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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 10, 25 janvier 2024, n° 23/05617

PARIS

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme PRUVOST

Conseillers :

Mme LEFORT, M. TRARIEUX

Avocats :

Me DIDON, SCP Herald

Paris, du 7 mars 2023

7 mars 2023

PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Se prévalant d'une ordonnance d'injonction de payer du tribunal de grande instance de Colmar en date du 3 février 2017, le GIE [7] (ci-après le GIE) a, par requête reçue le 14 octobre 2022 au greffe du juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Paris, sollicité la saisie de ses rémunérations de M. [L] [G] pour une créance de 740.699,29 euros se décomposant comme suit :

- principal : 571.754,75 euros

- dépens : 3.762,67 euros

- frais et accessoires : 1.681,15 euros

- intérêts : 175.205,25 euros

- acomptes : - 11.704,53 euros.

A l'audience de conciliation, M. [G] a contesté notamment la validité de la signification de l'ordonnance d'injonction de payer.

Par jugement en date du 7 mars 2023, le juge de l'exécution a notamment :

rejeté la demande d'annulation de la signification du 12 avril 2017,

rejeté la demande tendant à dire l'ordonnance d'injonction de payer du 3 février 2017 non avenue ou caduque,

rejeté la demande d'annulation de l'apposition de la formule exécutoire,

rejeté la demande d'annulation de la signification du 24 mai 2017,

ordonné la saisie des rémunérations de M. [G] pour la somme de 536.241,07 euros, se décomposant comme suit :

principal : 571.754,75 euros

frais : 985,60 euros

intérêts : 175.205,25 euros au 06/10/2022,

acomptes : - 11.704,53 euros,

rejeté la demande de M. [G] formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné M. [G] aux dépens.

Pour statuer ainsi, le juge a retenu que la signification du 12 avril 2017 avait été effectuée à personne, de sorte qu'il importait peu qu'elle ait été faite sur le lieu de travail de M. [G] ; que quand bien même la mention de la juridiction compétente pour statuer sur l'opposition serait erronée, M. [G] n'en avait subi aucun grief, puisqu'il ne démontrait pas avoir tenté de former opposition ; qu'il n'avait pas non plus subi de grief résultant de la signification effectuée le 24 mai 2017 selon les modalités de l'article 656 du code de procédure civile sans mentionner les vérifications de l'huissier sur l'adresse, dès lors que les articles 1405 et suivants du code de procédure civile, relatifs à la procédure d'injonction de payer, n'imposent pas la signification de l'ordonnance revêtue de la formule exécutoire. Il a estimé que le créancier poursuivant était bien muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible. Il a cependant déduit du montant de la créance le coût des frais non justifiés.

Par déclaration du 21 mars 2023, M. [G] a fait appel de ce jugement.

Par conclusions récapitulatives du 15 novembre 2023, M. [L] [G] demande à la cour d'appel de :

infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

déclarer nulle la procédure de saisie des rémunérations engagée par le GIE à défaut de titre exécutoire,

subsidiairement, déclarer irrecevable la procédure de saisie des rémunérations engagée par le GIE ainsi que ses demandes à défaut de titre exécutoire,

déclarer irrecevable la demande de dommages-intérêts formée par le GIE et le débouter en tant que de besoin de toutes ses demandes,

condamner le GIE au paiement de la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner le GIE au paiement de la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner le GIE aux entiers dépens de l'instance.

Il fait valoir à titre principal que la signification de l'ordonnance d'injonction de payer effectuée le 12 avril 2017 est irrégulière au regard des dispositions des articles 680 et 1413 du code de procédure civile en ce que les voies et délais de recours mentionnés sont erronés puisque l'acte de signification indique que l'opposition doit être formée devant la juridiction commerciale de Colmar, alors que l'ordonnance a été rendue par la première chambre civile du tribunal. Il en déduit que cette signification n'a pas fait courir le délai de recours selon la jurisprudence de la Cour de cassation, ce qui entraîne la nullité de la demande d'apposition de la formule exécutoire et de cette apposition par le greffe en application de l'article 1422 du code de procédure civile, ainsi que la nullité de la signification de l'ordonnance d'injonction de payer revêtue de la formule exécutoire effectuée le 24 mai 2017 et de l'ensemble des mesures d'exécution engagées sur ce fondement. Il soutient qu'il n'est pas nécessaire, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, de démontrer que la mention erronée de la voie de recours a causé un grief, et que le délai court toujours actuellement. Il conclut que le titre exécutoire, formé par l'ordonnance d'injonction de payer et l'apposition de la formule exécutoire, fondant l'exécution est nécessairement nul voire inexistant. Il ajoute qu'à défaut de signification valable dans les six mois de l'ordonnance d'injonction de payer, celle-ci est caduque en application de l'article 1411 alinéa 2 du code de procédure civile et aucune demande d'apposition de la formule exécutoire n'a pu valablement intervenir, ce qui rend de plus fort l'ordonnance caduque, en application de l'article 1423 du code de procédure civile.

