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Décisions

ADLC, 28 juin 2024, n° 24-DCC-141

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

relative à la prise de contrôle exclusif de la société Altice Média par le groupe CMA CGM

ADLC n° 24-DCC-141

27 juin 2024

L’Autorité de la concurrence,

Vu la demande de renvoi du groupe CMA CGM adressée à la Commission européenne en application de l’article 4, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil et la décision de renvoi de la Commission du 6 mai 2024, notifiée à l’Autorité de la concurrence le 7 mai 2024 ;

Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 13 mai 2024, relatif à l’acquisition par le groupe CMA CGM du contrôle exclusif de la société Altice Média, formalisée par un protocole d’accord en date du 15 mars 2024 ;

Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;

Vu les engagements déposés le 17 juin 2024 par la partie notifiante ;

Vu les éléments complémentaires transmis par la partie notifiante au cours de l’instruction ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Adopte la décision suivante :

Résumé1 

Aux termes de la présente décision, l’Autorité a procédé à l’examen de l’opération de la prise
de contrôle exclusif d’Altice Media par CMA CGM. CMA CGM est un groupe principalement actif dans le secteur du transport maritime de marchandises, de la gestion des terminaux portuaires, de la logistique et du transport aérien de marchandises. Il opère également des activités d’édition de presse écrite à travers ses titres La Provence, Corse Matin, La Tribune et La Tribune du Dimanche, ainsi que les sites d’information qui leur sont associés.

Altice Media est une filiale d’Altice France. Altice Media édite diverses chaînes de télévision payantes (BFM Business TV) et gratuites diffusées par voie hertzienne terrestre en mode numérique, nationales (BFM TV, RMC Découverte et RMC Story) et locales (dix chaînes locales), des stations de radio nationales diffusées par voie hertzienne (RMC et BFM Business) ou en ligne (BFM Radio), ainsi que les sites d’information qui leur sont associés. En revanche, les chaînes payantes RMC Sport 1 et 2 ne font pas partie du périmètre de l’opération. 

Au terme de l’instruction, l’Autorité a identifié un risque d’effet congloméral susceptible de conduire à l’éviction de concurrents de La Provence sur les marchés de presse quotidienne régionale (ci-après, « PQR »). L’Autorité a relevé que la nouvelle entité pourrait mettre en œuvre une stratégie de couplage  des offres d’espaces publicitaires de La Provence et des chaînes locales BFM Marseille, BFM DICI, BFM Nice ou encore BFM Toulon (les chaînes « BFM PACA »). Compte tenu notamment des positions de marché parfois quasi-monopolistiques de La Provence sur les marchés de la PQR et de l’existence d’une base d’annonceurs communs significative entre La Provence et BFM PACA, la concentration pourrait porter atteinte à la structure concurrentielle locale et ainsi réduire, à terme, l’offre en journaux de PQR. 

La nouvelle entité aurait, en effet, eu la capacité et l’incitation de se servir de ses offres de ventes couplées comme d’un levier, afin de conduire, ou de contraindre, certains annonceurs à privilégier ses offres en espaces publicitaires, au détriment de celles des journaux concurrents de La Provence. Une perte de revenus publicitaires, dans le contexte économique difficile que connait actuellement la PQR, pourrait conduire, du fait de l’opération, à la disparition des journaux concurrents et ainsi priver le lecteur et les annonceurs locaux d’offres alternatives à celles de La Provence. 

Afin de remédier aux risques d’atteinte à la concurrence identifiés par l’Autorité, CMA CGM a souscrit des engagements comportementaux d’une durée de cinq ans. En particulier, CMA CGM s’est engagé à ne pratiquer, directement ou indirectement (vis-àvis des annonceurs, des agences médias ou encore par l’intermédiaire de tiers), aucune forme de couplage (y compris sous des formes détournées, à savoir une subordination ou l’octroi d’avantages et de contreparties) entre la vente des espaces publicitaires de La Provence, d’une part, et des chaînes BFM PACA (chaînes locales de BFM dont la zone de diffusion recoupe celle de La Provence), d’autre part. Dans le cas où ces ventes seraient réalisées par des tiers, la partie notifiante s’est engagée à insérer dans les contrats pertinents des clauses prévenant tout couplage entre ces mêmes ventes d’espaces publicitaires.

Dans le cadre de la mise en œuvre de l’engagement, CMA CGM s’est également engagé à maintenir une séparation des régies publicitaires respectives de La Provence et des chaînes BFM PACA. Enfin, CMA CGM s’engage à former et sensibiliser les personnels des régies de La Provence
et de BFM PACA aux engagements. Le suivi de la mise en œuvre de ces engagements sera assuré par un mandataire indépendant. Enfin, l’Autorité sera attentive à ce que les modalités de la représentation du groupe CMACGM au conseil de surveillance de Métropole Télévision ne permettent pas la transmission d’informations commercialement sensibles. 

Compte tenu des engagements souscrits par CMA CGM, l’Autorité a autorisé l’opération à l’issue de l’examen de phase 1.

I. Les entreprises concernées et l’opération

A. LES ENTREPRISES CONCERNEES

1. La société anonyme CMA CGM, contrôlée exclusivement par Merit France, société holding de la famille Saadé, est à la tête du groupe CMA CGM qui est principalement actif dans les secteurs du transport maritime de marchandises, de la gestion des terminaux portuaires, de la logistique et du transport aérien de marchandises. Il opère également des activités d’édition de presse écrite, via sa filiale WhyNot Média qui détient les titres de presse écrite La Provence, Corse Matin, La Tribune et La Tribune du Dimanche, et édite les sites d’information qui leur sont associés. CMA CGM commercialise des espaces publicitaires et les petites annonces pour ses titres de presse et organise des évènements. Par ailleurs, CMA CGM détient notamment une participation minoritaire non contrôlante, au sens du droit des concentrations, de 10,27 % dans la société Métropole Télévision (groupe M6).

