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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 13 septembre 2022, n° 21/06804

RENNES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Flexi Distri (SARL)

Défendeur :

Dinan Distribution (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Contamine

Conseillers :

Mme Jeorger-Le Gac, M. Garet

Avocats :

Me Bracka, Me Petit, Me Baudouin, Me Verrando

CA Rennes n° 21/06804

12 septembre 2022

FAITS ET PROCEDURE

La société Dinan Distribution (Dinandis) exploite un centre commercial à l'enseigne Leclerc.

Le 4 octobre 2018, ayant reçu la visite d'un représentant de la société Flexi Distri, grossiste en vêtements, elle a signé, en la personne de l'une de ses salariées, deux bons de commande portant sur divers articles d'habillement (pulls, chemises, pantalons etc).

Le lendemain, la société Dinandis a obtenu de la société Flexi Distri la diminution du nombre de vêtements initialement commandés, deux nouveaux bons de commande ayant alors été établis.

Finalement et le 12 octobre 2018, la société Dinandis a fait savoir à la société Flexi Ditri qu'elle ne donnerait pas suite à cette commande, au motif qu'elle venait d'apprendre que la société Flexi Distri n'était pas référencée comme fournisseur habituel des magasins Leclerc.

La société Flexi Distri a répondu à la société Dinandis qu'aucune annulation de commande n'était envisageable.

Néanmoins, la société Dinandis a refusé de prendre possession de la livraison, comme d'en régler le prix convenu.

En l'absence de règlement amiable et après une ultime mise en demeure restée infructueuse, la société Flexi Distri a fait assigner la société Dinandis devant le tribunal de commerce de Saint Malo qui, par jugement du 6 mai 2021, a :

- jugé que les bons de commande litigieux étaient inopposables à la société Dinandis en raison du défaut de pouvoir de représentation de leur signataire;

- jugé que ces documents n'étaient que des 'brouillons' ou projets de commandes insusceptibles d'engager la société Dinandis;

- juger qu'aucun contrat de vente n'avait été formé entre les parties en l'absence de caractère suffisamment déterminé ou déterminable des biens objet du contrat;

- jugé que les commandes étaient nulles en raison des man'uvres dolosives commises par la société Flexi Distri pour obtenir la signature de la salariée de la société Dinandis;

- débouté la société Flexi Distri de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions;

- condamné la société Flexi Distri à payer à la société Dinandis une somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

- condamné la société Flexi Distri aux entiers dépens de l'instance.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 28 octobre 2021, la société Flexi Distri a interjeté appel de cette décision.

L'appelante a notifié ses dernières conclusions le 27 janvier 2022, l'intimée les siennes le 20 avril 2022.

La clôture de la mise en état a été prononcée par ordonnance du 20 juin 2022.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

La société Flexi Distri demande à la cour de :

Vu les articles 48 et 700 du code de procédure civile,

Vu les articles 1103, 1104, 1217, 1231, 1231-1 et 1583 du code civil,

- infirmer le jugement en toutes ses dispositions;

Statuant à nouveau,

- enjoindre à la société Dinandis de prendre livraison, à ses frais, des marchandises relatives aux bons de commande en date du 4 octobre 2018, sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter de la décision à intervenir ;

- condamner la société Dinandis à régler à la société Flexi Distri les sommes de 18.479,81 € TTC et de 27.580,61 € TTC correspondant respectivement aux factures n° CD/VS5273 et CD/VS5274 avec intérêt légal à compter de la mise en demeure du 22 octobre 2018 ;

- condamner la société Dinadnis à payer à la société Flexi Distri une indemnité de 3.000 € pour résistance abusive ;

- condamner la société Dinandis au paiement d'une somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Dinandis aux entiers dépens.

Au contraire, la société Dinandis demande à la cour de :

Vu les articles 1153 et 1156 du code civil,

Vu les articles 1104, 1130, 1131, 1137, 1138 et 1139 du code civil,

Vu l'article 1163 du code civil,

- recevoir la société Dinandis en ses demandes, les dire bien fondées et y faisant droit,

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions;

Ce faisant,

A titre principal,

- débouter la société Flexi Distri de l'intégralité de ses demandes;

A titre subsidiaire, pour le cas où le jugement ne serait pas confirmé,

- dire et juger que les seuls bons de commande à prendre en considération sont ceux échangés dans le dernier état des discussions entre les parties, c'est-à-dire ceux transmis par courrier électronique de la société Flexi Distri le 5 octobre 2018, diminués par rapport au projet du 4 octobre 2018 ;

- par conséquent, réduire les demandes de la société Flexi Distri respectivement aux sommes de 10.877,92 € HT et 15.258,48 € HT au titre de ces deux derniers bons de commande';

- débouter la société Flexi Distri de toutes demandes excédant ces montants, notamment à titre de dommages-intérêts au titre d'une prétendue résistance abusive de la société Dinandis;

En toutes hypothèses,

- condamner la société Flexi Distri au paiement d'une somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel;

- condamner la société Flexi Distri aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec distraction au profit de l'avocat soussigné aux offres de droit.

