CA Rouen, 1re ch. civ., 28 août 2024, n° 24/00468
ROUEN
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Mutuelle Assurance des Travailleurs Mutualistes (MATMUT)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Wittrant
Conseillers :
Mme Deguette, Mme Bergere
Avocats :
Me De Bezenac, Me Cherrier, Me Maleysson, Me Absire, Me Lacoeuilhe, Me Darmon
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Le 23 octobre 2019, Mme [O] [F], assurée auprès de la société d'assurance mutuelle Mutuelles assurances des travailleurs mutualistes, Samcv Matmut, en vertu d'un contrat multirisques accident de la vie, a été opérée par le Dr [G] [D] du genou gauche.
Des douleurs persistantes l'ont conduite à consulter le Dr [E] qui a prescrit la pose d'une prothèse totale du genou, l'intervention étant réalisée le 26 mai 2021.
Par exploits de commissaire de justice des 4 et 8 août 2023, Mme [F] a fait assigner M. [D], la Samcv Matmut et la Cpam de Rouen Elbeuf Dieppe devant le président du tribunal judiciaire de Rouen statuant en référé aux fins d'expertise et de condamnation en paiement d'une provision.
Par ordonnance réputée contradictoire du 31 octobre 2023, le juge des référés a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :
- ordonné une expertise médicale de Mme [F] en désignant à cet effet le Dr [G] [P],
- déclaré l'ordonnance commune et opposable à la Cpam de [Localité 13]-[Localité 11]-[Localité 10],
- condamné in solidum le Dr [D] et la Samcv Matmut à verser à Mme [F] la somme de 1 000 euros à titre provisionnel,
- condamné in solidum le Dr [D] et la Samcv Matmut aux dépens,
- condamné in solidum le Dr [D] et la Samcv Matmut à verser à Mme [I] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration reçue au greffe le 6 février 2024, la Samcv Matmut a interjeté appel de cette décision.
Un calendrier de procédure a été notifié aux parties le 12 février 2024 conformément aux dispositions des articles 905 et suivants du code de procédure civile.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 2 mai 2024, la Samcv Matmut demande à la cour, au visa de l'article 1103 du code civil, de :
- infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle l'a condamnée à payer à Mme [F] la somme de 1 000 euros à titre de provision, la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'elle l'a condamnée aux dépens,
- confirmer l'ordonnance pour le surplus,
statuant à nouveau,
- débouter Mme [F] de toutes ses demandes à son encontre,
- condamner tout succombant à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Elle fait valoir qu'en application des conditions contractuelles de la garantie accident de la vie souscrite par Mme [F], celle-ci ne peut être mobilisée que si la victime conserve une incapacité permanente dont le taux est au moins égal à 10 %. Elle soutient qu'en l'espèce, Mme [F] ne démontre pas que son taux d'incapacité permanente sera au minimum de 10 %, de sorte qu'elle ne peut prétendre à une indemnité provisionnelle, faisant de surcroît observer que l'expert judiciaire, qui a déjà rendu son rapport, a fixé le déficit fonctionnel permanent de Mme [F] à 6 %.
Par dernières conclusions notifiées le 30 avril 2024, le Dr [G] [D] demande à la cour de :
- infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a :
. condamné in solidum le Dr [D] et la Sam Matmut à verser à Mme [F] la somme de 1 000 euros à titre provisionnel,
. condamné in solidum le Dr [D] et la Sam Matmut à verser à Mme [I] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
statuant autrement,
- dire qu'aucune condamnation à provision ne peut être prononcée à son encontre,
- rejeter la demande de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile formulée à son encontre,
- réserver les dépens.
Il fait observer que le premier juge a statué ultra petita, puisque Mme [F] n'avait pas sollicité de condamnation à son encontre et que la Samcv Matmut ne présentait aucun recours en garantie contre lui. En tout état de cause, il expose que la demande est mal fondée puisqu'il ressort de l'expertise judiciaire que sa responsabilité ne peut être engagée.
Par dernières conclusions notifiées le 1er juillet 2024, Mme [O] [F] demande à la cour, au visa des articles 1103 et 1231-1 du code civil, 145, 700, 834, 835, 836 et 837 du code de procédure civile, de :
- infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle lui a allouée une somme de
1 000 euros à titre de provision,
statuant à nouveau,
- condamner la Samcv Matmut à lui payer la somme de 1 400 euros à titre de provision,
- condamner la Samcv Matmut à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de la Scp Cherrier Bodineau.
