CA Dijon, 2e ch. civ., 22 août 2024, n° 23/01223
DIJON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Intersport France (SA), Sport (SASU)
Défendeur :
Decathlon France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Blanchard
Conseillers :
Mme Bailly, Mme Kuentz
Avocats :
Me Renoux, Me Grall, Me Pollak, Me Gerbay, Me Houssier
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société Décathlon France et la société [Localité 14] Sport exploitent toutes deux un magasin d'articles de sport dans la zone commerciale du [Adresse 12] à [Localité 14].
La société [Localité 14] Sport a annoncé l'organisation entre le 31 mai et le 13 juillet 2022, dans son magasin à l'enseigne Intersport, d'une vente en liquidation de stocks d'articles de sport, en raison d'un déménagement prochain de ce magasin dans d'autres locaux.
Faisant état de l'existence d'irrégularités apparues à l'occasion de cette opération, de nature à lui causer un préjudice économique, la société Décathlon France a déposé le 28 juin 2022 une requête aux fins de constat sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, devant le président du tribunal de commerce de Chaumont.
Par une ordonnance rendue le 30 juin 2022, le président du tribunal de commerce, faisant droit à cette requête, a mandaté un huissier de justice afin d'intervenir au siège de la société [Localité 14] Sport, de dresser constat du résultat de la mission qui lui a été confiée, et de conserver sous séquestre en son étude le constat et ses annexes.
La mission de l'huissier était détaillée comme suit :
1. Se rendre au magasin Intersport de [Localité 14], [Adresse 12], comme dans les locaux du siège social de la SAS [Localité 14] Sport situés à la même adresse, immatriculée au RCS Chaumont sous le numéro 350 466 751, à l'effet de :
1.1 Constater, relever et consigner ce qui suit :
- constater si la copie du récépissé de déclaration de la mairie prévu aux articles A.310-3 et A.310-4 du code de commerce, qui a dû être délivré à la SAS [Localité 14] Sport à l'occasion de l'opération de liquidation qu'elle mène actuellement dans son magasin de [Localité 14], se trouve ou non affiché à l'extérieur ou à l'intérieur du magasin Intersport de [Localité 14], et dans l'affirmative, indiquer s'il est effectivement placé de façon à être 'lisible depuis la voie publique' au sens de l'article A.310-4 alinéa 1 du code de commerce ;
- constater la forme et la teneur des informations mentionnées sur les différentes affiches et étiquettes présentes en magasin faisant état d'une liquidation totale, en relevant si sur ces affiches ou étiquettes se trouvent notamment mentionnés : la durée de la période de liquidation, la mention de la dénomination sociale de la société qui procède à la liquidation, la nature exacte des marchandises qui font l'objet de la liquidation, s'il apparaît que dans le magasin certains produits ne font pas partie de la vente en liquidation ;
- et s'il apparaît que dans le magasin certains produits ne font pas partie de la vente en liquidation, constater s'ils font l'objet d'une information ou d'un étiquetage précisant au consommateur qu'ils sont vendus en dehors de la liquidation ;
- constater si dans le magasin des produits sont vendus sous une forme promotionnelle distincte de la vente en liquidation, et relever les mentions relatives à l'étiquetage de ces catégories de produits ;
- constater si dans le magasin des produits sont vendus sans être l'objet de la liquidation, ni d'aucune autre forme de vente promotionnelle ;
- relever et constater s'il existe dans l'espace de vente du magasin ou dans sa réserve des cartons ou autres emballages, affichettes ou étiquettes, de nature à établir que des produits vendus en liquidation proviendraient d'autres magasins sous enseigne Intersport, et dans l'affirmative en relevant lesquels.
