans les Départements et Régions d'Outre-Mer. Ces sondages établissent qu'à la même période, 2014-2015, CanalBox n'était citée que par 22 % des personnes sondées (sur les 6 opérateurs internet cités dont ORANGE arrivant en tête des opérateurs connus) et 2% des personnes sondées (sur le 8 FAI cités ORANGE étant citée par 73 % des personnes sondées.)

Par conséquent ce grief n'est pas établi quand il apparaît au contraire que l'offre sur le marché connexe concurrentiel révélée par ces sondages à l'époque des faits, caractérise la présence d'opérateurs de taille plus importante que Canal disposant pour certains de marque notoire ( SFR, ORANGE, NUMERICABLE ) et dont rien ne permet d'indiquer que les autres n'étaient pas en mesure d'acquérir dans un horizon temporel raisonnable, une notoriété susceptible de concurrencer celle du groupe.

Par conséquent il ne résulte pas de ces constatations que l'utilisation de l'image et de la notoriété des marques 'CANAL' ait procuré aux sociétés intimées le bénéfice d'un avantage non reproductible et sans lien avec ses propres mérites.

La société ORANGE ne saurait être suivie en ce moyen.

La mise en place d'une vente liée entre les offres de COS et celles de MEDIASERV lors du lancement de la 'CanalBox Internet' + Téléphone ORANGE rappelle que l'ADLC a fait de cette obligation un engagement à la charge de COS que celle-ci a violé ainsi que les deux constats d'huissier du 30 avril et du 15 mai 2014 en font foi ; que les constats produits par COS postérieurement au Référé d'heure à heure engagé par ORANGE sont peu probants alors que la non conformité des pratiques commerciales de COS est avérée par le rapport n°1 établi par le mandataire nommé par l'ADLC ; que les constats font la preuve de la présentation volontairement trompeuse des sites internet en charge de la commercialisation des offres CanalBox et CanalBox Internet Téléphone car aucune de ces présentations ne permet de souscrire à la seule offre MEDIASERV et que les offres entretiennent volontairement la confusion l'offre CanalBox étant systématiquement couplée à l'une des offres de télévision payante ; que les supports ont été présentés de manière volontairement trompeuse par COS pour faire la promotion des offres ce qui est reconnu par le mandataire nommé par l'ADLC ; que le tribunal s'est mépris sur la portée des constats et enfin que le cumul des pratiques litigieuses a pour effet d'aggraver l'effet d'éviction en résultant au préjudice d'ORANGE.

Les engagements pris par COS au chapitre IV de la décision de l'ADLC ont été définis à l'issue de plusieurs tests sur le marché pour répondre aux préoccupations issues de l'analyse concurrentielle relativement à l'autodistribution des offres de COS et aux offres groupées de COS et MEDIASERV, au regard de la capacité du Groupe CANAL PLUS à rémunérer une exclusivité de distribution non seulement sur la plateforme satellitaire mais également sur les réseaux ADSL fibre et satellite des fournisseurs d'accès à internet où Canalsat s'y autodistribue.

La présentation détaillée des engagements proposés au point 269 de la Décision de l'ADLC observe que dans la mesure où les fournisseurs d'accès internet et les autres distributeurs concurrents du groupe CANAL PLUS ne peuvent proposer une exclusivité de distribution que sur leur propre plateforme et qu'ils ne pourront le faire dans des conditions de concurrence normales, que si le groupe CANAL PLUS révèle la valeur associée à la distribution de chaîne au sein de l'offre Canalsat sur chaque plateforme propriétaire. La décision a enjoint en conséquence à COS de ne pas coupler la distribution sur sa propre plateforme satellite et sur les plateformes propriétaires d'opérateurs tiers présents dans les Départements et Régions d'Outre Mer ( DROM) pour les contrats de distribution avec les éditeurs conclus ou reconduits postérieurement à la date de décision.

Le point 276 précise également que la partie notifiante s'engage à ne pas accorder à MEDIASERV d'exclusivité pour la distribution des chaînes qu'elle édite et de mettre à disposition les chaines qu'elle édite et qui seraient distribuées par MEDIASERV à tout FAI présent dans les DROM dans des conditions transparentes, objectives et non discriminatoires, les concurrents de MEDIASERV étant ainsi assurésde pouvoir répliquer l'offre de MEDIASERV si celle-ci devait être enrichie à l'issue de l'opération par l'ajout de chaines éditées par GCP.

