TUE, 1re ch., 4 septembre 2024, n° T-59/22
TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Conserve Italia – Consorzio Italiano fra cooperative agricole Soc. coop. agr., Conserves France
Défendeur :
Commission européenne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Spielmann
Juges :
M. Tóth, M. Kalėda
Avocats :
Me Di Via, Me Petite, Me Tresoldi, Me Belli
LE TRIBUNAL (première chambre),
1 Par leur recours fondé sur l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, les requérantes, Conserve Italia – Consorzio Italiano fra cooperative agricole Soc. coop. agr. (ci-après « Conserve Italia ») et Conserves France, demandent l’annulation partielle de la décision C(2021) 8259 final de la Commission, du 19 novembre 2021, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT.40127 – Légumes en conserve) (ci-après la « décision attaquée »), et la réduction du montant de l’amende infligée à l’article 2 de cette décision.
Antécédents du litige
2 Conserve Italia et sa filiale Conserves France, détenue à 99,77 %, opèrent dans le secteur de la transformation alimentaire.
3 Le 17 octobre 2013, Conserve Italia a, à la suite d’autres entreprises, demandé à la Commission européenne à bénéficier d’une immunité d’amende ou, à titre subsidiaire, d’une réduction d’amende (ci-après la « demande de clémence »), en vertu de la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2006, C 298, p. 17).
4 Le 17 février 2017, la Commission a ouvert une procédure au titre de l’article 11, paragraphe 6, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), et de l’article 2, paragraphe 1, du règlement (CE) no 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles [101] et [102 TFUE] (JO 2004, L 123, p. 18), à l’encontre des requérantes et d’autres entreprises et a entamé une discussion avec ces dernières pour parvenir à une transaction.
5 Le 7 mai 2019, les requérantes ont informé la Commission de leur intention de ne pas présenter de demande formelle de transaction.
6 Le 5 octobre 2020, la Commission a, à l’issue de l’enquête, envoyé aux requérantes une communication des griefs. Le 1er mars 2021, les requérantes ont transmis des observations à la Commission sur les griefs retenus à leur encontre. Dans le cadre de l’audition qui s’est tenue devant la Commission le 4 mai 2021, les requérantes ont fourni des éléments de preuve supplémentaires concernant la qualité d’association d’entreprises de Conserve Italia.
7 Par la décision attaquée, la Commission a constaté que les requérantes avaient pris part à une infraction unique à l’article 101, paragraphe 1, TFUE et à l’article 53, paragraphe 1, de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE), ayant consisté, du 15 mars 2000 au 1er octobre 2013, en une coordination des prix, un partage des marchés et un échange d’informations sensibles concernant les ventes de certains types de légumes en conserve aux distributeurs ou au secteur de la restauration hors domicile dans l’EEE. La Commission a identifié trois accords distincts, dont deux auxquels les requérantes avaient participé, ces derniers ayant porté, respectivement, sur les ventes de légumes en conserve tels que les haricots verts, les petits pois et les mélanges petits pois et carottes (ci-après l’« accord 4P/4P ») ainsi que sur les ventes de maïs en conserve (ci-après l’« accord maïs »).
8 L’accord 4P/4P et l’accord maïs consistaient en une fixation des prix de vente, une coordination de la politique et de la structure des prix de vente, une répartition des quotas de volume et des parts de marché, une répartition des clients et des marchés, une coordination des appels d’offres et des propositions de prix à soumettre aux détaillants ou aux clients du secteur de la restauration hors domicile, une coordination d’autres conditions de vente et de remises, y compris la stratégie marketing et la politique promotionnelle, ainsi que la communication et l’échange d’informations sensibles sur le plan commercial entre les parties.
9 En conséquence, la Commission a infligé de manière solidaire aux requérantes une amende d’un montant de 20 000 000 euros en application de l’article 23, paragraphes 2 et 3, du règlement no 1/2003 et des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2, ci-après les « lignes directrices pour le calcul des amendes »).
Conclusions des parties
10 Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée en ce qui concerne la détermination du montant de l’amende ;
– réduire le montant de l’amende et accorder toute mesure que le Tribunal jugera appropriée ;
– condamner la Commission aux dépens.
11 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner les requérantes aux dépens.
En droit
Observations liminaires
12 À titre liminaire, il convient de rappeler que le système de contrôle juridictionnel des décisions de la Commission relatives aux procédures d’application des articles 101 et 102 TFUE consiste en un contrôle de la légalité des actes des institutions établi à l’article 263 TFUE, lequel peut être complété, en application de l’article 261 TFUE et sur demande des parties requérantes, par l’exercice par le Tribunal d’une compétence de pleine juridiction en ce qui concerne les sanctions infligées en ce domaine par la Commission (voir arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission, C-603/13 P, EU:C:2016:38, point 71 et jurisprudence citée).
13 Par leur recours, les requérantes concluent, d’une part, à l’annulation partielle de la décision attaquée en ce qui concerne la détermination du montant de l’amende et, d’autre part, à la réduction du montant de l’amende qui leur a été infligée.
Sur les conclusions tendant à l’annulation partielle de la décision attaquée
14 S’agissant de la portée du contrôle de légalité d’une décision infligeant une amende, il convient de relever qu’il appartient au juge de l’Union européenne d’effectuer le contrôle de légalité qui lui incombe sur la base des éléments apportés par la partie requérante au soutien des moyens invoqués. Lors de ce contrôle, le juge ne saurait s’appuyer sur la marge d’appréciation dont dispose la Commission ni en ce qui concerne le choix des éléments pris en considération lors de l’application des critères mentionnés dans les lignes directrices pour le calcul des amendes ni en ce qui concerne l’évaluation de ces éléments pour renoncer à exercer un contrôle approfondi tant de droit que de fait (arrêt du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission, C‑386/10 P, EU:C:2011:815, point 62).
