CA Douai, 3e ch., 29 août 2024, n° 23/04978
DOUAI
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Salomon
Conseillers :
Mme Bertin, Mme Belkaid
Avocats :
Me Soland, Me Talleux, Me Louis
EXPOSE DU LITIGE
Mme [S] [K] est propriétaire d'un immeuble. Le propriétaire de la parcelle mitoyenne, M. [P] [F], a entrepris des travaux d'édification d'un immeuble à usage d'habitation suivant arrêté de permis de construire du 4 avril 2016.
Se plaignant d'humidité au sein de son habitation en raison d'un défaut d'étanchéité de l'immeuble de son voisin, par acte du 2 août 2021, Mme [K] a fait assigner M. [F] devant le juge des référés de Lille aux fins d'obtenir la décision d'un expert.
Par ordonnance du 28 septembre 2021, le juge des référés du tribunal judiciaire de Lille a ordonné une expertise et désigné M. [U] [X] en qualité d'expert, lequel a été remplacé par M. [N] [D] par ordonnance du 9 novembre 2021.
L'expert a déposé son rapport le 16 novembre 2022.
Par acte du 23 février 2023, Mme [K] a fait assigner M. [F] devant le président du tribunal judiciaire de Lille, statuant en référé, aux fins de voir notamment :
condamner M. [F] à faire réaliser, par des entreprises qualifiées, assurées pour leur responsabilité civile décennale et sous le contrôle d'un architecte DPLG, les travaux préconisés par l'expert dans son rapport, et ce dans un délai de deux mois à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
le tribunal se réserver la liquidation de l'astreinte ;
condamner par provision, M. [F] à lui verser la somme de 25 230 euros au titre du coût des travaux de reprise des désordres au sein de son logement, la somme de 22 000 euros, à actualiser au jour de l'ordonnance à intervenir, au titre de son préjudice de jouissance, et la somme de 5 000 euros au titre de son préjudice moral ;
condamner M. [F] à installer un pare-vue sur sa terrasse ;
condamner M. [F] à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers frais et dépens de l'instance, en ce compris les frais d'expertise judiciaire.
Par ordonnance rendue le 31 octobre 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Lille a :
renvoyé les parties à se pourvoir au fond ;
condamné M. [F] à faire réaliser, par des entreprises qualifiées, assurées pour leur responsabilité civile décennale et sous le contrôle d'un architecte DPLG, les travaux préconisés par l'expert dans son rapport en date du 16 novembre 2022, dans un délai de deux mois à compter de la signification de l'ordonnance ;
rejeté la demande tendant à l'installation par M. [F] d'un pare-vue ;
condamné M. [F] à payer à Mme [K] la somme de 21 000 euros au titre du coût des travaux de reprise des désordres au sein de son immeuble ;
débouté Mme [K] de ses demandes de provision formulées pour l'indemnisation de ses préjudices ;
déclaré irrecevable la demande reconventionnelle principale en désignation d'un expert formulée par M. [F] ;
rejeté la demande reconventionnelle subsidiaire d'expertise formulée par M. [F] ;
condamné M. [F] à payer la somme de 2 000 euros à Mme [K] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamné M. [F] aux dépens, en ce compris les frais d'expertise.
Par déclaration du 10 novembre 2023, M. [F] a formé appel de cette ordonnance en toutes ses dispositions à l'exception de celles numérotées 1 et 5.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 7 décembre 2023, M. [F] demande à la cour, vu l'appel interjeté, d'infirmer l'ordonnance entreprise :
débouter Mme [K] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
reconventionnellement,
désigner tel expert qu'il appartiendra aux frais de Mme [K] avec pour mission de se rendre dans le jardin de Mme [K] aux fins de :
examiner les végétaux qui poussent dans son jardin à la limite séparative des deux propriétés, la sienne et celle de Mme [K] ;
vérifier si les végétaux de Mme [K] sont plantés dans les limites prévues par le code civil à moins de 5 centimètres et à plus de 2 mètres pour les grands végétaux à la limite séparative des deux propriétés ;
vérifier les travaux d'étanchéité qu'il a exécutés ;
qualifier la qualité des travaux qu'il a effectués au regard des allégations de Mme [K] et indiquer s'il y a toujours persistance du manque d'étanchéité malgré les travaux qu'il a effectués ;
ou au contraire,
constater qu'il n'y a pas de problème d'étanchéité et qu'il n'y a pas de persistance sur le manque d'étanchéité ou de désordres ;
du tout dresser rapport ;
condamner Mme [K] aux entiers dépens.