1.2 Interroger toute personne sur site, et notamment les directeurs ou autres salariés, et se faire communiquer par ceux-ci, afin de les consigner ou d'en établir une copie, les informations et éléments suivants :
[1] - la déclaration préalable qui a dû être effectuée en mairie par la SAS [Localité 14] Sport relative à l'opération de 'liquidation' avant déménagement, tels que prévus par l'article A.310-1 du code de commerce, en ce compris les annexes à cette déclaration prévues par l'article A.310-2 du code de commerce et notamment l'inventaire des marchandises objet de la vente en liquidation, étant précisé que l'huissier instrumentaire devra occulter sur cet inventaire, après qu'il les ait obtenus de la SAS [Localité 14] Sport, et avant communication à la requérante, tous les éléments relatifs au prix de vente des produits, ou à leur prix d'achat, qui n'intéressent pas la société Décathlon France au stade de la mesure d'instruction,
[2] - le récépissé qui aurait été délivré en retour à la SAS [Localité 14] Sport à la suite de cette déclaration, en vertu de l'article A.310-3 du code de commerce,
[3] - la liste des produits sur lesquels porte précisément l'opération de vente en liquidation, et l'historique des ventes de ces produits déjà effectuées au moment du constat, afin de permettre de comparer cette liste et cet historique avec l'inventaire précis et limitatif qui devait être remis en annexe à la déclaration préalable en mairie, ainsi que le requiert le code de commerce, étant précisé que l'huissier instrumentaire devra occulter sur cette liste et cet historique, après qu'il les ait obtenus de la SAS [Localité 14] Sport, et avant communication à la requérante, tous les éléments relatifs au prix de vente des produits, ou à leur prix d'achat, qui n'intéressent pas la société Décathlon France au stade de la mesure d'instruction,
[4] - la liste des produits en provenance de stocks d'autres magasins Intersport qui seraient arrivés dans le magasin Intersport de [Localité 14] durant les cinq mois précédant l'intervention de l'huissier, et qui ont été vendus depuis le début de la liquidation et/ou seraient encore en vente au titre de l'opération de liquidation en cours, en relevant leur date d'entrée dans le stock de la SAS [Localité 14] Sport.
L'huissier instrumentaire est intervenu le 4 juillet 2022 en exécution de cette ordonnance, alors que l'opération de liquidation litigieuse était en cours.
Par assignation du 28 juillet 2022, les sociétés Intersport France et [Localité 14] Sport ont fait attraire la société Décathlon France devant le juge des référés du tribunal de commerce de Chaumont, en lui demandant de :
- rétracter en toutes ses dispositions l'ordonnance sur requête du 30 juin 2022 ayant autorisé les mesures d'instruction,
- déclarer nulles et de nul effet toutes les conséquences attachées à l'exécution de l'ordonnance rétractée,
- ordonner la restitution à la société [Localité 14] Sport de l'ensemble des éléments issus des mesures d'instruction,
- ordonner l'exécution provisoire au seul vu de la minute,
- condamner la société Décathlon France à leur payer la somme de 5 000 euros chacune à titre de dommages et intérêts en raison d'un abus du droit d'agir,
- condamner la société Décathlon France à leur payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Par ordonnance de référé du 4 septembre 2023, le président du tribunal de commerce de Chaumont a :
- déclaré recevable la requête du 28 juin 2022,
- dit que la requête aux fins de constat présentée par la société Décathlon France le 28 juin 2022 ayant conduit au prononcé de l'ordonnance du 30 juin 2022, s'appuyait sur des faits et griefs précisément imputables à la SAS [Localité 14] Sport et qui se trouvaient caractérisés par des pièces justificatives constituant un commencement de preuve suffisant pour qu'il y soit fait droit,
- dit que ladite requête s'est inscrite dans une démarche légitime de la société Décathlon France visant à lui permettre, eu égard à la gravité des faits qui y étaient exposés, de recueillir la preuve, avant tout procès, de l'entière implication de [Localité 14] Sport dans les faits qui lui sont reprochés,
- dit que la mission sollicitée dans la requête, et confiée à l'huissier de justice dans le cadre de l'ordonnance du 30 juin 2022, était pleinement justifiée, et clairement définie et circonscrite,
- dit que les circonstances de l'espèce justifiaient qu'il soit dérogé au principe du contradictoire, et qu'il soit fait droit aux demandes présentées par la voie d'une ordonnance sur requête,