2. Altice Media est une filiale d’Altice France. Elle édite diverses chaînes de télévision payantes (BFM Business TV) et gratuites diffusées par voie hertzienne terrestre en mode numérique, nationales (BFM TV, RMC Découverte, RMC Story et RMC Sport3) et locales4, des stations de radio nationales diffusées par voie hertzienne (RMC et BFM Business) ou en ligne (BFM Radio), ainsi que les sites d’information qui leur sont associés. Elle dispose de sa propre régie publicitaire, Altice Media Ads & Connect, qui commercialise ses espaces publicitaires et organise, par ailleurs, des évènements.

B. L’OPERATION

3. L’opération, matérialisée par un protocole d’accord du 15 mars 2024, consiste en l’acquisition par les sociétés CMA CGM et Merit France Investissements5 de l’intégralité des titres de la société Altice Media. L’opération n’inclut cependant pas la filiale d’Altice Média Sportscotv qui édite et commercialise des chaînes de télévision payantes sous la marque « RMC Sport » (RMC Sport 1 et 2, en direct et en replay).

4. À l’issue de l’opération, Altice Media sera donc contrôlée exclusivement par CMA CGM. Dès lors, l’opération entraîne un changement de contrôle et constitue une concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce.

5. Cette opération relève de la compétence de l’Union européenne en application de l’article 1, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil sur les concentrations. En effet, les entreprises concernées ont réalisé ensemble un chiffre d’affaires hors taxes consolidé sur le plan mondial de plus de 5 milliards d’euros (CMA CGM : [≥ 5] milliards d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2023 ; Altice Media : [≤ 5 milliards] d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2023). De plus, chacune d’entre elles a réalisé un chiffre d’affaires dans l’Union européenne supérieur à 250 millions d’euros (CMA CGM : [≥ 250 millions] d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2023 ; Altice Media : [≥ 250] millions d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2023). Enfin, seule Altice Media a réalisé plus de deux tiers de son chiffre d’affaires dans l’Union européenne dans un seul et même État-membre, la France.

6. Le 3 avril 2024, CMA CGM a adressé à la Commission européenne (ci-après « la Commission »), au moyen d’un mémoire motivé, une demande de renvoi total de l’opération à l’Autorité, en application de l’article 4, paragraphe 4, du règlement n° 139/2004. Par une décision M.11511 du 6 mai 2024, notifiée à l’Autorité le 7 mai 2024, la Commission a considéré que les conditions d’un renvoi à l’Autorité étaient réunies. La prise de contrôle exclusif d’Altice Media par CMA CGM est donc soumise, en application du IV de l’article L. 430-2 du code de commerce, aux dispositions dudit code.

II. Définition des marchés concernés

7. Les parties sont simultanément actives dans les secteurs de l’organisation d’évènements et d’exploitation de leurs sites internet d’information, qui sont principalement des sites internet associés à leurs chaînes de télévision, stations de radio et titres de presse. Or, sur les marchés analysés conformément à la pratique décisionnelle de l’Autorité de la concurrence, la nouvelle entité dispose de parts de marché inférieures à 25 % ou l’incrément de parts de marché résultant de l’opération est inférieure à deux points. Par conséquent, la présentation de ces marchés n’est pas nécessaire aux fins de la présente analyse.

8. Les marchés concernés à titre principal par l’opération sont ceux de la presse écrite, sur lesquels CMA CGM est actif et le marché de la publicité télévisuelle sur lequel Altice Media est active.

A. LES MARCHÉS DE LA PRESSE ÉCRITE

9. L’Autorité de la concurrence considère que la presse écrite constitue un marché distinct des autres médias traditionnels (télévision, radio, etc.).6

10. Au sein du secteur de la presse écrite, l’Autorité opère une distinction entre la presse quotidienne nationale, la presse régionale, la presse magazine, la presse gratuite et la presse spécialisée7.

11. Pour chaque type de presse, trois marchés sont distingués8 : le lectorat, la vente d’espaces publicitaires et la vente de petites annonces. Au cas présent, seuls les marchés du lectorat et de la vente d’espaces publicitaires, qui sont concernés à titre congloméral par l’opération, sont présentés ci-après.

Les marchés du lectorat

12. L’Autorité distingue différents marchés du lectorat en se fondant sur le type d’informations mises en valeur, le style, la présentation, la périodicité, la politique commerciale (vente par abonnement ou au numéro), le prix et les caractéristiques des lecteurs (sexe, âge, catégories socio-professionnelles, revenus et domicile)9.

13. En ce qui concerne le marché du lectorat de la presse régionale, la pratique décisionnelle distingue, en raison de la périodicité différente des titres, le marché de la PQR de celui de la presse hebdomadaire régionale10.

Les marchés de la vente d’espaces publicitaires dans la presse écrite

14. L’Autorité a considéré que le marché de la publicité dans la presse doit être segmenté en fonction de la catégorie du titre de presse : (i) presse quotidienne nationale, (ii) PQR, (iii) presse magazine, (iv) presse gratuite, et (v) presse spécialisée11.

15. La pratique décisionnelle a également envisagé de distinguer un marché de la publicité financière et un marché de la publicité commerciale12.

16. En ce qui concerne la presse quotidienne régionale, une distinction13 peut être également envisagée entre la publicité locale et la publicité extra-locale14.

17. Selon une pratique décisionnelle constante, la dimension géographique des marchés de la presse écrite correspond à leur zone de diffusion, qui peut être de dimension nationale, régionale, départementale ou infra-départementale15.

B. LES MARCHES DE LA PUBLICITE TELEVISUELLE

18. Selon la pratique décisionnelle de l’Autorité, le marché de la publicité télévisuelle ne fait pas l’objet de segmentation plus fine et constitue à ce titre un marché de service concerné par l’opération16.