À l'appui de ses prétentions, M. [F] fait valoir que :
le juge des référés s'est fondé sur un rapport d'expertise établi de manière non contradictoire à son égard puisqu'il n'a jamais été régulièrement convoqué, aucune signification ne lui a été régulièrement adressée et aucun acte ne lui a été remis ;
il justifie de la réalisation des travaux supprimant les désordres dont se plaignait Mme [K], tandis que celle-ci ne justifie pas de la persistance de désordres, de sorte qu'il n'existe plus de trouble manifestement illicite ;
en cas de doute sur l'existence des travaux et l'absence de persistance des désordres, il convient d'ordonner une expertise ;
pour ces raisons, il convient de réformer totalement l'ordonnance et de la confirmer sur la demande d'installation d'un pare-vue, une telle demande relevant du juge du fond ;
alors que le juge des référés était saisi d'une demande tendant à mettre fin à un trouble manifestement illicite, sa demande d'expertise tendant à faire examiner les végétaux qui poussent dans le jardin de Mme [K] à la limite séparative des deux propriétés n'aurait pas dû être déclarée irrecevable puisque la persistance de ces végétaux non entretenus constitue un trouble manifestement illicite, et présente ainsi un lien suffisant avec les prétentions originaires tendant au financement et à l'exécution de travaux préconisés par l'expert.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 4 janvier 2024, Mme [K] demande à la cour, au visa des articles 651 et 1240 du code civil, des articles 834 et 835 et 70 et 145 du code de procédure civile et de l'article L. 151-1 du code des procédures civiles d'exécution, de :
débouter M. [F] de l'ensemble de ses demandes, fins et
conclusions ;
=> confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a :
condamné M. [F] à faire réaliser, par des entreprises qualifiées, assurées pour leur responsabilité civile décennale et sous le contrôle d'un architecte DPLG, les travaux préconisés par l'expert dans son rapport du 16 novembre 2022, dans un délai de deux mois à compter de la signification de l'ordonnance ;
condamné M. [F] à prendre en charge par provision le coût des travaux de reprise des désordres au sein de son immeuble ;
déclaré irrecevable la demande reconventionnelle principale en désignation d'un expert formulée par M. [F] ;
rejeté la demande reconventionnelle subsidiaire d'expertise formulée par M. [F] ;
condamné M. [F] à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'instance, en ce compris les frais d'expertise judiciaire ;
=> réformer l'ordonnance en ce qu'elle n'a pas assorti d'une astreinte la condamnation de M. [F] à faire réaliser les travaux, limité le quantum de la provision à valoir sur la prise en charge du coût des travaux à réaliser chez elle à la somme de 21 000 euros, et l'a déboutée de ses demandes d'indemnisation provisionnelle ;
statuant à nouveau,
condamner M. [F] à faire réaliser par des entreprises qualifiées, assurées pour leur responsabilité civile décennale et sous le contrôle d'un architecte DPLG, les travaux préconisés par l'expert en son rapport du 16 novembre 2022, et ce dans un délai de 2 mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, et à défaut sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
condamner, par provision, M. [F] à lui verser la somme de 25 230 euros au titre du coût des travaux de reprise des désordres au sein de son logement ;
condamner, par provision, M. [F] à lui verser la somme de 34 000 euros, à actualiser au jour de l'arrêt à intervenir, au titre de son préjudice de jouissance ;
condamner, par provision, M. [F] à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de son préjudice moral ;
en tout état de cause,
condamner M. [F] au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner M. [F] aux entiers dépens et frais d'instance d'appel.