Il est renvoyé à la lecture des conclusions précitées pour un plus ample exposé des demandes et moyens développés par les parties.

MOTIFS DE LA DECISION

Aux termes de l'article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

L'article 1104 ajoute que les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.

Enfin, l'article 1193 dispose que les contrats ne peuvent être modifiés ou révoqués que du consentement mutuel des parties, ou pour les causes que la loi autorise.

Sur le moyen tiré de l'absence de pouvoir de la signataire des bons de commande litigieux:

La société Dinandis fait d'abord valoir que les deux bons de commande qui lui sont opposés ont été signés par une personne qui n'avait pas le pouvoir pour la représenter, par là même pour l'engager vis-à-vis de la société Flexi Distri.

Elle explique en effet que la signataire, Mme [R] [Y], salariée adjointe au rayon textile, ne disposait pas d'un pouvoir pour signer des bons de commande, a fortiori pour passer des commandes portant sur des sommes aussi importantes.

Au contraire, la société Flexi Distri explique que Mme [Y] s'est elle-même présentée comme 'responsable textile' et 'directrice adjointe' du magasin, toutes qualités qu'elle a même indiquées sur les deux bons litigieux.

Dès lors, la société Flexi Distri entend se prévaloir du mandat apparent dont la préposée paraissait disposer pour représenter son commettant.

Elle en veut pour preuve non seulement les mentions indiquées sur les deux bons signés et approuvés par Mme [Y] ('commande passée avec Mme [Y], responsable textile et directrice adjointe'), mais également le cachet de la société que la salariée a apposé sur les deux documents ('DINANDIS S.A.S. Centre E. LECLERC ')

La cour partage cette analyse, considérant en effet, au vu de ces indices qui laissaient présumer que Mme [Y] disposait du pouvoir de représenter la société Dinandis dans le cadre d'une commande passée auprès d'un fournisseur, que la société Flexi Distri n'était pas tenue de vérifier davantage la réalité et l'étendue de ce pouvoir.

D'ailleurs, ce n'est que tardivement que, pour la première fois, la société Dinandis a invoqué ce prétendu défaut de pouvoir, le motif initial de dénonciation de la commande étant l'absence de référencement de la société Flexi Distri auprès des magasins de l'enseigne Leclerc.

Ainsi, opportuniste et sans pertinence, ce moyen sera écarté.

Sur le moyen tiré d'une absence de contrat valable entre les parties':

Pour prétendre se dégager de sa commande, la société Dinandis fait valoir que les documents litigieux ne sont que des 'brouillons' ou projets, sans mention des prix unitaires, sans précision du prix global de la commande, et dont les références indiquées ne permettent pas d'identifier précisément les articles prétendument commandés.

En conséquence, la société se prévaut du caractère indéterminé et indéterminable, au sens de l'article 1163 du code civil, des commandes invoquées par la société Flexi Distri.

Cependant, au vu des pièces du dossier, la cour écartera à nouveau ce moyen.

En effet, les deux bons de commande litigieux, que la société Flexi Distri produit en original, sont exempts de toute rature et, par ailleurs, rédigés en des termes tout à fait précis et compréhensibles, au demeurant à chaque fois sur le même modèle :

Exemple :

'Réference : K22D6539, désignation : pull homme, quantité : 48, prix unitaire HT : 17,88 €'

Ainsi, le bon de commande fait apparaître :

- la désignation de l'article commandé : pull homme, tee-shirt homme, gilet femme etc,

- la quantité d'articles commandés : en l'occurrence 48 pour chaque type d'articles,

- enfin, le prix unitaire hors taxes de chaque article.

Il est indifférent, pour la validité de la commande, que le prix total n'y soit pas indiqué ; en effet, une simple multiplication du nombre d'articles par le prix unitaire, suivie d'une addition des différentes d'articles commandés, suffisait à déterminer le prix global de l'opération.

Cet exercice demeurait à la portée de la société Dinandis qui, dès lors, ne peut pas se prévaloir d'une commande imprécise ou inachevée.

De même, il est indifférent que la couleur ou la taille de chacun des vêtements commandés ne soit pas mentionnée sur le bon de commande, alors en effet qu'il est usage, dans le commerce de grande distribution, de commander un assortiment de vêtements de toutes tailles et de toutes couleurs, de manière à satisfaire l'ensemble de la clientèle du magasin.

Il est encore indifférent, pour la validité de la commande, que le montant de la TVA ne soit pas mentionné, alors en effet que la société Dinandis ne pouvait pas ignorer que sa commande se verrait appliquer le taux habituel de 20 %.

C'est encore à tort, voire de mauvaise foi, que la société Dinandis affirme que les bons de commande litigieux ne sont ni signés ni tamponnés par l'un de ses représentants, alors au contraire que la société Flexi Distri produit les deux documents originaux qui comportent à la fois la signature de Mme [Y] et le timbre humide de la société Dinandis.