19. L’Autorité a également envisagé l’existence d’un marché du parrainage qui désigne toute contribution d’une entreprise ou d’une personne morale publique ou privée ou d’une personne physique, n’exerçant pas d’activités d’édition de services de télévision ou de médias audiovisuels à la demande ou de production d’œuvres audiovisuelles, au financement de services de télévision ou de programmes dans le but de promouvoir son nom, sa marque, son image, ses activités, ses produits ou ses services17.

20. La pratique décisionnelle de l’Autorité considère que la dimension géographique du marché de la publicité télévisuelle est nationale, du fait des barrières linguistiques et culturelles, sauf en matière de publicité télévisuelle locale, pour laquelle le marché géographique revêt une dimension correspondant à la zone de diffusion de la télévision18.

III. Analyse concurrentielle

21. Les parties à l’opération sont actives sur des marchés connexes sur lesquels la concentration est susceptible d’emporter des effets congloméraux.

22. Si les concentrations conglomérales peuvent généralement susciter des synergies pro- concurrentielles, certaines peuvent néanmoins produire des effets restrictifs de concurrence lorsqu’elles permettent de lier, techniquement ou commercialement, les ventes ou les achats des éléments constitutifs du regroupement de façon à verrouiller le marché et à en évincer les concurrents.

23. Ainsi que le précisent les lignes directrices de l’Autorité relatives au contrôle des concentrations, les effets congloméraux sont susceptibles de se concrétiser notamment dans le cadre d’offres liant ou groupant des biens ou services produits sur des marchés distincts. Ce type d’offre peut être de différente nature, à savoir des offres groupées dites « pures » ou « mixtes »19.

24. En l’espèce, certains des médias respectifs des parties à l’opération présentent des liens de connexité et des similarités, soit compte tenu de leur thématique (chaînes de télévision et stations de radio nationales – et leurs sites internet d’information associés – BFM Business, d’une part, quotidiens La Tribune et La Tribune du Dimanche et leurs sites d’information associés, d’autre part), soit compte tenu de leur zone de diffusion (chaînes de télévision locales BFM Régions et leurs sites internet d’information associés, d’une part, quotidien régional La Provence et son site internet d’information associé, d’autre part)20.

25. Les parts de marché des parties, au titre de leurs activités de médias d’information économique et financière, sur les marchés connexes de la presse quotidienne nationale et de la vente d’espaces publicitaires télévisuels, sont toutefois largement inférieures à 30 %. Compte tenu de ces faibles parts de marché, tout risque d’atteinte à la concurrence par le biais d’effets congloméraux peut être écarté sur ces marchés21. Ils ne feront donc pas l’objet d’une analyse détaillée dans le cadre de la présente décision.

26. L’opération crée principalement un lien de connexité entre les activités des parties au niveau local, dans le Sud-Est de la France. CMA CGM édite le journal La Provence qui est diffusé sous la forme de neuf éditions distinctes dans une zone globale incluant les départements des Bouches-du-Rhône (13), du Vaucluse (84) et des Alpes-de-Haute- Provence (04). Altice Media, pour sa part, édite différentes chaînes locales, dont certaines sont diffusées dans les départements précités (à savoir, principalement, les chaînes BFM Marseille et BFM DICI et, plus marginalement, BFM Nice et BFM Toulon – ci-après, les chaînes « BFM PACA »).

27. Ainsi, la concentration conduit CMA CGM à étendre son activité sur des marchés de l’audiovisuel, connexes de ceux de la presse écrite, dans une zone géographique où il édite le journal La Provence.

28. Après avoir défini les positions des parties sur les marchés concernés (A), l’analyse visera à analyser les risques congloméraux sur ces marchés (B).

A. POSITIONS DES PARTIES SUR LES MARCHÉS CONCERNÉS

Les marchés du lectorat

29. La Provence bénéficie dans sa zone de diffusion de parts de marché très significatives sur les marchés du lectorat.

Tableau 1 - Parts de marché détenues par La Provence sur les marchés du lectorat en PQR, dans sa zone globale de diffusion22 et par département

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30. S’agissant des parts de marché que la nouvelle entité pourrait détenir au niveau infra-départemental, la partie notifiante considère que celles-ci « seraient similaires à celles présentées au niveau départemental ». L’Autorité considère qu’il ne peut pas être exclu que celles-ci puissent atteindre des niveaux monopolistiques ou quasi-monopolistiques. En effet, La Provence est diffusée au moyen de neuf éditions imprimées distinctes24 là où ses concurrents diffusent une édition unique sur l’ensemble du département des Bouches-du-Rhône (La Marseillaise), du Vaucluse (groupe EBRA, à travers Vaucluse Matin – édition Provençale) et du département des Alpes-de-Haute-Provence (groupe EBRA à travers Dauphiné Libéré – édition Hautes-Alpes et Alpes de Haute-Provence). Les marchés de la vente d’espaces publicitaires dans la presse écrite

31. La Provence bénéficie également dans sa zone de diffusion de positions tout aussi significatives sur les marchés de la vente d’espaces publicitaires dans la PQR.

Tableau 2 - Parts de marché détenues par La Provence sur les marchés de la vente d’espaces publicitaires dans la PQR, dans sa zone globale de diffusion

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32. Pour des raisons similaires à celles exposées au paragraphe 30 ci-dessus, il ne peut être exclu que les parts de marché de La Provence atteignent des niveaux monopolistiques ou quasi-monopolistiques au niveau infra-départemental. En effet, il ressort de l’instruction que certaines publicités varient selon les éditions distinctes considérées de La Provence, contrairement aux éditions uniques éditées par les journaux concurrents.

33. Altice Media se trouve, à travers ses chaînes locales BFM Marseille et BFM DICI, en situation de duopole sur les marchés de la vente d’espaces publicitaires télévisuels dans la zone englobant les départements des Bouches-du-Rhône (13), le Vaucluse (84) et les Alpes-de-Haute-Provence (04), où elle est confrontée à la concurrence de la chaîne locale France 3 PACA.