A titre subsidiaire, il soutient que la signification de l'ordonnance exécutoire effectuée le 24 mai 2017 est nulle en application de l'article 656 du code de procédure civile, en ce qu'elle n'a pas été faite à son domicile personnel mais à son ancienne adresse professionnelle à [Localité 10], alors qu'il n'y travaillait plus et que le créancier connaissait ses deux adresses personnelles à [Localité 9] et à [Localité 8], et que l'huissier n'a entrepris aucune diligence pour vérifier la réalité du domicile. Il conclut qu'en application de l'article 503 du code de procédure civile, les mesures d'exécution engagées sur le fondement de l'ordonnance exécutoire qui n'a pas été régulièrement signifiée, notamment la procédure de saisie des rémunérations, sont nulles.

Par ailleurs, il estime irrecevable la demande de dommages-intérêts formée par le GIE en application de l'article 564 du code de procédure civile, en ce qu'elle n'a pas été formée en première instance.

Par conclusions du 25 juillet 2023, le GIE [7] demande à la cour de :

confirmer le jugement entrepris,

condamner M. [G] à lui verser la somme de 15.000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive,

condamner M. [G] au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

S'agissant de la signification du 12 avril 2017, il fait valoir que s'il ressort de la jurisprudence rendue au visa de l'article 680 du code de procédure civile que la partie qui se prévaut d'une mention erronée sur la voie de recours dans l'acte de signification n'a pas à démonter l'existence d'un grief, il n'en est pas de même s'agissant d'une demande de nullité fondée sur l'article 1413 du code de procédure civile ; qu'en l'espèce, M. [G] ne démontre pas avoir tenté de former opposition devant le tribunal de grande instance de Colmar, même devant la « mauvaise » chambre, alors que l'ordonnance lui a été signifiée à personne et que l'acte mentionne ce tribunal pour former opposition.

S'agissant de la signification du 24 mai 2017, il fait valoir que d'après le planning de service, M. [G] était censé être présent, à l'adresse de [Localité 10], à cette date pour effectuer des remplacements, et qu'en tout état de cause, il n'a subi aucun grief dès lors que cette signification n'est pas exigée pour mettre en 'uvre des mesures d'exécution forcée, contrairement à la signification de l'ordonnance non encore revêtue de la formule exécutoire.

A l'appui de sa demande de dommages-intérêts, il fait valoir que M. [G] a été parfaitement informé de l'ordonnance, n'a pas souhaité former opposition en temps utile, et tente, cinq ans après, de remettre en cause la signification à personne, alors qu'il n'a émis aucune contestation lors des saisies-attributions pratiquées le 31 octobre 2017, le 2 mars 2018 et le 29 juin 2018.

Motivation

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la signification du 12 avril 2017

L'article 1413 du code de procédure civile, dans sa version applicable au litige, dispose :

« A peine de nullité, l'acte de signification de l'ordonnance portant injonction de payer contient, outre les mentions prescrites pour les actes d'huissier de justice, sommation d'avoir :

- soit à payer au créancier le montant de la somme fixée par l'ordonnance ainsi que les intérêts et frais de greffe dont le montant est précisé ;

- soit, si le débiteur a à faire valoir des moyens de défense, à former opposition, celle-ci ayant pour effet de saisir le tribunal de la demande initiale du créancier et de l'ensemble du litige.

Sous la même sanction, l'acte de signification :

- indique le délai dans lequel l'opposition doit être formée, le tribunal devant lequel elle doit être portée et les formes selon lesquelles elle doit être faite ;

- avertit le débiteur qu'il peut prendre connaissance au greffe des documents produits par le créancier et qu'à défaut d'opposition dans le délai indiqué il ne pourra plus exercer aucun recours et pourra être contraint par toutes voies de droit de payer les sommes réclamées. »

En l'espèce, l'ordonnance d'injonction de payer du 3 février 2017 a été signifiée à M. [G] à personne. L'acte de signification daté du 12 avril 2017 indique au débiteur qu'il peut faire opposition dans le délai d'un mois à compter de la date de cette signification, et que l'opposition doit être formée au greffe du « TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE COLMAR séant Chambre Commerciale place du marché aux fruits [Adresse 6] [Localité 4] ». L'acte mentionne également que l'ordonnance signifiée a été rendue par le président du tribunal de grande instance de Colmar. L'ordonnance signifiée mentionne en tête, en dessous de la mention du tribunal de grande instance de Colmar, le service auquel appartient le magistrat, à savoir « 1ère chambre civile, Injonction de payer ».

M. [G] admet que la juridiction commerciale à Colmar est une chambre du tribunal de grande instance. Ainsi, nonobstant la mention erronée « chambre commerciale » figurant sur l'acte de signification, il apparaît qu'il a bien été signifié à M. [G] une ordonnance d'injonction de payer rendue par le président du tribunal de grande instance de Colmar, avec l'information exacte que cette ordonnance peut être contestée devant ce même tribunal, étant précisé que le débiteur ne conteste pas l'exactitude de l'adresse du tribunal mentionnée.

