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Décisions

CJUE, 1re ch., 5 septembre 2024, n° C-447/22 P

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

République de Slovénie

Défendeur :

Commission européenne, Petra Flašker

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Arabadjiev

Juges :

M. von Danwitz, M. Xuereb (rapporteur), M. Kumin, Mme Ziemele

Avocat général :

M. Rantos

Avocat :

Me Zdolšek

Comm. eur., du 24 mars 2020, C(2020) 172…

24 mars 2020

LA COUR (première chambre),

1 Par son pourvoi, la République de Slovénie demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 27 avril 2022, Flašker/Commission (T 392/20, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2022:245), par lequel celui-ci a annulé la décision C(2020) 1724 final de la Commission, du 24 mars 2020, clôturant l’examen de mesures concernant la pharmacie publique Lekarna Ljubljana au regard des règles relatives aux aides d’État figurant aux articles 107 et 108 TFUE [affaire SA.43546 (2016/FC) – Slovénie] (ci-après la « décision litigieuse »), pour autant que cette décision concerne les actifs en gestion de cette pharmacie publique.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 Le traité d’adhésion et l’acte d’adhésion

2 Le traité entre le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République hellénique, le Royaume d’Espagne, la République française, l’Irlande, la République italienne, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche, la République portugaise, la République de Finlande, le Royaume de Suède, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord (États membres de l’Union européenne) et la République tchèque, la République d’Estonie, la République de Chypre, la République de Lettonie, la République de Lituanie, la République de Hongrie, la République de Malte, la République de Pologne, la République de Slovénie, la République slovaque relatif à l’adhésion de la République tchèque, de la République d’Estonie, de la République de Chypre, de la République de Lettonie, de la République de Lituanie, de la République de Hongrie, de la République de Malte, de la République de Pologne, de la République de Slovénie et de la République slovaque à l’Union européenne (JO 2003, L 236, p. 17), a été signé par la République de Slovénie le 16 avril 2003 et est entré en vigueur le 1er mai 2004 (ci-après le « traité d’adhésion »).

3 En vertu de l’article 1er, paragraphe 2, du traité d’adhésion, les conditions de l’admission et les adaptations des traités sur lesquels l’Union européenne est fondée figurent dans l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République tchèque, de la République d’Estonie, de la République de Chypre, de la République de Lettonie, de la République de Lituanie, de la République de Hongrie, de la République de Malte, de la République de Pologne, de la République de Slovénie et de la République slovaque, et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne (JO 2003, L 236, p. 33, ci après l’« acte d’adhésion »), acte annexé au traité d’adhésion et dont les dispositions font partie intégrante de celui-ci.

4 L’article 22 de l’acte d’adhésion dispose que les mesures énumérées dans la liste figurant à son annexe IV sont appliquées dans les conditions définies par cette annexe.

5 Le point 3 de l’annexe IV de l’acte d’adhésion, intitulé « Politique de la concurrence », énonce, à son paragraphe 1 :

« Les régimes d’aides et aides individuelles ci-après, mis à exécution dans un nouvel État membre avant la date de l’adhésion et toujours applicables après cette date, sont considérés lors de l’adhésion comme aide existante au sens de l’article [108, paragraphe 1, TFUE] :

a) aides mises à exécution avant le 10 décembre 1994 ;

b) aides énumérées dans l’appendice de la présente annexe ;

c) aides examinées par l’autorité chargée de la surveillance des aides publiques du nouvel État membre avant la date de l’adhésion et jugées compatibles avec l’acquis, et à l’égard desquelles la Commission [européenne] n’a pas soulevé d’objections en raison de doutes sérieux quant à la compatibilité des mesures avec le marché commun, en vertu de la procédure visée au paragraphe 2.

Toutes les mesures encore applicables après la date d’adhésion qui constituent une aide publique et ne satisfont pas aux conditions susvisées sont considérées comme une aide nouvelle à la date de l’adhésion aux fins de l’application de l’article [108, paragraphe 3, TFUE.] »

 Le règlement (UE) 2015/1589

6 Sous l’intitulé « Définitions », l’article 1er du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 [TFUE] (JO 2015, L 248, p. 9), est ainsi libellé :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

a) “aide” : toute mesure remplissant tous les critères fixés à l’article 107, paragraphe 1, [TFUE] ;

b) “aide existante” :

i) sans préjudice [...] du point 3, et de l’appendice de l’annexe IV de l’[acte d’adhésion], toute aide existant avant l’entrée en vigueur du [traité FUE] dans l’État membre concerné, c’est-à-dire les régimes d’aides et aides individuelles mis à exécution avant et toujours applicables après l’entrée en vigueur [du traité FUE] dans les États membres respectifs ;

[...]

c) “aide nouvelle” : toute aide, c’est-à-dire tout régime d’aides ou toute aide individuelle, qui n’est pas une aide existante, y compris toute modification d’une aide existante ;

[...] »

7 L’article 4 de ce règlement, intitulé « Examen préliminaire de la notification et décisions de la Commission », prévoit, à ses paragraphes 2 à 5 :

« 2. Si la Commission constate, après un examen préliminaire, que la mesure notifiée ne constitue pas une aide, elle le fait savoir par voie de décision.

3. Si la Commission constate, après un examen préliminaire, que la mesure notifiée, pour autant qu’elle entre dans le champ de l’article 107, paragraphe 1, [TFUE], ne suscite pas de doutes quant à sa compatibilité avec le marché intérieur, elle décide que cette mesure est compatible avec le marché intérieur (ci-après dénommée “décision de ne pas soulever d’objections”). Cette décision précise quelle dérogation prévue par le [traité FUE] a été appliquée.

4. Si la Commission constate, après un examen préliminaire, que la mesure notifiée suscite des doutes quant à sa compatibilité avec le marché intérieur, elle décide d’ouvrir la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, [TFUE] (ci-après dénommée “décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen”).

5. Les décisions visées aux paragraphes 2, 3 et 4 du présent article sont prises dans un délai de deux mois. [...] »

 Le règlement (CE) no 794/2004

8 L’article 4 du règlement (CE) no 794/2004 de la Commission, du 21 avril 2004, concernant la mise en œuvre du règlement 2015/1589 (JO 2004, L 140, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) 2015/2282 de la Commission, du 27 novembre 2015 (JO 2015, L 325, p. 1) (ci après le « règlement no 794/2004 »), intitulé « Procédure de notification simplifiée pour certaines modifications d’aides existantes », prévoit, à son paragraphe 1, première phrase, que, aux fins de l’article 1er, sous c), du règlement 2015/1589, « on entend par modification d’une aide existante tout changement autre que les modifications de caractère purement formel ou administratif qui ne sont pas de nature à influencer l’évaluation de la compatibilité de la mesure d’aide avec le marché [intérieur] ».

 Les antécédents du litige et la décision litigieuse

9 Les antécédents du litige sont exposés aux points 2 à 13 de l’arrêt attaqué comme suit :

« 2 En 1979 a été créée à Ljubljana (Slovénie), alors au sein de la République fédérative socialiste de Yougoslavie, une entité appelée Lekarna Ljubljana [p.o.], chargée de la distribution officinale de produits pharmaceutiques. Selon ce qu’ont indiqué à la [Commission] les autorités slovènes, cette entité aurait été dotée d’“actifs” lui permettant d’exercer sa mission. D’après [Mme Petra Flašker, demanderesse en première instance], actuellement pharmacienne d’officine libérale, cette entité aurait été une “organisation de travail en commun”, n’ayant pas une activité économique de marché et n’ayant pas de capacité pour détenir une propriété.

3 À la suite de l’indépendance de la [République de Slovénie, le Zakon o zavodih (loi sur les établissements)], qui vise notamment les établissements publics chargés de services d’intérêt économique général, y a été adopté en 1991. L’article 48 de cette loi dispose :

“L’établissement tire ses ressources pour sa mission de dotations de son fondateur, de la vente de produits et de services et des autres sources prévues dans la présente loi.”

4 L’année suivante, [le Zakon o lekarniški dejavnosti (loi sur les pharmacies) a été adopté. Cette loi] prévoit la cohabitation d’établissements publics de pharmacie et de pharmacies privées ainsi que la responsabilité des municipalités pour la fourniture des services de pharmacie sur leur territoire. Les pharmacies privées reçoivent une autorisation d’exercice sous forme de concession octroyée par la municipalité concernée à la suite d’appels d’offres. Les établissements publics de pharmacie sont établis par les municipalités, qui participent à leur direction, et ils sont régis par leur acte fondateur. Il y a désormais en Slovénie, selon la Commission, environ 25 établissements publics de pharmacie, exploitant près de 200 officines, et 100 pharmacies privées.

5 Sur le fondement des lois mentionnées aux points 3 et 4 ci-dessus, en 1997, la municipalité de Ljubljana a créé par ordonnance l’établissement public de pharmacie Javni Zavod Lekarna Ljubljana (ci-après “Lekarna Ljubljana”), en précisant qu’il était le successeur légal de Lekarna Ljubljana [p.o.] et venait aux droits et aux obligations de [cette dernière].

6 Lekarna Ljubljana exploite aujourd’hui une cinquantaine d’officines en Slovénie, principalement à Ljubljana, mais aussi dans une quinzaine d’autres communes. À Grosuplje, où la [demanderesse en première instance] exploite sa pharmacie privée, deux officines de Lekarna Ljubljana sont établies.

7 Par une plainte officiellement déposée le 27 avril 2016 auprès de la Commission après des contacts préalables avec ses services, la [demanderesse en première instance] a dénoncé l’existence d’aides d’État au sens de l’article 107 TFUE [...] au profit de Lekarna Ljubljana. Parmi les mesures identifiées au cours de l’instruction de cette plainte figure “l’octroi d’actifs en gestion” à des conditions ne correspondant pas, selon la [demanderesse en première instance], aux conditions de marché. La [demanderesse en première instance] mentionne, comme de tels actifs, des locaux commerciaux.

8 De nombreux échanges ont eu lieu entre la Commission et les autorités slovènes, d’une part, et la [demanderesse en première instance], d’autre part. À deux reprises, la Commission a communiqué à la [demanderesse en première instance] une appréciation préliminaire d’après laquelle les mesures identifiées ne constituaient pas des aides d’État. La [demanderesse en première instance] a maintenu chaque fois sa plainte en apportant des éléments d’information complémentaires et a été soutenue en 2018 par seize autres pharmacies privées de Slovénie.