À l'appui de ses prétentions, Mme [K] fait valoir que :
sur le prétendu caractère non-contradictoire du rapport d'expertise, celui-ci est parfaitement opposable à M. [F] pour les raisons suivantes :
ce dernier a dûment été assigné devant le juge des référés suivant exploit du 2 août 2021 à son adresse de [Localité 8], de [Localité 4] et d'[Localité 7] ;
c'est ainsi que l'ordonnance du 28 septembre 2021 faisant droit à la demande d'expertise judiciaire a été réputée contradictoire en vertu de l'article 473 du code de procédure civile ;
cette décision a dûment été signifiée à M. [F] ;
il a dûment été convoqué aux opérations d'expertise à son adresse de [Localité 8], dont sa domiciliation ressortait des documents produits par son propre conseil ;
par ordonnance du 28 mars 2022, le tribunal judiciaire de Lille a autorisé l'expert à pénétrer sur la parcelle de M. [F] pour les besoins de l'expertise ; il a été nécessaire de procéder à un examen par drone, mais l'entreprise mandatée à cette fin n'a pu réaliser sa mission en raison de l'opposition à cette intervention d'un frère de M. [F] et ce, malgré l'ordonnance du 28 mars 2022 précitée;
le rapport d'expertise, librement soumis à la discussion des parties, est corroboré par d'autres éléments de preuve versés au débat ;
l'expert a constaté de nombreux désordres rendant impropre à leur destination plusieurs pièces de son logement, et qui sont imputables aux travaux réalisés par M. [F], plus précisément à leur mauvaise exécution et à la non-finition de ceux-ci ;
l'expert a indiqué les travaux à réaliser pour faire cesser ce trouble anormal du voisinage ; or, le procès-verbal de constat d'huissier de justice que M. [F] produit ne permet pas d'établir qu'il a réalisé tous les travaux préconisés par l'expert, d'autant que les photographies figurant sur ce constat sont peu lisibles et laissent apparaître de nombreuses traces d'humidité ; par ailleurs aucun justificatif de travaux, aucune facture des entreprises qui seraient intervenues ne sont produits ;
la persistance des désordres est démontrée ;
compte tenu de l'ancienneté du différend et du refus de M. [F] de participer aux opérations d'expertise, il convient d'assortir la condamnation à faire réaliser les travaux prononcée par le juge des référés d'une astreinte et ce, d'autant qu'elle ne peut commencer ses propres travaux tant que les causes du dommage n'ont pas été supprimées ;
la somme chiffrée par l'expert au titre de la remise en état des désordres à son domicile n'inclut pas la reprise des plâtres pourtant préconisée par celui-ci, de sorte qu'il conviendra de porter la condamnation par provision à ce titre à la somme de 25 230 euros ;
la demande reconventionnelle de M. [F] aux fins d'expertise judiciaire quant aux végétaux poussant sur son fonds est irrecevable en vertu de l'article 70 du code de procédure civile, comme l'a correctement analysé le juge des référés, dès lors qu'elle ne se rattache pas aux prétentions originaires par un lien suffisant, l'expert n'ayant pas retenu la présence des végétaux comme cause de la survenance de désordres à son domicile ; de plus, M. [F] ne justifie d'aucun motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile et ce, d'autant moins qu'elle justifie de l'élagage des branches ;
il ne saurait être fait droit à la demande reconventionnelle de M. [F] aux fins d'expertise judiciaire pour vérifier les travaux d'étanchéité qu'il aurait fait exécuter, et pallier ainsi sa carence dans l'administration de la preuve qui lui incombe et ce, d'autant qu'elle prouve au contraire l'absence de réalisation des travaux préconisés par l'expert, outre la persistance des désordres à son domicile ;
alors qu'elle subit un trouble de jouissance manifeste qui perdurera également durant l'exécution des travaux de remise en état, il convient de lui accorder des provisions au titre de son préjudice de jouissance et de son préjudice moral.
Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
À titre liminaire, la cour observe que les parties ne sollicitent pas la réformation de l'ordonnance querellée en ce qu'elle a rejeté la demande tendant à l'installation d'un pare-vue par M. [F].
Sur les troubles manifestement illicites
Aux termes de l'article 835 alinéa 1 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire, ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Pour apprécier la réalité du trouble ou du risque allégué, la cour d'appel, statuant en référé, doit se placer au jour où le premier juge a rendu sa décision et non au jour où elle statue.
La partie qui invoque un trouble manifestement illicite ou un dommage imminent, n'a pas à justifier de l'urgence.
La cour rappelle qu'aux termes de l'article 544 du code civil, la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par la loi ou les règlements.
Aux termes de l'article 651 du code civil, la loi assujettit les propriétaires à différentes obligations l'un à l'égard de l'autre, indépendamment de toute convention.
Par ailleurs, nul ne doit causer à autrui un trouble anormal du voisinage ; il appartient au juge de rechercher si les nuisances, même en l'absence de toute infraction aux règlements, n'excèdent pas les inconvénients normaux du voisinage.
Il est rappelé à cet égard que le respect de dispositions légales, réglementaires ou techniques n'exclut pas en soi l'existence éventuelle de troubles excédant les inconvénients normaux du voisinage.
Sur ce,
M. [F] soutient que le juge des référés aurait dû débouter Mme [K] de sa demande de condamnation à faire réaliser les travaux préconisés par l'expert dans son rapport, dès lors que ce rapport ne peut lui être opposé, les opérations d'expertise n'ayant pas été contradictoires à son égard.
Il convient ainsi dans un premier temps de vérifier l'opposabilité du rapport de l'expert judiciaire.
Or, sur ce point, il est établi que :
M. [F] a été assigné de manière régulière, devant le juge des référés à l'occasion des instances relatives à la demande d'expertise, à la désignation d'un nouvel expert et à l'autorisation de l'expert de pénétrer sur la parcelle de l'appelant pour les besoins de l'expertise ;
les différentes ordonnances de référé ont été régulièrement signifiées à M. [F] ;
il a été convoqué par l'expert aux opérations d'expertise de manière régulière.
Par conséquent, le rapport de l'expert judiciaire est bien opposable à M. [F], qui ne peut se prévaloir de son absence aux opérations d'expertise.
Par ailleurs, l'expert rapporte qu'une opération technique d'un sapiteur, la société Airscan a été rendue impossible le 15 juin 2022 par suite de la ferme opposition de M. [F], qui en avait été au préalable informé.
M. [F] ne peut ainsi de bonne foi prétendre que les opérations d'expertises n'ont pas été contradictoires à son égard.
Au surplus, Mme [K] produit au débat de nombreuses pièces corroborant le rapport de l'expert judiciaire, librement soumis à la discussion des parties, de telle sorte que ce rapport est parfaitement opposable à l'appelant.
Or, l'ensemble de ces éléments établissent l'existence d'un trouble manifestement illicite, ainsi que l'a retenu le juge des référés.
En effet, l'expert judiciaire a relevé chez Mme [K] de nombreux désordres dont les causes ont pour origine les travaux réalisés par M. [F] ; ces désordres sont, selon l'expert, liés à la présence d'une humidité importante dans toutes les pièces de la maison de Mme [K], qui sont en contact avec le mur de séparation de la propriété de M. [F] ; il a constaté des décollements de tapisserie, des dégradations d'enduit et de peinture en murs et plafonds dans le séjour et la chambre, ainsi que des dégradations de peintures sur les menuiseries.