Tableau 3 - Parts de marché détenues par BFM Marseille et BFM DICI sur les marchés de la vente d’espaces publicitaires télévisuels, dans la zone globale incluant les département les Bouches-du- Rhône, le Vaucluse et les Alpes-de-Haute-Provence

(source : formulaire de notification – après retraitement)

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34. La partie notifiante, sans avoir été en mesure de fournir des données au niveau départemental ou infra-départemental, considère par ailleurs que le calcul de parts de marché à de tels niveaux ne serait pas pertinent puisque les annonceurs des chaînes BFM Marseille Provence et BFM DICI achèteraient leurs espaces publicitaires « en considération de (i) l'étendue de la zone de diffusion de chacune de ces chaînes et (ii) du prix » et « ne peuvent pas acheter une diffusion de leurs annonces par département ».

35. Au cas présent, il n’y a pas lieu de considérer que les parts de marchés à un échelon géographique inférieur seraient sensiblement différentes, dès lors que la zone de diffusion de France 3 PACA recouvre les zones de diffusion des chaînes BFM Marseille Provence et BFM DICI et que, par ailleurs, ces dernières n’offrent pas la possibilité d’acheter des espaces publicitaires télévisuels pour une diffusion plus étroite que leurs zones de diffusion respectives.

B. ANALYSE DES RISQUES CONGLOMÉRAUX

36. Quand elle analyse des effets congloméraux, l’Autorité examine si la nouvelle entité aurait, après la concentration, la possibilité de verrouiller l’accès à un ou des marchés, si elle serait incitée à le faire et si une stratégie de verrouillage aurait un effet significatif sur les marchés en cause. En pratique, ces trois conditions sont étroitement liées.

37. Au cas présent, la stratégie de verrouillage pourrait consister en des couplages de vente d’espaces publicitaires télévisuels sur BFM Marseille Provence et BFM DICI avec des espaces publicitaires dans La Provence.

38. Une telle stratégie pourrait conduire la nouvelle entité à imposer à ses clients annonceurs une obligation commerciale d’acheter les deux offres d’espaces publicitaires ensemble (télévision et presse écrite), ou à les vendre à des conditions qui seraient meilleures que celles proposées si les offres étaient achetées séparément. Elle pourrait alors verrouiller le ou les marchés concernés et conduire ses concurrents, qui ne seraient notamment pas en mesure de répliquer une telle offre groupée, à perdre des clients et, à terme, être évincés de ces marchés.

39. Les effets d’une stratégie de couplage ne conduiraient pas à réduire l’intensité concurrentielle entre Altice Media et son unique concurrent, France 3 PACA, ni a fortiori de l’évincer de ces marchés duopolistiques.

40. À cet égard, la nouvelle entité n’aura ni l’incitation, ni les effets escomptés d’une telle stratégie.

41. En premier lieu, les annonceurs accorderaient une plus forte importance aux supports publicitaires télévisuels qu’aux espaces publicitaires dans la PQR lors de l’élaboration de leurs campagnes. Selon la partie notifiante « les annonceurs peuvent être demandeurs de dispositifs leur permettant de combiner les atouts de différents médias lors d’une campagne » et la « PQR est […] le plus souvent associée à d’autres médias, en particulier au digital, à la radio et à l’affichage. Dans l’allocation de leur budget entre les différents12 médias qu’ils ont retenus pour une campagne, les annonceurs tendent à privilégier les autres médias au détriment de la PQR ».

42. En second lieu, France 3 PACA ne pourra pas être évincée du marché du fait de la mise en œuvre d’une stratégie de couplage. Tout d’abord, la chaîne dispose d’un pouvoir de marché important sur les marchés où elle est active. Comme cela ressort du tableau 3 ci-dessus, France 3 PACA dispose de parts de marchés systématiquement supérieures à 60 %. Ensuite, France 3 PACA est éditée par le groupe audiovisuel public France Télévisions, lequel a notamment la charge, en vertu de l’article 44 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, de « concevoir et de programmer des émissions de télévision à caractère national, régional et local »27. Compte tenu de cet objectif de service public qui s’applique non pas à la seule chaîne France 3 PACA mais à l’ensemble du groupe France Télévision, dont l’équilibre économique ne dépend pas des seuls revenus publicitaires locaux de l’une de ses chaînes locale, une stratégie de verrouillage mise en œuvre par la nouvelle entité ne pourrait conduire un groupe d’une telle importance et soumis à des obligations de service public à supprimer son offre audiovisuelle publique régionale et locale dans un bassin de population aussi important que la région PACA et partant sa capacité à proposer des offres alternatives à la nouvelle entité en matière de vente d’espaces publicitaires télévisuels.

43. Par conséquent, l’opération n’est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur ces marchés par le biais d’effets congloméraux.

44. Il ressort de l’instruction qu’une stratégie visant, pour la nouvelle entité, à mettre en œuvre des offres de couplage lors de la commercialisation des espaces publicitaires respectifs de La Provence et des chaînes BFM PACA, serait susceptible de conduire, à terme, à l’éviction des concurrents de La Provence du fait d’une perte d’une partie de leurs revenus publicitaires et, in fine, à priver les consommateurs et les annonceurs locaux d’offres concurrentes en journaux de PQR dans la zone de diffusion de La Provence.

45. En premier lieu, la nouvelle entité dispose de la capacité de mettre en œuvre un tel levier. Tout d’abord, elle bénéficiera du pouvoir de marché de La Provence qui, comme cela ressort des tableaux 1 et 2 ci-dessus, dispose de parts de marché d’un niveau parfois quasi-monopolistique sur les marchés du lectorat et de la vente d’espaces publicitaires.