9 Le 24 mars 2020, la Commission a adressé à la République de Slovénie la [décision litigieuse]. [Celle-ci] a été adoptée sans que la Commission ait ouvert la procédure d’examen approfondi prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE. La Commission y conclut, au considérant 73, que l’examen des quatre mesures au profit de Lekarna Ljubljana identifiées comme suit par la [demanderesse en première instance] au cours de l’instruction, à savoir le bénéfice, accordé par la municipalité de Skofljica (Slovénie), d’un bail de long terme gratuit, l’octroi d’actifs en gestion par la municipalité de Ljubljana, l’exemption de redevances de concession par plusieurs municipalités et l’abandon de profits qui auraient dû être partagés avec plusieurs municipalités, n’a pas révélé l’existence d’aides d’État. Toutefois, s’agissant de l’octroi d’actifs en gestion, la Commission expose antérieurement, aux considérants 37 à 40 de la [décision litigieuse] que, si l’octroi de tels actifs a pu constituer une aide d’État, il s’agit alors d’une “aide existante”.

10 La motivation figurant dans ces derniers considérants est la suivante. Après le rappel des dispositions de l’article 48 de la loi sur les établissements, cité au point 3 ci-dessus, et l’indication, d’une part, que la municipalité de Ljubljana devait à ce titre doter Lekarna Ljubljana d’actifs pour qu’il puisse démarrer son activité et, d’autre part, que tout actif acquis par Lekarna Ljubljana, y compris par ses propres moyens, est répertorié comme “actif en gestion” en application des règles de la comptabilité publique, il est exposé que, selon les autorités slovènes, la municipalité de Ljubljana a doté en 1979 Lekarna Ljubljana [p.o.] des actifs nécessaires au démarrage de ses activités, qu’en 1997 ces actifs ont été transférés à son successeur en droit, Lekarna Ljubljana, et que tous les autres actifs acquis successivement par ces deux entités depuis 1979 l’ont été par elles-mêmes sur le marché et aux conditions de marché. Les seuls actifs en gestion susceptibles de représenter une aide d’État seraient donc ceux de la dotation initiale d’actifs à Lekarna Ljubljana [p.o.], transférée en 1997 à Lekarna Ljubljana.

11 Il est ensuite fait référence à l’annexe IV de [l’acte d’adhésion], en particulier à son point 3, relatif à la politique de la concurrence. Il est indiqué que, aux termes du paragraphe 1 de celui-ci, “[l]es régimes d’aides et aides individuelles ci-après, mis à exécution dans un nouvel État membre avant la date de l’adhésion et toujours applicables après cette date, sont considérés lors de l’adhésion comme aide existante [au sens de l’article 108, paragraphe 1, TFUE] : a) aides mises à exécution avant le 10 décembre 1994 [...]”.

12 Il est également rappelé que l’article 1er, sous c), du règlement [2015/1589] définit comme “aide nouvelle” “toute aide, c’est-à-dire tout régime d’aides ou toute aide individuelle, qui n’est pas une aide existante, y compris toute modification d’une aide existante”. Il est aussi rappelé que l’article 4, paragraphe 1, du règlement [no 794/2004] prévoit que, “[...] on entend par modification d’une aide existante tout changement autre que les modifications de caractère purement formel ou administratif qui ne sont pas de nature à influencer l’évaluation de la compatibilité de la mesure d’aide avec le marché [intérieur]”.

13 Il en est conclu que, pour autant que l’octroi d’actifs en gestion ait engendré une aide d’État, ce serait alors une aide existante, car cette aide aurait été accordée à l’occasion de la mise en place de Lekarna Ljubljana [p.o.] en 1979. La substitution de [cette dernière] par Lekarna Ljubljana en 1997 serait de nature purement administrative, le contexte légal ne changeant pas, de même que l’usage et les conditions d’usage des actifs concernés. Cette substitution ne pourrait donc constituer une modification d’une aide existante et l’aide en question serait par conséquent toujours une aide de cette nature. »

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

10 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 juin 2020, Mme Petra Flašker a introduit un recours au titre de l’article 263 TFUE tendant à l’annulation de la décision litigieuse.

11 À l’appui de son recours, la demanderesse en première instance a invoqué trois moyens, tirés, le premier, de la violation de l’obligation de motivation, le deuxième, d’une appréciation erronée des faits ainsi que d’une erreur de qualification juridique des faits relatifs à l’octroi d’actifs en gestion débouchant sur une violation des articles 107 et 108 TFUE et, le troisième, de ce que la Commission ne pouvait pas légalement adopter la décision litigieuse sans avoir ouvert la procédure d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE.

12 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a accueilli le troisième moyen et annulé la décision litigieuse pour autant qu’elle concerne les actifs en gestion de Lekarna Ljubljana.

13 Après avoir, au point 17 de l’arrêt attaqué, circonscrit la portée du recours aux seules mesures concernant les « actifs en gestion » et précisé, au point 22 de cet arrêt, qu’il y avait lieu d’analyser le troisième moyen du recours à la lumière, notamment, des arguments avancés par la demanderesse en première instance dans le cadre du deuxième moyen, tels que synthétisés au point 19 dudit arrêt, le Tribunal a procédé à une analyse concernant les actifs en gestion en cause en distinguant ceux octroyés à Lekarna Ljubljana p.o. lors de sa création au cours de l’année 1979, et ceux octroyés à Lekarna Ljubljana p.o. et à Lekarna Ljubljana après cette année 1979.

14 En premier lieu, aux points 40 à 50 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a analysé les actifs en gestion incorporés par Lekarna Ljubljana p.o. et Lekarna Ljubljana après l’année 1979 (ci-après la « première mesure en cause »).

15 À cet égard, le Tribunal a constaté d’emblée, au point 40 de cet arrêt, que la Commission s’était bornée, ainsi qu’il ressort du considérant 36 de la décision litigieuse, à faire état de l’affirmation des autorités slovènes selon laquelle tous les actifs en gestion acquis par Lekarna Ljubljana p.o. et par Lekarna Ljubljana postérieurement à l’année 1979 l’avaient été selon les conditions de marché et sans aucun soutien public, alors même qu’aucun élément de preuve concret n’avait été fourni par les autorités slovènes à l’appui de cette affirmation.

16 Le Tribunal a ensuite examiné les différents documents présentés par la demanderesse en première instance, visant à établir l’existence de « difficultés sérieuses » pour déterminer si des aides d’État avaient été octroyées au titre de la première mesure en cause. À ce titre, s’agissant d’un extrait du rapport annuel de Lekarna Ljubljana pour l’année 2012, tel que mentionné au point 45 de l’arrêt attaqué, faisant état de deux biens immobiliers qui avaient été transférés à ce dernier par la municipalité de Ljubljana en tant qu’actifs en gestion, le Tribunal a considéré qu’il ne ressortait pas avec évidence que ledit transfert avait été effectué dans des conditions de marché, ou alors, à titre gratuit ou dans des conditions préférentielles. En outre, après avoir constaté, au point 47 de cet arrêt, que Lekarna Ljubljana relevait, au premier abord, de la catégorie des bénéficiaires prévue à l’article 24 du Zakon o stvarnem premoženju države in samoupravnih lokalnih skupnosti (loi sur les actifs physiques de l’État et des administrations locales), conformément auquel l’État et les administrations locales peuvent fournir gratuitement des actifs physiques aux entités publiques autres que les sociétés publiques, si cela est dans l’intérêt public, le Tribunal a examiné, au point 48 dudit arrêt, les différents extraits de compte publics fournis par la demanderesse en première instance, qui mettaient en exergue certaines discordances entre les chiffres de la municipalité de Ljubljana relatifs à la valeur des actifs octroyés en gestion à Lekarna Ljubljana et les chiffres ressortant des comptes publics de ce dernier. À cet égard, le Tribunal a relevé, au même point 48 de l’arrêt attaqué, qu’« il n’appar[aissait] pas possible de savoir, à la seule vue de ces comptes publics, ce qui, au sein des actifs octroyés en gestion à Lekarna Ljubljana, correspond[ait] respectivement à des actifs immobiliers qui lui auraient été fournis gratuitement ou dans des conditions préférentielles par la municipalité de Ljubljana, à des actifs immobiliers acquis dans des conditions de marché par Lekarna Ljubljana ou encore à des actifs financiers ou monétaires ».

17 Au vu des éléments qui précèdent, le Tribunal a considéré, en substance, aux points 49 et 50 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait pas levé les doutes, ce qui lui aurait appartenu de faire, quant au point de savoir si les actifs en gestion incorporés par Lekarna Ljubljana après l’année 1979 avaient été obtenus dans des conditions de marché. En effet, selon le Tribunal, alors que les éléments mis en avant par la demanderesse en première instance lors de la procédure administrative, tels que relevés aux points 45 à 48 de cet arrêt, révélaient l’existence d’une « situation peu claire » sur la nature et le statut de ces actifs en gestion, il incombait à la Commission, en présence d’une telle situation d’incertitude, d’approfondir les investigations afin de déterminer si, parmi lesdits actifs en gestion, figuraient des actifs correspondant à des aides d’État, cette détermination ne pouvant être considérée comme relevant de la charge de la preuve pesant sur la demanderesse en première instance.

18 En second lieu, aux points 51 à 57 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a analysé les actifs octroyés au cours de l’année 1979 à Lekarna Ljubljana p.o. pour le démarrage de ses activités et transférés, au cours de l’année 1997, à Lekarna Ljubljana (ci-après la « seconde mesure en cause »).

19 À titre liminaire, le Tribunal a relevé, aux points 38 et 39 de l’arrêt attaqué, que la Commission a considéré, tant dans la décision litigieuse que dans sa réponse à une question écrite, que, à supposer que la seconde mesure en cause soit une aide d’État, elle constituerait une aide existante à caractère individuelle et non un régime d’aides relevant de l’examen permanent prévu à l’article 108, paragraphe 1, TFUE, de sorte qu’elle ne s’est pas prononcée sur la compatibilité avec le marché intérieur de cette aide existante éventuelle.