15 Il convient également de rappeler que les juridictions de l’Union ne peuvent, dans le cadre du contrôle de légalité visé à l’article 263 TFUE, substituer leur propre motivation à celle de l’auteur de l’acte en cause (voir, en ce sens, arrêt du 24 janvier 2013, Frucona Košice/Commission, C‑73/11 P, EU:C:2013:32, point 89 et jurisprudence citée).
16 Le raisonnement de la Commission concernant le montant de l’amende infligée aux requérantes figure aux considérants 577 à 683 de la décision attaquée.
17 La Commission a fixé le montant de l’amende infligée aux requérantes en application de l’article 23, paragraphes 2 et 3, du règlement no 1/2003 et des points pertinents des lignes directrices pour le calcul des amendes.
18 Premièrement, s’agissant du montant de base de l’amende, la Commission a déterminé la valeur des ventes enregistrées par Conserve Italia dans l’ensemble de l’EEE pour les exercices sociaux s’étendant du 1er juillet 2000 au 30 juin 2013 par rapport aux produits pour lesquels elle avait participé à l’infraction (considérants 579 à 588 de la décision attaquée). Deuxièmement, en ce qui concerne la gravité de l’infraction, la Commission a pris en compte un facteur de gravité de 18 % (considérant 594 de la décision attaquée). Troisièmement, en ce qui concerne la durée de l’infraction, la Commission l’a calculée sur la base des périodes durant lesquelles Conserve Italia avait participé à celle-ci, à savoir du 15 mars 2000 au 1er octobre 2013 pour l’accord 4P/4P et du 20 octobre 2000 au 1er octobre 2013 pour l’accord maïs (considérant 595 de la décision attaquée). Quatrièmement, la Commission a appliqué un montant additionnel de 18 % de la valeur des ventes au titre de la dissuasion (considérant 599 de la décision attaquée).
19 La Commission a ainsi fixé le montant de base de l’amende des requérantes à 102 013 000 euros (considérant 603 de la décision attaquée).
20 S’agissant des ajustements au montant de base, premièrement, la Commission n’a pas retenu de circonstance aggravante (considérant 605 de la décision attaquée). En revanche, elle a retenu comme circonstances atténuantes le rôle plus limité de Conserve Italia dans l’infraction et les modalités de participation de celle-ci différentes de celles des autres parties. En conséquence, la Commission a réduit le montant de base de l’amende de 20 % (considérants 606 à 621 de la décision attaquée).
21 Deuxièmement, la Commission a réduit le montant de l’amende afin que celui-ci n’excède pas le plafond de 10 %, prévu à l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, du chiffre d’affaires consolidé total de Conserve Italia réalisé au cours de l’exercice social précédant la date de la décision attaquée (considérants 622 à 663 de ladite décision).
22 Troisièmement, la Commission a appliqué deux autres réductions du montant de l’amende, à savoir, d’une part, une réduction de 50 % afin de tenir compte de la contribution de Conserve Italia dans le cadre de sa demande de clémence (considérants 664 à 669 de la décision attaquée) et, d’autre part, une réduction d’environ 49,83 % pour défaut de capacité contributive, en application du point 35 des lignes directrices pour le calcul des amendes (considérants 670 à 682 de la décision attaquée).
23 En conséquence, la Commission a décidé d’infliger aux requérantes une amende de 20 000 000 d’euros.
24 Au soutien de leur demande visant à l’annulation de la décision attaquée en tant qu’elle fixe le montant de l’amende à 20 000 000 d’euros, les requérantes invoquent deux moyens. Le premier moyen est tiré d’une violation de l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 et du point 33 des lignes directrices pour le calcul des amendes, en ce qui concerne la détermination du chiffre d’affaires pris en compte pour calculer le plafond de l’amende. Le second moyen est pris de violations de l’article 101 TFUE et de l’article 23, paragraphe 3, du règlement no 1/2003 ainsi que des points 14, 19, 20, 22, 24 et 25 des lignes directrices pour le calcul des amendes, en ce qui concerne la détermination du montant de base de l’amende.
Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 et du point 33 des lignes directrices pour le calcul des amendes
25 Dans le cadre du premier moyen, les requérantes reprochent à la Commission d’avoir fixé le plafond du montant de l’amende en tenant compte du chiffre d’affaires consolidé total réalisé par Conserve Italia au cours de l’exercice social précédant la date de la décision attaquée, en application de l’article 23, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 1/2003. Selon les requérantes, la Commission aurait dû calculer ce plafond en tenant compte du chiffre d’affaires réalisé sur la même période par les seules exploitations agricoles ayant remis les produits agricoles visés dans la décision attaquée, en application de l’article 23, paragraphe 2, troisième alinéa, dudit règlement. À cet égard, la Commission aurait erronément qualifié Conserve Italia d’entreprise, et non d’association d’entreprises, dans la décision attaquée et aurait corrélativement, à tort, refusé d’appliquer les dispositions relatives à la détermination du plafond d’amende applicables aux associations d’entreprises.
26 La Commission conteste les arguments des requérantes.
27 Aux termes de l’article 23, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 1/2003, pour chaque entreprise et association d’entreprises participant à l’infraction, l’amende n’excède pas 10 % de son chiffre d’affaires total réalisé au cours de l’exercice social précédent.
28 L’article 23, paragraphe 2, troisième alinéa du règlement no 1/2003, dont le point 33 des lignes directrices pour le calcul des amendes reprend le libellé, prévoit que, lorsque l’infraction d’une association d’entreprises porte sur les activités de ses membres, l’amende ne peut dépasser 10 % de la somme du chiffre d’affaires total réalisé par chaque membre actif sur le marché affecté par l’infraction de l’association.
29 Il convient de rappeler que, dans le contexte du droit de la concurrence, la notion d’« entreprise » comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement (voir arrêt du 19 février 2002, Wouters e.a., C‑309/99, EU:C:2002:98, point 46 et jurisprudence citée ; arrêt du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, point 112).
30 À cet égard, constitue une activité économique toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné (arrêts du 16 juin 1987, Commission/Italie, 118/85, EU:C:1987:283, point 7, et du 1er juillet 2008, MOTOE, C‑49/07, EU:C:2008:376, point 22).