En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu'il a jugé, d'une part que les documents litigieux n'étaient que des 'brouillons' ou projets de commande, d'autre part qu'aucun contrat de vente n'avait pu être formé entre les parties en l'absence de caractère suffisamment déterminé ou déterminable des biens objet du contrat.

Au contraire, il convient de faire application des dispositions de l'article 1583 du code civil selon lesquelles la vente est parfaite entre les parties dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas encore été livrée ni le prix payé.

Tel était le cas des deux commandes passées par la société Dinandis, et ce, dès le 4 octobre 2018, deux documents étant produits qui en font foi et qui déterminent suffisamment l'objet de l'obligation qu'elle a ainsi souscrite.

Sur le moyen tiré d'un dol :

Pour conclure à la nullité des commandes, la société Dinandis fait valoir que la société Flexi Distri a délibérément trompé Mme [Y] en lui faisant croire qu'elle était référencée 'Galec', condition prétendument indispensable à toute prise de commande auprès d'un magasin à l'enseigne Leclerc.

La société Flexi Distri conteste cette accusation, rappelant que le dol ne se présume pas et qu'il doit être prouvé.

Or, force est de constater que la société Dinandis ne produit aucun élément à l'appui de son affirmation, notamment aucun témoignage extérieur qui en attesterait.

A cet égard, la cour ne saurait se contenter des seules affirmations de Mme [Y], principale protagoniste de l'affaire et qui, par là même, a intérêt à cette thèse pour pouvoir justifier la commande finalement désavouée par son employeur.

En conséquence et en l'absence de preuve du dol dont elle se prévaut, la société Dinandis sera déboutée de sa demande tendant à l'annulation des commandes litigieuses, le jugement devant à nouveau être infirmé sur ce point.

Sur la demande subsidiaire de la société Dinandis tendant à la réduction du montant de sa commande :

Il est constant que la société Dinandis a initialement signé deux bons de commande pour des sommes respectives de 18.479,81 € TTC et de 27.580,61 € TTC, lesquels ont donné lieu à l'établissement des deux factures dont la société Flexi Distri réclame le règlement.

Cependant, il résulte des pièces du dossier que, le lendemain de cette commande initiale, la société Dinandis a obtenu de la société Flexi Distri qu'elle veuille bien en réduire l'importance, de nouveaux bons de commande ayant alors été établis à hauteur, respectivement, des sommes de 10.877,92 € HT et 15.258,48 € HT.

D'ailleurs, la société Flexi Distri reconnaît elle-même avoir accepté de diminuer les quantités d'articles commandés, «'à titre commercial et exceptionnel'».

Dès lors, il lui sera donné acte de cette modification du contrat, intervenue d'un commun accord entre les parties.

En conséquence, la société Dinandis sera condamnée à payer à la société Flexi Distri une somme totale de 10.877,92 + 15.258,48 = 26.136,43 € HT, soit 31.363,72 € TTC.

Conformément aux dispositions de l'article 1231-6 du code civil, cette condamnation sera assortie des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 22 octobre 2018.

La société Flexi Distri sera déboutée du surplus de sa demande en paiement.

Sur les autres demandes':

Il convient d'enjoindre à la société Dinandis de prendre livraison, à ses frais et sous réserve d'en avoir payé le prix, de l'ensemble des marchandises achetées par elle auprès de la société Flexi Distri, et ce, dans un délai maximal de trois mois à compter de la signification de la présente décision, à défaut de quoi la société Dinan Distribution sera réputée y avoir renoncé et la société Flexi Distri autorisée à disposer des marchandises abandonnées.

Faute de justifier d'un préjudice distinct de celui déjà indemnisé par l'allocation des intérêts moratoires, la société Flexi Distri sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive.

Partie perdante, la société Dinandis sera condamnée au paiement d'une somme de 3.000 € au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

Enfin, la société Dinandis supportera les entiers dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour :

- infirme le jugement en toutes ses dispositions';

- statuant à nouveau et y ajoutant :

* déboute la société Dinan Distribution de l'ensemble de ses demandes et défenses';

* condamne la société Dinan Distribution à payer à la société Flexi Distri une somme de 31.363,72 € TTC avec intérêts au taux légal à compter du 22 octobre 2018';

* enjoint à la société Dinan Distribution de prendre livraison, à ses frais et sous réserve d'en avoir payé le prix, de l'ensemble des marchandises achetées par elle auprès de la société Flexi Distri, et ce, dans un délai maximal de trois mois à compter de la signification de la présente décision, à défaut de quoi la société Dinan Distribution sera réputée y avoir renoncé et la société Flexi Distri autorisée à disposer des marchandises abandonnées';

* déboute les parties du surplus de leurs demandes';

* condamne la société Dinan Distribution à payer à la société Flexi Distri une somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile';

* condamne la société Dinan Distribution aux entiers dépens de première instance et d'appel.