20 Le Tribunal a ensuite mentionné, aux points 51, 52 et 54 de l’arrêt attaqué, d’une part, les différents éléments mis en avant par la demanderesse en première instance, non démentis par la Commission, visant à démontrer que Lekarna Ljubljana opérait dans des conditions différentes par rapport à l’entité à laquelle il avait succédé au cours de l’année 1997, et, d’autre part, les principaux changements qui étaient intervenus sur le marché slovène entre la date initiale d’octroi des actifs en gestion en cause et celle de l’adoption de la décision litigieuse. Ces changements portaient, notamment, sur l’ouverture du marché pharmaceutique slovène à la concurrence en raison de l’adoption, au cours de l’année 1992, de la loi sur les pharmacies, qui avait ouvert ce secteur à l’économie de marché, ainsi que, par la suite, de l’adhésion de la République de Slovénie à l’Union, le 1er mai 2004. Or, et alors que ces différents éléments étaient relatifs au contexte légal et économique que la Commission aurait dû appréhender afin de pouvoir se prononcer en connaissance de cause dans le cadre de ses investigations ayant abouti à l’adoption de la décision litigieuse, le Tribunal a relevé que cette institution s’était bornée à affirmer, ainsi qu’il ressort du considérant 39 de cette décision, et sans étayer suffisamment cette affirmation, que la succession, au cours de l’année 1997, entre Lekarna Ljubljana p.o. et Lekarna Ljubljana était de nature purement administrative et que le contexte légal ainsi que l’usage et les conditions d’usage des actifs en question n’avaient pas varié, si bien que l’aide existante en vigueur à ce moment n’avait pas été modifiée et restait toujours une aide de cette nature.

21 Le Tribunal a, en outre, aux points 53 à 55 de l’arrêt attaqué, examiné la question de savoir si les différents éléments relevés au point précédent du présent arrêt pouvaient laisser penser, comme le faisait valoir la demanderesse en première instance, que la seconde mesure en cause, à supposer qu’elle ait constitué une aide existante, pouvait être considérée, en raison de modifications intervenues entretemps, comme étant une aide nouvelle, au sens de l’article 1er, sous c), du règlement 2015/1589. À cet égard, le Tribunal a relevé, au point 54 de l’arrêt attaqué, ce qui suit :

« [I]l est constant que, le 10 décembre 1994, Lekarna Ljubljana [p.o.] existait encore, que la municipalité de Ljubljana venait d’être créée et que la loi de 1992 sur les pharmacies, ouvrant le secteur à l’économie de marché, avait déjà été adoptée. Toutefois, aucune information ne figure dans la décision [litigieuse] quant à la question de savoir si des pharmacies privées avaient déjà obtenu des concessions municipales à cette date et si Lekarna Ljubljana [p.o.] était encore en situation de monopole sur sa zone d’activité. La situation “de départ” est donc incertaine. D’après la [demanderesse en première instance], en 1997, au moment du remplacement de Lekarna Ljubljana [p.o.] par Lekarna Ljubljana, le marché était concurrentiel. Compte tenu des indications non démenties fournies par la [demanderesse en première instance], Lekarna Ljubljana est susceptible d’avoir des différences assez notables par rapport à l’entité à laquelle il a succédé en 1997 : il a la capacité d’acquérir des propriétés, et il en acquiert d’après le considérant 36 de la décision attaquée, ce qui permet d’ailleurs de se demander si, dès lors, la continuation de la mise à disposition d’actifs immobiliers en gestion sans propriété peut toujours se justifier ; il poursuit, au moins à partir de 2007, un but lucratif visant à dégager des ressources finançant d’autres activités que la sienne ; en outre, il peut, aussi, depuis 2007, étendre son activité au-delà du territoire de la commune de Ljubljana, ce qu’il a fait. Par ailleurs, ses résultats financiers, tels que mis en exergue par la [demanderesse en première instance] dans sa réponse à la première appréciation préliminaire de la Commission, peuvent traduire une activité en nette expansion. [...] »

22 Au vu de ces éléments, le Tribunal a considéré, en substance, aux points 54 et 55 de l’arrêt attaqué, que, faute pour la Commission d’avoir effectué, de sa propre initiative, un examen plus approfondi concernant l’évolution du contexte légal et économique de l’activité pharmaceutique en Slovénie, aucune certitude ne pouvait exister quant à l’absence de modification, après le 10 décembre 1994, des aides existantes en cause, de sorte qu’il y avait lieu de considérer que la Commission n’avait pas levé les doutes existants à cet égard.

23 Le Tribunal a alors conclu, au point 56 de l’arrêt attaqué :

« [L]a Commission était confrontée à des difficultés sérieuses qui auraient dû la conduire à ouvrir la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE dans la présente affaire. L’examen approfondi qu’implique cette dernière procédure aurait d’ailleurs permis, en tant que de besoin, à la Commission de se prononcer de manière éclairée sur les questions suivantes : la présence même d’aides d’État, au sens de l’article 107 TFUE, dans l’hypothèse de l’octroi à Lekarna Ljubljana d’actifs en gestion à titre gratuit ou préférentiel par la municipalité de Ljubljana, la qualification de tels actifs d’aides existantes ou d’aides nouvelles et leur qualification d’aides individuelles ou d’aides relevant d’un régime d’aides. Cela aurait permis à la Commission d’orienter en bonne connaissance de cause la suite de la procédure pour, si besoin, apprécier la compatibilité avec le marché intérieur des mesures qui se seraient révélées être des aides, existantes ou nouvelles, nécessitant une telle appréciation. »

 Les conclusions des parties

24 La République de Slovénie demande à la Cour :

– d’annuler l’arrêt attaqué ;

– à titre principal, si le litige est en état d’être jugé, de rejeter le recours en première instance ainsi que de condamner la demanderesse en première instance aux dépens exposés tant en première instance qu’au stade du pourvoi, et

– à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal.

25 La Commission demande à la Cour :

– d’annuler l’arrêt attaqué ;

– à titre principal, si le litige est en état d’être jugé, de rejeter le recours en première instance et de condamner la demanderesse en première instance aux dépens, et

– à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal et de réserver les dépens.

26 La demanderesse en première instance demande à la Cour :

– de rejeter le pourvoi et

– de condamner la République de Slovénie aux dépens.

 Sur le pourvoi

27 À l’appui de son pourvoi, la République de Slovénie soulève quatre moyens tirés, le premier, d’erreurs de droit dans l’interprétation et l’application de l’article 108, paragraphes 2 et 3, TFUE et de l’article 4, paragraphes 2 et 3, du règlement 2015/1589, ainsi que d’erreurs de droit dans l’interprétation de la notion de « difficultés sérieuses » en ce qui concerne la première mesure en cause, le deuxième, d’une interprétation erronée des faits et d’erreurs de droit en ce qui concerne l’existence de telles difficultés sérieuses quant à la qualification de la seconde mesure en cause en tant qu’« aide existante », le troisième, d’une violation de l’obligation de motivation incombant au Tribunal et, le quatrième, d’une violation du droit de la Commission à un recours effectif et à un tribunal impartial, au sens de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

28 Il y a lieu d’examiner conjointement les premier et deuxième moyens du pourvoi, qui portent, en substance, sur des erreurs de droit prétendument commises par le Tribunal en ce qui concerne la notion de « difficultés sérieuses ».

 Sur les premier et deuxième moyens

 Argumentation des parties

29 Par le premier moyen du pourvoi, la République de Slovénie reproche, en substance, au Tribunal d’avoir, en ce qui concerne la première mesure en cause, mal défini l’étendue de la charge de la preuve incombant à la Commission lors de la phase préliminaire d’examen, ainsi que d’avoir adopté un standard juridique erroné en ce qui concerne la détermination de l’existence des « difficultés sérieuses », susceptibles de justifier l’ouverture de la procédure formelle d’examen au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE. Plus particulièrement, ce serait à tort que le Tribunal a jugé, au point 49 de l’arrêt attaqué, que la situation relative à la nature et au statut des actifs en gestion octroyés à Lekarna Ljubljana p.o. et à Lekarna Ljubljana postérieurement à l’année 1979 était « peu claire ». Ce serait également à tort qu’il a conclu, au point 50 de cet arrêt, que la Commission n’avait pas levé les doutes quant au point de savoir si ces entités avaient acquis l’ensemble de leurs actifs en gestion, après l’année 1979, selon les conditions de marché.

30 Dans un premier temps, la République de Slovénie fait valoir, en substance, qu’aucun des documents et éléments fournis par la demanderesse en première instance, tels qu’analysés par le Tribunal aux points 45 à 48 de l’arrêt attaqué, n’étaient de nature à établir objectivement l’existence d’une éventuelle aide d’État.

31 Ainsi, ce serait à tort que le Tribunal a considéré, au point 47 de l’arrêt attaqué, que Lekarna Ljubljana faisait partie des bénéficiaires auxquels, conformément à l’article 24 de la loi sur les actifs physiques de l’État et des administrations locales, l’État ou les administrations locales pouvaient fournir gratuitement des actifs physiques, si cela s’avérait être dans l’intérêt public. En effet, si cette disposition prévoit le transfert du droit de propriété aux personnes de droit public, un tel transfert ne serait pas prévu en ce qui concerne les établissements publics, tels que Lekarna Ljubljana. À cet égard, l’article 71 du Pravilnik o enotnem kontnem načrtu za proračun, proračunske uporabnike in druge osebe javnega prava (règlement relatif au plan comptable uniforme pour le budget, les utilisateurs du budget et les autres personnes de droit public) disposerait que le droit de propriété d’un actif de l’État ou d’une administration ne peut être transféré à un établissement public, un tel actif ne pouvant leur être confié qu’en « gestion ». Par ailleurs, la République de Slovénie rappelle, dans ce cadre, que, conformément à cet article 71, tout actif acquis par Lekarna Ljubljana en sa qualité d’établissement public, que ce soit par elle-même ou à travers la municipalité de Ljubljana, serait un « actif obtenu en gestion », de sorte que l’existence même d’un contrat relatif à des actifs lui ayant été transférés par la municipalité de Ljubljana ne saurait être considérée comme constituant un indice de ce qu’un tel transfert a été effectué à titre gratuit ou dans des conditions plus favorables que celles de marché.

