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Décisions

ADLC, 28 juin 2024, n° 24-DCC-141

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

ADLC n° 24-DCC-141

27 juin 2024

I. Les entreprises concernées et l’opération

A. LES ENTREPRISES CONCERNEES

1. La société anonyme CMA CGM, contrôlée exclusivement par Merit France, société

holding de la famille Saadé

, est à la tête du groupe CMA CGM qui est principalement

actif dans les secteurs du transport maritime de marchandises, de la gestion des terminaux

portuaires, de la logistique et du transport aérien de marchandises. Il opère également des

activités d’édition de presse écrite, via sa filiale WhyNot Média qui détient les titres de

presse écrite La Provence, Corse Matin, La Tribune et La Tribune du Dimanche, et édite

les sites d’information qui leur sont associés. CMA CGM commercialise des espaces

publicitaires et les petites annonces pour ses titres de presse et organise des évènements.

Par ailleurs, CMA CGM détient notamment une participation minoritaire non contrôlante,

au sens du droit des concentrations, de 10,27 % dans la société Métropole Télévision

(groupe M6).

2. Altice Media est une filiale d’Altice France. Elle édite diverses chaînes de télévision

payantes (BFM Business TV) et gratuites diffusées par voie hertzienne terrestre en mode

numérique, nationales (BFM TV, RMC Découverte, RMC Story et RMC Sport3) et locales4

,

des stations de radio nationales diffusées par voie hertzienne (RMC et BFM Business) ou

en ligne (BFM Radio), ainsi que les sites d’information qui leur sont associés. Elle dispose

de sa propre régie publicitaire, Altice Media Ads & Connect, qui commercialise ses

espaces publicitaires et organise, par ailleurs, des évènements.

B. L’OPERATION

3. L’opération, matérialisée par un protocole d’accord du 15 mars 2024, consiste en

l’acquisition par les sociétés CMA CGM et Merit France Investissements5 de l’intégralité

des titres de la société Altice Media. L’opération n’inclut cependant pas la filiale d’Altice

Média Sportscotv qui édite et commercialise des chaînes de télévision payantes sous la

marque « RMC Sport » (RMC Sport 1 et 2, en direct et en replay).

4. À l’issue de l’opération, Altice Media sera donc contrôlée exclusivement par CMA CGM.

Dès lors, l’opération entraîne un changement de contrôle et constitue une concentration au

sens de l’article L. 430-1 du code de commerce.

5. Cette opération relève de la compétence de l’Union européenne en application de

l’article 1, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil sur les concentrations.

En effet, les entreprises concernées ont réalisé ensemble un chiffre d’affaires hors taxes

consolidé sur le plan mondial de plus de 5 milliards d’euros (CMA CGM : [≥ 5] milliards

d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2023 ; Altice Media : [≤ 5 milliards] d’euros

pour l’exercice clos le 31 décembre 2023). De plus, chacune d’entre elles a réalisé un

chiffre d’affaires dans l’Union européenne supérieur à 250 millions d’euros (CMA CGM :

[≥ 250 millions] d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2023 ; Altice Media : [≥ 250]

millions d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2023). Enfin, seule Altice Media a

réalisé plus de deux tiers de son chiffre d’affaires dans l’Union européenne dans un seul et

même État-membre, la France.

6. Le 3 avril 2024, CMA CGM a adressé à la Commission européenne (ci-après « la

Commission »), au moyen d’un mémoire motivé, une demande de renvoi total de

l’opération à l’Autorité, en application de l’article 4, paragraphe 4, du règlement

n° 139/2004. Par une décision M.11511 du 6 mai 2024, notifiée à l’Autorité le 7 mai 2024,

la Commission a considéré que les conditions d’un renvoi à l’Autorité étaient réunies. La

prise de contrôle exclusif d’Altice Media par CMA CGM est donc soumise, en application

du IV de l’article L. 430-2 du code de commerce, aux dispositions dudit code.

II. Définition des marchés concernés

7. Les parties sont simultanément actives dans les secteurs de l’organisation d’évènements et

d’exploitation de leurs sites internet d’information, qui sont principalement des sites

internet associés à leurs chaînes de télévision, stations de radio et titres de presse. Or, sur

les marchés analysés conformément à la pratique décisionnelle de l’Autorité de la

concurrence, la nouvelle entité dispose de parts de marché inférieures à 25 % ou

l’incrément de parts de marché résultant de l’opération est inférieure à deux points. Par

conséquent, la présentation de ces marchés n’est pas nécessaire aux fins de la présente

analyse.