- dit que la requête présentée par la société Décathlon France le 28 juin 2022 aux fins de constat d'huissier, ayant conduit au prononcé de l'ordonnance du 30 juin 2022, reposait sur un motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile,
- dit que les mesures de constat ainsi ordonnées l'ont été de façon proportionnée et strictement encadrée, dans des conditions ne pouvant pas porter atteinte au secret des affaires, ou encore au droit de la liberté du commerce et de l'industrie,
- dit n'y avoir pas lieu de rétracter l'ordonnance rendue sur requête le 30 juin 2022, et l'a confirmée en toutes ses dispositions,
- débouté les sociétés [Localité 14] Sport et Intersport France de toutes leurs demandes, fins et conclusions,
- ordonné la levée de la mesure de séquestre qui a été ordonnée par voie d'ordonnance sur requête le 30 juin 2022 par M. le président du tribunal de commerce de Chaumont, en toutes ses dispositions, sauf à ce que la présente ordonnance soit frappée d'appel dans les délais et,
- ordonné, en l'absence de recours, la remise, entre les mains de la société Décathlon France, des procès-verbaux de constats établis et des pièces saisies par l'huissier instrumentaire à l'issue de son intervention,
- dit n'y avoir lieu à indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et condamné la société [Localité 14] Sport aux dépens pour frais de greffe.
Les sociétés Intersport France et [Localité 14] Sport ont relevé appel de cette décision le 19 septembre 2023.
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 26 janvier 2024, elles demandent à la cour, au visa des articles 16, 145, 493 et suivants et 834 et suivants du code de procédure civile, de :
- les déclarer recevables et bien fondées en leur appel,
- infirmer l'ordonnance rendue le 4 septembre 2023 par le président du tribunal de commerce de Chaumont en toutes ses dispositions,
Et statuant à nouveau,
- dire et juger qu'il n'existait aucun motif légitime susceptible de justifier la mesure d'instruction demandée par Décathlon France,
- dire et juger que la mesure d'instruction ordonnée était insuffisamment limitée et ne pouvait à ce titre constituer une mesure légalement admissible au sens de l'article 145 du code de procédure civile,
- dire et juger que la mesure d'instruction sollicitée par Décathlon France ne visait qu'à leur nuire,
En conséquence,
- rétracter en toutes ses dispositions l'ordonnance sur requête du 30 juin 2022 ayant autorisé la mesure d'instruction,
- déclarer nulles et de nul effet toutes les conséquences attachées à l'exécution de l'ordonnance rétractée,
- prononcer la nullité du procès-verbal de constat du 13 juin 2022 établi en exécution de l'ordonnance sur requête du 30 juin 2022,
- ordonner la restitution à [Localité 14] Sport de l'ensemble des éléments issus de la mesure d'instruction,
En tout état de cause,
- déclarer les demandes de la société Décathlon France irrecevables ou en tout cas mal fondées, y compris s'agissant d'un éventuel appel incident,
- déclarer irrecevables et mal fondées toutes autres demandes, plus amples ou contraires, et les rejeter intégralement,
- condamner la société Décathlon France à leur payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Décathlon France aux entiers dépens de première instance et d'appel.
En ses dernières écritures notifiées le 29 janvier 2024, la société Décathlon France demande à la cour, au visa de l'article 145 du code de procédure civile, des articles 493 et suivants du même code, des articles L.310-1 et suivants, R.310-2 et suivants, A.310-1 et suivants, du code de commerce, ainsi que de l'article L.121-1 du code de la consommation, de :
- confirmer l'ordonnance de référé rendue le 4 septembre 2023 par le président du tribunal de commerce de Chaumont en toutes ses dispositions,
- débouter les sociétés [Localité 14] Sport et Intersport France de leurs prétentions en toutes fins, demandes et conclusions,
- condamner les sociétés [Localité 14] Sport et Intersport France à lui payer, chacune, la somme de 6 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner les sociétés [Localité 14] Sport et Intersport France aux entiers dépens, dont ceux d'appel pourront être recouvrés par Maître Claire Gerbay, avocat à la cour d'appel de Dijon, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières écritures des parties pour un exposé complet de leurs moyens.