31 En l’espèce, ainsi qu’il ressort des considérants 34 et suivants de la décision attaquée, l’infraction en cause est relative à la vente de certains types de légumes en conserve aux distributeurs et au secteur de la restauration hors domicile. En outre, ainsi qu’il ressort, notamment, des considérants 6 et 623 de la décision attaquée, Conserve Italia est, comme le reconnaissent les requérantes, principalement active dans la production et la vente de boissons à base de fruits et de conserves de fruits et de légumes.
32 Il résulte de ces considérations que Conserve Italia exerce une activité économique consistant à offrir des produits, notamment sur le marché des légumes en conserve. Dès lors, la Commission a considéré, à bon droit, que Conserve Italia était une entreprise au sens de l’article 23, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 1/2003.
33 Cette conclusion n’est remise en cause ni par les arguments des requérantes tendant à démontrer que Conserve Italia, au motif qu’elle était une association d’entreprises, ne pouvait être considérée comme une entreprise, ni par leurs arguments tirés des prétendues particularités du fonctionnement de Conserve Italia.
34 En effet, d’une part, il résulte d’une jurisprudence constante qu’une même entité peut être à la fois qualifiée d’entreprise et d’association d’entreprises (voir, en ce sens, arrêts du 2 juillet 1992, Dansk Pelsdyravlerforening/Commission, T‑61/89, EU:T:1992:79, point 50, et du 14 mai 1998, Finnboard/Commission, T‑338/94, EU:T:1998:99, point 271).
35 À cet égard, la Commission, au considérant 647 de la décision attaquée, a relevé, à juste titre, que, même si Conserve Italia pouvait également être considérée comme une association d’entreprises au sens de l’article 101 TFUE, dans la mesure où ses membres étaient des entreprises ou des associations d’entreprises, ce fait n’avait cependant aucune incidence sur sa qualification d’entreprise.
36 Il s’ensuit que les arguments des requérantes visant à établir que Conserve Italia est une association d’entreprises doivent être écartés comme inopérants.
37 D’autre part, dans la mesure où les requérantes soulignent la structure mutualiste de Conserve Italia, il y a lieu de rappeler que l’exercice d’une activité économique par une société coopérative ne saurait, par principe, être soustrait à l’application des règles du droit de la concurrence de l’Union et que les conditions d’applicabilité de ces règles au secteur coopératif ne sont pas différentes de celles des autres formes d’organisation de l’activité économique (voir, en ce sens, arrêts du 16 novembre 1995, Fédération française des sociétés d’assurance e.a., C‑244/94, EU:C:1995:392, point 20, et du 2 juillet 1992, Dansk Pelsdyravlerforening/Commission, T‑61/89, EU:T:1992:79, point 52).
38 Il s’ensuit qu’une entité économique organisée selon les principes coopératifs, telle que Conserve Italia, peut être qualifiée d’entreprise, indépendamment de son caractère mutualiste.
39 En outre, la circonstance selon laquelle, compte tenu de la nature mutualiste de son activité, Conserve Italia n’aurait pas tiré avantage de l’infraction qu’elle a commise, mais cette dernière aurait seulement profité aux exploitations agricoles en cause est, à la supposer avérée, dénuée de pertinence. En effet, cette circonstance est sans influence sur le fait que Conserve Italia a exercé une activité économique sur le marché affecté par l’infraction et qu’elle a commis ladite infraction.
40 Par ailleurs, la circonstance, à la supposer avérée, selon laquelle Conserve Italia exerce son activité au seul bénéfice de ses membres est dénuée de pertinence. En effet, la qualification d’entreprise en raison de l’exercice d’une activité de nature économique n’est pas subordonnée à la poursuite d’un but lucratif (arrêt du 16 novembre 1995, Fédération française des sociétés d’assurance e.a., C‑244/94, EU:C:1995:392, point 21).
41 Quant à l’allégation des requérantes selon laquelle Conserve Italia serait dépourvue d’autonomie décisionnelle et ne constituerait qu’une simple structure de coordination par laquelle les exploitations agricoles, par l’intermédiaire des associés coopérateurs de Conserve Italia, mettent en œuvre leur propre stratégie commerciale définie de manière autonome, force est de constater qu’elle est contredite par d’autres allégations des requérantes dans leurs écritures. En effet, les requérantes soulignent, d’une part, l’absence d’intégration entre les exploitations agricoles et Conserve Italia et, d’autre part, le rôle porteur et central des exploitations agricoles dans la structure interne de Conserve Italia.
42 De plus, les allégations des requérantes selon lesquelles, en premier lieu, les décisions concernant la stratégie sur le marché des légumes en conserve seraient prises de manière autonome par les exploitations agricoles, et non pas par Conserve Italia, et, en second lieu, les règlements de Conserve Italia garantissent le rapport décentralisé entre les exploitations agricoles et Conserve Italia ne sont pas confirmées par des éléments factuels se rapportant à l’organisation et à l’activité de cette entreprise.
43 En effet, il n’est pas contesté que Conserve Italia transforme des fruits et des légumes frais que lui fournissent les exploitations agricoles, au nombre d’environ 14 000, membres de ses 34 associés coopérateurs, dans une usine lui appartenant et gérée par elle, et qu’elle vend les produits transformés à ses clients.
44 En outre, il ressort du règlement horticole adopté par Conserve Italia le 26 octobre 2018 invoqué par les requérantes, qui régit la relation entre Conserve Italia et ses associés, que c’est Conserve Italia, et non les exploitations agricoles, qui définit la stratégie commerciale de l’entreprise concernée sur le marché des légumes en conserve. En effet, l’article 1er du règlement horticole prévoit que le conseil d’administration de Conserve Italia définit les programmes de commercialisation, les quantités et les types de matières premières nécessaires. L’article 6 dudit règlement oblige les membres de Conserve Italia à utiliser uniquement les semis qu’elle leur fournit. Ces éléments infirment l’argument des requérantes selon lequel Conserve Italia est dépourvue d’autonomie et constitue un simple instrument des exploitations agricoles.