8. Les marchés concernés à titre principal par l’opération sont ceux de la presse écrite, sur

lesquels CMA CGM est actif et le marché de la publicité télévisuelle sur lequel Altice

Media est active.

A. LES MARCHÉS DE LA PRESSE ÉCRITE

9. L’Autorité de la concurrence considère que la presse écrite constitue un marché distinct

des autres médias traditionnels (télévision, radio, etc.).6

10. Au sein du secteur de la presse écrite, l’Autorité opère une distinction entre la presse

quotidienne nationale, la presse régionale, la presse magazine, la presse gratuite et la presse

spécialisée7

.

11. Pour chaque type de presse, trois marchés sont distingués8 : le lectorat, la vente d’espaces

publicitaires et la vente de petites annonces. Au cas présent, seuls les marchés du lectorat

et de la vente d’espaces publicitaires, qui sont concernés à titre congloméral par l’opération,

sont présentés ci-après.

Les marchés du lectorat

12. L’Autorité distingue différents marchés du lectorat en se fondant sur le type d’informations

mises en valeur, le style, la présentation, la périodicité, la politique commerciale (vente par

abonnement ou au numéro), le prix et les caractéristiques des lecteurs (sexe, âge, catégories

socio-professionnelles, revenus et domicile)9

.

13. En ce qui concerne le marché du lectorat de la presse régionale, la pratique décisionnelle

distingue, en raison de la périodicité différente des titres, le marché de la PQR de celui de

la presse hebdomadaire régionale10

.

Les marchés de la vente d’espaces publicitaires dans la presse écrite

14. L’Autorité a considéré que le marché de la publicité dans la presse doit être segmenté en

fonction de la catégorie du titre de presse : (i) presse quotidienne nationale, (ii) PQR, (iii)

presse magazine, (iv) presse gratuite, et (v) presse spécialisée11

.

15. La pratique décisionnelle a également envisagé de distinguer un marché de la publicité

financière et un marché de la publicité commerciale12

.

16. En ce qui concerne la presse quotidienne régionale, une distinction13 peut être également

envisagée entre la publicité locale et la publicité extra-locale14

.

ne pratique décisionnelle constante, la dimension géographique des marchés de la

presse écrite correspond à leur zone de diffusion, qui peut être de dimension nationale,

régionale, départementale ou infra-départementale15

.

B. LES MARCHES DE LA PUBLICITE TELEVISUELLE

18. Selon la pratique décisionnelle de l’Autorité, le marché de la publicité télévisuelle ne fait

pas l’objet de segmentation plus fine et constitue à ce titre un marché de service concerné

par l’opération16

.

19. L’Autorité a également envisagé l’existence d’un marché du parrainage qui désigne toute

contribution d’une entreprise ou d’une personne morale publique ou privée ou d’une

personne physique, n’exerçant pas d’activités d’édition de services de télévision ou de

médias audiovisuels à la demande ou de production d’œuvres audiovisuelles, au

financement de services de télévision ou de programmes dans le but de promouvoir son

nom, sa marque, son image, ses activités, ses produits ou ses services17

.

20. La pratique décisionnelle de l’Autorité considère que la dimension géographique du

marché de la publicité télévisuelle est nationale, du fait des barrières linguistiques et

culturelles, sauf en matière de publicité télévisuelle locale, pour laquelle le marché

géographique revêt une dimension correspondant à la zone de diffusion de la télévision18

III. Analyse concurrentielle

21. Les parties à l’opération sont actives sur des marchés connexes sur lesquels la

concentration est susceptible d’emporter des effets congloméraux.

22. Si les concentrations conglomérales peuvent généralement susciter des synergies pro-

concurrentielles, certaines peuvent néanmoins produire des effets restrictifs de concurrence

lorsqu’elles permettent de lier, techniquement ou commercialement, les ventes ou les

achats des éléments constitutifs du regroupement de façon à verrouiller le marché et à en

évincer les concurrents.

23. Ainsi que le précisent les lignes directrices de l’Autorité relatives au contrôle des

concentrations, les effets congloméraux sont susceptibles de se concrétiser notamment dans

le cadre d’offres liant ou groupant des biens ou services produits sur des marchés distincts.

Ce type d’offre peut être de différente nature, à savoir des offres groupées dites « pures »

ou « mixtes »19

.