La clôture est intervenue le 1er février 2024.
MOTIFS
Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.
L'article 493 du même code prévoit que l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse.
Il résulte des articles 497 et 561 du code de procédure civile que la cour d'appel, saisie de l'appel d'une ordonnance de référé statuant sur une demande en rétractation d'une ordonnance sur requête prescrivant des mesures d'instruction destinées à conserver ou à établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, est investie des attributions du juge qui l'a rendue devant lequel le contradictoire est rétabli.
Il lui appartient d'apprécier l'existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête, à la lumière des éléments de preuve produits à l'appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant elle. Elle doit à cet égard constater qu'il existe un procès en germe possible et non manifestement voué à l'échec au regard des moyens soulevés, sans qu'il lui revienne de se prononcer sur le fond, et dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée, celle-ci ne devant pas porter une atteinte illégitime aux droits et libertés fondamentaux d'autrui.
Elle doit encore rechercher si la mesure sollicitée exigeait une dérogation au principe du contradictoire. Les circonstances justifiant cette dérogation doivent être caractérisées dans la requête ou l'ordonnance qui y fait droit.
En l'espèce, les sociétés Intersport France et [Localité 14] Sport font fait état, à l'appui de leur demande d'infirmation de l'ordonnance entreprise, de ce que :
- la société Décathlon France ne disposait d'aucun motif légitime justifiant qu'il soit procédé à des mesures in futurum sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile,
- la dérogation au principe du contradictoire n'est pas justifiée,
- les mesures ordonnées ne sont pas suffisamment limitées au regard des objectifs poursuivis.
Sur l'existence d'un motif légitime
La société Décathlon France allègue l'existence d'un motif légitime constitué par des suspicions de manquements graves par la société [Localité 14] Sport à la réglementation en matière de vente en liquidation consacrée par les articles L. 310-1 et suivants, R. 310-2 et suivants ainsi que A.310-1 et suivants du code de commerce, susceptibles de caractériser des actes de concurrence déloyale.
Les sociétés Intersport France et [Localité 14] Sport soutiennent en réplique que la société Décathlon France ne s'appuie sur aucun commencement de preuve objectif, ni aucun faisceau d'indices graves et concordants, mais qu'elle ne procède que par des affirmations gratuites ne reposant que sur des supputations hasardeuses et des extrapolations infondées, de sorte qu'elle échoue à apporter la preuve d'un motif justifiant le recours à une mesure d'instruction.
Elles considèrent que la requête de la société Décathlon, qui ne constitue pas une procédure isolée, n'est en réalité motivée que par une volonté de leur nuire, en les dissuadant d'organiser des opérations de liquidation pourtant légitimes, aux fins d'affaiblir et de désorganiser le réseau Intersport dans son ensemble.
A titre liminaire, il sera relevé que les appelantes critiquent la pièce adverse n°3 correspondant à un procès-verbal de constat établi le 13 juin 2022 par Maître [W], huissier de justice à [Localité 5], en ce qu'il intègre des clichés de cartons et étiquettes pris sans autorisation judiciaire par un salarié de la société Décathlon France à l'intérieur du magasin Intersport, lieu privé.
Le dispositif de leurs écritures comporte toutefois une ambiguïté dès lors qu'il conclut à l'annulation du 'procès-verbal de constat du 13 juin 2022 établi en exécution de l'ordonnance sur requête du 30 juin 2022', et semble ainsi se référer aux constatations opérées le 4 juillet 2022 par la SELARL [W] et [G], désignée par le président du tribunal de commerce pour procéder à la mesure d'instruction in futurum.