45 Par ailleurs, s’agissant des allégations des requérantes selon lesquelles, en premier lieu, en droit italien, les légumes frais apportés à Conserve Italia resteraient la propriété des exploitations agricoles jusqu’à ce qu’ils soient transformés et les légumes en conserve jusqu’à ce qu’ils soient vendus à des tiers sur le marché et, en second lieu, Conserve Italia établirait les prix de vente des légumes en conserve dans l’intérêt des exploitations agricoles et avec leur participation, il convient de relever que, même à les supposer avérées, elles ne sont pas susceptibles d’infirmer le fait que Conserve Italia exerce une activité économique sur le marché des légumes en conserve.
46 Or, dès lors que les requérantes n’ont pas remis en cause la conclusion de la Commission selon laquelle Conserve Italia exerce une activité économique et doit de ce fait être qualifiée d’entreprise, c’est à bon droit que la Commission a déterminé le plafond de l’amende en application de l’article 23, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 1/2003.
47 En tout état de cause, contrairement à ce que prétendent les requérantes, le plafond de l’amende n’aurait pas pu valablement être calculé en application de l’article 23, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement no 1/2003.
48 À cet égard, il convient de rappeler que l’article 23, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement no 1/2003 codifie, en substance, une jurisprudence constante de la Cour et du Tribunal permettant, dans certaines hypothèses précises, la prise en compte du chiffre d’affaires réalisé par les entreprises membres de l’association, lorsque le chiffre d’affaires de cette dernière ne révèle ni sa taille ni sa puissance économique, et ce afin d’éviter que l’effet dissuasif des amendes infligées en matière d’infractions aux règles de concurrence communautaires ne puisse être compromis (voir, en ce sens, arrêts du 18 décembre 2008, Coop de France bétail et viande e.a./Commission, C‑101/07 P et C‑110/07 P, EU:C:2008:741, points 96 et 98 ; du 18 janvier 2024, Lietuvos notarų rūmai e.a., C‑128/21, EU:C:2024:49, points 123 à 125, et du 14 mai 1998, Finnboard/Commission, T‑338/94, EU:T:1998:99, point 270).
49 Or, il y a lieu de relever que les conditions d’application de cette disposition ne sont pas réunies en l’espèce.
50 En effet, il est constant que l’entente litigieuse concernait le marché des légumes en conserve. Or, ainsi que l’a relevé la Commission aux considérants 8 et 656 de la décision attaquée, les exploitations agricoles qui sont membres des 34 coopératives elles-mêmes membres de Conserve Italia cultivent les légumes frais utilisés par Conserve Italia pour produire des conserves de légumes. Lesdites exploitations agricoles n’agissent donc pas sur le marché concerné par l’infraction, à savoir le marché des légumes en conserve, mais sur le marché en amont, à savoir celui de la vente de légumes frais. Il s’ensuit qu’il ne pouvait pas être considéré que l’infraction portait sur les activités des membres de Conserve Italia ni que lesdits membres étaient actifs sur le marché affecté par l’infraction, au sens de l’article 23, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement no 1/2003.
51 Au surplus, l’application de l’article 23, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement no 1/2003 dans les circonstances de l’espèce se heurterait à la ratio legis de cette disposition. En effet, eu égard à la jurisprudence citée au point 48 ci-dessus, dès lors que Conserve Italia exerce une activité économique distincte de celle de ses membres et dispose de son propre chiffre d’affaires qui reflète de manière adéquate sa taille et sa puissance économique, il n’est ni nécessaire ni opportun de recourir aux chiffres d’affaires cumulés de ses membres afin de déterminer une sanction qui soit dissuasive.
52 Partant, le premier moyen doit être écarté.
Sur le second moyen, tiré de violations de l’article 101 TFUE et de l’article 23, paragraphe 3, du règlement no 1/2003 ainsi que des points 14, 19, 20, 22, 24 et 25 des lignes directrices pour le calcul des amendes, concernant la détermination du montant de base
53 Par leur second moyen, qui s’articule en quatre branches, les requérantes contestent la détermination du montant de base de l’amende en ce qui concerne, premièrement, la valeur des ventes retenue, deuxièmement, la prise en compte de la gravité de l’infraction, troisièmement, la prise en compte de la durée de celle-ci et, quatrièmement, l’application d’un montant additionnel au titre de la dissuasion.
54 À ce titre, les requérantes invoquent les violations de l’article 101 TFUE, de l’article 23, paragraphe 3, du règlement no 1/2003 et des points 14, 19, 20, 22, 24 et 25 des lignes directrices pour le calcul des amendes.
– Sur la première branche du second moyen, relative à la détermination de la valeur des ventes
55 Les requérantes reprochent à la Commission d’avoir commis deux erreurs dans la détermination de la valeur des ventes, aux fins du calcul du montant de l’amende. En premier lieu, d’une part, la Commission aurait retenu à tort la valeur des ventes réalisées par Conserve Italia dans l’ensemble du territoire de l’EEE, alors qu’elle aurait dû ne prendre en compte que la valeur des ventes réalisées dans les États membres dans lesquels l’accord 4P/4P et l’accord maïs avaient été mis en œuvre. D’autre part, la Commission aurait, à tort, inclus dans l’étendue géographique de l’infraction les États membres dans lesquels Conserve Italia n’exerçait pas d’activité économique. En second lieu, la Commission aurait, à tort, pris en considération la valeur des ventes réalisées par Conserve Italia, au lieu de celle des ventes réalisées par les exploitations agricoles ayant apporté les produits visés par l’entente.
56 La Commission conteste les arguments des requérantes.
57 Aux termes du point 13 des lignes directrices pour le calcul des amendes, « [e]n vue de déterminer le montant de base de l’amende à infliger, la Commission utilisera la valeur des ventes de biens ou services, réalisées par l’entreprise, en relation directe ou indirecte [...] avec l’infraction, dans le secteur géographique concerné à l’intérieur du territoire de l’EEE ».