32 Ce serait également à tort que le Tribunal a considéré, au point 48 de l’arrêt attaqué, que les discordances alléguées entre les chiffres de la municipalité de Ljubljana relatifs à la valeur des actifs octroyés en gestion à Lekarna Ljubljana et les chiffres ressortant des comptes publics de cette dernière, ou encore l’augmentation de la valeur des actifs en gestion de celle-ci pouvaient être regardés comme étant des indices de ce que de tels actifs en gestion correspondaient à des aides d’État. S’agissant, plus particulièrement, de l’augmentation de la valeur des actifs en gestion de Lekarna Ljubljana, la République de Slovénie considère que, quand bien même cette dernière serait en droit d’investir ses bénéfices dans l’activité pharmaceutique, y compris pour l’acquisition de biens immobiliers apparaissant dans les comptes de la catégorie des « actifs en gestion », cela ne signifierait pas pour autant que de tels actifs lui auraient été fournis à titre gratuit.

33 Dans un second temps, la République de Slovénie fait grief au Tribunal d’avoir considéré, au point 48 de l’arrêt attaqué, qu’il n’appartenait pas à la demanderesse en première instance de démontrer, au-delà de tout doute possible, que les actifs en gestion de Lekarna Ljubljana correspondaient à des aides d’État, mais qu’il incombait, au contraire, à la Commission, confrontée à une situation d’« incertitude », de procéder à un examen plus approfondi. En procédant de la sorte, le Tribunal aurait « mal appliqué le standard juridique des “difficultés sérieuses” », puisqu’il aurait admis un seuil inapproprié et manifestement bas en ce qui concerne la démonstration, par la demanderesse en première instance, de l’existence d’un doute, sans tenir compte, pour ce faire, de la marge d’appréciation dont disposerait la Commission pour engager la procédure formelle d’examen au titre de l’article 108, paragraphe 3, TFUE.

34 Cette approche, qui contreviendrait par ailleurs au standard établi par la Cour dans l’arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology (C 57/19 P, EU:C:2021:663, points 40, 45 et 49 à 51), conduirait à faire disparaître toute distinction entre la phase préliminaire et la procédure formelle d’examen et aurait pour effet de contraindre la Commission à ouvrir cette dernière procédure à chaque fois qu’une partie exprime, au cours de la première de ces phases, des préoccupations relatives à une prétendue aide d’État, et ce même lorsque ladite partie n’a pas présenté le moindre élément de preuve plausible à l’appui de ses allégations.

35 Or, en l’espèce, en l’absence du moindre indice ou élément de preuve, fourni par la demanderesse en première instance, qui aurait été de nature à laisser penser que la municipalité de Ljubljana avait transmis à Lekarna Ljubljana des actifs en gestion à titre gratuit ou à des conditions plus favorables qu’à celles du marché, la Commission n’aurait pas été tenue de rechercher, de sa propre initiative, des informations pertinentes aux fins de la constatation d’une éventuelle aide d’État. Ainsi, ce serait à tort que le Tribunal a considéré que la Commission ne pouvait se fier aux assurances données par les autorités slovènes selon lesquelles les actifs en gestion que Lekarna Ljubljana p.o. et Lekarna Ljubljana avaient acquis après l’année 1979 l’avaient été selon les conditions de marché.

36 La Commission partage l’argumentation de la République de Slovénie.

37 En outre, cette institution relève, d’une part, que, contrairement à ce qu’a fait valoir le Tribunal aux points 40, 49 et 50 de l’arrêt attaqué, la confirmation des autorités slovènes de ce que, postérieurement à l’année 1979, tous les actifs en gestion acquis par Lekarna Ljubljana p.o. et par Lekarna Ljubljana l’ont été selon les conditions de marché, sans aide publique, ne constituerait pas le seul élément sur lequel elle a pris appui dans la décision litigieuse. En effet, cette décision aurait également été fondée sur le cadre juridique et économique applicable, en particulier sur les dispositions relevées au point 30 du présent arrêt, ainsi que sur d’autres éléments, tels que, premièrement, le statut juridique de Lekarna Ljubljana, de même que sa capacité à réaliser des bénéfices et à acquérir une propriété, deuxièmement, le fait que toute propriété acquise devait être comptabilisée en tant qu’« actif en gestion », troisièmement, la circonstance que tout bénéfice généré devait être investi dans l’entreprise ou transféré à l’État, et, quatrièmement, la confirmation par la République de Slovénie qu’elle n’avait pas accordé d’actifs à Lekarna Ljubljana après l’année 1979, cette confirmation ayant été donnée dans le cadre de l’obligation de coopération loyale incombant à cet État membre en vertu de l’article 4, paragraphe 3, TUE.

38 À cet égard, la Commission considère, par ailleurs, que, eu égard à l’obligation de coopération loyale incombant à la République de Slovénie et en l’absence de preuve du contraire fournie par la demanderesse en première instance, elle était en droit de se fonder sur la confirmation des autorités slovènes selon laquelle les actifs en gestion que Lekarna Ljubljana p.o. et Lekarna Ljubljana avaient acquis après l’année 1979 l’avaient été selon les conditions de marché. Ainsi, ce serait à tort que le Tribunal a, au point 40 de l’arrêt attaqué, mis en doute la véracité de cette confirmation au motif qu’aucun élément de preuve n’avait été fourni par les autorités slovènes à son appui. Toute déduction contraire que le Tribunal a cherché à tirer à cet égard serait hors de propos, puisqu’elle aurait exigé de ces autorités qu’elles apportent la preuve d’un fait négatif, autrement dit qu’elles prouvent positivement que la République de Slovénie n’avait plus fourni d’actifs à Lekarna Ljubljana p.o. et à Lekarna Ljubljana après l’année 1979. Or, une telle approche reviendrait, en substance, à renverser la charge de la preuve délimitée par la Cour dans la jurisprudence développée en matière d’aides d’État, en particulier dans l’arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology (C 57/19 P, EU:C:2021:663).

39 D’autre part, selon la Commission, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en ayant outrepassé les limites de son contrôle juridictionnel, en ce que, au lieu de se limiter à vérifier si la demanderesse en première instance avait démontré, à partir d’un faisceau d’indices concordants, l’existence de doutes sérieux, il aurait apprécié lui-même s’il existait des indices probants à même de conforter l’existence de tels doutes.

40 Par le deuxième moyen du pourvoi, la République de Slovénie, soutenue par la Commission, reproche, en substance, au Tribunal d’avoir considéré, en ce qui concerne la seconde mesure en cause, que la Commission était confrontée à des difficultés sérieuses quant au point de savoir si cette mesure, pour autant qu’elle puisse être considérée comme étant une aide d’État, était constitutive d’une aide « existante », au sens de l’article 1er, sous b), du règlement 2015/1589, ou si elle avait été entretemps « modifiée », au sens de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 794/2004, de sorte que, dans cette seconde hypothèse, elle devait être qualifiée d’« aide nouvelle », au sens de l’article 1er, sous c), du règlement 2015/1589.

41 En effet, selon la République de Slovénie, ce serait à tort que le Tribunal a conclu, aux points 55 et 56 de l’arrêt attaqué, à l’existence de difficultés sérieuses en ce qui concerne ladite mesure, alors qu’il ressortait sans équivoque du considérant 39 de la décision litigieuse que la Commission avait clairement indiqué que les actifs en gestion dont avait été doté Lekarna Ljubljana p.o. au cours de l’année 1979, lors de son établissement, « dans la mesure où cette mesure pou[v]ait constituer une aide d’État, pou[v]ait être tout au plus une aide existante ».

42 Ce serait également à tort que le Tribunal a considéré, au point 54 de l’arrêt attaqué, que la situation « de départ », à savoir celle existant le 10 décembre 1994, était incertaine au motif que la décision litigieuse ne comportait aucune information à même de clarifier si, à cette date, des pharmacies privées avaient déjà obtenu des concessions municipales ou si Lekarna Ljubljana p.o. était encore en situation de monopole sur sa zone d’activité. Ces considérations du Tribunal seraient erronées, étant donné qu’il ressort des éléments mêmes que celui-ci a relevés au point 51 de l’arrêt attaqué que, entre le 10 décembre 1994 et la date à laquelle Lekarna Ljubljana a succédé à Lekarna Ljubljana p.o., à savoir au cours de l’année 1997, le même cadre légal était applicable, puisque les différentes lois nationales régissant, notamment, l’ouverture du marché slovène à la concurrence avaient déjà été adoptées avant le 10 décembre 1994. Or, cet aspect serait décisif pour l’appréciation de la modification de la seconde mesure en cause, qualifiée d’aide existante, en une aide nouvelle, au sens de l’article 1er, sous c), du règlement 2015/1589. En effet, à supposer même que, du fait de son évolution, la seconde mesure en cause qui, initialement, n’était pas une aide d’État ait pu le devenir, cette évolution serait, en tout état de cause, intervenue avant le 10 décembre 1994. Ainsi, ce serait sans commettre d’erreur que la Commission a conclu, au point 39 de la décision litigieuse, que, ni le contexte légal ni les conditions d’usage des actifs en gestion n’ayant changé entre le 10 décembre 1994 et la date à laquelle Lekarna Ljubljana s’était substitué à Lekarna Ljubljana p.o., cette substitution avait été de nature purement administrative, de sorte qu’elle ne pouvait constituer une modification d’une éventuelle aide existante en une aide nouvelle.

43 En outre, le Tribunal aurait estimé à tort, aux points 51 à 54 de l’arrêt attaqué, que Lekarna Ljubljana opérait dans des conditions différentes par rapport à Lekarna Ljubljana p.o. En particulier, il serait erroné de considérer, comme l’a indiqué le Tribunal au point 54 de cet arrêt, que les deux entités étaient caractérisées par des différences notables étant donné que, à la différence de son prédécesseur, Lekarna Ljubljana avait la capacité d’acquérir des actifs, y compris des biens immobiliers, de sorte qu’il y avait lieu de se demander si la continuation de la mise à disposition d’actifs immobiliers en gestion sans propriété pouvait toujours se justifier. En effet, selon la République de Slovénie, à l’instar de Lekarna Ljubljana, Lekarna Ljubljana p.o. disposait également de la capacité d’acquérir de tels actifs en gestion, à tout le moins depuis l’entrée en vigueur de la loi sur les établissements, intervenue au cours de l’année 1991.