En tout état de cause, l'irrégularité des conditions d'obtention des photographies litigieuses intégrées dans le procès-verbal de constat du 13 juin 2022 ne justifie pas que cette pièce soit annulée ou écartée des débats, eu égard à la nécessité pour la société Décathlon France d'agir en urgence pour se ménager une preuve de la présence dans le magasin des cartons et étiquettes litigieux, et alors que l'enceinte du commerce constituait un lieu certes privé mais ouvert au public.
Sur le fond, la société Décathlon France rappelle les multiples griefs exposés de manière claire et précise au soutien de sa requête du 28 juin 2022, à savoir :
- l'absence d'affichage de la copie du récépissé réglementaire de la mairie, en contradiction avec les prescriptions des articles R. 310-4 et A. 310-4 du code de commerce,
- l'absence d'affichage de la dénomination sociale du déclarant, de son adresse et la mention d'un numéro unique d'identification erroné, en contradiction avec les prescriptions des articles A.310-3 et R.123-237 du code de commerce,
- la confusion créée, par les annonces du magasin, sur la date réelle du début de l'opération, laissant craindre a minima une tromperie du consommateur,
- la présentation comme totale d'une opération de liquidation qui ne concernait en réalité qu'une sélection de produits déterminés, et l'absence d'affichage de la nature des marchandises sur lesquelles portait l'opération,
- la confusion entretenue dans le magasin entre la vente de produits en liquidation, et la vente de marchandises à prix réduits hors liquidation,
- la vente, sous le couvert de la période de liquidation, de marchandises provenant d'autres magasins Intersport qui y ont été apportées pour cette occasion et qui ne faisaient pas partie de son stock habituel.
Il ressort des pièces produites par la société Décathlon France que :
- le récépissé de déclaration en mairie visé par l'article R.310-4 du code de commerce n'apparaît pas sur les photographies de la vitrine du magasin Intersport intégrées dans le procès-verbal de constat de Maître [W] du 13 juin 2022,
- les kakémonos et affiches photographiés aux abords du magasin Intersport indiquent que ledit récépissé est en date du 19 avril 2022, et comportent le n° RCS de la société Intersport France,
- les affichages précités mentionnent une liquidation avant déménagement du 1er juin 2022 au 13 juillet 2022, tandis que la communication de la société [Localité 14] Sport sur les réseaux sociaux (Facebook, Instagram) évoque un décompte arrivant à échéance le 31 mai 2022, ainsi qu'il ressort du procès-verbal de constat établi par Maître [C], huissier de justice à [Localité 9], le 13 juin 2022,
- dans sa communication sur sa page Facebook et via l'envoi de SMS à ses clients, le magasin Intersport mentionne une 'liquidation totale', précisant que 'tout doit disparaître' (procès-verbaux de constat de Maître [C] des 13, 16, 20 et 22 juin 2022), tandis que les kakémonos et affiches en vitrine et aux abords du magasin mentionnent 'Sur les articles signalés en magasin, hors nouvelles collections, hors prix en baisse et autres promotions [...]' ;
- le compte Instagram du magasin Intersport de [Localité 14] présente, à côté de la publication afférente à l'opération de liquidation avant déménagement, une publication relative à une offre '- 50 % sur le 2ème produit de votre choix' (constat de Maître [C] du 13 juin 2022) ; cette même offre est affichée sur des étiquettes de produits présentés à la vente photographiés l'intérieur du magasin ;
- de multiples cartons de marchandises mentionnant comme magasins de départ '[Localité 10]', '[Localité 11]', '[Localité 6]', '[Localité 15]', '[Localité 7]' et '[Localité 8]', et comme magasin d'arrivée '[Localité 14]', sont visibles sur les photographies et captures de vidéos de l'intérieur du magasin intégrées dans le procès-verbal de constat de Maître [W] du 13 juin 2022.