Cette signification est donc parfaitement régulière et a donc, s'agissant d'une signification à personne, fait courir le délai d'opposition en application de l'article 1416 du code de procédure civile. Le délai a dès lors expiré le 12 mai 2017.

Par ailleurs, il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que le juge de l'exécution, et partant la cour statuant avec les mêmes pouvoirs, ne peut statuer sur les contestations portant sur les modalités d'apposition de la formule exécutoire après l'expiration du délai d'opposition. La demande tendant à l'annulation de l'apposition de la formule exécutoire ne peut donc prospérer en l'espèce.

Il en est de même de la demande tendant à voir déclarer non avenue l'ordonnance d'injonction de payer.

Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation de la signification du 12 avril 2017, celle tendant à voir dire l'ordonnance d'injonction de payer non avenue ou caduque, ainsi que la demande d'annulation de l'apposition de la formule exécutoire.

Sur la signification du 24 mai 2017

Au termes de l'article 503 du code de procédure civile, les jugements ne peuvent être exécutés contre ceux auxquels ils sont opposés qu'après leur avoir été notifiés.

En revanche, c'est à bon droit que le juge de l'exécution a rappelé qu'en matière d'injonction de payer, seule l'ordonnance non revêtue de la formule exécutoire devait être signifiée et que la signification de l'ordonnance d'injonction de payer revêtue de la formule exécutoire n'était pas nécessaire pour diligenter des mesures d'exécution.

Cependant, dans la mesure où la signification du 24 mai 2017 contestée porte également sur un commandement de payer aux fins de saisie-vente, il y a lieu de statuer sur sa régularité.

Il résulte de l'article 656 du code de procédure civile que pour la signification à l'étude, l'huissier doit mentionner dans l'acte les diligences qu'il a accomplies pour vérifier que le destinataire de l'acte demeure bien à l'adresse indiquée.

Si la signification à personne peut valablement être effectuée sur le lieu de travail du destinataire, il n'en est pas de même de la signification à étude qui doit impérativement être faite au domicile.

Selon l'article 693 alinéa 1er du code de procédure civile, ce qui est prescrit par l'article 656 doit être observé à peine de nullité.

L'article 114 du même code dispose :

« Aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public.

La nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public. »

En l'espèce, il ressort de l'acte de signification du 24 mai 2017, remis à étude, que l'huissier de justice s'est rendu au [Adresse 2] à [Localité 10] (93). Il est mentionné :

« N'ayant pu, lors de mon passage, avoir de précisions suffisantes sur le lieu où rencontrer le destinataire de l'acte.

Le domicile étant certain ainsi qu'il résulte des vérifications suivantes :

Un avis de passage a été laissé dans les lieux

cabinet médical, avis remis à l'accueil

circonstances rendant impossible la signification à personne :

L'intéressé est absent. »

Ainsi, il apparaît que l'huissier n'a mentionné aucune diligence qu'il aurait accomplie pour vérifier que M. [G] demeure bien à l'adresse de [Localité 10]. En outre, il est constant que cette adresse ne constitue nullement le domicile de celui-ci, mais seulement son lieu de travail. L'huissier fait d'ailleurs état d'un cabinet médical. En l'absence de M. [G] pour une remise à personne, l'huissier ne pouvait pas laisser l'acte à l'accueil et aurait dû rechercher le domicile du destinataire.

La signification du 24 mai 2017 est donc irrégulière, faute de diligences suffisantes de l'huissier pour vérifier le domicile du destinataire.

Cette irrégularité a nécessairement causé un grief à M. [G] qui n'a pas été informé du commandement de payer aux fins de saisie-vente délivré et du délai de huit jours qui lui était imparti pour payer la dette avant la mise en 'uvre d'une mesure d'exécution forcée sur ses biens meubles.

Il convient donc d'annuler cet acte de signification, étant rappelé toutefois que cette annulation n'a aucun effet sur la régularité de la procédure de saisie des rémunérations, laquelle pouvait être diligentée sans signification de l'ordonnance d'injonction de payer exécutoire et sans signification d'un commandement de payer préalable. Le jugement sera donc infirmé uniquement en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation de la signification du 24 mai 2017.

Sur la demande de dommages-intérêts

Aux termes de l'article 564 du code de procédure civile, les parties ne peuvent, à peine d'irrecevabilité, soumettre à la cour des prétentions nouvelles, si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

La demande de dommages-intérêts pour résistance abusive n'avait pas été présentée au premier juge. Elle est donc irrecevable comme étant nouvelle en appel.

Il convient donc de déclarer irrecevable la demande de dommages-intérêts.

Sur les demandes accessoires

L'issue du litige justifie de laisser à chaque partie la charge de ses dépens d'appel et de ses frais irrépétibles d'appel.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

INFIRME le jugement rendu le 7 mars 2023 par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Paris, uniquement en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation de la signification du 24 mai 2017,

Statuant à nouveau sur ce seul chef,

ANNULE la signification du 24 mai 2017,

CONFIRME le jugement pour le surplus,

Y ajoutant,

DECLARE irrecevable la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive,

DIT que chaque partie gardera à sa charge ses dépens d'appel et ses frais irrépétibles d'appel.