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Décisions

CA Angers, ch. civ. A, 20 août 2024, n° 20/00847

ANGERS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Phileas Info (Sasu)

Défendeur :

Adetem (Association)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Muller

Conseillers :

Mme Elyahyioui, M. Wolff

Avocats :

Me Terreau, Me Bedouet

TJ Le Mans, du 30 juin 2020, n° 18/01646

30 juin 2020

FAITS ET PROCÉDURE

Indiquant exercer une activité d'agence de presse et de secrétariat de rédaction dans des journaux spécialisés et avoir, depuis plus de 20 ans, des relations commerciales continues avec l'association nationale des professionnels du marketing dite Adetem (ci-après l'association), en contribuant à l'élaboration du magazine que celle-ci produit, relations auxquelles il aurait été mis un terme par courrier du 11 décembre 2017, à effet du 31 mars 2018, la SASU Philéas Info a fait assigner l'association devant le tribunal judiciaire du Mans en paiement de la somme de 75.600 euros pour rupture d'un contrat sans préavis suffisant, en violation de l'article L 442-6 (I-5°) du Code de commerce.

Suivant jugement du 30 juin 2020, cette juridiction a débouté la SASU, l'a condamnée au paiement d'une somme de 3.500 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile et a accordé à Me [F], le droit prévu par l'article 699 de ce même code.

Pour statuer ainsi, le premier juge a rappelé que l'article du Code de commerce invoqué par la demanderesse résultait de réformes dont l'objet était notamment de 'condamner toutes ruptures préjudiciables de relations commerciales lorsque l'une des parties agit sans raison légitime, unilatéralement ou brusquement, alors qu'elle avait laissé se créer chez son partenaire une confiance dans la conclusion ou le renouvellement d'un contrat'. Or il a été souligné que s'il était constant que l'association confiait régulièrement à la demanderesse des travaux de rédaction dans la Revue française du Marketing ce qui générait pour cette dernière un chiffre d'affaire de l'ordre de 22.000 euros HT, sur une période ayant couru de 2008 à 2017, ce qui démontre l'existence d'une relation commerciale durable entre les parties bien que non formalisée par un écrit, il n'en demeurait pas moins que les usages professionnels de la Fédération de l'imprimerie et de la communication graphique posent le principe selon lequel le préavis déterminé selon le chiffre d'affaires annuel de l'ensemble des travaux de l'imprimeur est de 7 semaines en l'espèce et au plus de 8 semaines et en tout état de cause 'ne peut être inférieur à un numéro'. Or s'agissant d'un magazine émis à raison de 4 exemplaires par an, le délai ne pouvait excéder le trimestre de sorte qu'en rompant le contrat le 11 décembre 2017 avec effet au 31 mars suivant, l'association a respecté ses obligations et n'a donc pas violé l'article 442-6 du Code de commerce invoqué. Les demandes ont donc été rejetées.

Par déclaration déposée au greffe de la cour le 7 juillet 2020, la SASU Philéas Info a interjeté appel de cette décision en son entier dispositif.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 7 février 2024 et l'audience de plaidoiries fixée au 18 mars de la même année conformément aux prévisions d'avis de clôture et de report de fixation des 4 et 22 décembre 2023.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses uniques écritures déposées le 7 octobre 2020, la SASU Philéas Info demande à la présente juridiction de :

Vu l'article L.442-6-I.5° du Code de commerce,

- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré applicable l'article L.442-6-I.5° du Code de commerce,

- l'infirmer pour le surplus,

- dire et juger que l'accord professionnel de la Fédération de l'Imprimerie et de la Communication Graphique de janvier 1998 est inapplicable,

- dire et juger que la résiliation des relations commerciales est intervenue à l'initiative de l'association Adetem,

- condamner l'association Adetem au paiement de la somme de 75.600 euros HT au titre du préavis,

- condamner l'association Adetem au paiement de la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de la procédure,