24. En l’espèce, certains des médias respectifs des parties à l’opération présentent des liens de

connexité et des similarités, soit compte tenu de leur thématique (chaînes de télévision et

stations de radio nationales – et leurs sites internet d’information associés – BFM Business,

d’une part, quotidiens La Tribune et La Tribune du Dimanche et leurs sites d’information

associés, d’autre part), soit compte tenu de leur zone de diffusion (chaînes de télévision

locales BFM Régions et leurs sites internet d’information associés, d’une part, quotidien

régional La Provence et son site internet d’information associé, d’autre part)20

.

25. Les parts de marché des parties, au titre de leurs activités de médias d’information

économique et financière, sur les marchés connexes de la presse quotidienne nationale et

de la vente d’espaces publicitaires télévisuels, sont toutefois largement inférieures à 30 %.

Compte tenu de ces faibles parts de marché, tout risque d’atteinte à la concurrence par le

biais d’effets congloméraux peut être écarté sur ces marchés21. Ils ne feront donc pas l’objet

d’une analyse détaillée dans le cadre de la présente décision.

26. L’opération crée principalement un lien de connexité entre les activités des parties au

niveau local, dans le Sud-Est de la France. CMA CGM édite le journal La Provence qui est

diffusé sous la forme de neuf éditions distinctes dans une zone globale incluant les

départements des Bouches-du-Rhône (13), du Vaucluse (84) et des Alpes-de-Haute-

Provence (04). Altice Media, pour sa part, édite différentes chaînes locales, dont certaines

sont diffusées dans les départements précités (à savoir, principalement, les chaînes BFM

Marseille et BFM DICI et, plus marginalement, BFM Nice et BFM Toulon – ci-après, les

chaînes « BFM PACA »).

27. Ainsi, la concentration conduit CMA CGM à étendre son activité sur des marchés de

l’audiovisuel, connexes de ceux de la presse écrite, dans une zone géographique où il édite

le journal La Provence.

28. Après avoir défini les positions des parties sur les marchés concernés (A), l’analyse visera

à analyser les risques congloméraux sur ces marchés (B).

A. POSITIONS DES PARTIES SUR LES MARCHÉS CONCERNÉS

Les marchés du lectorat

29. La Provence bénéficie dans sa zone de diffusion de parts de marché très significatives sur

les marchés du lectorat.

Tableau 1 - Parts de marché détenues par La Provence sur les marchés du lectorat en PQR, dans sa

zone globale de diffusion22 et par département

Capture d’écran 2024-08-27 à 16.59.29.png

30. S’agissant des parts de marché que la nouvelle entité pourrait détenir au niveau infra-

départemental, la partie notifiante considère que celles-ci « seraient similaires à celles

présentées au niveau départemental ». L’Autorité considère qu’il ne peut pas être exclu

que celles-ci puissent atteindre des niveaux monopolistiques ou quasi-monopolistiques. En

effet, La Provence est diffusée au moyen de neuf éditions imprimées distinctes24 là où ses

concurrents diffusent une édition unique sur l’ensemble du département des

Bouches-du-Rhône (La Marseillaise), du Vaucluse (groupe EBRA, à travers Vaucluse

Matin – édition Provençale) et du département des Alpes-de-Haute-Provence (groupe

EBRA à travers Dauphiné Libéré – édition Hautes-Alpes et Alpes de Haute-Provence).

Les marchés de la vente d’espaces publicitaires dans la presse écrite

31. La Provence bénéficie également dans sa zone de diffusion de positions tout aussi

significatives sur les marchés de la vente d’espaces publicitaires dans la PQR.

Tableau 2 - Parts de marché détenues par La Provence sur les marchés de la vente d’espaces

publicitaires dans la PQR, dans sa zone globale de diffusion

Capture d’écran 2024-08-27 à 17.00.34.png

32. Pour des raisons similaires à celles exposées au paragraphe 30 ci-dessus, il ne peut être

exclu que les parts de marché de La Provence atteignent des niveaux monopolistiques ou

quasi-monopolistiques au niveau infra-départemental. En effet, il ressort de l’instruction

que certaines publicités varient selon les éditions distinctes considérées de La Provence,

contrairement aux éditions uniques éditées par les journaux concurrents.

33. Altice Media se trouve, à travers ses chaînes locales BFM Marseille et BFM DICI, en

situation de duopole sur les marchés de la vente d’espaces publicitaires télévisuels dans la

zone englobant les départements des Bouches-du-Rhône (13), le Vaucluse (84) et les

Alpes-de-Haute-Provence (04), où elle est confrontée à la concurrence de la chaîne locale

France 3 PACA.

