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Décisions

CA Colmar, 2e ch. A, 29 août 2024, n° 23/01221

COLMAR

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Saraceno Dominique (SARL), Travaux Publics 3 Frontières (SASU)

Défendeur :

Vogt (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Diepenbroek

Conseillers :

Mme Denort, Mme Hery

Avocats :

Me Harter, Me Renaud

CA Colmar n° 23/01221

28 août 2024

FAITS ET PROCEDURE

La SCI Vogt, en tant que maître d'ouvrage, a fait édifier un immeuble collectif comportant cinq logements sur un terrain lui appartenant [Adresse 4] à [Localité 5] (68).

Pour la réalisation de ce projet immobilier, la SCI Vogt a signé un contrat d'architecte avec la société DRLW Architectes le 19 janvier 2015.

Des marchés de travaux ont été notamment conclus avec :

la société Saraceno Dominique pour le lot «terrassement-gros 'uvre »,

la société Travaux Publics des 3 Frontières (dite TP3F) pour le lot «VRD-espaces verts».

Par actes d'huissier signi'és les 13 et 16 juillet 2018, la SCI Vogt a notamment attrait la société Saraceno Dominique et la société TP3F devant le juge des référés, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, aux fins de voir désigner un expert judiciaire, au motif que des désordres affectaient les travaux réalisés.

Par ordonnance 19 octobre 2018, M. [G] [X] a été désigné en qualité d'expert et a déposé son rapport le 24 juin 2021.

Par acte introductif d'instance du 22 novembre 2021, signifié par actes d'huissier notamment le 13 décembre 2021 à la société TP3F et le 14 décembre 2021 à la société Saraceno Dominique, la SCI Vogt a saisi le tribunal judiciaire de Mulhouse pour voir, notamment :

- prononcer avec réserves, au 11 mai 2018, la réception judiciaire des travaux confiés notamment aux sociétés TP3F et Saraceno Dominique ;

- condamner notamment les sociétés Saraceno Dominique et TP3F à assurer l'exécution de travaux de reprise et, à défaut, les condamner à lui verser des dommages-intérêts.

Par requête du 27 avril 2022, les sociétés Saraceno et TP3F ont saisi le juge de la mise en état d'une demande incidente tendant à voir constater la nullité de l'acte introductif d'instance qui leur a été signifié les 13 et 14 décembre 2021.

Par ordonnance du 9 mars 2023, le juge de la mise en état a notamment :

rejeté la fin de non-recevoir tirée de la forclusion soulevée par la SAS TP3F et la SARL Saraceno ;

condamné la SAS TP3F à payer à la SCI Vogt la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné la SARL « Saraceno » à payer à la SCI Vogt la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné la SAS TP3F et la SARL « Saraceno » aux dépens de l'incident l'opposant à la SCI Vogt.

S'agissant de la nullité de l'acte introductif d'instance, le juge, a rappelé qu'au sens des dispositions de l'article 114 du code de procédure civile, pour que la nullité soit encourue, le défaut de motivation en droit devait faire grief à la partie qui s'en prévalait, le plaideur invoquant un grief devant démontrer que l'irrégularité invoquée perturbait sérieusement le déroulement du procès et que la défense se retrouvait désorganisée pour faire valoir utilement ses droits ou dans l'impossibilité de le faire.

Il a relevé que si l'acte introductif d'instance signifié aux sociétés Saraceno Dominique et TP3F ne contenait aucun visa juridique dans son dispositif, la SCI Vogt exposait, en pages 7 et 8 de son acte introductif, les fondements juridiques de ses demandes en visant la garantie décennale et la responsabilité contractuelle, et, développait les moyens en droit et en fait au soutien de ses prétentions.

Il a ajouté que les sociétés défenderesses se prévalaient d'une fin de non-recevoir tirée de la forclusion, de sorte qu'elles ne pouvaient sérieusement alléguer l'existence d'un grief.

Il a rejeté l'exception de nullité dans sa motivation.

Sur la fin de non-recevoir, tirée de la forclusion, après avoir rappelé les dispositions des alinéas 1 et 2 de l'article 1792-6 du code civil, le juge a fait état de ce qu'aux termes de son acte introductif d'instance, la SCI Vogt sollicitait le prononcé de la réception de l'ouvrage au 11 mai 2018 avec réserves, les sociétés TP3F et Saraceno Dominique confirmant qu'aucune réception de l'ouvrage n'était intervenue et contestant la date de réception proposée par la demanderesse.