58 Le point 13 des lignes directrices pour le calcul des amendes a pour objectif de retenir comme point de départ pour le calcul de l’amende infligée à une entreprise un montant qui reflète l’importance économique de l’infraction et le poids de cette entreprise dans celle-ci (arrêt du 11 juillet 2013, Team Relocations e.a./Commission, C‑444/11 P, non publié, EU:C:2013:464, point 76).
59 En conséquence, la notion de « valeur des ventes » visée au point 13 des lignes directrices pour le calcul des amendes englobe les ventes réalisées sur le marché concerné par l’infraction dans l’EEE, sans qu’il importe de déterminer si ces ventes ont été réellement affectées par cette infraction, la partie du chiffre d’affaires provenant de la vente des produits faisant l’objet de l’infraction étant la mieux à même de refléter l’importance économique de cette infraction (voir arrêt du 9 juillet 2015, InnoLux/Commission, C‑231/14 P, EU:C:2015:451, point 51 et jurisprudence citée).
60 À cet égard, la zone géographique pertinente pour calculer la valeur des ventes est déterminée par les comportements relevant de l’entente et par son fonctionnement (arrêt du 12 juillet 2019, Toshiba Samsung Storage Technology et Toshiba Samsung Storage Technology Korea/Commission, T‑8/16, EU:T:2019:522, point 198).
61 En l’espèce, au considérant 584 de la décision attaquée, la Commission a considéré que le secteur géographique concerné par l’infraction était l’ensemble de l’EEE, de sorte que, en application du point 13 des lignes directrices pour le calcul des amendes, le montant de base de l’amende devait être déterminé en tenant compte de la valeur des ventes réalisées par Conserve Italia dans l’EEE par rapport aux produits pour lesquels elle avait participé à l’infraction.
62 En premier lieu, s’agissant de l’argument selon lequel la Commission aurait dû ne prendre en compte que la valeur des ventes dans les États membres dans lesquels l’entente avait été mise en œuvre, la Commission a relevé, aux considérants 35 et 37 de la décision attaquée, non contestés par les requérantes, que l’accord 4P/4P avait été mis en œuvre en Belgique, en Allemagne, en France et aux Pays-Bas et l’accord maïs en Belgique, en Allemagne, au Danemark, en Irlande, en Espagne, en France, en Italie, au Luxembourg, aux Pays-Bas, en Autriche, au Portugal, en Finlande, en Suède, au Royaume-Uni et en Norvège.
63 Toutefois, au considérant 49 de la décision attaquée, la Commission a considéré que l’étendue géographique de l’infraction à laquelle les requérantes avaient participé couvrait l’ensemble de l’EEE. En effet, aux considérants 49, 56 et 59 de la décision attaquée, elle a relevé qu’il existait entre les parties à l’accord 4P/4P et à l’accord maïs, même en dehors du champ d’application territorial de ces accords, une politique générale de non-agression selon laquelle celles-ci s’interdisaient de se concurrencer dans les pays non couverts par lesdits accords. Or, les requérantes ne contestent pas ces constatations.
64 Dans ces conditions, la Commission a, à bon droit, considéré que l’étendue géographique de l’entente couvrait l’ensemble de l’EEE et, par suite, retenu la valeur des ventes réalisées par les requérantes sur l’ensemble de ce territoire afin de déterminer le montant de base de l’amende.
65 Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argument des requérantes selon lequel, en tenant compte de la valeur des ventes réalisées par Conserve Italia sur l’ensemble de l’EEE, la Commission aurait, à tort, inclus des États dans lesquels elles n’exerçaient pas d’activité économique. En effet, la valeur des ventes réalisées par les requérantes retenue par la Commission afin de déterminer le montant de base de l’amende se rapporte nécessairement aux marchés sur lesquels les requérantes exerçaient une activité économique. Ainsi, l’absence d’activité économique de Conserve Italia sur le territoire de certains États membres implique que celle-ci n’a réalisé aucune vente dans ces États membres. Dès lors, l’argument des requérantes tiré de l’absence d’activité économique dans certains États membres n’est pas susceptible de remettre en cause la valeur des ventes retenue par la Commission.
66 En second lieu, s’agissant de l’argument des requérantes selon lequel la Commission aurait, à tort, pris en considération la valeur des ventes réalisées par Conserve Italia, au lieu de celles réalisées par les exploitations agricoles ayant apporté les produits visés par l’entente, il vise à reprocher à la Commission une violation du point 14 des lignes directrices pour le calcul des amendes.
67 Aux termes du point 14 des lignes directrices pour le calcul des amendes, lorsque l’infraction d’une association d’entreprises porte sur les activités de ses membres, la valeur des ventes correspondra en général à la somme de la valeur des ventes de ses membres.
68 Or, comme il est relevé au point 50 ci-dessus, l’infraction reprochée à Conserve Italia portait sur les activités de celle-ci, et non sur les activités de ses membres, de sorte que les conditions visées au point 14 des lignes directrices pour le calcul des amendes ne sont pas, en l’espèce, réunies. Dès lors, il y a lieu d’écarter cet argument et, partant, la première branche du second moyen.
– Sur la deuxième branche du second moyen, relative à la gravité de l’infraction
69 Les requérantes soutiennent que la proportion de 18 % de la valeur des ventes, prise en compte au titre du coefficient de gravité, est disproportionnée. À cet égard, elles font valoir que, d’une part, Conserve Italia n’a participé qu’à deux des trois accords en cause et ce, pour un nombre limité de produits. D’autre part, la participation de Conserve Italia aux comportements infractionnels n’aurait pas été continue ni systématique et Conserve Italia y aurait participé plus tard que d’autres entreprises. En outre, elle n’aurait pas tenté de persuader d’autres entreprises de participer à l’infraction.