Tableau 3 - Parts de marché détenues par BFM Marseille et BFM DICI sur les marchés de la vente

d’espaces publicitaires télévisuels, dans la zone globale incluant les département les Bouches-du-

Rhône, le Vaucluse et les Alpes-de-Haute-Provence

(source : formulaire de notification – après retraitement)

Capture d’écran 2024-08-27 à 17.01.46.png

34. La partie notifiante, sans avoir été en mesure de fournir des données au niveau

départemental ou infra-départemental, considère par ailleurs que le calcul de parts de

marché à de tels niveaux ne serait pas pertinent puisque les annonceurs des chaînes BFM

Marseille Provence et BFM DICI achèteraient leurs espaces publicitaires « en

considération de (i) l'étendue de la zone de diffusion de chacune de ces chaînes et (ii) du

prix » et « ne peuvent pas acheter une diffusion de leurs annonces par département ».

35. Au cas présent, il n’y a pas lieu de considérer que les parts de marchés à un échelon

géographique inférieur seraient sensiblement différentes, dès lors que la zone de diffusion

de France 3 PACA recouvre les zones de diffusion des chaînes BFM Marseille Provence

et BFM DICI et que, par ailleurs, ces dernières n’offrent pas la possibilité d’acheter des

espaces publicitaires télévisuels pour une diffusion plus étroite que leurs zones de diffusion

respectives.

B. ANALYSE DES RISQUES CONGLOMÉRAUX

36. Quand elle analyse des effets congloméraux, l’Autorité examine si la nouvelle entité aurait,

après la concentration, la possibilité de verrouiller l’accès à un ou des marchés, si elle serait

incitée à le faire et si une stratégie de verrouillage aurait un effet significatif sur les marchés

en cause. En pratique, ces trois conditions sont étroitement liées.

37. Au cas présent, la stratégie de verrouillage pourrait consister en des couplages de vente

d’espaces publicitaires télévisuels sur BFM Marseille Provence et BFM DICI avec des

espaces publicitaires dans La Provence.

38. Une telle stratégie pourrait conduire la nouvelle entité à imposer à ses clients annonceurs

une obligation commerciale d’acheter les deux offres d’espaces publicitaires ensemble

(télévision et presse écrite), ou à les vendre à des conditions qui seraient meilleures que

celles proposées si les offres étaient achetées séparément. Elle pourrait alors verrouiller le

ou les marchés concernés et conduire ses concurrents, qui ne seraient notamment pas en

mesure de répliquer une telle offre groupée, à perdre des clients et, à terme, être évincés de

ces marchés.

39. Les effets d’une stratégie de couplage ne conduiraient pas à réduire l’intensité

concurrentielle entre Altice Media et son unique concurrent, France 3 PACA, ni a fortiori

de l’évincer de ces marchés duopolistiques.

40. À cet égard, la nouvelle entité n’aura ni l’incitation, ni les effets escomptés d’une telle

stratégie.

41. En premier lieu, les annonceurs accorderaient une plus forte importance aux supports

publicitaires télévisuels qu’aux espaces publicitaires dans la PQR lors de l’élaboration de

leurs campagnes. Selon la partie notifiante « les annonceurs peuvent être demandeurs de

dispositifs leur permettant de combiner les atouts de différents médias lors d’une

campagne » et la « PQR est […] le plus souvent associée à d’autres médias, en particulier

au digital, à la radio et à l’affichage. Dans l’allocation de leur budget entre les différents12

médias qu’ils ont retenus pour une campagne, les annonceurs tendent à privilégier les

autres médias au détriment de la PQR ».

42. En second lieu, France 3 PACA ne pourra pas être évincée du marché du fait de la mise en

œuvre d’une stratégie de couplage. Tout d’abord, la chaîne dispose d’un pouvoir de marché

important sur les marchés où elle est active. Comme cela ressort du tableau 3 ci-dessus,

France 3 PACA dispose de parts de marchés systématiquement supérieures à 60 %.

Ensuite, France 3 PACA est éditée par le groupe audiovisuel public France Télévisions,

lequel a notamment la charge, en vertu de l’article 44 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre

1986 relative à la liberté de communication, de « concevoir et de programmer des

émissions de télévision à caractère national, régional et local »27. Compte tenu de cet

objectif de service public qui s’applique non pas à la seule chaîne France 3 PACA mais à

l’ensemble du groupe France Télévision, dont l’équilibre économique ne dépend pas des

seuls revenus publicitaires locaux de l’une de ses chaînes locale, une stratégie de

verrouillage mise en œuvre par la nouvelle entité ne pourrait conduire un groupe d’une telle

importance et soumis à des obligations de service public à supprimer son offre

audiovisuelle publique régionale et locale dans un bassin de population aussi important que

la région PACA et partant sa capacité à proposer des offres alternatives à la nouvelle entité

en matière de vente d’espaces publicitaires télévisuels.