46. Ensuite, La Provence bénéficie de son appartenance à un groupe économiquement important (voir le para. 5 ci-dessus), tandis que la presse quotidienne régionale est un secteur économique fragilisé. La partie notifiante indiquait en ce sens que le « prix des espaces de publicité dans la PQR ont chuté brutalement entre 2019 et 2020 en raison de la crise de la Covid-19 ([…] % pour La Provence) et n’ont pas pu être augmentés significativement depuis ([…] % pour La Provence) » ; « malgré [une] stabilité tarifaire depuis 2020, le chiffre d’affaires publicitaire de La Provence n’a cessé de régresser, en raison notamment de la baisse continue de sa diffusion » ; et que « cette baisse est générale sur le marché de la PQR ». Au sujet de la situation de ses concurrents, la partie notifiante notait que « le groupe Ebra, qui édite les titres Vaucluse Matin et Le Dauphiné Libéré, enchaîne les plans d’économie et de réorganisation » et que le « journal La Marseillaise [est] chroniquement déficitaire depuis plusieurs années ».

47. Enfin, il apparait que La Provence et les chaînes BFM PACA ont une part significative d’annonceurs en commun28, dont notamment des annonceurs importants tels que les collectivités locales et assimilées de la zone.

48. Dès lors, la nouvelle entité aurait la capacité, grâce à ses positions sur les marchés de la PQR dans la zone de diffusion de La Provence, sa puissance économique et une base significative d’annonceurs communs sur laquelle s’appuyer, de mettre en œuvre une stratégie de couplage de ses offres en espaces publicitaires entre La Provence et les chaînes BFM PACA.

49. En deuxième lieu, la nouvelle entité aurait une incitation à mettre en œuvre une telle stratégie. En effet, la situation de fragilité économique des concurrents de La Provence pourrait inciter la nouvelle entité à chercher à les priver d’une partie de leurs revenus publicitaires. Il ne peut d’ailleurs pas être exclu que la mise en œuvre d’un tel couplage puisse être rentable financièrement à terme. En effet, si celle-ci pourrait induire des pertes au niveau de la vente des espaces publicitaires sur les chaînes BFM PACA dans un premier temps, elle pourrait, dans un second temps, après avoir capté les parts de marché aujourd’hui détenues par les concurrents de La Provence, générer des revenus d’un niveau supérieur aux pertes. En effet, en 2023, la vente cumulée des espaces publicitaires de La Provence et de BFM PACA a généré un total d’environ […] millions d’euros (dont […] millions d’euros pour les ventes d’espaces publicitaires télévisuels sur les chaînes BFM PACA). Or, la taille totale du marché de la vente d’espaces publicitaires sur les journaux de PQR dans la zone de diffusion de La Provence s’élève à […] millions d’euros (dont environ […] millions d’euros de revenus aujourd’hui captés par les concurrents de La Provence).

50. De plus, le rationnel économique de l’opération comprend notamment la mise en œuvre de synergies de revenus spécifiques au volet de la concentration concernant La Provence et les chaînes BFM PACA.

51. En troisième lieu, une telle stratégie affecterait de manière significative les marchés de la PQR dans la zone concernée. En effet, compte tenu des mêmes éléments que ceux déjà exposés ci-avant, il ne peut être exclu que la mise en œuvre d’un tel levier conduise les journaux concurrents de La Provence à devoir cesser leurs activités 29. Il en résulterait que les lecteurs et les annonceurs locaux de PQR de la zone se retrouveraient privés d’offres alternatives à La Provence.

52. Il résulte de ce qui précède qu’un risque d’atteinte à la concurrence sur les marchés de la PQR par le biais d’effets congloméraux ne peut être exclu.

53. Toutefois, la partie notifiante a présenté des engagements, analysés en section V de la présente décision afin de remédier à un tel risque, de nature à écarter tout doute sérieux d’atteinte à la concurrence sur ces marchés.

IV. Analyse du risque lié à une participation minoritaire préexistante dans une entreprise concurrente et à la présente opération de concentration

54. Dans certains cas, lorsque l’entreprise cible est active sur le même marché ou un marché lié à l’entreprise dans laquelle l’acquéreur détient une participation, l’existence d’une participation minoritaire préalable à une concentration peut donner lieu à une coordination des comportements concurrentiels de ces entreprises, voire des effets unilatéraux lorsque la participation au capital d’un tiers est susceptible de donner lieu à la transmission d’informations sensibles.

55. En l’espèce, CMA CGM détient notamment une participation minoritaire de 10,27 % dans la société Métropole Télévision (groupe M6), qui est active dans le secteur de la publicité télévisuelle, au même titre qu’Altice Media.

56. Cette participation au capital ne confère pas, en tant que telle, à CMA CGM des droits à l’information excédant le niveau d’information du public, notamment parce que Métropole Télévision est une société cotée sur le marché réglementé Euronext Paris.

57. La partie notifiante a également précisé que sa participation ne confère pas à CMA CGM une influence décisive pour la prise de décisions collectives, cette dernière ne disposant que d’un droit limité de présenter des projets de résolution en vue des assemblées générales, ainsi que le prévoit l’article L. 225-105 du code de commerce pour tout actionnaire dont la participation représente au moins 5 % du capital.

58. Néanmoins, CMA CGM dispose de droits et de prérogatives, qui vont au-delà de sa participation capitalistique, liés à sa représentation au conseil de surveillance de Métropole Télévision, en particulier l’accès à des informations commercialement sensibles.

59. Cette présence au sein du conseil de surveillance pourrait permettre de renforcer la position de la nouvelle entité en lui permettant d’utiliser les informations stratégiques d’un concurrent pour obtenir un avantage concurrentiel ou pour coordonner leurs comportements.