ORANGE produit deux procès-verbaux de constat établis le 30 avril et le 15 mai 2014 à la requête d'ORANGE REUNION retranscrivant les échanges téléphoniques entre deux préposés de la société ORANGE et un télévendeur de la société CANAL PLUS REUNION, dont l'accord pour être enregistré en présence d'un huissier de justice a été préalablement recueilli, au sujet de la souscription de l'offre intitulée 'CanalBoxInternet et Téléphone' présentée sur le site web de CANAL PLUS.

Ces échanges établissent que la société CANAL PLUS REUNION a proposé à cette époque au mépris des engagements pris une offre d'abonnement groupé internet téléphone et télévision satellitaire et qu'il n'était pas possible de souscrire un abonnement internet et téléphone sans télévision.

ORANGE produit également un mail adressé le 28 mai 2014 par le mandataire désigné par l'ADLC à plusieurs destinataires dont COS ne conteste pas qu'ils ressortisssent de son personnel, au sujet du respect des engagements pris à l'occasion d'un déplacement à La Réunion qui s'exprime en ses termes :

'Au cours de notre déplacement à La Réunion du 19 au 22 mai dernier nous avons pu constater que conformément aux engagements :

- les offres 2P et télévision payante de GCP sont proposées à des tarifs distincts, sans remise tarifaire de couplage. Nous notons en particulier que Ie tarif des abonnements des offres de télévision payantes dans le cadre d'une offre 'associée' est strictement identique au tarif applicable pour des offres TV seules.

- une offre 3P souscrite par un prospect fait bien l'objet de deux contrats distincts.

- les systèmes d'informations de COS ont été paramétrés afin d'identifier les abonnés 2P et permettre l'application ultérieure éventuelle de I'Engagement 8 (résiliation anticipée des contrats télévision payante).

- Les courriers de prospection relatifs à l'Offre CanalBox ont été adressés aux abonnés directs de Canal+ /CanalSat, à l'exclusion des abonnés via les FAI.

En revanche, nous avons également constaté les points suivants :

1) Un distributeur local nous a communiqué l'enregistrement récent d'un appel au centre d'appels (0811 57 10 57) au cours duquel le télévendeur a indiqué que l'offre CanalBox n'était disponible uniquement qu'en cas de souscription à une offre TV par satellite. Cette pratique commerciale est, comme vous le savez, contraire aux Engagements.

2) L'offre 2P (téléphone + internet) n'est pas commercialisée par Mediaserv: ni dans le réseau de distribution (espaces de vente dédiés et appels entrants au numéro de Mediaserv) ni sur le site internet. Par ailleurs, dans les boutiques Canal+, nous avons constaté l'absence de mise en avant de l'offre CanalBox sans Ia composante télévision.

3) Enfin, la promotion de la marque CanalBox à la fois pour une offre 2P et pour une offre 3P incluant la télévision par satellite ('Canal Box librement' 'CanalBox Premium' etc.) est susceptible, par son ambiguité, de suggérer des obligations d'achat entre les offres TV et les offres Mediaserv (Cf. campagnes promotionnelles en cours (affichage, presse, TV et radio), dépliants et autres supports de communication).

En conséquence, nous sommes convenus que vous prendrez rapidement les mesures suivantes

i. Rappeler immédiatement à l'ensemble du réseau de distribution (y compris les centres d'appels) l'indépendance des deux offres (ZP d'une part et TV par satellite d'autre part). En particulier:

- Aucune obligation d'achat ne doit être suggérée;

- Aucune remise ne doit être accordée en cas de souscription à l''ensemble des offres internet +téléphone + télévision (offre de pack cinéma en option par exemple) ;

- Le cas échéant, des sanctions devront être prises à l'encontre du personnel qui ne respecterait pas ces consignes.

ii. Commercialiser l'offre 2P dans le réseau de distribution de Mediaserv et sur le site internet de Mediaserv, à un tarif équivalent en ce compris les opérations promotionnelles (actuellement: option mobile offerte pendant 6 mois).

iii. Mettre en avant l'offre CanalBox 2P dans les réseaux de distribution de GCP au même tarif, y compris offres promotionnelles, notamment :

- dans les boutiques Canal+ (PLV dédiée, corners spécifiques, promotions de l'offre 2P seule sur les flyers, etc.) ;

- sur les sites internet (Canal+ Réunion et CanalSat Caraïbes)

iv. Revoir vos plans de communication en conséquence du point 3) ci-dessus.

