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Décisions

Cass. soc., 12 juin 2024, n° 22-23.235

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mariette

Rapporteur :

M. Pietton

Avocat :

SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés

Paris, du 12 janv. 2022

12 janvier 2022

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 janvier 2022), M. [B] a été engagé en qualité de mécanicien à compter du 7 février 2013 par la société Garage Sid.

2. Le 9 juillet 2014, le salarié a trouvé à son retour d'un arrêt de travail, l'entreprise fermée. Il a alors saisi en référé le conseil de prud'hommes et a obtenu la condamnation de son employeur à lui payer des rappels de salaire.

3. Le 24 septembre 2014, par lettre recommandée avec avis de réception le salarié a demandé à son employeur de lui adresser une « lettre de résiliation » de son contrat de travail pour lui permettre de s'inscrire à Pôle emploi. Cette lettre est restée sans réponse.

4. La société Garage Sid n'ayant pas exécuté les condamnations prononcées par l'ordonnance de référé, le salarié a saisi le tribunal de commerce qui, par jugement du 7 octobre 2015, a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de cette société, Mme [Y] étant désignée liquidateur. Celle-ci a été ultérieurement nommée mandataire ad hoc de la société.

5. Le 23 juin 2015, le salarié a saisi la juridiction prud'homale pour voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur et obtenir la fixation au passif de la société de diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant à la fixation au passif de la société Garage Sid d'une créance de 472,14 euros, outre les congés payés afférents, au titre du rappel de salaire minimum conventionnel, alors « que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que pour débouter le salarié de sa demande en paiement d'un rappel de salaire au titre du salaire minimum conventionnel, l'arrêt retient que "M. [B] sollicite l'application de l'échelon 3 de la convention collective, qui correspond à un professionnel titulaire d'une qualification de branche dans la spécialité. Toutefois, il ne donne aucun élément sur sa qualification, de sorte qu'il sera débouté de sa demande de re-classification. Son salaire de base est par conséquent de 1.430,22 euros" ; qu'en statuant ainsi, quand dans ses conclusions d'appel, M. [B] ne revendiquait pas une classification différente de celle qui lui avait été reconnue mais sollicitait simplement l'application du salaire minimum conventionnel correspondant à la qualification qui lui avait été octroyée par son employeur, la cour d'appel a méconnu les termes du litige, en violation de l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 4 du code de procédure civile :

7. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

8. Pour rejeter la demande, l'arrêt retient que le salarié sollicite l'application de l'échelon 3 de la convention collective, qui correspond à un professionnel titulaire d'une qualification de branche dans la spécialité, mais qu'il ne donne aucun élément sur sa qualification, de sorte qu'il sera débouté de sa demande de reclassification.

9. En statuant ainsi, alors que dans ses conclusions d'appel, le salarié sollicitait, non l'échelon 3 de la classification ouvriers et employés, mais l'application du salaire minimum conventionnel correspondant à la qualification de mécanicien reconnue par l'employeur, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

10. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que la résiliation judiciaire du contrat de travail a pris effet au 19 novembre 2018, alors « qu'en cas de résiliation judiciaire du contrat de travail, la date d'effet de la résiliation ne peut être fixée qu'au jour de la décision qui la prononce, dès lors que le contrat n'a pas été rompu avant cette date, et que le salarié est toujours au service de l'employeur ; qu'en l'espèce, pour dire que la résiliation du contrat de travail a pris effet la date du jugement, soit le 19 novembre 2018, l'arrêt relève que "Il est constant qu'alors que l'entreprise a fermé ses portes en juillet 2014 et que la société a été liquidée en octobre 2015, M. [B], dont la qualité de salarié n'a pas été contestée, n'a pas été licencié. Dès lors que l'employeur a manqué à ses deux principales obligations, fournir du travail et payer la rémunération, la demande de résiliation du contrat de travail formée par le salarié et justifiée, et il y sera fait droit. En revanche, le conseil de prud'hommes a fixé la date d'effet de cette résiliation au 24 septembre 2014, date à laquelle M. [B] a écrit à son employeur pour demander à être licencié. Or, la résiliation judiciaire du contrat de travail prend effet au jour où le juge la prononce, dès lors qu'à cette date le salarié est toujours au service de son employeur" ; qu'en statuant comme elle l'a fait, alors qu'elle relevait que par courrier du 29 septembre 2014, le salarié avait écrit à l'employeur afin de voir le licenciement acté, de sorte que M. [B] ne s'était plus tenu à disposition de l'employeur à compter de cette date, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les articles 1224, 1227 et 1353 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1184 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

11. Il résulte de ce texte, qu'en cas de résiliation judiciaire du contrat de travail, la date d'effet de la résiliation ne peut être fixée qu'au jour de la décision qui la prononce dès lors que le contrat n'a pas été rompu avant cette date et que le salarié est toujours au service de l'employeur.

12. Pour fixer au 19 novembre 2018 la date de prise d'effet de la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur, l'arrêt retient que le conseil de prud'hommes a fixé la date d'effet de cette résiliation au 24 septembre 2014, date à laquelle le salarié a écrit à son employeur pour demander à être licencié mais que la résiliation judiciaire du contrat de travail prend effet au jour où le juge la prononce, dès lors qu'à cette date le salarié est toujours au service de son employeur et qu'en l'espèce, la résiliation a donc pris effet à la date du jugement, soit le 19 novembre 2018.

13. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que le salarié n'était plus au service de son employeur depuis le 24 septembre 2014, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.

Sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

14. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande au titre de la prime de panier, alors « que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; que saisie d'une demande d'indemnisation au titre de la prime de panier, la cour d'appel ne pouvait modifier le fondement juridique de la demande, et appliquer les dispositions conventionnelles applicables au titres restaurant, sans provoquer au préalable les explications des parties ; que faute de l'avoir fait, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 16 du code de procédure civile :

15. Aux termes de ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

16. Pour rejeter la demande en paiement d'une prime de panier, l'arrêt retient qu'aux termes de la convention collective nationale du commerce et de la réparation de l'automobile, du cycle et du motocycle et des activités connexes, ainsi que du contrôle technique automobile du 15 janvier 1981, lorsque dans l'entreprise, le nombre de travailleurs voulant prendre leur repas est inférieur à vingt-cinq et que par suite de difficultés matérielles, l'employeur n'est pas en mesure de fournir un emplacement permettant de se restaurer dans de bonnes conditions d'hygiène et de sécurité, il remettra aux salariés concernés des titres-restaurant et qu'en l'espèce, le salarié ne donne aucun élément sur les locaux dans lesquels il travaillait et sur l'impossibilité où il se serait trouvé de se restaurer dans de bonnes conditions d'hygiène et de sécurité.

17. En statuant ainsi, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur le moyen relevé d'office tiré de l'application de l'article 1.14 de la convention collective applicable, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

18. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande au titre de l'indemnité pour travail dissimulé, alors que « tout jugement doit être motivé ; que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; que pour débouter le salarié de sa demande au titre du travail dissimulé, l'arrêt retient que "M. [B] verse lui-même ses bulletins de paie aux débats, ce qui atteste que son emploi salarié était bien déclaré" ; qu'en s'abstenant néanmoins de répondre aux conclusions d'appel du salarié, pourtant déterminantes pour l'issue du litige, faisant valoir qu'aucune cotisation n'avait été reversée à la caisse de retraite de mai 2014 à juillet 2014, alors que le dernier jour travaillé est le 9 juillet 2014, ainsi que cela ressortait clairement du relevé de carrière qu'il versait aux débats, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

19. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse aux conclusions équivaut à un défaut de motifs.

20. Pour rejeter la demande, l'arrêt retient que l'indemnité pour travail dissimulé n'est due que sous réserve que soit établi le caractère intentionnel de cette dissimulation et qu'en l'espèce, le salarié verse lui-même ses bulletins de paie aux débats, ce qui atteste que son emploi salarié était bien déclaré.

21. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions du salarié qui soutenait qu'aucune cotisation à la caisse de retraite n'avait été reversée de mai à juillet 2014, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

Et sur le cinquième moyen

Enoncé du moyen

22. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que la créance indemnitaire allouée
pour paiement tardif des salaires n'était pas garantie par l'AGS, alors « que les dommages-intérêts alloués en réparation du préjudice né de l'inexécution par l'employeur de ses obligations contractuelles devaient être garantis par l'AGS, dès lors que ces créances, qui se rattachent à l'exécution du contrat de travail et non à sa rupture, sont nées avant le jugement de liquidation judiciaire ; qu'en jugeant au contraire que "les dispositions précitées ne prévoient pas la garantie de l'AGS pour la créance indemnitaire allouée pour le paiement tardif des salaires", la cour d'appel a violé l'article L. 3253-8 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 3253-8 1° du code du travail :

23. Selon ce texte, l' AGS garantit les sommes dues aux salariés à la date du jugement d'ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.

24. Après avoir alloué une somme à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé au salarié par le retard important du paiement des salaires pour les mois de décembre 2013, janvier 2014 et du 1er juin au 25 septembre 2014, l'arrêt retient que les dispositions de l'article L. 3253-8 du code du travail ne prévoient pas la garantie de l'AGS pour la créance indemnitaire allouée pour le paiement tardif des salaires.

25. En statuant ainsi, alors que cette créance réparait un préjudice qui, subi par le salarié du fait de l'inexécution par l'employeur d'une obligation résultant du contrat de travail, était né pendant la période antérieure à la date de l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

26. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation sur les premier, deuxième, et troisième moyens entraîne la cassation par voie de conséquence, respectivement, des chefs de dispositif fixant au passif de la liquidation judiciaire de l'employeur diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail, disant que l'AGS ne garantit pas les créances liées à la rupture du contrat de travail et l'autorisant à déduire des sommes dont elle reste redevable les paiements faits antérieurement pour des créances liées à cette rupture et du chef de dispositif déboutant le salarié de sa demande en réparation du préjudice causé par une exécution déloyale du contrat de travail, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail, dit que l'AGS doit sa garantie pour les créances nées de l'exécution du contrat de travail au titre d'un rappel de salaire pour les mois de décembre 2013, janvier 2014 et du 1er juin au 25 septembre 2014, des congés payés afférents, au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents et au titre d'un rappel de congés payés, fixe au passif de la société Garage Sid, représentée par son mandataire ad hoc, Mme [Y], la somme de 500 euros de dommages-intérêts pour le paiement tardif des salaires, constate que le jugement du tribunal de commerce qui a prononcé l'ouverture d'une procédure collective, a arrêté le cours des intérêts légaux, l'arrêt rendu le 12 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.