60. En l’espèce, tout risque découlant de la représentation du groupe CMA CGM au conseil de surveillance de Métropole Télévision peut cependant être écarté dès lors que les modalités  de cette représentation sont telles qu’aucune information commercialement sensible ne pourra lui être communiquée, écartant ainsi toute préoccupation concurrentielle.

61. En premier lieu, la partie notifiante a déclaré dans le cadre de l’instruction qu’ « [à] l’issue de l’Opération, Mme Véronique Saadé sera remplacée en tant que représentant de CMA CGM Participation au sein du conseil de surveillance de Métropole Télévision par une personnalité qualifiée qui ne sera ni salariée ni mandataire social d’une société du groupe CMA CGM ».

62. En second lieu, le représentant de CMA CGM au sein du conseil de surveillance est non seulement soumis à une obligation de confidentialité et d’absence de conflit d’intérêt, mais également à une interdiction stricte de toute transmission d’informations sensibles au groupe CMA CGM.

63. D’une part, il découle des déclarations de la partie notifiante dans le cadre de l’instruction que « en application du règlement intérieur du conseil de surveillance du groupe Métropole Télévision, tout membre du conseil de surveillance a l’obligation de faire part au conseil de surveillance de toute situation de conflit d’intérêts, même potentiel, entre son intérêt personnel direct ou indirect ou l’intérêt de l’actionnaire ou du groupe d’actionnaires qu’il représente et celui de la société ou du groupe et en tirer toute conséquence quant à l’exercice de son mandat » et « [ainsi], selon le cas, [le représentant de CMA CGM devra soit (i) s’abstenir d’assister au débat et de participer au vote de la délibération correspondante, soit (ii) ne pas assister aux réunions du conseil durant la période pendant laquelle il se trouvera en situation de conflit d’intérêts, soit (iii) démissionner de ses fonctions de membre du conseil de surveillance. À défaut, sa responsabilité pourrait être engagée ».

64. D’autre part, la partie notifiante a déclaré dans le cadre de l’instruction du présent dossier qu’elle préviendra toute transmission, au groupe CMA CGM, au sens du droit des concentrations, d’informations sensibles concernant la politique financière, stratégique et commerciale de Métropole Télévision, notamment les plans d’affaires, les résultats financiers de l’entreprise, sa perception des secteurs de l’audiovisuel, de la radio et du numérique, la fixation des orientations stratégiques et des projets futurs. A cet égard, CMA CGM appliquera à ce représentant une interdiction stricte de transmission de telles informations obtenues dans le cadre de sa fonction de représentation au sein du conseil de surveillance du groupe Métropole Télévision.

65. Par conséquent, dès lors que les modalités décrites ci-dessus seront respectées, toute préoccupation découlant de la participation minoritaire du groupe CMA CGM dans le capital de Métropole Télévision peut être écartée.

66. L’Autorité sera attentive au respect de ces modalités. Tout échange d’informations entre entreprises concurrentes du fait de cette participation minoritaire est susceptible d’être contraire aux dispositions de l’article L. 420-1 du code de commerce et toute déclaration inexacte faite dans le cadre de l’instruction pourra être sanctionnée sur le fondement du III de l’article L. 430-8 du même code.

V. Les engagements

67. Afin de remédier aux risques d’effets anticoncurrentiels identifiés, CMA CGM a présenté le 17 juin 2024, une proposition d’engagements décrits et analysés dans les développements qui suivent. Leur texte, joint en annexe, fait partie intégrante de la présente décision.

A. LES ENGAGEMENTS PROPOSES

68. Souscrits pour une durée de cinq ans, les engagements prévoient une exclusion de toute forme de couplage ainsi qu’un dispositif de contrôle.

69. En premier lieu, la partie notifiante s’engage à ne pratiquer, directement ou indirectement (vis-à-vis des annonceurs, des agences médias ou encore par l’intermédiaire de tiers), aucune forme de couplage (y compris sous des formes détournées, à savoir une subordination ou l’octroi d’avantages et de contreparties) entre la vente des espaces publicitaires de La Provence, d’une part, et des chaînes BFM PACA (chaînes locales de BFM dont la zone de diffusion recoupe celle de La Provence), d’autre part. Dans le cas où ces ventes seraient réalisées par des tiers, la partie notifiante s’engage à insérer dans les contrats pertinents (contrats de régie ou de sous-régie) des clauses prévenant tout couplage entre ces mêmes ventes d’espaces publicitaires (« engagement 2.1 »).

70. En deuxième lieu, la partie notifiante s’engage, dans le cadre de la mise en œuvre de l’engagement 2.1, à maintenir sa régie interne commercialisant les espaces publicitaires de son journal La Provence distincte et autonome de la régie assurant la commercialisation des espaces publicitaires des chaînes BFM PACA (« engagement 2.2 »).

71. En effet, la régie publicitaire de La Provence bénéficiera d’une gouvernance opérationnelle autonome. Elle sera logée dans une société distincte, la société commerciale Eurosud placée sous le contrôle de la société La Provence. La société Eurosud contrôlera la gestion opérationnelle définie et mise en œuvre par son directeur général. Ce dernier sera nommé par la société La Provence et n’exercera pas simultanément, directement ou indirectement, d’autres fonctions ou responsabilités de quelque nature que ce soit au sein d’une autre société du groupe CMA CGM. Ce dernier prendra, sans influence du groupe CMA CGM, les décisions concernant la société Eurosud et l’activité de la régie de La Provence, à l’exception d’un nombre limité de décisions prévues à la clause 11 des engagements (telles que, par exemple, les décisions relatives à l’adoption de modifications substantielles du plan d’affaires et des budgets annuels de fonctionnement, des investissements ou des ventes d’actifs inhabituels, des nominations au-delà d’un certain niveau de rémunération, etc.). Ses salariés sont et seront directement employés et recrutés par Eurosud et ne pourront exercer des fonctions pour les régies de BFM PACA pendant un an, avant ou après l’exercice de leurs fonctions pour la régie de La Provence.