S'agissant du réseau de distribution (cf. i.), nous notons que vous avez déjà transmis une note de service le 23 mai dernier à Mediacall (centre d'appels CanalBox/Mediaserv) et aux Centres de Relation Clients Caraïbes et Réunion.

Nous comprenons que vous relayerez également cette note à vos prestataires externes.

Nous notons également que la décision a été prise de commercialiser l'offre 2P chez Mediaserv.

Enfin, s'agissant des deux derniers points (cf. iii et iv), COS s'est engagé a :

- mettre en avant l'offre CanalBox 2P dans les Canal+ Store (cf. relevé de décisions du 22 mai) et modifier les sites Internet des filiales de COS dans ces territoires ;

- annuler les campagnes de publicité en cours et les remplacer par des campagnes ciblées sur l'offre 2P. Nous comprenons que ces campagnes devraient avoir lieu prochainement dans les Caraïbes (4x3, presse, radio, web) et à la Réunion (presse, radio).

Vous voudrez bien nous rendre compte régulièrement de la mise en place de ces actions correctives.'

Le rapport n°8 établit par le mandataire de l'ADLC le 22 avril 2016 dont COS se prévaut et qui a fondé la décision des premiers juges de ne pas retenir le grief de ventes liées, ne se réfère ni aux mêmes constats d'huissiers ni au mail précité et lorsque le mandataire fait état, dans le cadre de ce rapport, des remontées d'ORANGE se fondant sur des mails adressés par COS aux abonnés internet d'ORANGE il apparaît qu'il s'agit de deux abonnés satellites de COS en direct et non en autodistribution qui ne relèvent donc pas des engagements pris au titre de l'interdiction des ventes liées.

Il est par conséquent établi que contrairement aux engagements pris, jusqu'au 23 mai 2014, date à laquelle COS a adressé, à la suite des instructions du mandataire une note interne à ses équipes rappelant 'l'interdiction de créer une obligation d'achat quelconque entre les offres TV par satellite Canalsat et les offres Canalbox internet téléphone', COS a indiscutablement utilisé sa position dominante sur le marché de la télévision payante étroitement lié au marché de l'internet haut débit, pour tenter de s'approprier des parts sur ce marché connexe afin d'y obtenir un avantage à moindre coût et sans rapport direct avec ses mérites.

SUR LA REPARATION DU PREJUDICE ECONOMIQUE

ORANGE sollicite la réparation du préjudice économique lié aux effets restrictifs de la concurrence au motif de l'augmentation du nombre de résiliations d'abonnements directement imputable au démarchage entrepris par COS pour la commercialisation de l'offre triple play, tant durant la période litigieuse que postérieurement à celle-ci en raison de la durée des abonnements souscrits.

L'appelante évalue son préjudice en recourant à la méthode dite contrefactuelle par comparaison entre la situation réelle dans laquelle la pratique anticoncurrentielle s'est produite avec celle, contrefactuelle, qui aurait été constatée en l'absence de la pratique litigieuse à partir des éléments suivants :

- le volume de la clientèle ayant résilié les abonnements haut débit dans les zones des Caraïbes et de la Réunion,

1- Pour les Caraïbes de mai à août 2013 : 8 754 résiliations contre 11 027 résiliations de mai à août 2014

2- Pour la Réunion de mai à août 2013 : 4 871 résiliations contre 5 709 résiliations de mai à août 2014 représentant, selon ORANGE, un chiffre d'affaires moyen par mois et par client de 52 euros dans la zone Réunion et 56,6 euros dans la zone Caraïbe, (sources direction financière ORANGE)

- la perte du parc clients directement imputable aux pratiques concurrentielles est estimée à partir du volume des résiliations durant la période de lancement de l'offre triple play du mois de mai au mois d'août 2014 inclus, en appliquant à chacun des deux secteurs considéré le pourcentage correspondant au taux de pénétration du marché de la TV payante (source : Etude sur les équipements en communication électronique publiée par l'ARCEP au mois de juillet 2013 pièce 45) soit 59 % pour les foyers caribbéens et 45% pour les foyers réunionnais conduisant respectivement à 1341,07 et 377,1 résiliations pour chacune des zones concernées.