Il en a déduit qu'en l'absence de réception de l'ouvrage, les garanties légales n'avaient pas encore pris effet et le délai de mise en 'uvre de la garantie de parfait achèvement n'avait pas commencé à courir.

Il a souligné que la garantie de parfait achèvement coexistait avec la responsabilité de droit commun, laquelle trouvait à s'appliquer avant la réception ou en l'absence de réception d'ouvrage.

En conséquence, il a rejeté la fin de non-recevoir.

Les sociétés Saraceno Dominique et TP3F ont formé appel à l'encontre de cette ordonnance par voie électronique le 22 mars 2023.

Selon ordonnance du 16 mai 2023, la présidente de la chambre, en application de l'article 905 du code de procédure civile, a fixé d'office l'affaire à l'audience du 14 décembre 2023 laquelle a été renvoyée à l'audience du 26 janvier 2024.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de leurs conclusions transmises par voie électronique le 15 juin 2023, les sociétés appelantes demandent à la cour de :

infirmer l'ordonnance du 9 mars 2023 ;

en conséquence,

prononcer la nullité de l'acte introductif d'instance de la SCI Vogt ;

en tout état de cause,

constater la forclusion des demandes formées par la SCI Vogt ;

débouter la SCI Vogt de l'ensemble de ses demandes ;

en tout état de cause,

condamner la SCI Vogt à leur payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner la SCI Vogt aux entiers frais et dépens.

Sur la nullité de l'acte introductif d'instance, les appelantes soutiennent que ce dernier ne respecte pas les dispositions de l'article 56 du code de procédure civile puisse qu'il ne fait apparaître aucun moyen en droit ni de fondement juridique pour justifier des prétentions de la SCI Vogt.

Elles soulignent que cette dernière y vise de manière indifférenciée la garantie décennale de l'article 1792 du code civil et la responsabilité contractuelle de l'article 1231 du même code mais ne précise pas sur quel fondement elle entend obtenir leur condamnation.

Elles ajoutent qu'il était nécessaire qu'elle soulève la forclusion pour ne pas risquer une quelconque irrecevabilité de ce moyen de défense par la suite.

Sur cette forclusion, les appelantes indiquent que la SCI Vogt sollicite une réception judiciaire avec effet rétroactif et si les effets de la réception sont rétroactifs, le point de départ de la garantie de parfait achèvement l'est également, de sorte que la SCI Vogt est forclose à agir sur le fondement de la garantie de parfait achèvement. Elle précise qu'à supposer même que la réception ait eu lieu le 11 mai 2018, la SCI aurait dû saisir le juge avant le 11 mai 2019 ; l'assignation en référé de la SCI Vogt ayant été signifiée le 16 juillet 2018 et l'ordonnance de référé ayant été rendue le 19 octobre 2018, la SCI avait jusqu'au 19 octobre 2019 pour engager une action sur le fondement de la garantie de parfait achèvement ; l'action au fond de la SCI ayant été signifiée le 14 décembre 2021, la garantie de parfait achèvement n'est plus mobilisable.

Elles ajoutent que le juge de la mise en état a commis une erreur de droit en estimant que la responsabilité contractuelle continuait à s'appliquer en l'absence de réception ou avant la réception de l'ouvrage mais semble avoir validé leur raisonnement selon lequel si une réception était sollicitée à titre rétroactif, la responsabilité contractuelle ne pouvait plus être mobilisée en l'absence de mise en 'uvre de la garantie de parfait achèvement.

Aux termes de ses conclusions transmises par voie électronique le 7 juillet 2023, la SCI Vogt demande à la cour de :

déclarer l'appel recevable et mal fondé ;

confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

débouter les appelants de leurs fins et prétentions ;

condamner les appelantes à lui verser un montant de 1000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner les appelantes aux entiers frais et dépens de la procédure d'appel.

Sur la nullité de l'acte introductif d'instance, la SCI Vogt indique que c'est à bon droit que le juge de la mise en état a constaté que le fondement juridique de ses demandes résultait des pages 7 et 8 de son assignation, les articles 1792 et suivants du code civil ainsi que les articles 1146 et suivants devenus 1231 et suivants du même code y étant mentionnés de même que de nombreuses références de jurisprudence.

Elle considère qu'elle a exposé ses moyens en fait comme en droit dans l'acte introductif d'instance.