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée au paiement d'une somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Aux termes de ses uniques écritures déposées le 15 janvier 2021, l'Adetem, Association nationale des professionnels du Marketing demande à la présente juridiction de :

Vu les dispositions de l'article L.442-6-I.5° du Code de commerce

Vu les usages interprofessionnels des industries graphiques applicables

- confirmer la décision déférée,

- débouter la société Philéas de toutes ses demandes,

- la condamner au paiement de la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- la condamner aux dépens dont distraction au profit de l'avocat constitué, dans les termes de l'article 699 du Code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 494 du Code de procédure civile, aux dernières écritures, ci-dessus mentionnées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

En droit, l'article L 442-6 du Code de commerce en sa version applicable, dispose notamment que : 'I. - Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

(...)

5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. (...) A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas'.

Aux termes de ses uniques écritures, l'appelante indique que le courrier du 11 décembre 2017 fait expressément état de l'existence d'une relation commerciale. Elle précise par ailleurs que celle-ci a duré plus de 21 ans, au regard de son activité journalistique lui permettant de couvrir des domaines variés. Ainsi, elle observe que la revue éditée par l'intimée établit la réalité de telles relations dès lors qu'elle-même ou sa représentante légale y sont présentées comme secrétaire de rédaction. L'appelante en déduit donc que l'article L 442-6 du Code de commerce a vocation à s'appliquer. A ce titre, elle souligne que sa contradictrice est à l'origine de la rupture des relations contractuelles et que dans ce cadre elle aurait dû respecter un délai de préavis compris 'entre 12 et 36 mois en l'espèce 36 mois', au regard de la durée des relations contractuelles antérieures. Elle souligne que pour fixer le délai de préavis à 7 voire 8 semaines, le tribunal s'est fondé sur l'article 202 de l'accord professionnel de la fédération de l'imprimerie et de la communication graphique de janvier 1998 inapplicable au cas présent. En effet, elle précise que les prestations qu'elle réalisait 'n'étaient pas de cette nature puisqu'il s'agissait d'une collaboration en qualité de rédaction, ce qui ne correspond évidemment pas à des travaux de secrétariat (d'écriture), mais de travaux de secrétariat de rédaction c'est-à-dire justifiant d'une réelle prestation intellectuelle. Autrement dit, [elle] n'est pas un imprimeur mais un rédacteur'. Sur la valorisation de son préjudice, elle soutient que ses prestations étaient facturées à hauteur de 2.100 euros HT par mois de sorte qu'en retenant un tel chiffre d'affaires mensuel moyen, elle sollicite la condamnation de sa contradictrice au paiement d'une somme de 75.600 euros à titre de dommages et intérêts.

Aux termes de ses écritures, l'association indique que quand bien même l'article L 442-6 devait être reconnu comme applicable, il n'en demeure pas moins que les usages interprofessionnels des industries graphiques applicables posent un principe, en l'espèce, d'indemnisation correspondant à un préavis de 8 semaines de chiffre d'affaires plafonné à 8% du chiffre qui aurait été réalisé pendant la durée de préavis prévue aux usages (1.800 euros par mois et non 2.100 euros). S'agissant du fait que les statuts modifiés de l'appelante mentionnent une activité d'agence de presse, de sorte que son intervention au sein du magazine relevait d'une activité rédactionnelle (secrétaire de rédaction), il n'en demeurait pas moins que les statuts applicables au début de leurs relations prévoyaient uniquement 'toute activité de presse ou d'édition, de relations publiques ou de communication', ce qui relève des activités graphiques. A ce titre, l'intimée souligne que 'le rôle du 'secrétaire de rédaction' est de préparer les documents rédactionnels, articles, photos, dessins, schémas et définir leur emplacement dans le journal en fonction de la ligne éditoriale ; son activité relève de ce que la pratique qualifie de 'prépresse''. Elle précise que les activités graphiques ne se limitent pas à l'imprimerie mais également à la 'prépresse' dont l'activité du secrétaire de rédaction. L'intimée conclut donc qu'en affirmant avoir exercé une activité de secrétariat de rédaction sa contradictrice 'reconnaît relever de la branche d'activité des industries graphiques'.