44 À cet égard, la République de Slovénie précise que, comme son prédécesseur, Lekarna Ljubljana ne peut utiliser que les actifs qu’elle obtient formellement en gestion de la municipalité de Ljubljana même si ces actifs sont acquis avec des moyens assurés par Lekarna Ljubljana. La préoccupation du Tribunal quant au point de savoir s’il est encore justifié de faciliter les actifs en gestion serait sans fondement. Il s’agirait uniquement d’une manière d’assurer à un établissement public l’utilisation des actifs, puisque tous les actifs dont dispose un établissement sont détenus comme actifs en gestion. En revanche, cela n’impliquerait en aucun cas un octroi à titre gratuit des actifs en gestion.

45 Enfin, la République de Slovénie réfute les différents griefs soulevés par la demanderesse en première instance lors de la procédure administrative, en particulier ceux tirés, d’une part, de ce que la Commission n’avait pas levé les doutes quant au point de savoir si la seconde mesure en cause avait éventuellement été modifiée après le 1er mai 2004, date d’adhésion de la République de Slovénie à l’Union, et, d’autre part, de ce que la Commission n’avait pas vérifié la compatibilité de cette mesure avec le marché intérieur. S’agissant du premier de ces griefs, elle fait valoir, en substance, que, pour autant que la considération relevée par le Tribunal au point 54 de l’arrêt attaqué, selon laquelle Lekarna Ljubljana présentait des différences notables par rapport à l’entité à laquelle elle a succédé au cours de l’année 1997, était incorrecte, ce grief de la demanderesse en première instance deviendrait dépourvu de fondement. Quant au second de ces griefs, la République de Slovénie considère qu’il est juridiquement sans pertinence, au motif que, comme la Commission l’a relevé devant le Tribunal, ainsi qu’il ressort du point 38 de l’arrêt attaqué, la compatibilité d’une mesure d’aide ne saurait être requise, au titre de l’article 108, paragraphe 1, TFUE, qu’en ce qui concerne les régimes d’aides, alors que la mesure en cause en l’espèce concernerait une aide individuelle. Or, le Tribunal aurait accueilli cet argument en droit, étant donné qu’il n’aurait pas indiqué de motifs quelconques pour le rejeter.

46 Ainsi, la République de Slovénie conclut que la Commission n’avait aucune obligation d’ouvrir la procédure formelle d’examen, au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE. En effet, eu égard aux données dont elle disposait lors de la phase préliminaire d’examen, aucune base matérielle ou juridique ne lui aurait permis de conclure à l’existence de difficultés sérieuses. Par ailleurs, contrairement à ce qu’a fait valoir le Tribunal dans l’arrêt attaqué, cette décision aurait été suffisamment motivée.

47 La demanderesse en première instance considère qu’il y a lieu de rejeter les premier et deuxième moyens du pourvoi comme étant, en partie, irrecevables et, en partie, non fondés.

 Appréciation de la Cour

– Observations liminaires

48 Selon une jurisprudence constante, la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE revêt un caractère indispensable lorsque la Commission éprouve des difficultés sérieuses pour apprécier si une aide est compatible avec le marché intérieur. La Commission ne peut, dès lors, s’en tenir à la phase préliminaire d’examen visée à l’article 108, paragraphe 3, TFUE pour prendre une décision favorable à une aide que si elle est en mesure d’acquérir la conviction, au terme d’un premier examen, que cette aide est compatible avec le marché intérieur. En revanche, si ce premier examen a conduit la Commission à acquérir la conviction contraire, ou même n’a pas permis de surmonter toutes les difficultés soulevées par l’appréciation de la compatibilité de cette aide avec le marché intérieur, la Commission a le devoir de s’entourer de tous les avis nécessaires et d’ouvrir, à cet effet, la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE (arrêt du 14 septembre 2023, Commission et IGG/Dansk Erhverv, C 508/21 P et C 509/21 P, EU:C:2023:669, point 69 ainsi que jurisprudence citée).

49 En effet, il ressort d’une jurisprudence constante que, lorsque la procédure visée à l’article 108, paragraphe 3, TFUE ne lui a pas permis de surmonter toutes les difficultés soulevées par l’appréciation de la compatibilité de la mesure considérée, cette institution est dans l’obligation d’ouvrir la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, sans disposer à cet égard d’une marge d’appréciation. Ainsi, la Commission doit, conformément à la finalité de l’article 108, paragraphe 3, TFUE et au devoir de bonne administration qui lui incombe, engager les mesures et les vérifications nécessaires afin de surmonter, au cours de l’examen préliminaire, des difficultés éventuellement rencontrées, de sorte à dissiper tous les doutes existants quant à la compatibilité de la mesure considérée avec le marché intérieur (voir, en ce sens, arrêt du 3 septembre 2020, Vereniging tot Behoud van Natuurmonumenten in Nederland e.a./Commission, C 817/18 P, EU:C:2020:637, points 77 et 78 ainsi que jurisprudence citée).

50 La notion de « difficultés sérieuses » revêtant un caractère objectif, la preuve de l’existence de telles difficultés, qui doit être recherchée tant dans les circonstances de l’adoption de la décision prise à l’issue de l’examen préliminaire que dans son contenu, doit être rapportée par le demandeur de l’annulation de cette décision, à partir d’un faisceau d’indices concordants (arrêt du 14 septembre 2023, Commission et IGG/Dansk Erhverv, C 508/21 P et C 509/21 P, EU:C:2023:669, point 70 ainsi que jurisprudence citée).

51 Lorsqu’un requérant demande l’annulation d’une décision de la Commission de ne pas ouvrir la procédure formelle d’examen visée à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, il peut invoquer tout moyen de nature à démontrer que l’appréciation des informations et des éléments dont la Commission disposait lors de la phase préliminaire d’examen de la mesure notifiée aurait dû susciter des doutes quant à la compatibilité de cette mesure avec le marché intérieur. L’existence de doutes sur cette compatibilité est précisément la preuve qui doit être rapportée pour démontrer que la Commission était tenue d’ouvrir la procédure formelle d’examen. Ainsi, il appartient à l’auteur d’une telle demande d’annulation de démontrer que des doutes sur cette compatibilité existaient, de telle sorte que la Commission était tenue d’ouvrir ladite procédure formelle d’examen. Une telle preuve doit être recherchée tant dans les circonstances de l’adoption de cette décision que dans son contenu, à partir d’un faisceau d’indices concordants (arrêt du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 321/21 P, EU:C:2023:713, points 131 et 132 ainsi que jurisprudence citée).

52 La Cour a déjà jugé à cet égard que le caractère insuffisant ou incomplet de l’examen mené par la Commission lors de la procédure d’examen préliminaire constitue un indice de ce que cette institution a été confrontée à de sérieuses difficultés pour apprécier la compatibilité de la mesure notifiée avec le marché intérieur, ce qui aurait dû la conduire à ouvrir la procédure formelle d’examen (arrêt du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 321/21 P, EU:C:2023:713, point 133 et jurisprudence citée).

53 Il incombe au juge de l’Union, lorsqu’il est saisi d’une demande d’annulation d’une décision de la Commission de ne pas soulever d’objections, de déterminer si l’appréciation des informations et des éléments dont la Commission disposait lors de la phase préliminaire d’examen de la mesure nationale en cause aurait dû objectivement susciter des doutes quant à la qualification d’aide de cette mesure, étant donné que de tels doutes doivent donner lieu à l’ouverture d’une procédure formelle d’examen (arrêt du 6 octobre 2021, Scandlines Danmark et Scandlines Deutschland/Commission, C 174/19 P et C 175/19 P, EU:C:2021:801, point 67 ainsi que jurisprudence citée).

54 En outre, la légalité d’une décision prise au terme de la procédure d’examen préliminaire telle que celle visée à l’article 4, paragraphe 2, du règlement 2015/1589 doit être appréciée par le juge de l’Union en fonction non seulement des éléments d’information dont la Commission disposait au moment où elle l’a arrêtée, mais aussi des éléments dont elle « pouvait disposer », ce qui inclut les éléments qui apparaissaient pertinents et dont elle aurait pu, à sa demande, obtenir la production au cours de la procédure administrative (voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C 57/19 P, EU:C:2021:663, points 42 et 43 ainsi que jurisprudence citée).

55 En effet, la Commission est tenue de conduire la procédure d’examen des mesures en cause de manière diligente et impartiale afin de disposer, lors de l’adoption d’une décision finale établissant l’existence et, le cas échéant, l’incompatibilité ou l’illégalité de l’aide, des éléments les plus complets et fiables possibles pour ce faire (arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C 57/19 P, EU:C:2021:663, point 44 et jurisprudence citée).

56 Cela étant, s’il peut être nécessaire, lors de l’examen de l’existence et de la légalité d’une aide d’État, que la Commission aille au-delà du seul examen des éléments de fait et de droit portés à sa connaissance, il ne lui incombe toutefois pas de rechercher, de sa propre initiative et à défaut de tout indice en ce sens, toutes les informations qui pourraient présenter un lien avec l’affaire dont elle est saisie, quand bien même de telles informations se trouveraient dans le domaine public (voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C 57/19 P, EU:C:2021:663, point 45 ainsi que jurisprudence citée).

57 Ainsi, la seule existence d’un élément d’information potentiellement pertinent dont la Commission n’avait pas connaissance et sur lequel elle n’était pas tenue d’enquêter, au regard des éléments d’information qui étaient effectivement en sa possession, ne saurait démontrer l’existence de difficultés sérieuses, qui auraient obligé cette institution à ouvrir la procédure formelle d’examen (arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C 57/19 P, EU:C:2021:663, point 51 ainsi que jurisprudence citée).