Ces constats se retrouvent également dans les autres pièces produites par Mme [K].
L'expert judiciaire explique dans son rapport les causes de ces désordres :
les délais importants des travaux qui ont engendré des stagnations d'eau sur les dalles béton de la nouvelle construction à tous les niveaux ;
les planchers qui ne sont pas suffisamment désolidarisés du mur appartenant à Mme [K], ce qui provoque des passages d'eau à travers la maçonnerie ;
les terrasses accessibles ou inaccessibles dépourvues de système d'évacuation des eaux pluviales, ce qui a provoqué des mises en charge de ces terrasses ;
l'absence d'ouvrage d'étanchéité ou de protection du joint entre les murs des deux propriétés ;
la non-finition des travaux de construction de la maison de M. [F] (absence de menuiseries extérieures ; absence d'ouvrages permettant l'évacuation des eaux pluviales des terrasses ; absence de couvre-mur sur les acrotères de terrasse ; absence d'ouvrage de raccord d'étanchéité entre le mur et la toiture au niveau des mitoyens).
Pour faire cesser ce trouble, l'expert a préconisé que M. [F] fasse réaliser les travaux qui suivent :
refaire, parfaire et compléter les travaux d'étanchéité sur les toitures terrasses ;
réaliser sur ces terrasses les trop-pleins et exutoires d'eau pluviale à raccorder sur le réseau public ;
poser les couvre-murs métalliques ou béton sur tous les acrotères ;
réaliser les solins de jonction d'étanchéité au niveau de la mitoyenneté entre murs et toiture de manière à assurer une parfaite étanchéité entre les deux immeubles ;
réaliser les finitions du joint creux entre les murs des deux immeubles ;
poser les menuiseries extérieures pour assurer le clos-couvert de l'immeuble;
effectuer le raccordement des eaux pluviales sur le réseau public ;
d'une manière générale, réaliser tous les travaux destinés à assurer la finition complète de la construction entreprise et assurer la parfaite étanchéité des ouvrages mitoyen avec obligation de résultat de faire cesser tout désordre lié aux infiltrations d'eau dans la propriété de Mme [K].
S'agissant des travaux de remise en état à réaliser chez Mme [K] après suppression des causes des désordres, l'expert indique qu'il faudra procéder à :
l'enlèvement des revêtements, enduits muraux et en plafonds impactés par l'humidité ;
la réfection complète des enduits et plafonds ;
la réfection des peintures et revêtements ;
le remplacement des moquettes ;
la réfection de la peinture de la porte de garage, de la porte arrière au rez-de-chaussée et des fenêtres arrières ;
la réparation de la pilasse mitoyenne ;
le remplacement de la laine de verre au grenier.
L'ensemble de ces éléments caractérise un trouble manifestement illicite au sens de l'article 835 précité.
Si M. [F] soutient avoir réalisé les travaux préconisés par l'expert et si Mme [K] ne justifie pas de la persistance du trouble, il sera rappelé que la cour d'appel, statuant en référé, doit apprécier la réalité du trouble ou du risque allégué au jour où la décision querellée a été rendue et non au jour où la cour statue.
Dès lors, il convient de vérifier si, à la date de la décision déférée, l'injonction ordonnée se justifiait pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Or, en l'espèce, l'existence dudit trouble était amplement caractérisée à la date de l'ordonnance querellée et au surplus, Mme [K] justifie postérieurement à cette décision que l'humidité est toujours présente dans son habitation en produisant un procès-verbal de constat d'huissier de justice du 18 août 2023, tandis que M. [F] échoue à démontrer qu'il a réalisé l'intégralité des travaux préconisés par l'expert, le procès-verbal de constat d'huissier de justice du 22 mai 2023 et les deux seules factures qu'il produit étant insuffisants à cette fin.