43. Par conséquent, l’opération n’est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur ces

marchés par le biais d’effets congloméraux.

44. Il ressort de l’instruction qu’une stratégie visant, pour la nouvelle entité, à mettre en œuvre

des offres de couplage lors de la commercialisation des espaces publicitaires respectifs de

La Provence et des chaînes BFM PACA, serait susceptible de conduire, à terme, à l’éviction

des concurrents de La Provence du fait d’une perte d’une partie de leurs revenus

publicitaires et, in fine, à priver les consommateurs et les annonceurs locaux d’offres

concurrentes en journaux de PQR dans la zone de diffusion de La Provence.

45. En premier lieu, la nouvelle entité dispose de la capacité de mettre en œuvre un tel levier.

Tout d’abord, elle bénéficiera du pouvoir de marché de La Provence qui, comme cela

ressort des tableaux 1 et 2 ci-dessus, dispose de parts de marché d’un niveau parfois quasi-

monopolistique sur les marchés du lectorat et de la vente d’espaces publicitaires.

46. Ensuite, La Provence bénéficie de son appartenance à un groupe économiquement

important (voir le para. 5 ci-dessus), tandis que la presse quotidienne régionale est un

secteur économique fragilisé. La partie notifiante indiquait en ce sens que le « prix des

espaces de publicité dans la PQR ont chuté brutalement entre 2019 et 2020 en raison de

la crise de la Covid-19 ([…] % pour La Provence) et n’ont pas pu être augmentés

significativement depuis ([…] % pour La Provence) » ; « malgré [une] stabilité tarifaire

depuis 2020, le chiffre d’affaires publicitaire de La Provence n’a cessé de régresser, en

raison notamment de la baisse continue de sa diffusion » ; et que « cette baisse est générale

sur le marché de la PQR ». Au sujet de la situation de ses concurrents, la partie notifiante

notait que « le groupe Ebra, qui édite les titres Vaucluse Matin et Le Dauphiné Libéré,

enchaîne les plans d’économie et de réorganisation » et que le « journal La Marseillaise

[est] chroniquement déficitaire depuis plusieurs années ».

47. Enfin, il apparait que La Provence et les chaînes BFM PACA ont une part significative

d’annonceurs en commun28, dont notamment des annonceurs importants tels que les

collectivités locales et assimilées de la zone.

48. Dès lors, la nouvelle entité aurait la capacité, grâce à ses positions sur les marchés de la

PQR dans la zone de diffusion de La Provence, sa puissance économique et une base

significative d’annonceurs communs sur laquelle s’appuyer, de mettre en œuvre une

stratégie de couplage de ses offres en espaces publicitaires entre La Provence et les chaînes

BFM PACA.

49. En deuxième lieu, la nouvelle entité aurait une incitation à mettre en œuvre une telle

stratégie. En effet, la situation de fragilité économique des concurrents de La Provence

pourrait inciter la nouvelle entité à chercher à les priver d’une partie de leurs revenus

publicitaires. Il ne peut d’ailleurs pas être exclu que la mise en œuvre d’un tel couplage

puisse être rentable financièrement à terme. En effet, si celle-ci pourrait induire des pertes

au niveau de la vente des espaces publicitaires sur les chaînes BFM PACA dans un premier

temps, elle pourrait, dans un second temps, après avoir capté les parts de marché

aujourd’hui détenues par les concurrents de La Provence, générer des revenus d’un niveau

supérieur aux pertes. En effet, en 2023, la vente cumulée des espaces publicitaires de

La Provence et de BFM PACA a généré un total d’environ […] millions d’euros (dont […]

millions d’euros pour les ventes d’espaces publicitaires télévisuels sur les chaînes

BFM PACA). Or, la taille totale du marché de la vente d’espaces publicitaires sur les

journaux de PQR dans la zone de diffusion de La Provence s’élève à […] millions d’euros

(dont environ […] millions d’euros de revenus aujourd’hui captés par les concurrents de

La Provence).

50. De plus, le rationnel économique de l’opération comprend notamment la mise en œuvre de

synergies de revenus spécifiques au volet de la concentration concernant La Provence et

les chaînes BFM PACA.