70 La Commission conteste les arguments des requérantes.
71 Aux termes de l’article 23, paragraphe 3, du règlement no 1/2003, pour déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, notamment, la gravité de l’infraction.
72 Les points 19 à 23 des lignes directrices sur le calcul des amendes prévoient ce qui suit :
« 19. Le montant de base de l’amende sera lié à une proportion de la valeur des ventes, déterminée en fonction du degré de gravité de l’infraction, multipliée par le nombre d’années d’infraction.
20. L’appréciation de la gravité sera faite au cas par cas pour chaque type d’infraction, tenant compte de toutes les circonstances pertinentes de l’espèce.
21. En règle générale, la proportion de la valeur des ventes prise en compte sera fixée à un niveau pouvant aller jusqu’à 30 %.
22. Afin de décider si la proportion de la valeur des ventes à prendre en considération dans un cas donné devrait être au bas ou au haut de cette échelle, la Commission tiendra compte d’un certain nombre de facteurs, tels que la nature de l’infraction, la part de marché cumulée de toutes les parties concernées, l’étendue géographique de l’infraction, et la mise en œuvre ou non de l’infraction.
23. Les accords horizontaux de fixation de prix, de répartition de marché et de limitation de production, qui sont généralement secrets, comptent, par leur nature même, parmi les restrictions de concurrence les plus graves. Au titre de la politique de la concurrence, ils doivent être sévèrement sanctionnés. Par conséquent, la proportion des ventes prise en compte pour de telles infractions sera généralement retenue en haut de l’échelle. »
73 Selon une jurisprudence constante, la gravité de l’infraction doit faire l’objet d’une appréciation individuelle. À cet égard, il y a lieu de tenir compte de tous les éléments de nature à entrer dans l’appréciation de la gravité de celle-ci, tels que le comportement de chacune des entreprises, le rôle joué par chacune d’elles dans l’établissement des pratiques concertées, le profit qu’elles ont pu tirer de ces pratiques, leur taille et la valeur des marchandises concernées ainsi que le risque que des infractions de ce type représentent pour l’Union (arrêts du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, EU:C:1983:158, point 129, et du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, EU:C:2005:408, point 242).
74 Il résulte également de la jurisprudence que la difficulté à déterminer un pourcentage précis est dans une certaine mesure réduite dans le cas d’accords horizontaux secrets de fixation des prix et de répartition du marché, dans lesquels, en vertu du point 23 des lignes directrices pour le calcul des amendes, la proportion des ventes prise en compte sera généralement retenue à un niveau situé « en haut de l’échelle », de sorte que, pour les restrictions les plus graves, le taux devrait, à tout le moins, être supérieur à 15 % (arrêt du 16 juin 2011, Ziegler/Commission, T‑199/08, EU:T:2011:285, point 141).
75 Aux considérants 590 à 594 de la décision attaquée, la Commission a rappelé que l’infraction reprochée consistait en la fixation de prix et en la répartition de marchés et qu’il s’agissait de pratiques comptant, du fait de leur nature, parmi les infractions les plus graves à l’article 101 TFUE. Les requérantes ne contestent pas ces constatations.
76 La Commission a ajouté que, en application des points 21 et 23 des lignes directrices pour le calcul des amendes, le taux appliqué à la valeur des ventes aux fins de la fixation du montant de base devait être fixé en haut de l’échelle, laquelle peut aller jusqu’à 30 %.
77 En outre, la Commission a indiqué tenir compte du fait que l’infraction a consisté en différents comportements anticoncurrentiels, qu’elle a concerné l’ensemble du territoire de l’EEE et qu’elle a été mise en œuvre de manière continue et systématique.
78 Par ailleurs, la Commission a écarté les arguments des requérantes tirés des modalités de la participation de Conserve Italia à l’infraction, au motif qu’elle n’avait pas à en tenir compte pour déterminer la proportion de la valeur des ventes à prendre en considération pour apprécier la gravité de l’infraction.
79 En conséquence, la Commission a fixé à 18 % la proportion de la valeur des ventes à prendre en compte au titre du coefficient de gravité pour le calcul du montant de base de l’amende.
80 Or, eu égard, notamment, à la gravité particulière de l’infraction commise, qui ressort du point 23 des lignes directrices et n’est pas contestée par les requérantes, et eu égard à la jurisprudence citée aux points 73 et 74 ci-dessus, c’est sans commettre d’erreur de droit ou d’appréciation que la Commission a fixé à 18 % le coefficient de gravité.
81 En effet, en fixant un tel taux, la Commission s’est contentée d’appliquer un taux égal ou presque égal au taux minimal prévu pour les restrictions les plus graves, de sorte qu’il n’était pas nécessaire de prendre en compte des éléments ou des circonstances additionnels (voir, en ce sens, arrêt du 16 juin 2011, Ziegler/Commission, T‑199/08, EU:T:2011:285, point 142).
82 Cette appréciation n’est pas remise en cause par les arguments des requérantes tirés du fait qu’elles n’ont participé qu’à deux des trois accords, pour un nombre réduit de produits, de manière non continue et sans avoir tenté d’influencer d’autres entreprises.
83 En effet, il convient de relever que la Commission peut tenir compte de la gravité relative de la participation d’une entreprise à une infraction et des circonstances particulières de l’affaire soit lors de l’appréciation de la gravité de l’infraction au sens de l’article 23 du règlement no 1/2003, soit lors de l’ajustement du montant de base en fonction de circonstances atténuantes et aggravantes (voir, en ce sens, arrêt du 26 septembre 2018, Infineon Technologies/Commission, C‑99/17 P, EU:C:2018:773, point 199 et jurisprudence citée).
84 Or, en l’espèce, il ressort des considérants 606 à 621 de la décision attaquée que la Commission a retenu les circonstances invoquées par les requérantes en tant que circonstances atténuantes et que, en conséquence, elle a réduit de 20 % le montant de base de l’amende à leur égard.
85 Dès lors, les requérantes ne sauraient valablement reprocher à la Commission de n’avoir pas tenu compte des mêmes circonstances au stade de l’appréciation de la gravité de l’infraction.