- la durée du préjudice (source Décision ARCEP 2010-1232 pièce 46) mesurée par rapport à l'ancienneté moyenne des clients ayant résilié, soit 35 mois pour les Caribbéens et 38 mois pour les Réunionnais correspondant à une moyenne de 3ans :

- la perte totale de chiffre d'affaires imputables aux résiliations :

1-Réunion : (52/mois) x 377,1 = 19 609,20 x 36 mois = 705 931,2 pour 12 958 mois de perte de revenus

2- Caraïbe : ( 56,6/mois) x 1341 = 75 904,56 x 36 mois = 2 732 564,16 pour 49 586 mois de perte de revenus

Total 1 et 2 : 3 438 495,36 porté par l'appelante à 3 480 399 euros

- les coûts variables non supportés du fait de la baisse d'activité (source direction financière d'ORANGE décomposition du CA Broadland pièce 29) estimés selon ORANGE à 59,1 %, taux de marge dont elle indique qu'il est destiné à lui permettre de recouvrer les importants coûts fixes qui n'ont pas, selon elle, à être soustraits puisqu'ils sont dans tous les cas encourus.

COS oppose que l'imputabilité du préjudice à la faute reprochée n'est aucunement démontrée par ORANGE qui omet de prendre en compte le coût notoirement élevé de ses offres tant à la Réunion qu'aux Antilles dont l'étude comparative sur ces deux zones durant la période litigieuse révèle que l'offre d'ORANGE était 10 euros plus élevée que celles des autres opérateurs locaux.

Selon l'intimée, l'échelle de temps retenue entre le 1er mai et le 31 août 2014 est inexacte dans la mesure où, si tant est qu'une pratique fautive soit avérée, dès le début du mois de juillet COS a pris les mesures pour faire cesser toute préjudice potentiel et en tout état de cause, cette échelle de temps n'est pas représentative eu égard à sa brièveté.

COS conteste la proportion de clients perdus et le nombre d'abonnements résiliés qui n'est, selon l'intimée, que le produit d'une déduction d'ORANGE non étayée par les sources comptables de l'entreprise, tirée d'une étude statistique concernant la métropole alors que seule devrait être prise en compte la partie des clients disposant d'un abonnement internet, cependant qu'ORANGE non seulement omet de communiquer la liste des abonnés et la durée des abonnements antérieurs à la période litigieuse mais ne tient aucun compte du marché concurrentiel animé dans les DROM par les petits opérateurs.

Cos observe que même à considérer que les tableaux produits par l'appelante (qui ne reposent sur aucune donnée comptable communiquée), puissent traduire une augmentation des résiliations, une tendance à la baisse des abonnements souscrits était déjà visiblement amorcée dès le mois d'avril 2014, preuve que les résiliations sont étrangères à l'intervention de COS

Enfin l'intimée conteste le taux de marge sur coût variable démesuré allégué à 59,1 % par ORANGE qui produit une liste de coûts incomplète, imprécise et contestable laquelle n'est appuyée sur aucun document comptable ce dont ORANGE est parfaitement consciente puisqu'elle justifie ce taux par la nécessité de recouvrer « les importants coûts fixes inhérents à la production d'offres Broadband ».

Sur ce,

La réparation du préjudice économique s'entend, au regard des dispositions de l'article 1149 du code civil, des dommages et intérêts dus à raison de la perte faite et du gain manqué lequel, actuel et futur sous réserve d'être certain, s'évalue par référence à une marge sur coûts correspondant aux coûts directs ou variables que l'entreprise peut éviter si elle subit un ralentissement ou un arrêt de son activité.

La question posée pour l'indemnisation des préjudices est donc la détermination, in concreto d'une perte de chiffre d'affaires imputable au comportement fautif sous déduction des frais qui n'ont pas été engagés ou qui ont été «évités » pendant la période concernée, c'est à dire celle pendant laquelle le chiffre d'affaires a été perdu en raison du fait dommageable.

ORANGE communique à l'appui de son analyse contrefactuelle d'une part les éléments qu'elle indique provenir de la direction financière de l'entreprise : le tableau de répartition des résiliations enregistrées entre le 1er avril et le 31 août 2914 (pièce 46) ainsi que la décomposition de la marge extraite du chiffre d'affaires Broadland ( pièce 47) précisant que ces éléments proviennent de la Direction financière d'ORANGE et, d'autre part, une Etude sur les équipements en communications électroniques et audiovisuels des ménages et individus des DOM, réalisée par LH2 DOM pour l'ARCEP en juillet 2013.

Cependant ORANGE ne communique aucune information relative à la compréhension de son plan d'affaires en sorte d'apprécier les modalités de commercialisation des offres d'abonnement sur leur marché ni le plan de charge du service de production qui a été affecté.