51. En troisième lieu, une telle stratégie affecterait de manière significative les marchés de la

PQR dans la zone concernée. En effet, compte tenu des mêmes éléments que ceux déjà

exposés ci-avant, il ne peut être exclu que la mise en œuvre d’un tel levier conduise les

journaux concurrents de La Provence à devoir cesser leurs activités 29

. Il en résulterait que 

les lecteurs et les annonceurs locaux de PQR de la zone se retrouveraient privés d’offres

alternatives à La Provence.

52. Il résulte de ce qui précède qu’un risque d’atteinte à la concurrence sur les marchés de la

PQR par le biais d’effets congloméraux ne peut être exclu.

53. Toutefois, la partie notifiante a présenté des engagements, analysés en section V de la

présente décision afin de remédier à un tel risque, de nature à écarter tout doute sérieux

d’atteinte à la concurrence sur ces marchés.

IV. Analyse du risque lié à une participation minoritaire

préexistante dans une entreprise concurrente et à la présente

opération de concentration

54. Dans certains cas, lorsque l’entreprise cible est active sur le même marché ou un marché

lié à l’entreprise dans laquelle l’acquéreur détient une participation, l’existence d’une

participation minoritaire préalable à une concentration peut donner lieu à une coordination

des comportements concurrentiels de ces entreprises, voire des effets unilatéraux lorsque

la participation au capital d’un tiers est susceptible de donner lieu à la transmission

d’informations sensibles.

55. En l’espèce, CMA CGM détient notamment une participation minoritaire de 10,27 % dans

la société Métropole Télévision (groupe M6), qui est active dans le secteur de la publicité

télévisuelle, au même titre qu’Altice Media.

56. Cette participation au capital ne confère pas, en tant que telle, à CMA CGM des droits à

l’information excédant le niveau d’information du public, notamment parce que

Métropole Télévision est une société cotée sur le marché réglementé Euronext Paris.

57. La partie notifiante a également précisé que sa participation ne confère pas à CMA CGM

une influence décisive pour la prise de décisions collectives, cette dernière ne disposant

que d’un droit limité de présenter des projets de résolution en vue des assemblées générales,

ainsi que le prévoit l’article L. 225-105 du code de commerce pour tout actionnaire dont la

participation représente au moins 5 % du capital.

58. Néanmoins, CMA CGM dispose de droits et de prérogatives, qui vont au-delà de sa

participation capitalistique, liés à sa représentation au conseil de surveillance de Métropole

Télévision, en particulier l’accès à des informations commercialement sensibles.

59. Cette présence au sein du conseil de surveillance pourrait permettre de renforcer la position

de la nouvelle entité en lui permettant d’utiliser les informations stratégiques d’un

concurrent pour obtenir un avantage concurrentiel ou pour coordonner leurs

comportements.

60. En l’espèce, tout risque découlant de la représentation du groupe CMA CGM au conseil de

surveillance de Métropole Télévision peut cependant être écarté dès lors que les modalités 

de cette représentation sont telles qu’aucune information commercialement sensible ne

pourra lui être communiquée, écartant ainsi toute préoccupation concurrentielle.

61. En premier lieu, la partie notifiante a déclaré dans le cadre de l’instruction qu’ « [à] l’issue

de l’Opération, Mme Véronique Saadé sera remplacée en tant que représentant de

CMA CGM Participation au sein du conseil de surveillance de Métropole Télévision par

une personnalité qualifiée qui ne sera ni salariée ni mandataire social d’une société du

groupe CMA CGM ».

62. En second lieu, le représentant de CMA CGM au sein du conseil de surveillance est non

seulement soumis à une obligation de confidentialité et d’absence de conflit d’intérêt, mais

également à une interdiction stricte de toute transmission d’informations sensibles au

groupe CMA CGM.

63. D’une part, il découle des déclarations de la partie notifiante dans le cadre de l’instruction

que « en application du règlement intérieur du conseil de surveillance du groupe

Métropole Télévision, tout membre du conseil de surveillance a l’obligation de faire part

au conseil de surveillance de toute situation de conflit d’intérêts, même potentiel, entre son

intérêt personnel direct ou indirect ou l’intérêt de l’actionnaire ou du groupe

d’actionnaires qu’il représente et celui de la société ou du groupe et en tirer toute

conséquence quant à l’exercice de son mandat » et « [ainsi], selon le cas, [le représentant

de CMA CGM devra soit (i) s’abstenir d’assister au débat et de participer au vote de la

délibération correspondante, soit (ii) ne pas assister aux réunions du conseil durant la

période pendant laquelle il se trouvera en situation de conflit d’intérêts, soit (iii)

démissionner de ses fonctions de membre du conseil de surveillance. À défaut, sa

responsabilité pourrait être engagée ».