86 Partant, la deuxième branche du second moyen doit être écartée.
– Sur la troisième branche du second moyen, relative à la durée de l’infraction
87 Les requérantes reprochent à la Commission d’avoir considéré que Conserve Italia avait participé à l’infraction pendant toute la durée de celle-ci, alors que, d’une part, sa participation aurait connu deux périodes d’interruption, entre 2009 et 2011 et entre 2012 et 2013 et que, d’autre part, elle n’aurait pas participé de manière continue à toutes les réunions entre les parties aux accords en cause. Selon les requérantes, la Commission aurait ainsi dû exclure du calcul du montant de l’amende les périodes pendant lesquelles elles n’avaient pas participé à l’infraction et tenir compte uniquement des périodes de mise en œuvre effective des accords en cause.
88 La Commission conteste les arguments des requérantes.
89 Aux termes de l’article 23, paragraphe 3, du règlement no 1/2003, « [p]our déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci ».
90 Aux termes du point 24 des lignes directrices pour le calcul des amendes, « [a]fin de prendre pleinement en compte la durée de la participation de chaque entreprise à l’infraction, le montant déterminé en fonction de la valeur des ventes […] sera multiplié par le nombre d’années de participation à l’infraction ».
91 Au considérant 595 de la décision attaquée, la Commission a considéré que Conserve Italia avait, de manière continue, participé à l’infraction du 15 mars 2000 au 1er octobre 2013 en ce qui concernait l’accord 4P/4P et du 20 octobre 2000 au 1er octobre 2013 en ce qui concernait l’accord maïs.
92 Il convient d’observer que les requérantes ne contestent pas la durée de l’infraction retenue par la Commission en tant que telle, mais soutiennent que, en vue de déterminer le montant de base de l’amende, la Commission aurait dû prendre en compte uniquement les périodes de mise en œuvre effective des accords en cause, en tenant compte du fait que leur participation dans ladite entente n’avait pas été continue.
93 À cet égard, en réponse à des arguments de Conserve Italia semblables à ceux rappelés au point 87 ci-dessus, la Commission, au considérant 597 de la décision attaquée, a renvoyé à l’examen du caractère continu de la participation de Conserve Italia à l’infraction, qui figure aux considérants 467 à 501 de la décision attaquée. Elle en a conclu que Conserve Italia avait participé à l’infraction sans interruption durant toute la durée de celle-ci et que les arguments de Conserve Italia devaient être écartés.
94 En l’espèce, force est de constater que les requérantes se bornent à invoquer les arguments rappelés au point 87 ci-dessus sans avancer d’éléments de nature à remettre en cause l’exactitude des constatations et des appréciations faites par la Commission dans le cadre de l’examen du caractère continu de la participation à l’infraction, aux considérants 467 à 501 de la décision attaquée.
95 À cet égard, d’une part, il ressort certes d’une jurisprudence constante que la charge de la preuve concernant les infractions à l’article 101, paragraphe 1, TFUE incombe à la Commission et que celle-ci doit rapporter des preuves précises et concordantes pour fonder la ferme conviction que l’infraction alléguée a été commise (voir arrêt du 16 juin 2011, Gosselin Group et Stichting Administratiekantoor Portielje/Commission, T‑208/08 et T‑209/08, EU:T:2011:287, point 153 et jurisprudence citée).
96 Il n’en demeure pas moins que, particulièrement en ce qui concerne les preuves concernant la durée de l’infraction, en l’absence d’éléments de preuve susceptibles d’établir directement la durée d’une infraction, la Commission peut produire des éléments de preuve se rapportant à des faits suffisamment rapprochés dans le temps, de façon à ce qu’il puisse être raisonnablement admis que cette infraction s’est poursuivie de façon ininterrompue entre deux dates précises (voir, en ce sens, arrêt du 16 juin 2011, Gosselin Group et Stichting Administratiekantoor Portielje/Commission, T‑208/08 et T‑209/08, EU:T:2011:287, point 154 et jurisprudence citée).
97 Or, c’est conformément à ces principes que, dans la décision attaquée, la Commission a établi que les requérantes avaient participé à l’infraction de l’année 2000 à l’année 2013, de sorte que la non-participation à certaines réunions dans le cadre de l’entente ne saurait à elle seule remettre en cause le caractère continu de leur comportement infractionnel. En effet, il ressort, notamment, des considérants 467 à 472 de la décision attaquée, non contestés par les requérantes, que Conserve Italia a participé de manière périodique à 104 réunions ou contacts concernant les accords en cause.
98 D’autre part, les arguments des requérantes tirés de leur non-mise en œuvre des accords conclus dans le cadre de l’entente ne sauraient non plus prospérer, eu égard à l’objet anticoncurrentiel des accords reconnus sans réserve par les requérantes (voir, en ce sens, arrêt du 6 avril 1995, Cockerill Sambre/Commission, T‑144/89, EU:T:1995:65, point 67).
99 Au surplus, il convient de relever que les requérantes n’établissent ni même n’allèguent s’être distanciées publiquement et sans équivoque des accords infractionnels entre l’année 2000 et l’année 2013. Or, au cours des réunions multilatérales auxquelles les requérantes admettent avoir participé, des objectifs anticoncurrentiels ont été évoqués. En omettant de se distancier publiquement de leur contenu, les requérantes ont manifestement donné à penser aux autres participants qu’elles souscrivaient à leur résultat et qu’elles s’y conformeraient (voir, en ce sens, arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, point 82).
100 Dès lors, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir retenu, pour fixer le montant de l’amende au titre de la durée de l’infraction, l’intégralité de la période infractionnelle dans le cadre de l’application du point 24 des lignes directrices pour le calcul des amendes.