58 Enfin, il y a lieu de rappeler que, si les principes consacrés par la jurisprudence rappelée aux points 48 à 57 du présent arrêt ont été dégagés notamment au regard des décisions de ne pas soulever d’objections, visées à l’article 4, paragraphe 3, du règlement 2015/1589, ces principes s’appliquent également aux décisions constatant que la mesure concernée ne constitue pas une aide, visées à l’article 4, paragraphe 2, de ce règlement, telle la décision litigieuse (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, Club Hotel Loutraki e.a./Commission, C 131/15 P, EU:C:2016:989, point 33 et jurisprudence citée).

59 C’est à la lumière desdits principes qu’il y a lieu d’examiner le point de savoir si le Tribunal a commis des erreurs de droit en concluant, en ce qui concerne les première et seconde mesures en cause, à l’existence de difficultés sérieuses qui auraient dû conduire la Commission à ouvrir la procédure formelle d’examen au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE.

– Sur l’existence d’une erreur de droit dans l’interprétation de la notion de « difficultés sérieuses » en ce qui concerne la première mesure en cause

60 S’agissant, en premier lieu, des griefs de la République de Slovénie dirigés contre les points 45 à 48 de l’arrêt attaqué, tels qu’exposés aux points 30 à 32 du présent arrêt, il convient de rappeler que, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, il résulte de l’article 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE et de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le Tribunal est seul compétent, d’une part, pour constater les faits, sauf dans le cas où l’inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été soumises, et, d’autre part, pour apprécier ces faits. Il s’ensuit que l’appréciation des faits ne constitue pas, sous réserve du cas de la dénaturation des éléments de preuve produits devant le Tribunal, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour (arrêt du 11 janvier 2024, Wizz Air Hungary/Commission, C 440/22 P, EU:C:2024:26, points 57 et 58 ainsi que jurisprudence citée).

61 En particulier, pour ce qui est de l’examen, dans le cadre d’un pourvoi, des appréciations du Tribunal à l’égard du droit national, qui, dans le domaine des aides d’État, constituent des appréciations de fait, la Cour n’est compétente que pour vérifier s’il y a eu une dénaturation de ce droit (arrêt du 5 décembre 2023, Luxembourg e.a./Commission, C 451/21 P et C 454/21 P, EU:C:2023:948, point 77 ainsi que jurisprudence citée).

62 Or, en l’espèce, pour autant que les griefs de la République de Slovénie, exposés aux points 30 à 32 du présent arrêt, tendent à remettre en cause l’appréciation du droit national et des faits, effectuée par le Tribunal aux points 45 à 48 de l’arrêt attaqué, sans alléguer une quelconque dénaturation à cet égard, il y a lieu de les écarter comme étant irrecevables.

63 S’agissant, en deuxième lieu, des griefs de la République de Slovénie visant à contester, en substance, la détermination par le Tribunal du seuil de la charge de la preuve incombant à la Commission dans le cadre de la procédure d’examen préliminaire visée à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, il convient de constater, premièrement, que, comme l’a relevé, en substance, M. l’avocat général au point 64 de ses conclusions, dans le cadre de la détermination des « règles et principes applicables », le Tribunal s’est référé, aux points 35 et 36 de l’arrêt attaqué, au standard juridique applicable de manière tout à fait conforme à la jurisprudence constante citée aux points 48 à 53 du présent arrêt. Plus précisément, c’est à bon droit que, à ce point 35 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé que, « quand la Commission examine des mesures d’aides au regard de l’article 107 TFUE pour déterminer si elles sont compatibles avec le marché intérieur, elle est tenue d’ouvrir [la procédure formelle d’examen] lorsque, après la phase d’examen préliminaire, elle n’a pu écarter toutes les difficultés empêchant de conclure à la compatibilité de ces mesures avec le marché intérieur ».

64 De la même manière, au point 36 de cet arrêt, le Tribunal a considéré que, « lorsque la Commission examine une mesure au regard des articles 107 et 108 TFUE et qu’elle est confrontée, à l’issue d’un examen préliminaire [...], à des difficultés persistantes ou à des doutes, autrement dit à des difficultés sérieuses, soit quant à la qualification d’aide d’État de cette mesure, soit quant à sa qualification d’aide existante ou d’aide nouvelle, soit quant à sa compatibilité avec le marché intérieur si elle estime être en présence d’une aide nouvelle, elle est tenue d’ouvrir la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE ».

65 Deuxièmement, il convient de constater que, ainsi que l’a relevé le Tribunal au point 49 de l’arrêt attaqué, la décision litigieuse s’est limitée à faire état, au sujet des actifs en gestion incorporés par Lekarna Ljubljana p.o. et Lekarna Ljubljana après l’année 1979, de l’affirmation des autorités slovènes selon laquelle tous ces actifs auraient été acquis par ces entités aux conditions de marché.

66 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, si un État membre est effectivement tenu, conformément à l’article 4, paragraphe 3, TUE, par un devoir de coopération loyale pendant toute la procédure relative à l’examen d’une mesure au titre des dispositions du droit de l’Union en matière d’aides d’État (arrêt du 5 décembre 2023, Luxembourg e.a./Commission, C 451/21 P et C 454/21 P, EU:C:2023:948, point 122 ainsi que jurisprudence citée), cette circonstance ne saurait pour autant exclure, comme M. l’avocat général l’a relevé en substance au point 67 de ses conclusions, l’existence de « difficultés sérieuses » ou de « doutes » auxquels la Commission pourrait être confrontée, le cas échéant, à l’issue de l’examen préliminaire d’une mesure portée à sa connaissance par une plainte. Toute autre interprétation impliquerait implicitement, mais nécessairement que les doutes existant dans le chef de la Commission pourraient être automatiquement dissipés sur le seul fondement des affirmations des autorités nationales, avec pour conséquence qu’une procédure engagée au titre de l’article 108 TFUE pourrait être clôturée en l’absence de toute preuve apportée par ces autorités pour contrecarrer les éléments avancés par le plaignant afin d’établir l’existence de difficultés sérieuses. Or, accepter que des doutes entourant l’existence ou la compatibilité d’une mesure d’aide puissent être dissipés avec une telle facilité, sur la seule base des affirmations des autorités nationales, priverait non seulement la procédure préliminaire prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE de toute raison d’être, mais risquerait également de mettre en péril le mécanisme de contrôle des aides d’État et le rôle confié à la Commission.

67 En effet, comme M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 68 de ses conclusions, outre le fait qu’il est beaucoup plus difficile pour un plaignant d’obtenir des autorités publiques susceptibles d’avoir octroyé des aides d’État les éléments d’information pertinents que pour la Commission, qui dispose de pouvoirs étendus à cet effet, il y a lieu de tenir compte, d’une part, du fait que la difficulté des plaignants à accéder aux éléments de preuve est d’autant plus notable dans le contexte d’une affaire telle que celle en l’espèce, dont l’origine remonte aux années 1970 et qui a été marquée par le passage d’une économie dirigée à une économie de marché ainsi que par un rapport de concurrence entre les pharmacies publiques et privées. Or, un tel contexte rendait inévitablement plus difficile encore pour la demanderesse en première instance l’accès aux informations pertinentes concernant les conditions dans lesquelles Lekarna Ljubljana p.o. et Lekarna Ljubljana s’étaient vu octroyer des actifs en gestion.

68 D’autre part, il convient de souligner que la Commission dispose d’importants pouvoirs, découlant tant du traité FUE que du règlement 2015/1589, lui permettant de demander, si nécessaire, des renseignements supplémentaires aux États membres, ces derniers étant, en règle générale, mieux placés que les plaignants pour dissiper les éventuels doutes existant dans le chef de la Commission.

69 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a considéré, au point 48 de l’arrêt attaqué, qu’il appartenait non pas à la demanderesse en première instance de prouver sans doute possible que figuraient parmi les actifs en gestion de Lekarna Ljubljana p.o. et de Lekarna Ljubljana des actifs correspondant à des aides d’État, mais à la Commission, face à une situation d’incertitude à cet égard, d’approfondir ses investigations.

70 Par conséquent, il ne saurait être reproché au Tribunal d’avoir appliqué un seuil manifestement trop bas concernant les exigences probatoires à satisfaire pour déclencher l’obligation de la Commission d’ouvrir la procédure formelle d’examen au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE.

71 En troisième lieu, l’argumentation de la République de Slovénie, exposée au point 33 du présent arrêt, selon laquelle la Commission disposerait d’une marge d’appréciation pour engager cette procédure doit également être écartée. En effet, il ressort sans équivoque de la jurisprudence mentionnée au point 49 de cet arrêt que, lorsque l’examen préliminaire effectué au titre de l’article 108, paragraphe 3, TFUE ne lui a pas permis de dissiper tous les doutes existants à l’égard d’une mesure donnée, la Commission est dans l’obligation d’ouvrir la procédure formelle d’examen, sans disposer à cet égard d’une quelconque marge d’appréciation.

72 S’agissant, en quatrième lieu, des griefs de la République de Slovénie tels que mentionnés au point 35 du présent arrêt, tirés de ce que, en l’absence du moindre élément de preuve apporté par la demanderesse en première instance pour établir l’existence de difficultés sérieuses, il n’incombait pas à la Commission de rechercher, de sa propre initiative, des informations qui auraient éventuellement pu être pertinentes aux fins de la constatation d’une éventuelle aide d’État, il y a lieu de les écarter comme étant non fondés. En effet, il ressort sans équivoque des points 45 à 48 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a arrêté ses appréciations figurant aux points 49 et 50 de cet arrêt sur la base des seuls documents et éléments avancés spécifiquement par la demanderesse en première instance.

73 En cinquième lieu, contrairement à ce que fait valoir la République de Slovénie, il ressort tant de l’arrêt attaqué que du dossier soumis à la Cour que les éléments de preuve fournis par la demanderesse en première instance dans le cadre du recours devant le Tribunal, tels qu’ils ressortent des points 44 à 48 de l’arrêt attaqué, sont les mêmes que ceux qu’elle avait communiqués à la Commission lors de la procédure administrative ayant conduit à l’adoption de la décision litigieuse. Or, ainsi qu’il découle de l’arrêt attaqué, aucune référence n’a été faite dans la décision litigieuse à ces différents éléments de preuve.