Il résulte de ce qui précède qu'un trouble manifestement illicite est bien caractérisé et justifie l'injonction faite à M. [F] de faire réaliser les travaux préconisés par l'expert.
S'agissant de la demande reconventionnelle d'expertise en vue de procéder à la vérification des travaux d'étanchéité allégués, la persistance des désordres à son domicile est suffisamment démontrée par Mme [K], alors que M. [F] ne rapporte pas la preuve de l'exécution, dans les règles de l'art, de tous les travaux préconisés par l'expert ; une telle mesure ne saurait être ordonnée pour pallier la carence de l'appelant dans l'administration de la preuve ; en conséquence, M. [F] échoue à établir l'existence d'un motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile.
L'ancienneté et le caractère évolutif des désordres relevé par l'expert justifient d'assortir l'injonction d'une astreinte de 100 euros par jour de retard à l'expiration du délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt et ce, pendant une durée de trois mois.
Il convient par conséquent de réformer l'ordonnance querellée en ce qu'elle a condamné M. [F] à faire réaliser les travaux préconisés par l'expert dans son rapport du 16 novembre 2022 dans un délai de deux mois à compter de la signification de l'ordonnance sans l'assortir d'une astreinte, et de la confirmer en ce qu'elle a rejeté la demande reconventionnelle subsidiaire d'expertise.
M. [F] sera ainsi condamné à faire réaliser par des entreprises qualifiées, assurées pour leur responsabilité civile décennale et sous le contrôle d'un architecte DPLG, les travaux préconisés par l'expert en son rapport du 16 novembre 2022 et ce, dans un délai de 2 mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir. Cette condamnation sera assortie d'une astreinte de 100 euros par jour de retard à l'expiration de ce délai de deux mois à compter de la signification de l'arrêt et ce, pendant une durée de trois mois.
Sur la recevabilité de la demande reconventionnelle d'expertise relative aux végétaux
En vertu de l'article 70 du code de procédure civile, les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.
Sur ce,
M. [F] soutient que les végétaux de sa voisine empiètent sur la limite séparative de la propriété des deux fonds et qu'il existe un lien suffisant entre les prétentions originaires de Mme [K] et cette demande reconventionnelle d'expertise, au motif qu'il s'agit également d'un trouble manifestement illicite.
Si l'empiètement allégué est susceptible de caractériser un trouble manifestement illicite, aucun lien avec les prétentions originaires n'est suffisamment établi, dès lors que M. [F] ne démontre aucun lien de causalité entre la présence de végétaux et l'humidité affectant l'immeuble de sa voisine en raison des travaux réalisés chez lui.
Sur les demandes de provision au titre des travaux de reprise des désordres
Conformément à l'article 835 du code de procédure civile, le juge des référés peut accorder une provision au créancier lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable.
Il résulte des éléments analysés ci-dessus que l'existence de l'obligation ne peut être sérieusement discutée par M. [F], d'autant que celui-ci ne prétend pas que sa responsabilité ne serait pas engagée.
Dans ces conditions, Mme [K] peut valablement solliciter la condamnation de M. [F] à lui verser une provision au titre des préjudices manifestement subis.
Au titre des travaux de reprise des désordres
L'expert a chiffré le coût des travaux de remise en état de l'immeuble de Mme [K] à la somme de 21 000 euros. Si Mme [K] soutient que l'expert a omis de chiffrer la reprise des plâtres en plafonds du séjour et de la chambre, celui a néanmoins retenu le devis de l'entreprise Nourry du 17 janvier 2022 en indiquant dans son rapport que ce devis concerne notamment les travaux de reprise (« réparation, préparation et peinture ») des murs et plafonds de ces deux pièces.
Alors que ce devis n'est pas produit, il n'est pas démontré que la reprise des plâtres ait été omise du chiffrage de l'expert.