101 Partant, la troisième branche du second moyen doit être écartée.
– Sur la quatrième branche du second moyen, relative au montant additionnel au titre de la dissuasion
102 Les requérantes soutiennent que l’application, sur la base du point 25 des lignes directrices pour le calcul des amendes, d’un montant additionnel de 18 % de la valeur des ventes était injustifiée. En effet, d’une part, la Commission n’aurait pas suffisamment pris en compte la demande de clémence de Conserve Italia, dans le cadre de laquelle celle-ci aurait fourni une série de preuves inédites et présentant une valeur ajoutée significative. D’autre part, les requérantes auraient joué un rôle mineur et purement passif dans l’infraction, ce dont la Commission n’aurait tenu compte qu’au titre des circonstances atténuantes. Selon les requérantes, elle aurait dû en tenir compte également lorsqu’il a été question d’appliquer un montant additionnel, étant donné qu’aucun risque de récidive ne justifiait son application.
103 La Commission conteste les arguments des requérantes.
104 Le point 25 des lignes directrices pour le calcul des amendes prévoit que « indépendamment de la durée de la participation d’une entreprise à l’infraction, la Commission inclura dans le montant de base une somme comprise entre 15 % et 25 % de la valeur des ventes […] afin de dissuader les entreprises de même participer à des accords horizontaux de fixation de prix, de répartition de marché et de limitation de production. […] En vue de décider la proportion de la valeur des ventes à prendre en compte dans un cas donné, la Commission tiendra compte d’un certain nombre de facteurs, en particulier [la nature de l’infraction, la part de marché cumulée de toutes les parties concernées, l’étendue géographique de l’infraction, et la mise en œuvre ou non de l’infraction] ».
105 Comme il ressort des considérants 599 et 602 de la décision attaquée, la Commission a appliqué un montant additionnel égal à 18 % de la valeur des ventes, eu égard à la nature de l’accord 4P/4P et de l’accord maïs, à son étendue géographique et à sa mise en œuvre.
106 Or, en l’espèce, d’une part, les requérantes ne contestent pas la matérialité de l’infraction commise ni leur participation à cette infraction.
107 D’autre part, il est constant que l’infraction a consisté à fixer des prix, à répartir des marchés et des parts de marchés, des volumes de vente et des clients, à échanger des informations commerciales sensibles et à coordonner des réponses à des appels d’offres.
108 Compte tenu, notamment, de la nature particulièrement grave de l’infraction, c’est à juste titre et en conformité avec le point 25 des lignes directrices pour le calcul des amendes que la Commission a appliqué un montant additionnel de 18 % de la valeur des ventes afin de dissuader les entreprises de même participer à des accords horizontaux de cette nature.
109 Cette appréciation ne saurait être remise en cause par les arguments des requérantes tirés de leur coopération avec la Commission durant la procédure administrative, de leur prétendu rôle mineur dans la commission de l’infraction et de l’absence de nécessité de les dissuader de commettre une nouvelle infraction aux règles de concurrence de l’Union.
110 En effet, il convient de rappeler que l’application par la Commission du point 25 des lignes directrices pour le calcul des amendes s’inscrit, dans le cadre de la méthodologie desdites lignes directrices, en amont de l’ajustement du montant de base.
111 Or, en application de la jurisprudence citée au point 83 ci-dessus, la Commission peut tenir compte de la gravité relative de la participation d’une entreprise à une infraction et des circonstances particulières de l’affaire soit lors de l’appréciation de la gravité de l’infraction au sens de l’article 23 du règlement no 1/2003, soit lors de l’ajustement du montant de base en fonction de circonstances atténuantes et aggravantes.
112 En l’espèce, la Commission a retenu, d’une part, la nature et la fréquence de la participation de Conserve Italia aux réunions de collusion en tant que circonstances atténuantes, en conséquence desquelles elle a, au considérant 608 de la décision attaquée, réduit de 20 % le montant de base de l’amende à l’égard des requérantes et, d’autre part, la contribution de Conserve Italia à la suite de sa demande de clémence, en conséquence de laquelle elle a, au considérant 669 de la décision attaquée, accordé une réduction de 50 % du montant de l’amende.
113 Dès lors, les requérantes ne sauraient utilement reprocher à la Commission de n’avoir pas tenu compte des mêmes circonstances afin d’apprécier l’opportunité d’imposer un montant additionnel au titre du point 25 des lignes directrices sur le calcul des amendes.
114 En conséquence, la quatrième branche du second moyen doit être écartée et, partant, le second moyen dans son ensemble.
Sur les conclusions tendant à la réduction de l’amende
115 S’agissant de l’étendue de la compétence de pleine juridiction reconnue au juge de l’Union à l’article 31 du règlement no 1/2003, conformément à l’article 261 TFUE, celle-ci habilite le juge, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer l’amende ou l’astreinte infligée (voir arrêt du 26 septembre 2018, Infineon Technologies/Commission, C‑99/17 P, EU:C:2018:773, point 193 et jurisprudence citée).
116 En l’espèce, il convient de relever que les requérantes n’avancent, à l’appui de leurs conclusions visant à la réduction de l’amende par le Tribunal, aucun argument distinct de ceux avancés à l’appui de leurs conclusions en annulation de la décision attaquée.
117 Eu égard à la circonstance mentionnée au point 116 ci-dessus et aux considérations rappelées, respectivement, aux points 64, 80, 94 et 108 ci-dessus, le Tribunal considère, dans le cadre de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, qu’il n’y a pas lieu de modifier le montant de l’amende imposée solidairement aux requérantes, visé à l’article 2 de la décision attaquée, à savoir 20 000 000 d’euros.
118 En conséquence, il y a lieu de rejeter les conclusions des requérantes tendant à la réduction du montant de l’amende qui leur a été imposée à l’article 2 de la décision attaquée.
119 Partant, il convient de rejeter le recours dans son ensemble.
Sur les dépens
120 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission, y compris ceux afférents à la procédure de référé.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (première chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) Conserve Italia – Consorzio Italiano fra cooperative agricole Soc. coop. agr. et Conserves France sont condamnées aux dépens, y compris ceux afférents à la procédure de référé.