Elle ajoute que le prononcé de la réception judiciaire est implicitement mais nécessairement admis dans les débats concernant la forclusion prétendument encourue puisque si les appelantes estimaient que la demande de réception judiciaire devait être rejetée, la question des conséquences du défaut de recours à la garantie de parfait achèvement ne pourrait pas se poser.

Elle fait valoir qu'il est tout à fait normal qu'elle se prévale de l'application de la responsabilité contractuelle pour les désordres apparents à la réception lesquels, à ce titre, devront être réservés dans le cas du prononcé de la réception judiciaire conformément aux demandes qu'elle a formées dans l'acte introductif d'instance.

Elle souligne que les appelantes ne justifient pas de l'existence d'un grief.

Sur la fin de non-recevoir, la SCI Vogt soutient que, quel que soit le sort réservé à la demande de réception judiciaire, son action n'est pas éteinte par la forclusion soit parce que cette action est fondée sur la responsabilité contractuelle de droit commun (laquelle serait applicable en cas de rejet de la demande de réception judiciaire ou pour les vices réservés lors du prononcé de la réception judiciaire) soit parce qu'elle serait fondée sur la garantie décennale (pour les vices invoqués non réservés lors du prononcé de la réception).

En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément, pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties aux conclusions transmises aux dates susvisées.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'exception de nullité de l'acte introductif d'instance du 22 novembre 2021 signifié aux sociétés Saraceno Dominique et TP3F

Les appelantes soutiennent que cet acte doit être déclaré nul au motif qu'il ne respecte pas l'article 56 du code de procédure civile puisqu'il ne fait apparaître aucun moyen en droit ni de fondement juridique au soutien des prétentions de la SCI Vogt.

Cet article impose effectivement, à peine de nullité, que l'assignation contienne un exposé des moyens en droit, l'article 114 du même code imposant à celui qui se prévaut de cette nullité de prouver le grief que lui cause l'irrégularité.

C'est avec pertinence que l'ordonnance entreprise a retenu que la nullité n'était pas encourue dès lors que l'acte en cause précisait les fondements juridiques de la demande en invoquant la garantie décennale et la responsabilité contractuelle et développait donc des moyens en droit au soutien des prétentions, les sociétés Saraceno Dominique et TP3F ne subissant, de surcroît, aucun grief puisqu'elles avaient été en mesure d'opposer la forclusion aux demandes de la SCI Vogt.

Le juge de la mise en état a, cependant, omis de statuer sur la nullité soulevée aux termes du dispositif de son ordonnance.

Il y a donc lieu d'y ajouter et de rejeter l'exception de nullité.

Sur la fin de non-recevoir tirée de la forclusion

Il y a lieu de confirmer l'ordonnance entreprise de ce chef, étant souligné qu'à défaut de réception de l'ouvrage, la garantie de parfait achèvement visée par l'article 1792-6 n'a pas encore commencé à courir et qu'en tout état de cause, quelle que soit la décision à intervenir sur la réception judiciaire, la SCI Vogt pourrait agir sur le fondement de la responsabilité contractuelle comme l'a exactement retenu le juge de la mise en état.

Sur les dépens et les frais de procédure non compris dans les dépens

L'ordonnance entreprise est confirmée de ces chefs, la dénomination sociale complète de la société Saraceno étant « Saraceno Dominique », ce qui doit être rectifié dans le dispositif de l'ordonnance entreprise.

A hauteur d'appel, les sociétés Saraceno Dominique et TP3F sont condamnées aux dépens ainsi qu'à payer à la SCI Vogt la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais de procédure non compris dans les dépens exposés à hauteur d'appel ; elles sont déboutées de leur demande d'indemnité sollicitée sur le fondement de ce même article.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant, publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré :

CONFIRME dans les limites de l'appel, l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Mulhouse du 9 mars 2023, la dénomination exacte de la SARL Saraceno étant « Saraceno Dominique » ;

Y ajoutant :

REJETTE l'exception de nullité de l'acte introductif d'instance du 22 novembre 2021 signifié à la SARL Saraceno Dominique et à la SAS TP3F ;

CONDAMNE la SARL Saraceno Dominique et la SAS TP3F aux dépens de la procédure d'appel ;

CONDAMNE la SARL Saraceno Dominique et la SAS TP3F à payer à la SCI Vogt la somme de 1 000 (mille) euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais de procédure non compris dans les dépens exposés à hauteur d'appel ;

DEBOUTE la SARL Saraceno Dominique et la SAS TP3F de leur demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour leurs frais de procédure non compris dans les dépens exposés à hauteur d'appel.