En tout état de cause, l'intimée indique que si les usages interprofessionnels qu'elle invoque ne sont pas applicables, il n'en demeure pas moins que l'indemnisation revendiquée n'est pas due de plein droit, 'l'objectif du préavis [étant] essentiellement, si ce n'est exclusivement, de permettre au partenaire économique éconduit de disposer du temps nécessaire pour anticiper la fin de la relation et organiser sa reconversion'. Ainsi la seule durée de la relation ne suffit pas à fonder l'attribution d'une indemnisation. S'agissant des plus amples éléments devant être pris en compte, l'intimée observe qu'aucune 'disposition contractuelle n'imposait à [l'appelante] de [lui] réserver partie de ses activités, ne lui interdisait d'intervenir pour d'autres organismes de la même branche d'activité', elle conteste donc l'existence d'un partenariat entre elle et la SASU qui est agence de presse dans le domaine de l'agriculture principalement et aucunement du marketing. Elle observe par ailleurs que les activités aujourd'hui litigieuses correspondaient à 21% du chiffre d'affaires de l'appelante, de sorte qu'elles ne présentent aucun caractère déterminant pour cette dernière. Enfin elle souligne que sa contradictrice 'ne prétend nullement avoir mis en place des moyens pérennes et coûteux', dans le cadre des présentes relations qui désormais seraient sans objet, bien au contraire.

Sur ce :

En l'espèce, il résulte des pièces produites par l'appelante et notamment des exemplaires du périodique litigieux communiqués, qu'elle dispose, au moins depuis 1997, sous une autre forme sociale, de la qualité de secrétaire de rédaction, soit à titre personnel soit par l'intermédiaire de ceux qui deviendront ses représentants (notamment [O] [B]).

Au demeurant, l'intimée indique expressément qu'il 'est constant qu'elle confiait partie de ses travaux à la société Philéas depuis 1996 selon cette dernière'.

En tout état de cause, la régularité des travaux réalisés par l'appelante au bénéfice de l'association caractérise l'existence d'une relation commerciale établie au sens du 5èment de l'article L 442-6 ci-dessus repris.

S'agissant des délais de préavis qui auraient dû être respectés par l'intimée, celle-ci soutient qu'il convient de retenir ceux posés par les usages professionnels des industries graphiques.

Cependant il doit être souligné que les quelques éléments produits à la présente procédure établissent que l'appelante sous ses formes actuelles voire antérieurement par l'intermédiaire de ceux qui l'ont constituée, était présentée aux magazines comme 'secrétaire de rédaction'.

Or il est constant que de telles fonctions ne se limitent aucunement à une simple mise en page technique du périodique comme l'affirme l'intimée. En effet, les fonctions de secrétaire de rédaction peuvent être exercées par des journalistes et impliquent outre des tâches purement techniques, notamment une appréciation sur les articles devant être publiés conduisant même ce professionnel à avoir la possibilité de les modifier (réduction...).

Ainsi, les travaux servis par l'appelante n'étaient pas de pure mise en page ou même simplement graphiques mais impliquaient des prestations plus larges quant aux contenus publiés. Au demeurant, il doit être souligné qu'en droit du travail les fonctions de secrétaire de rédaction dépendent de la convention collective des journalistes du 1er novembre 1976 désormais en sa version refondue.

Dans ces conditions et peu important que les statuts de la SAS (anciennement SARL) pris en 2002 mentionnent que cette personne morale a pour objet, 'toutes activités de presse et d'édition, de relations publiques et de communications ; toutes activités d'information ; toutes activités de conception, d'animation et de réalisation de réunions publiques sous toutes formes', ce qui au demeurant n'est aucunement exclusif d'une activité de secrétariat de rédaction, il ne peut aucunement être retenu que les usages professionnels de la Fédération de l'imprimerie et de la communication graphique soient applicables à la présente situation.