74 S’agissant, en sixième et dernier lieu, de l’argumentation de la Commission, telle que relevée au point 39 du présent arrêt, tirée de ce que le Tribunal aurait outrepassé les limites de son contrôle juridictionnel, il y a lieu de l’écarter comme étant non fondée, étant donné qu’il ressort des points 44 à 50 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a exercé ce contrôle de manière conforme à la jurisprudence rappelée au point 53 du présent arrêt.

75 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le premier moyen du pourvoi comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondé.

– Sur l’existence d’une erreur de droit dans l’interprétation de la notion de « difficultés sérieuses » en ce qui concerne la seconde mesure en cause

76 En premier lieu, pour autant que, par les griefs relevés aux points 40, 41 et 46 du présent arrêt, la République de Slovénie conteste, en substance, le seuil appliqué par le Tribunal pour apprécier l’existence de « difficultés sérieuses » quant à l’appréciation de la seconde mesure en cause, il y a lieu de constater, comme il a été indiqué au point 63 du présent arrêt, que, dans le cadre de la détermination des « règles et principes applicables », le Tribunal s’est référé, aux points 35 et 36 de l’arrêt attaqué, au standard juridique applicable de manière tout à fait conforme à la jurisprudence constante citée aux points 48 à 53 du présent arrêt.

77 Plus précisément, conformément à la jurisprudence citée au point 58 du présent arrêt, c’est à juste titre que le Tribunal a jugé que les principes rappelés dans la seconde partie du point 63 du présent arrêt doivent également s’appliquer lorsque la Commission conserve des doutes sur la qualification même d’aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, de la mesure examinée.

78 C’est également à juste titre que le Tribunal a conclu, au point 36 de l’arrêt attaqué, que, « lorsque la Commission examine une mesure au regard des articles 107 et 108 TFUE et qu’elle est confrontée, à l’issue d’un examen préliminaire [...], à des difficultés persistantes ou à des doutes, autrement dit à des difficultés sérieuses, soit quant à la qualification d’aide d’État de cette mesure, soit quant à sa qualification d’aide existante ou d’aide nouvelle, soit quant à sa compatibilité avec le marché intérieur si elle estime être en présence d’une aide nouvelle, elle est tenue d’ouvrir la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE ».

79 Il s’ensuit que, comme l’a relevé, en substance, M. l’avocat général au point 86 de ses conclusions, il ne saurait être reproché au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit dans la définition du standard juridique applicable en ce qui concerne la détermination de l’existence de « difficultés sérieuses ».

80 Partant, les griefs mentionnés au point 76 du présent arrêt doivent être écartés comme étant non fondés.

81 En second lieu, il convient de rappeler que, dans le cadre du système de contrôle des aides étatiques, instauré par les articles 107 et 108 TFUE, la procédure diffère selon que les aides sont existantes ou nouvelles. Alors que les aides existantes peuvent, conformément à l’article 108, paragraphe 1, TFUE, être régulièrement exécutées tant que la Commission n’a pas constaté leur incompatibilité, l’article 108, paragraphe 3, TFUE prévoit que les projets tendant à instituer des aides nouvelles ou à modifier des aides existantes doivent être notifiés, en temps utile, à la Commission et ne peuvent être mis à exécution avant que la procédure n’ait abouti à une décision finale (arrêt du 28 octobre 2021, Eco Fox e.a., C 915/19 à C 917/19, EU:C:2021:887, point 36 ainsi que jurisprudence citée).

82 Aux termes de l’article 1er, sous b), i), du règlement 2015/1589, une « aide existante » s’entend, notamment, comme étant « toute aide existant avant l’entrée en vigueur du [traité FUE] dans l’État membre concerné, c’est-à-dire les régimes d’aides et aides individuelles mis à exécution avant et toujours applicables après l’entrée en vigueur [du traité FUE] dans les États membres respectifs ». De son côté, l’annexe IV, point 3, paragraphe 1, sous a), de l’acte d’adhésion précise que sont considérées, lors de l’adhésion des États concernés par cet acte, comme étant des aides existantes, au sens de l’article 108, paragraphe 1, TFUE, les « aides mises à exécution avant le 10 décembre 1994 ».

83 Quant à la notion d’« aide nouvelle », celle-ci est définie à l’article 1er, sous c), du règlement 2015/1589 comme étant « toute aide, c’est-à-dire tout régime d’aides ou toute aide individuelle, qui n’est pas une aide existante, y compris toute modification d’une aide existante ». L’article 4, paragraphe 1, première phrase, du règlement no 794/2004 précise, à cet égard, que, aux fins de l’article 1er, sous c), du règlement 2015/1589, « on entend par modification d’une aide existante tout changement autre que les modifications de caractère purement formel ou administratif qui ne sont pas de nature à influencer l’évaluation de la compatibilité de la mesure d’aide avec le marché [intérieur] ».

84 Ainsi, la Cour a déjà jugé qu’il y a lieu de déterminer si les changements intervenus emportent une modification substantielle de l’aide existante en cause ou si ces changements se limitent à apporter une modification de caractère purement formel ou administratif qui n’est pas de nature à influencer la compatibilité de la mesure d’aide avec le marché intérieur (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2018, Rittinger e.a., C 492/17, EU:C:2018:1019, point 57). Dans ce contexte, une modification ne saurait être qualifiée de purement formelle ou administrative, au sens de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 794/2004, lorsqu’elle est susceptible d’influer sur l’évaluation de la compatibilité de la mesure d’aide avec le marché intérieur (arrêt du 28 octobre 2021, Eco Fox e.a., C 915/19 à C 917/19, EU:C:2021:887, point 41 ainsi que jurisprudence citée).

85 En l’espèce, s’agissant des griefs de la République de Slovénie exposés aux points 42 à 45 du présent arrêt, pour autant qu’ils tendent à remettre en cause l’appréciation du droit national et des faits effectuée par le Tribunal, sans qu’aucune dénaturation ait été invoquée à cet égard, il y a lieu, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 60 et 61 de cet arrêt, de les rejeter comme étant irrecevables.

86 Pour le surplus, il y a lieu de relever que, comme l’a constaté le Tribunal au point 52 de l’arrêt attaqué, la Commission s’était bornée à indiquer, au considérant 39 de la décision litigieuse, que la succession, intervenue au cours de l’année 1997, entre Lekarna Ljubljana p.o. et Lekarna Ljubljana avait été de nature purement administrative et que, par ailleurs, ni le contexte légal ni les conditions d’usage des actifs en gestion en cause n’avaient changé, de sorte qu’il y avait lieu de considérer que ladite mesure n’avait pas été modifiée dans une mesure telle qu’elle était devenue une aide nouvelle, au sens de l’article 1er, sous c), du règlement 2015/1589.

87 Or, eu égard à la nature et à la portée des incertitudes identifiées par le Tribunal au point 54 de l’arrêt attaqué, portant sur des éléments susceptibles d’influer sur la compatibilité de la mesure d’aide avec le marché intérieur, au sens de la jurisprudence mentionnée au point 84 du présent arrêt, il ne saurait lui être reproché d’avoir considéré, aux points 54 à 56 de cet arrêt, que, faute pour la Commission d’avoir effectué un examen plus approfondi au regard de l’évolution du contexte légal et économique de l’activité pharmaceutique en Slovénie, celle-ci était confrontée à des difficultés sérieuses qui auraient dû la conduire à ouvrir la procédure formelle d’examen au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE.

88 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient d’écarter le deuxième moyen du pourvoi comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondé.

 Sur le troisième moyen

 Argumentation des parties

89 Par le troisième moyen du pourvoi, la République de Slovénie fait grief au Tribunal d’avoir motivé l’arrêt attaqué de manière insuffisante. À l’appui de ce moyen, après avoir rappelé que, selon la jurisprudence issue, notamment, de l’arrêt du 26 mai 2016, Rose Vision/Commission (C 224/15 P, EU:C:2016:358, points 24 et 26), un grief tiré d’une motivation insuffisante constitue une question de droit pouvant, dès lors, être invoquée dans le cadre d’un pourvoi, la République de Slovénie fait valoir que, si, dans la partie introductive du point 48 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que la demanderesse en première instance, en réponse à la première appréciation préliminaire de la Commission, avait présenté en les commentant plusieurs extraits des comptes publics de Lekarna Ljubljana et de la municipalité de Ljubljana pour la période 2010-2019, il n’a pas pour autant mentionné les contenus de ces extraits et commentaires. En outre, ceux-ci ne pourraient être établis sur la base des assertions de la demanderesse en première instance, cette dernière n’ayant pas, dans sa requête, renvoyé au contenu desdits extraits. Or, au point 49 de l’arrêt attaqué, le Tribunal s’est fondé sur les extraits des comptes publics de Lekarna Ljubljana et de la municipalité de Ljubljana et, sans en mentionner le contenu, a jugé, sur cette base factuelle, que la situation portant sur la nature et le statut des actifs que Lekarna Ljubljana p.o. et Lekarna Ljubljana avaient obtenus en gestion postérieurement à l’année 1979 n’était pas claire. Ainsi, puisqu’il ne serait pas possible d’examiner si ces documents faisaient effectivement apparaître des données qui, objectivement, étaient de nature à faire naître un doute quant à l’existence d’une aide d’État, les motifs de l’arrêt attaqué ne permettraient pas aux intéressés de connaître les justifications de la décision prise par le Tribunal et à la Cour d’exercer son contrôle juridictionnel.

90 La demanderesse en première instance soutient que le troisième moyen du pourvoi doit être rejeté comme étant irrecevable ou, en tout état de cause, comme étant non fondé.