64. D’autre part, la partie notifiante a déclaré dans le cadre de l’instruction du présent dossier

qu’elle préviendra toute transmission, au groupe CMA CGM, au sens du droit des

concentrations, d’informations sensibles concernant la politique financière, stratégique et

commerciale de Métropole Télévision, notamment les plans d’affaires, les résultats

financiers de l’entreprise, sa perception des secteurs de l’audiovisuel, de la radio et du

numérique, la fixation des orientations stratégiques et des projets futurs. A cet égard, CMA

CGM appliquera à ce représentant une interdiction stricte de transmission de telles

informations obtenues dans le cadre de sa fonction de représentation au sein du conseil de

surveillance du groupe Métropole Télévision.

65. Par conséquent, dès lors que les modalités décrites ci-dessus seront respectées, toute

préoccupation découlant de la participation minoritaire du groupe CMA CGM dans le

capital de Métropole Télévision peut être écartée.

66. L’Autorité sera attentive au respect de ces modalités. Tout échange d’informations entre

entreprises concurrentes du fait de cette participation minoritaire est susceptible d’être

contraire aux dispositions de l’article L. 420-1 du code de commerce et toute déclaration

inexacte faite dans le cadre de l’instruction pourra être sanctionnée sur le fondement du III

de l’article L. 430-8 du même code.

V. Les engagements

67. Afin de remédier aux risques d’effets anticoncurrentiels identifiés, CMA CGM a présenté

le 17 juin 2024, une proposition d’engagements décrits et analysés dans les

développements qui suivent. Leur texte, joint en annexe, fait partie intégrante de la présente

décision.

A. LES ENGAGEMENTS PROPOSES

68. Souscrits pour une durée de cinq ans, les engagements prévoient une exclusion de toute

forme de couplage ainsi qu’un dispositif de contrôle.

69. En premier lieu, la partie notifiante s’engage à ne pratiquer, directement ou indirectement

(vis-à-vis des annonceurs, des agences médias ou encore par l’intermédiaire de tiers),

aucune forme de couplage (y compris sous des formes détournées, à savoir une

subordination ou l’octroi d’avantages et de contreparties) entre la vente des espaces

publicitaires de La Provence, d’une part, et des chaînes BFM PACA (chaînes locales de

BFM dont la zone de diffusion recoupe celle de La Provence), d’autre part. Dans le cas où

ces ventes seraient réalisées par des tiers, la partie notifiante s’engage à insérer dans les

contrats pertinents (contrats de régie ou de sous-régie) des clauses prévenant tout couplage

entre ces mêmes ventes d’espaces publicitaires (« engagement 2.1 »).

70. En deuxième lieu, la partie notifiante s’engage, dans le cadre de la mise en œuvre de

l’engagement 2.1, à maintenir sa régie interne commercialisant les espaces publicitaires de

son journal La Provence distincte et autonome de la régie assurant la commercialisation

des espaces publicitaires des chaînes BFM PACA (« engagement 2.2 »).

71. En effet, la régie publicitaire de La Provence bénéficiera d’une gouvernance opérationnelle

autonome. Elle sera logée dans une société distincte, la société commerciale Eurosud

placée sous le contrôle de la société La Provence. La société Eurosud contrôlera la gestion

opérationnelle définie et mise en œuvre par son directeur général. Ce dernier sera nommé

par la société La Provence et n’exercera pas simultanément, directement ou indirectement,

d’autres fonctions ou responsabilités de quelque nature que ce soit au sein d’une autre

société du groupe CMA CGM. Ce dernier prendra, sans influence du groupe CMA CGM,

les décisions concernant la société Eurosud et l’activité de la régie de La Provence, à

l’exception d’un nombre limité de décisions prévues à la clause 11 des engagements (telles

que, par exemple, les décisions relatives à l’adoption de modifications substantielles du

plan d’affaires et des budgets annuels de fonctionnement, des investissements ou des ventes

d’actifs inhabituels, des nominations au-delà d’un certain niveau de rémunération, etc.).

Ses salariés sont et seront directement employés et recrutés par Eurosud et ne pourront

exercer des fonctions pour les régies de BFM PACA pendant un an, avant ou après

l’exercice de leurs fonctions pour la régie de La Provence.