Elle reconnaît que l'expert judiciaire ne retient pas de faute à l'encontre du Dr [D] et qu'il fixe son déficit fonctionnel permanent à 6 % . Cependant, elle affirme que le contrat multirisques accident de la vie qu'elle a souscrit prévoit le versement d'un forfait de 50 euros par jour d'hospitalisation dans la limite de 1 500 euros en cas d'hospitalisation continue supérieure à 2 jours, prestation qui n'est pas soumise à la condition d'un déficit fonctionnel permanent au moins égal à 10 %. En conséquence, elle estime que sa demande de provision est bien fondée.
La Cpam de [Localité 13] [Localité 11] [Localité 10], à qui la déclaration d'appel et le calendrier de procédure ont été signifiés le 23 février 2024, n'a pas constitué avocat.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 1er juillet 2024 avant l'audience de plaidoiries.
MOTIFS
Sur la demande de provision
Aux termes de l'article 835 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
En l'espèce, aucune demande de provision n'a été présentée en première instance par Mme [F] à l'encontre du Dr [D]. Elle ne formule aucunement une telle demande en cause d'appel. En conséquence, par arrêt infirmatif, aucune condamnation à ce titre ne sera prononcée contre M. [D].
Sur la demande de provision à l'encontre de la Samcv Matmut, eu égard aux conclusions émises dans le prérapport de l'expert judiciaire, Mme [F] ne conteste pas qu'en exécution du contrat multirisques accidents de la vie litigieux, elle ne peut bénéficier d'une indemnisation au titre de l'incapacité permanente, des souffrances endurées, du préjudice esthétique permanent, des frais de prothèse, de logement et de véhicule adapté, puisque ces prestations sont soumises à un seuil de déclenchement de 10 % d'incapacité permanente. Néanmoins, elle s'estime bien fondée dans sa demande de provision au titre du forfait hospitalisation prévu au contrat, dont le seuil de déclenchement n'est pas le taux d'incapacité permanente, mais la durée de l'hospitalisation, à savoir trois jours.
Il ressort de la lecture des conditions générales et particulières du contrat litigieux que le seuil de déclenchement du forfait hospitalisation prévu au contrat n'est pas le taux d'incapacité permanente, mais la durée de l'hospitalisation de trois jours. Toutefois, le déclenchement de cette garantie reste subordonné à la caractérisation d'un évènement accidentel couvert par le contrat.
L'article 1 des conditions générales définit l'accident couvert par le contrat comme 'toute atteinte à l'intégrité corporelle de l'assuré, non intentionnelle de sa part, provenant de l'action soudaine d'une cause extérieure'. L'article 6 des mêmes conditions précise que sont notamment couverts :
'- les accidents sanitaires résultant du fonctionnement du système de santé français, c'est-à-dire :
- un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale,
- directement imputable à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins,
- réalisés par un professionnel de santé, un établissement, un service ou un organisme, dont les activités sont régis par le code de la santé publique,
- ayant eu pour l'assuré des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci.'
En l'espèce, le pré-rapport de l'expert ne conclut pas à l'existence d'un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale directement imputable à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins, réalisés par un professionnel de santé, un établissement, un service ou un organisme, dont les activités sont régis par le code de la santé publique, ayant eu pour l'assuré des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci concernant les phénomènes douloureux dont s'est plainte Mme [F] et qui ont conduit à son hospitalisation pour pose de prothèse de genou dont elle sollicite l'indemnisation. Il évoque uniquement des phénomènes dysesthésiques végétatifs et des algodystrophies, qui apparaissent comme un aléa thérapeutique.
Mme [F] ne produit aucun élément permettant de caractériser l'existence d'un évènement donnant lieu à garantie au titre du contrat souscrit.
Dans ces conditions, il existe une contestation sérieuse sur l'exécution du contrat et l'obligation de la Samcv Matmut, de sorte qu'il ne peut être fait droit à sa demande de provision.
En conséquence, par arrêt infirmatif, il convient de débouter Mme [F] de sa demande de provision.
Sur les dépens et frais irrépétibles
Les dispositions de première instance relatives aux dépens et frais irrépétibles seront infirmées.
Mme [F] succombant, elle sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
L'équité et la nature du litige commandent de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 au profit des parties. Elles seront donc déboutées de leur demande respectives à ce titre.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant par arrêt réputé contradictoire mis à disposition au greffe,
Dans les limites de l'appel formé,
Infirme la décision entreprise,
Statuant à nouveau,
Constate que Mme [O] [F] ne présente aucune demande de provision à l'encontre du Dr [G] [D],
Déboute Mme [O] [F] de sa demande de provision à l'égard de la Samcv Matmut,
Déboute les parties de leur demande respective au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Mme [O] [F] aux entiers dépens de première instance et d'appel.