 Appréciation de la Cour

91 Il convient de constater que, au point 48 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé que la demanderesse en première instance avait reproduit plusieurs extraits des comptes publics de Lekarna Ljubljana et de la municipalité de Ljubljana relatifs à l’année 2010, en les commentant. Le Tribunal a précisé, à ce point, premièrement, que la demanderesse en première instance avait dénoncé des discordances entre les chiffres de cette municipalité relatifs à la valeur des actifs octroyés en gestion à Lekarna Ljubljana (par exemple, 35 036 742 euros au 31 décembre 2014) et les propres chiffres de Lekarna Ljubljana relatifs à la valeur de ses actifs de long terme et de ses actifs octroyés en gestion (26 976 187 euros à la même date, donc une somme inférieure alors qu’elle semble porter sur un champ plus large), deuxièmement, qu’elle avait souligné l’importance de l’augmentation de ces actifs dans les comptes de Lekarna Ljubljana d’une année sur l’autre (par exemple, le passage de 26 976 187 euros au 31 décembre 2014 à 31 973 809 euros un an plus tard), tout comme celle, dans les comptes de ladite municipalité, de la valeur des actifs octroyés en gestion à Lekarna Ljubljana (passage de 35 036 742 euros à 42 790 897 euros pour la même période), ainsi que, troisièmement, qu’elle avait fait observer qu’un tableau établi par la même municipalité expliquant les variations de valeur des actifs octroyés en gestion à Lekarna Ljubljana d’une année sur l’autre indiquait à de nombreuses reprises que l’augmentation était due à un résultat positif de l’établissement, ce qui laissait entendre que les actifs octroyés en gestion comprenaient non seulement des actifs physiques, mais aussi des actifs monétaires, alors que Lekarna Ljubljana devait normalement reverser à la municipalité de Ljubljana son résultat annuel positif, déduction faite des besoins en investissement.

92 Il résulte de telles constatations que, contrairement à ce que fait valoir la République de Slovénie, le Tribunal a mentionné le contenu des extraits des comptes publics de Lekarna Ljubljana et de la municipalité de Ljubljana relatifs à l’année 2010, tel qu’invoqué, devant lui, par la demanderesse en première instance.

93 En outre, il résulte du point 49 de l’arrêt attaqué que le Tribunal ne s’est pas fondé uniquement sur ces extraits pour considérer que la situation relative à la nature et au statut des actifs que Lekarna Ljubljana p.o. et Lekarna Ljubljana avaient obtenus en gestion postérieurement à l’année 1979 n’était pas claire. En effet, à ce point 49, le Tribunal s’est référé aux éléments mis en avant par la demanderesse en première instance pendant la procédure administrative, tels que mentionnés aux points 45 à 48 de l’arrêt attaqué. Or, parmi ces éléments figurait un extrait du rapport annuel de Lekarna Ljubljana pour l’année 2012.

94 Il résulte des considérations qui précèdent que l’argumentation invoquée à l’appui du troisième moyen procède d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué.

95 Il s’ensuit que le troisième moyen du pourvoi doit être écarté comme étant non fondé.

 Sur le quatrième moyen

 Argumentation des parties

96 Par le quatrième moyen du pourvoi, tiré d’une violation de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux, la République de Slovénie reproche, en substance, au Tribunal, d’une part, d’avoir précisé les griefs généraux avancés par la demanderesse en première instance au delà des seules assertions de celle-ci et, d’autre part, de ne pas avoir tenu compte de certaines indications fournies par la Commission. Ce faisant, le Tribunal aurait violé le droit de cette institution à un recours effectif et à un juge impartial, portant ainsi également atteinte aux intérêts de la République de Slovénie.

97 S’agissant, d’une part, du grief selon lequel le Tribunal se serait livré, dans l’arrêt attaqué, à des constatations qui ne pouvaient être fondées sur le seul contenu du recours en première instance, la République de Slovénie indique, en substance, premièrement, que la demanderesse en première instance n’a pas fait référence dans son recours aux dispositions de la loi sur les actifs physiques de l’État et des administrations locales, alors que le Tribunal les a prises en compte aux points 47 et 49 de l’arrêt attaqué. Deuxièmement, bien qu’elle ait fait valoir une augmentation des actifs octroyés en gestion au cours de l’année 2015 et fait référence de manière très générale au rapport annuel de Lekarna Ljubljana ainsi qu’aux données des rapports annuels de la municipalité de Ljubljana, le Tribunal, au point 48 de cet arrêt, aurait invoqué les extraits des comptes publics de Lekarna Ljubljana et de la municipalité de Ljubljana pour l’année 2010 et, au point 49 dudit arrêt, aurait fondé sa conclusion sur ces données. Troisièmement, alors que la demanderesse en première instance n’avait pas fait valoir dans son recours des discordances entre les chiffres de la municipalité de Ljubljana en ce qui concerne la valeur des actifs octroyés en gestion à Lekarna Ljubljana, et les chiffres de Lekarna Ljubljana en ce qui concerne la valeur de ses actifs de long terme et des actifs octroyés en gestion, le Tribunal aurait néanmoins traité ce grief aux points 48 et 49 de l’arrêt attaqué. Quatrièmement, tandis qu’elle avait fait référence de manière très générale à l’augmentation des actifs en gestion dans les comptes de Lekarna Ljubljana, le Tribunal aurait fondé ses conclusions sur ce grief aux points 48 et 49 de cet arrêt. Cinquièmement, elle n’aurait pas invoqué dans son recours le tableau des variations de valeur des actifs en gestion que la municipalité a préparé, mais le Tribunal se serait appuyé sur ces données aux points 48 et 49 dudit arrêt. Sixièmement, le Tribunal aurait constaté au point 51 du même arrêt que, d’après les indications de la demanderesse en première instance, la loi sur les pharmacies avait été modifiée au cours de l’année 2007 afin de permettre aux établissements pharmaceutiques municipaux d’opérer en dehors du territoire de la municipalité d’origine bien que cela ne ressorte pas de ces indications.

98 En ce qui concerne, d’autre part, le grief selon lequel le Tribunal n’aurait pas tenu compte des indications fournies par la Commission dans son mémoire en défense, la République de Slovénie avance, en substance, d’une part, que la Commission a signalé que la demanderesse en première instance avait fait référence à un extrait du rapport annuel de Lekarna Ljubljana pour l’année 2012, mais uniquement en lien avec un document soumis au conseil municipal de Ljubljana par le maire de celle-ci au cours de l’année 2013. Toutefois le Tribunal aurait traité cet extrait comme une preuve autonome. D’autre part, cette institution aurait expressément signalé que l’augmentation de la valeur des actifs en gestion ne démontrait pas l’existence d’une aide d’État, mais le Tribunal ne se serait pas prononcé sur cet argument juridiquement décisif et aurait en grande partie fondé sa décision sur le fait que la Commission aurait eu des difficultés sérieuses en ce qui concerne l’existence d’une aide d’État, précisément sur les données relatives à la simple augmentation de la valeur des actifs en gestion.

99 La demanderesse en première instance soutient que le quatrième moyen du pourvoi doit être rejeté comme étant dépourvu de fondement.

 Appréciation de la Cour

100 S’agissant des différents griefs soulevés par la République de Slovénie, relevés au point 97 du présent arrêt, ceux-ci tendent, en substance, à remettre en cause l’appréciation du droit national et des faits effectuée par le Tribunal, sans qu’aucune dénaturation ait été invoquée à cet égard. Dans ces conditions, il y a lieu, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 60 et 61 du présent arrêt, de les rejeter comme étant irrecevables.

101 Quant aux griefs repris au point 98 de cet arrêt, ceux-ci sont formulés de manière confuse. En effet, si la République de Slovénie ne reproche pas formellement au Tribunal une violation de l’obligation de motivation, elle semble toutefois lui faire grief de ne pas avoir répondu à l’ensemble des arguments que la Commission avait soulevés dans le cadre de son mémoire en défense présenté en première instance.

102 Ainsi, en ce que ce moyen pourrait être compris comme visant une violation, par le Tribunal, de son obligation de motivation, il y a lieu de rappeler, d’une part, que, dans le cadre du pourvoi, le contrôle de la Cour a pour objet, notamment, de vérifier si le Tribunal a répondu à suffisance de droit à l’ensemble des arguments invoqués par le requérant et, d’autre part, que le moyen tiré d’un défaut de réponse du Tribunal à des arguments invoqués en première instance revient, en substance, à invoquer une violation de l’obligation de motivation qui découle de l’article 36 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable au Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, de ce statut, et de l’article 117 du règlement de procédure du Tribunal (arrêt du 28 septembre 2023, Changmao Biochemical Engineering/Commission, C 123/21 P, EU:C:2023:708, point 185 et jurisprudence citée).

103 En outre, l’obligation de motivation n’impose pas au Tribunal de fournir un exposé qui suivrait, de manière exhaustive et un par un, tous les raisonnements articulés par les parties au litige, la motivation du Tribunal pouvant donc être implicite à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les raisons pour lesquelles le Tribunal n’a pas fait droit à leurs arguments et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle (arrêt du 28 septembre 2023, Changmao Biochemical Engineering/Commission, C 123/21 P, EU:C:2023:708, point 86 et jurisprudence citée).

104 Or, en l’espèce, les griefs mentionnés au point 98 du présent arrêt se recoupent, en substance, avec des arguments qui avaient déjà été soulevés par la République de Slovénie dans le cadre des différents moyens invoqués en première instance et sur lesquels le Tribunal s’est prononcé lors de l’examen de ces moyens. Par ailleurs, les motifs de l’arrêt attaqué en réponse auxdits moyens sont clairs et non équivoques et permettent de comprendre les éléments qui ont fondé la décision du Tribunal. Le fait que, sur le fond, ce dernier est parvenu à un résultat autre que celui dont la République de Slovénie faisait état ne saurait, en soi, entacher l’arrêt attaqué d’un défaut de motivation (voir, par analogie, arrêt du 28 septembre 2023, Changmao Biochemical Engineering/Commission, C 123/21 P, EU:C:2023:708, point 187 et jurisprudence citée).

105 Ainsi, pour autant que la République de Slovénie reproche au Tribunal une violation de l’obligation de motivation qui lui incombe, les arguments qu’elle avance en ce sens doivent être écartés comme étant non fondés.

106 Au vu des éléments qui précèdent, il y a lieu de rejeter le quatrième moyen du pourvoi comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondé.

107 Aucun des moyens du pourvoi n’ayant été accueilli, celui-ci doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur les dépens

108 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

109 La République de Slovénie ayant succombé en ses moyens, il y a lieu, conformément aux conclusions de la demanderesse en première instance, de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par cette dernière.

110 Conformément à l’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, selon lequel les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens, la Commission supportera ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête :

1) Le pourvoi est rejeté.

2) La République de Slovénie est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par Mme Petra Flašker.

3) La Commission européenne supporte ses propres dépens.