72. La régie publicitaire de La Provence bénéficiera encore d’une autonomie commerciale

dans la négociation des conditions commerciales qu’elle accorde à ses clients annonceurs,

agences médias et partenaires et dans l’exercice de ses missions et ne partagera aucune

information non publique de nature commerciale avec la régie des chaînes BFM PACA.

Certaines fonctions support, prévues aux clauses 15 et 16 (telles que la

comptabilité/finance, le recouvrement des créances, la communication corporate, etc.),

pourront néanmoins être mutualisées avec les autres sociétés du groupe CMA CGM.

73. En troisième lieu, CMA CGM s’engage à former et sensibiliser aux engagements les

personnels respectifs des régies de La Provence et de BFM PACA.

74. Enfin, le suivi de la mise en œuvre de ces engagements sera assuré par un mandataire

indépendant.

B. APPRECIATION DES ENGAGEMENTS PROPOSES

75. Les mesures destinées à remédier aux atteintes à la concurrence résultant de l’opération

notifiée doivent être conformes aux critères généraux définis par la pratique décisionnelle

et la jurisprudence, afin d’être jugées aptes à assurer une concurrence suffisante.

76. L’Autorité recherche en priorité des mesures structurelles pour remédier aux risques

d’atteinte à la concurrence. Toutefois, dans la mesure où un remède de nature

comportementale apparaît au cas d’espèce plus approprié pour prévenir les risques

d’atteintes à la concurrence résultant de l’opération, il convient de définir un tel remède de

manière à assurer son efficacité et sa contrôlabilité.

77. Par ailleurs, ces remèdes doivent être nécessaires et efficaces (c’est-à-dire qu’ils permettent

effectivement de remédier aux atteintes à la concurrence identifiées et que l’efficacité des

engagements n’est pas dépendante de la diligence de la partie notifiante) et être

proportionnés (en particulier ils n’ont pas vocation à accroître le degré de concurrence

existant sur un marché avant l’opération de concentration). Leur mise en œuvre ne doit pas

soulever de doute (ce qui implique qu’ils soient rédigés de manière précise, sans ambiguïté

et que les modalités opérationnelles pour les réaliser soient suffisamment détaillées) et être

rapide (la concurrence n’étant pas préservée tant qu’ils ne sont pas réalisés). Enfin, ils

doivent être contrôlables (la partie notifiante devant prévoir un dispositif de contrôle, le cas

échéant en proposant la nomination d’un mandataire indépendant, permettant à l’Autorité

de s’assurer de leur réalisation effective).

78. En l’espèce, tout d’abord, les engagements sont de nature comportementale et apparaissent

comme étant plus appropriés que des engagements structurels pour prévenir les risques

congloméraux identifiés aux paragraphes 36 ci-dessus et suivants, à savoir la mise en œuvre

de couplages lors de la vente des espaces publicitaires de La Provence et des chaînes

BFM PACA dont la zone de diffusion recoupe celle de La Provence, susceptibles de

conduire à l’éviction des journaux de PQR concurrents de La Provence.

79. Ensuite, aux termes de l’engagement 2.1, la partie notifiante s’interdit de pratiquer tout

couplage d’offre entre la vente des espaces publicitaires de La Provence, d’une part, et des

chaînes BFM PACA dont la zone de diffusion recoupe celle de La Provence, d’autre part.

Un tel principe, complété par les modalités pratiques prévues aux engagements 2.2 et 2.3,

prévoyant notamment le maintien d’une régie de La Provence distincte et autonome

commercialement par rapport à la régie de BFM PACA, permet de prévenir efficacement

le risque, mentionné aux paragraphes 36 ci-dessus et suivants, de mise en œuvre d’un

verrouillage au moyen d’une stratégie de couplage.

80. Par ailleurs, ces engagements sont proportionnés car ils visent uniquement à remédier aux

risques spécifiquement identifiés qui résultent de l’opération. De plus, ils prévoient des

modalités opérationnelles encadrant leur mise en œuvre et prévoient un dispositif de

contrôle adéquat.

81. Enfin, ces engagements s’appliqueront pendant une durée de cinq ans qui apparait comme

étant suffisante pour permettre aux concurrents de La Provence de s’adapter aux

changements de la structure des marchés induits par l’opération.

82. En conséquence, l’Autorité considère que les engagements proposés par CMA CGM sont

suffisants pour lever les doutes sérieux d’atteinte à la concurrence découlant de l’opération.

DÉCISION

Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 24-077 est autorisée sous réserve des

engagements décrits ci-dessus et annexés à la présente décision.