72. La régie publicitaire de La Provence bénéficiera encore d’une autonomie commerciale dans la négociation des conditions commerciales qu’elle accorde à ses clients annonceurs, agences médias et partenaires et dans l’exercice de ses missions et ne partagera aucune information non publique de nature commerciale avec la régie des chaînes BFM PACA. Certaines fonctions support, prévues aux clauses 15 et 16 (telles que la comptabilité/finance, le recouvrement des créances, la communication corporate, etc.), pourront néanmoins être mutualisées avec les autres sociétés du groupe CMA CGM.

73. En troisième lieu, CMA CGM s’engage à former et sensibiliser aux engagements les personnels respectifs des régies de La Provence et de BFM PACA.

74. Enfin, le suivi de la mise en œuvre de ces engagements sera assuré par un mandataire indépendant.

B. APPRECIATION DES ENGAGEMENTS PROPOSES

75. Les mesures destinées à remédier aux atteintes à la concurrence résultant de l’opération notifiée doivent être conformes aux critères généraux définis par la pratique décisionnelle et la jurisprudence, afin d’être jugées aptes à assurer une concurrence suffisante.

76. L’Autorité recherche en priorité des mesures structurelles pour remédier aux risques d’atteinte à la concurrence. Toutefois, dans la mesure où un remède de nature comportementale apparaît au cas d’espèce plus approprié pour prévenir les risques d’atteintes à la concurrence résultant de l’opération, il convient de définir un tel remède de manière à assurer son efficacité et sa contrôlabilité.

77. Par ailleurs, ces remèdes doivent être nécessaires et efficaces (c’est-à-dire qu’ils permettent effectivement de remédier aux atteintes à la concurrence identifiées et que l’efficacité des engagements n’est pas dépendante de la diligence de la partie notifiante) et être proportionnés (en particulier ils n’ont pas vocation à accroître le degré de concurrence existant sur un marché avant l’opération de concentration). Leur mise en œuvre ne doit pas soulever de doute (ce qui implique qu’ils soient rédigés de manière précise, sans ambiguïté et que les modalités opérationnelles pour les réaliser soient suffisamment détaillées) et être rapide (la concurrence n’étant pas préservée tant qu’ils ne sont pas réalisés). Enfin, ils doivent être contrôlables (la partie notifiante devant prévoir un dispositif de contrôle, le cas échéant en proposant la nomination d’un mandataire indépendant, permettant à l’Autorité de s’assurer de leur réalisation effective).

78. En l’espèce, tout d’abord, les engagements sont de nature comportementale et apparaissent comme étant plus appropriés que des engagements structurels pour prévenir les risques congloméraux identifiés aux paragraphes 36 ci-dessus et suivants, à savoir la mise en œuvre de couplages lors de la vente des espaces publicitaires de La Provence et des chaînes BFM PACA dont la zone de diffusion recoupe celle de La Provence, susceptibles de conduire à l’éviction des journaux de PQR concurrents de La Provence.

79. Ensuite, aux termes de l’engagement 2.1, la partie notifiante s’interdit de pratiquer tout couplage d’offre entre la vente des espaces publicitaires de La Provence, d’une part, et des chaînes BFM PACA dont la zone de diffusion recoupe celle de La Provence, d’autre part. Un tel principe, complété par les modalités pratiques prévues aux engagements 2.2 et 2.3, prévoyant notamment le maintien d’une régie de La Provence distincte et autonome commercialement par rapport à la régie de BFM PACA, permet de prévenir efficacement le risque, mentionné aux paragraphes 36 ci-dessus et suivants, de mise en œuvre d’un verrouillage au moyen d’une stratégie de couplage.

80. Par ailleurs, ces engagements sont proportionnés car ils visent uniquement à remédier aux risques spécifiquement identifiés qui résultent de l’opération. De plus, ils prévoient des modalités opérationnelles encadrant leur mise en œuvre et prévoient un dispositif de contrôle adéquat.

81. Enfin, ces engagements s’appliqueront pendant une durée de cinq ans qui apparait comme étant suffisante pour permettre aux concurrents de La Provence de s’adapter aux changements de la structure des marchés induits par l’opération.

82. En conséquence, l’Autorité considère que les engagements proposés par CMA CGM sont suffisants pour lever les doutes sérieux d’atteinte à la concurrence découlant de l’opération.

DÉCISION

Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 24-077 est autorisée sous réserve des engagements décrits ci-dessus et annexés à la présente décision.

1 Ce résumé a un caractère strictement informatif. Seuls font foi les motifs de la décision numérotés ci-après.

2 Celle-ci est détenue à […]% par [confidentiel], […]% par [confidentiel], à […]% par [confidentiel], et à […]% par [confidentiel]. En dehors de la société Merit France, [confidentiel] ne détiennent, ensemble ou séparément, aucune participation contrôlante dans une société présente sur un marché susceptible d’avoir un lien horizontal, vertical ou congloméral avec les marchés concernés par l’opération notifiée.

3 Les chaînes RMC Sport 1 et 2 sont toutefois exclues du périmètre de l’opération notifiée.

4 BFM Paris, BFM Grand Lille, BFM Grand Littoral, BFM Normandie, BFM Toulon, BFM Marseille,
BFM DICI, BFM Nice, BFM Lyon et BFM d’Alsace.

5 Véhicule d’investissement de la société holding de Merit France.

6 Décisions n° 10-DCC-129 du 30 septembre 2010 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Le Monde SA par Messieurs Pierre Bergé, Xavier Niel et Matthieu Pigasse, via la société Le Monde Libre, et n° 21-DCC-25 du 12 février 2021 relative à la prise de contrôle exclusif du groupe Paris Turf par NJJ Holding, ainsi que la pratique décisionnelle citée.