Il résulte de ce qui précède qu'avant décembre 2011, la relation commerciale existant entre les parties revêtait un caractère suivi, stable et continu, de sorte que l'appelante pouvait raisonnablement envisager pour l'avenir une certaine continuité des relations avec son partenaire et partant du volume d'affaires ainsi généré.

A ce titre, l'appelante communique aux débats copie d'une attestation de l'expert comptable auquel est confiée sa situation qui expose qu'entre 2008 et 2017 inclus, le chiffre d'affaires généré par le partenariat avec l'association intimée était compris entre 17 et 25% de son chiffre d'affaires global. Les relations des parties correspondaient à plus de 21% de l'activité de l'appelante et lui assuraient donc en moyenne un 5ème de son chiffre d'affaires.

Ainsi au regard de l'ancienneté de ces relations commerciales (société créée suivant statuts de 2002) et de l'importance du volume d'affaires qu'elles représentaient pour l'appelante, il apparaît que le délai de préavis de 'trois mois' mentionné au courrier du 11 décembre 2017 est insuffisant.

Cependant, l'appelante ne démontre aucunement que ce délai aurait dû être de 36 mois, en effet s'il est constant que l'objet du préavis est de permettre au partenaire subissant la rupture des relations commerciales d'anticiper cette nouvelle situation, il n'en demeure pas moins que la société ne caractérise pas de dépenses particulières engagées exclusivement aux fins de satisfaire aux exigences du maintien de cette relation pas plus qu'il n'est évoqué quelque notion d'exclusivité que ce soit dans le cadre de ces liens commerciaux et l'appelante n'établit pas de réelle dépendance économique, quand bien même l'importance économique des activités litigieuses est pour sa part démontrée.

Enfin, il doit également être tenu compte du domaine particulier objet du présent litige, à savoir la presse écrite spécialisée, qui au regard des écritures des parties a connu une période difficile, le magazine à l'élaboration duquel l'appelante participait ayant notamment disparu.

De l'ensemble, il résulte que l'intimée ne pouvait, sans commettre de comportement fautif et causer un préjudice à sa partenaire, rompre les relations commerciales qu'elle entretenait avec celle-ci sans respecter un préavis d'une durée minimale de six mois.

Dans ces conditions, la décision de première instance doit être infirmée en ce qu'elle a rejeté les demandes indemnitaires de l'appelante et l'intimée condamnée à réparer le préjudice subi par la SAS du fait de la rupture brutale des relations commerciales ayant existé entre elles, par le versement de dommages et intérêts à hauteur de 6.300 euros correspondant aux trois mois de préavis non exécutés (3 mois x 2.100 euros de chiffre d'affaires).

Sur les demandes accessoires :

L'intimée qui succombe doit être condamnée aux dépens et l'équité commande de la condamner au paiement à l'appelante de la somme de 4.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Enfin au regard de l'issue du présent litige, les dispositions à ces deux derniers titre de la décision de première instance doivent être infirmées.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

INFIRME le jugement du tribunal judiciaire du Mans du 30 juin 2020 ;

Statuant de nouveau et y ajoutant :

CONDAMNE l'Association Nationale des Professionnels du Marketing dite Adetem au paiement à la SASU Philéas Info de la somme de 6.300 euros (six mille trois cents euros) en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations économiques ayant existé entre elles ;

CONDAMNE l'Association Nationale des Professionnels du Marketing dite Adetem au paiement à la SASU Philéas Info de la somme de 4.000 euros (quatre mille euros) par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNE l'Association Nationale des Professionnels du Marketing dite Adetem aux dépens de première instance et d'appel.