Dans ces conditions, il convient de condamner M. [F] à verser à Mme [K] une somme de 21 000 euros, à titre de provision à valoir sur l'indemnisation de son préjudice au titre des travaux de reprise des désordres dans son immeuble.
En revanche, la décision attaquée ne précisant pas le caractère provisionnel de la condamnation prononcée à l'encontre de M. [F] à ce titre, il convient de la réformer de ce chef.
Au titre du préjudice de jouissance
Il n'est pas sérieusement contestable que Mme [K] subit depuis le mois de février 2021 des désordres, dont l'expert a relevé le caractère évolutif.
Les désordres étant notamment localisés dans les pièces à vivre de son habitation, Mme [K] justifie de l'existence d'un préjudice de jouissance manifeste.
Cependant, il appartiendra au juge du fond d'apprécier plus amplement l'étendue de ce préjudice.
Il convient ainsi de condamner M. [F] à lui verser une somme de 3 000 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnisation de son préjudice de jouissance.
Au titre du préjudice moral
Mme [K] produit un certificat médical attestant qu'elle présente des difficultés respiratoires « à type de syndrome obstructif favorisé voire aggravé par un cadre de vie humide et malsain dans un contexte de stress comme en témoignent ses troubles du sommeil ».
Alors que les désordres sont apparus il y a plus de trois ans, qu'ils sont à l'origine pour Mme [K] d'un trouble de jouissance qui ne cessera qu'une fois les travaux de remise en état effectués après la suppression des causes par son voisin, et qu'elle justifie d'une aggravation de son état de santé en lien avec les désordres, son préjudice moral est manifeste et n'est pas sérieusement contestable.
Il convient ainsi de condamner M. [F] à lui verser la somme de 500 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnisation de ce préjudice.
Sur les dépens et les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile :
Le sens du présent arrêt conduit :
d'une part à confirmer l'ordonnance attaquée sur ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile,
et d'autre part, à laisser à M. [F] la charge des dépens exposés en cause d'appel et à le condamner à payer à Mme [K] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Confirme l'ordonnance rendue le 31 octobre 2023 par le juge des référés du tribunal judiciaire de Lille en toutes ses dispositions sauf en ce qu'elle a :
- condamné M. [P] [F] à faire réaliser, par des entreprises qualifiées, assurées pour leur responsabilité civile décennale et sous le contrôle d'un architecte DPLG, les travaux préconisés par l'expert dans son rapport du 16 novembre 2022, dans un délai de deux mois à compter de la signification de l'ordonnance ;
- condamné M. [P] [F] à payer à Mme [S] [K] la somme de 21 000 euros au titre du coût des travaux de reprise des désordres au sein de son immeuble ;
- débouté Mme [S] [K] de ses demandes de provision formulées pour l'indemnisation de ses préjudices ;
La réforme en ces seules dispositions ;
Prononçant à nouveau et y ajoutant,
Condamne M. [P] [F] à faire réaliser, par des entreprises qualifiées, assurées pour leur responsabilité civile décennale et sous le contrôle d'un architecte DPLG, les travaux préconisés par l'expert dans son rapport du 16 novembre 2022, dans un délai de deux mois à compter de la signification de l'arrêt ;
Dit que cette obligation sera assortie d'une astreinte de 100 euros par jour de retard à l'expiration dudit délai et ce, pendant une durée de trois mois ;
Condamne M. [P] [F] à verser à Mme [S] [K] la somme de 21 000 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnisation de son préjudice au titre du coût des travaux de reprise des désordres dans son immeuble ;
Condamne M. [P] [F] à verser à Mme [S] [K] la somme de 3 000 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnisation de son préjudice de jouissance ;
Condamne M. [P] [F] à verser à Mme [S] [K] la somme de 500 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnisation de son préjudice moral ;
Déboute les parties de leurs plus amples prétentions ;
Condamne M. [P] [F] aux dépens de la procédure d'appel ;
Condamne M. [P] [F] à payer à Mme [S] [K] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.