Les parties s'opposent sur la portée de chacune de ces pièces, et sur les conséquences juridiques qui pourraient en être tirées au regard de l'application de la réglementation du code de commerce afférente aux ventes en liquidation ainsi que de l'existence d'actes de concurrence déloyale.
Indépendamment de l'examen du bien-fondé du détail de cette argumentation, qui ne relève pas du juge des référés saisi sur le fondement des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile, ces pièces laissent penser que des infractions à la réglementation sur les ventes en liquidation ont pu être commises par la société [Localité 14] Sport, de nature à causer un préjudice commercial à la société Décathlon France, sa concurrente directe dans la zone commerciale de [Localité 14].
L'intimée disposait donc bien d'un motif légitime, ainsi que retenu dans l'ordonnance critiquée, à solliciter des mesures destinées à recueillir des preuves de l'existence d'infractions avant une éventuelle saisine du juge du fond.
Sur la nécessité de déroger au principe du contradictoire
Les sociétés Intersport France et [Localité 14] Sport soutiennent qu'il ne ressort de l'ordonnance déférée aucune caractérisation des circonstances qui auraient nécessité que la société Décathlon France procède par voie de requête non contradictoire et non par voie de référé, et que l'intimée n'a fait qu'avancer dans sa requête un risque abstrait et hypothétique de destruction de preuves sans en apporter la moindre justification concrète.
Les motifs de la requête, adoptés par le président du tribunal de commerce dans son ordonnance du 12 mars 2022, énoncent en substance que les mesures de constatations sollicitées devaient légitimement être ordonnées en-dehors de toute procédure contradictoire, afin d'éviter qu'elles se trouvent privées d'effet suite à la régularisation par la société [Localité 14] Sport de tout ou partie des manquements qui lui étaient reprochés (régularisation de l'affichage et de ses mentions, des étiquettes présentes dans le magasin, retrait de la vente des produits ne faisant pas partie de l'inventaire déposé initialement en mairie et/ou provenant d'autres stocks ou magasins Intersport, disparition dans ses livres ou dossiers des traces de la provenance desdits stocks...).
Il sera tout d'abord souligné que, contrairement à ce qui a été observé dans des procédures similaires opposant la société Décathlon à d'autres magasins exploités sous enseigne Intersport, l'opération commerciale litigieuse était toujours en cours à la date à laquelle l'intimée a déposé sa requête puis obtenu, à l'issue d'une procédure non contradictoire, la désignation d'un huissier de justice pour procéder à des mesures d'instruction.
Ainsi, dans un contexte de concurrence exacerbée entre les parties et d'accusations de concurrence déloyale, et au vu de la nature des mesures d'instruction sollicitées, les risques de dépérissement des preuves des infractions alléguées par la modification matérielle des affichages et/ou de la consistance des biens présentés à la vente étaient bien réels, si la société [Localité 14] Sport avait été avertie à l'avance de la venue d'un huissier.
S'agissant des risques que la société [Localité 14] Sport fasse disparaître des preuves de sa violation de la réglementation dans ses documents commerciaux et comptables, les sociétés [Localité 14] Sport et Intersport font valoir que ceux-ci sont inexistants, dans la mesure où ces documents sont soumis à des obligations légales de conservation et d'archivage, et ne sont pas susceptibles d'être altérés ou détruits.
Toutefois, comme le souligne la société Décathlon France, les écritures comptables relatives à la vente en liquidation réalisée par la société [Localité 14] Sport n'étaient pas encore passées ' à tout le moins pas de manière complète et intangible ' à la date de présentation de la requête devant le président du tribunal de commerce de Chaumont, alors que l'opération commerciale litigieuse était toujours en cours.