ORANGE s'appuie sur un scénario dit « contrefactuel » destiné à reconstituer ce qui se serait passé si le fait dommageable n'avait pas eu lieu mais cette méthode impose de prendre en considération les choix financiers de l'entreprise, l'identification comptable des flux et le fonctionnement du marché concerné.

Concernant le fonctionnement du marché des offres d'abonnement haut débit, ORANGE ne s'explique pas sur les parts de marché détenues par elle dans les DROM ni sur les données économiques affectant l'activité impactée au regard de l'évolution de la concurrence, de l'offre et de la demande et alors que COS justifie, sans être aucunement contredite sur ce point par l'appelante, que le marché du haut débit dans les DROM était déjà en 2014 soumis à la concurrence d'autres opérateurs comme CB, SFR, ONLY et ZEOP dont les offres d'abonnements mensuels étaient inférieurs de 10 euros à celle proposée par ORANGE à la même période.

ORANGE ne produit par ailleurs aucune donnée comptable certifiée par un professionnel agréé, permettant d'évaluer les prévisions de trésorerie intégrant les flux d'investissement, le suivi de l'activité, les coûts et prix de revient, le suivi de trésorerie et n'étaye pas sa demande par la communication des indicateurs permettant en définitive de mesurer le résultat de l'activité des offres d'abonnement haut débit antérieurement à la période litigieuse avec celle, contrefactuelle, qui aurait été constatée en l'absence de la pratique anti concurrentielle.

Ainsi la démonstration de la perte de chiffre d'affaires en lien avec la pratique restrictive de concurrence n'est pas faite quand ORANGE se limite à faire état d'une augmentation du nombre des résiliations sur la foi d'un tableau récapitulatif établi par elle-même, sans support comptable certifié, non étayé par la liste des abonnés et la durée des abonnements dont la résiliation est alléguée dans les zones considérées.

Cette absence de justification comptable ne permet pas d'évaluer le taux de marge d'exploitation revendiqué à partir de la liste dressée par l'appelante en dehors de tout bilan, la perte temporaire du chiffre d'affaires invoqué imposant de rechercher le chiffre d'affaires dont la société a été privée, sous déduction des charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité, charges de nature variable (frais du personnel intérimaire, primes d'objectif versées au personnel commercial, honoraires divers...) ou de nature fixe sur lesquels ORANGE ne s'explique pas (loyer des locaux, assurances, frais de personnel...) et alors que compte tenu de la brièveté de la période litigieuse, beaucoup de frais présentent une certaine fixité et ne peuvent être réduits facilement en cas de baisse d'activité.

ORANGE ne justifie pas pour autant de ses coûts fixes se limitant à produire une liste de coûts variables par référence à des postes, pour certains trop généraux, ('Autres achats externes -10 %) et pour d'autres redondants, ('Assistance Technique - 3% ' et ' Intervention -10 %) non reliables au chiffre d'affaires.

Par conséquent ORANGE qui n'établit ni un déclin objectif de nouveaux abonnements ni une croissance des résiliations sur la période litigieuse et ne saurait être suivie en sa demande de réparation du préjudice économique.

SUR LE PREJUDICE MORAL

Le préjudice subi par ORANGE par le fait du trouble économique imputable à la pratique des ventes liées est essentiellement moral et sera justement réparé par une somme de 50 000 euros que chacune des sociétés intimées sera condamnée à lui régler.

Le jugement sera donc réformé et les sociétés intimées déboutées de l'intégralité de leurs demandes.

SUR LES FRAIS IRREPETIBLES

La société SAS CANAL PLUS ANTILLES, SAS CANAL PLUS INTERNATIONAL, SAS CANAL PLUS REUNION seront condamnées à régler à la société ORANGE chacune une somme de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

Réforme le jugement ;

Statuant à nouveau,

Condamne les sociétés SAS CANAL PLUS ANTILLES, SAS CANAL PLUS INTERNATIONAL, SAS CANAL PLUS REUNION à régler chacune à la société ORANGE une somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Déboute les sociétés SAS CANAL PLUS ANTILLES, SAS CANAL PLUS INTERNATIONAL, SAS CANAL PLUS REUNION de l'intégralité de leurs demandes;

Condamne les sociétés SAS CANAL PLUS ANTILLES, SAS CANAL PLUS INTERNATIONAL, SAS CANAL PLUS REUNION à régler à la société ORANGE chacune une somme de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles ;

Condamne les sociétés SAS CANAL PLUS ANTILLES, SAS CANAL PLUS INTERNATIONAL, SAS CANAL PLUS REUNION aux entiers dépens de première instance et d'appel.