7 Ibid.

8 Ibid.

9 Décisions n° 14-DCC-76 du 5 juin 2014 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Le Nouvel Observateur du Monde par la société Le Monde Libre et n° 21-DCC-25 précitée.

10 Décisions n° 13-DCC-46 du 16 avril 2013 relative à la prise de contrôle exclusif par le groupe Rossel des sociétés du Pôle « Champagne Ardennes Picardie » du groupe Hersant Média, et n° 21-DCC-25 précitée.

11 Décisions n° 15-DCC-139 du 3 juin 2015 relative à la prise de contrôle exclusif des sociétés NewsCo Group, PMP Holding, Group Express Roularta et A Nous Paris par la société Altice IV et n° 21-DCC-70 précitée.

12 Décisions n° 15-DCC-139, n° 21-DCC-25 et n° 21-DCC-70 précitées.

13 Décisions n° 15-DCC-139 et n° 21-DCC-25 précitées.

14 La publicité dite « extra-locale » vise la publicité d’annonceurs nationaux dans des médias locaux, et notamment la presse quotidienne régionale.

15 Décisions n° 15-DCC-66 du 3 juin 2015 relative à la prise de contrôle exclusif des sociétés NewsCo Group, PMP Holding, Group Express Roularta et A Nous Paris par la société Altice IV et n° 21-DCC-25 précitée. 

16 En particulier, l’Autorité a écarté toute segmentation de ce marché, notamment selon (i) le type de chaîne concerné, (ii) la cible et (iii) la puissance des écrans (liée à la période de diffusion du spot publicitaire). Voir la décision n° 22-DCC-126 du 15 juillet 2022 relative à la prise de contrôle exclusif des sociétés TFX et M6 Génération par le groupe Altice. 

17 Décision 22-DCC-126, précitée, ainsi que l’article 17 du décret n° 92-280 du 27 mars 1992 pris pour l'application des articles 27 et 33 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 et fixant les principes généraux définissant les obligations des éditeurs de services en matière de publicité, de parrainage et de télé-achat. 

18 Décisions n° 21-DCC-70 et n° 22-DCC-126 précitées.

19 Paragraphe 716 des lignes directrices de l’Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations, qui précise : « [i]l convient de distinguer les offres groupées pures (« pure bundling »), c’est-à-dire les offres liées du fait de l’imposition d’une obligation d’acheter ou de vendre deux ou plusieurs produits ensemble ; cette obligation peut être purement commerciale ou prendre la forme d’une intégration technique des produits (« technical bundling ») ; et les offres groupées mixtes (« mixed bundling »), cas où des offres séparées existent mais où l’entreprise propose de vendre ou d’acheter plusieurs produits ensemble à de meilleures conditions que celles proposées si les produits sont vendus ou achetés séparément. » 

20 En revanche, aucun lien de connexité n’a été établi avec le second quotidien régional de CMA CGM, Corse Matin, dès lors qu’il n’existe pas de chaîne de télévision locale BFM en Corse, leurs zones de diffusion ne se recoupent pas.

22 À savoir la zone géographique incluant les Bouches-du-Rhône (13), le Vaucluse (84) et les Alpes-de-HauteProvence (04). 

23 Le Groupe EBRA édite et diffuse dans cette zone les journaux de PQR Vaucluse Matin et Dauphiné Libéré. 

24 La partie notifiante indique que la majorité des pages du journal seraient communes à toutes les éditions, seules « 5 pages en moyenne, sur un journal de 35-40 pages en moyenne » étant spécifiques à chaque édition. Il ressort encore de l’instruction que certains encarts publicitaires varient selon les éditions.

25 À savoir la zone géographique incluant les Bouches-du-Rhône (13), le Vaucluse (84) et les Alpes-de-HauteProvence (04). 

26 Vaucluse Matin et Dauphiné Libéré.

27 Tel que modifié en dernier lieu par la loi n°2022-1157 du 16 août 2022 (soulignement ajouté)

28 Ainsi, si la proportion d’annonceurs en commun à La Provence et, respectivement, les chaînes BFM Marseille et BFM DICI est inférieure à 1 %, ceux-ci induisent une proportion des chiffres d’affaires de la vente de leurs espaces publicitaires allant de [5-10] % (proportion du chiffre d’affaires réalisé avec les annonceurs communs entre La Provence et BFM DICI) à [10-20] % (proportion du chiffre d’affaires réalisé avec les annonceurs communs entre La Provence et BFM Marseille).

29 À cet égard, le modèle économique de la PQR apparait comme étant particulier, complexe et fragile. À cet égard, le Sénat indiquait dans un rapport de 2022 que « [l]e modèle économique de la PQR ne peut être assimilé au média audiovisuel. À titre de comparaison, le deuxième groupe de presse du pays, Ouest-France, emploie sensiblement le même nombre de salariés que le groupe TF1, pour un chiffre d'affaires quatre fois inférieur et des bénéfices 17 fois inférieurs. Alors que pendant longtemps, la presse dans son ensemble a offert des taux de rentabilité très élevés, tel n'est plus aujourd'hui le cas, ce qui explique en bonne partie les rachats dans la [presse quotidienne nationale] de ces dernières années et les regroupements dans la PQR. […] Le modèle de
revenus de l'ensemble de la presse s'est progressivement construit autour de trois piliers : - les ventes de journaux ; - la publicité ; - et la diversification, dont en particulier l'événementiel. Ces sources de revenus diversifiées ont permis de rendre les titres accessibles au plus grand nombre, en abaissant le prix du journal pour l'ouvrir à un lectorat plus populaire. […] Selon les informations transmises, en moyenne, pour un titre vendu entre 1,1 et 1,3 euro, le coût de revient serait compris entre 1,5 à 1,8 euro, en tout état de cause toujours supérieur au prix de vente » (Rapport du Sénat n° 805 (2021-2022), déposé le 20 juillet 2022, Accompagner la rénovation de la presse quotidienne régionale).