Ainsi, dès lors que les bons de commande ou de livraison et autres pièces justificatives comptables relatives aux stocks ainsi qu'aux ventes réalisées se présentaient, avant leur enregistrement dans la comptabilité du magasin, sous forme de données informatiques pouvant aisément être supprimées ou modifiées, c'est là encore à juste titre que la société Décathlon France a invoqué un risque de déperdition des preuves.
La nécessité de déroger au principe du contradictoire est ainsi suffisamment caractérisée. L'ordonnance rendue sera confirmée sur ce point.
Sur le caractère suffisamment limité de la mesure d'instruction ordonnée
Les appelantes invoquent le caractère disproportionné de la mesure d'instruction ordonnée, laquelle n'est pas circonscrite dans le temps ni dans son objet, la société Décathlon France ayant étendu bien au-delà du nécessaire les informations auxquelles elle prétendait avoir accès. Elles considèrent en conséquence que cette mesure d'instruction invasive ne constitue pas une mesure légalement admissible au sens de l'article 145 du code de procédure civile.
S'agissant de la limitation de la mesure d'instruction dans le temps, le président du tribunal de commerce a imparti à l'expert instrumentaire un délai maximum d'un mois suivant la date de l'ordonnance, précisant qu'à défaut d'exécution de la mission dans ce délai, sa désignation serait caduque et privée de tout effet.
Par ailleurs, en ce qui concerne le contenu de la mesure, il sera relevé que les différents chefs de mission correspondent point par point aux griefs soulevés par la société Décathlon France au titre des infractions aux prescriptions du code de commerce et autres comportements déloyaux imputés à la société [Localité 14] Sport.
En particulier, les points 3 et 4 de la mission critiqués par cette dernière et par la société Intersport France tendent à vérifier d'une part l'adéquation entre la liste des marchandises concernées par l'opération de liquidation déposée par le magasin et la liste des marchandises effectivement vendues, et d'autre part la provenance des marchandises proposées à la vente, qui doivent être issues du stock du magasin et non servir à l'écoulement du stock d'autres établissements du groupe Intersport.
En outre, la mission comporte des restrictions destinées à limiter les atteintes susceptibles d'être portées au secret des affaires ' qui ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du nouveau code de procédure civile sous réserve de la vérification des critères de nécessité et de proportionnalité ', par la prescription d'occultation de certaines informations financières sensibles ne se rattachant pas directement à l'exercice du droit de la société Décathlon France d'établir la preuve d'actes de concurrence déloyale imputés à son concurrent.
Dans ces conditions, la mesure d'instruction était suffisamment circonscrite dans le temps et dans son objet, et proportionnée au but probatoire poursuivi.
* * * * *
Au vu de la discussion qui précède, il convient de confirmer dans son intégralité l'ordonnance rendue le 4 septembre 2023 par le juge des référés du tribunal de commerce de Chaumont.
Sur les frais de procès
Si l'ordonnance dont appel mérite confirmation en ce qu'elle a condamné la société [Localité 14] Sport aux dépens de première instance, il y a lieu de la compléter en condamnant également la société Intersport France, in solidum avec cette dernière, au paiement desdits frais, conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.
Les sociétés Intersport France et [Localité 14] Sport, qui succombent en leur recours, seront en outre tenues in solidum aux dépens d'appel.
Chacune d'elles sera par ailleurs condamnée à payer à la société Décathlon France, qui seule peut y prétendre, une somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés par cette dernière à hauteur de cour.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Déboute les sociétés [Localité 14] Sport et Intersport France de leur demande tendant à voir prononcer la nullité du procès-verbal de constat du 13 juin 2022,
Confirme l'ordonnance rendue le 4 septembre 2023 par le président du tribunal de commerce de Chaumont en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la société Intersport France, in solidum avec la société [Localité 14] Sport, aux dépens de première instance,
Condamne in solidum les sociétés [Localité 14] Sport et Intersport France aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés par Maître Claire Gerbay dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile,
Condamne les sociétés [Localité 14] Sport et Intersport France à payer, chacune, la somme de 3 000 euros à la société Décathlon France sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.