CA Rennes, 3e ch. com., 3 septembre 2024, n° 23/02630
RENNES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Quatuor Transactions (SAS)
Défendeur :
SAS (J)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Contamine
Vice-président :
Mme Clément
Conseiller :
Mme Jeorger-le Gac
Avocats :
Me Le Dirac'h, Me Mathon, Me Couetmeur
FAITS ET PROCÉDURE :
La société [J] fait du négoce de bovins. MM. [Z] et [U] [J] détiennent 100% des parts de la société.
Le 4 février 2021 la société [J] a signé un contrat de mandat de vente exclusif avec la société Quatuor Transactions (la société Quatuor) portant sur la vente de son parc matériel de transport et de son fonds de commerce.
La rémunération du mandataire était prévue à la charge des vendeurs pour 40.625 euros HT.
Le 2 février 2022 la vente a été réalisée au profit de la société Bigard.
Le 15 février 2022, la société [J] a indiqué à la société Quatuor qu'elle ne valorisait le prix de son intervention qu'à la somme de 15.000 euros.
La société Quatuor a assigné la société [J] et MM. [J] en paiement de la rémunération contractuellement prévue.
Par jugement du 26 avril 2024, le tribunal de commerce de Saint Nazaire a :
- in limine litis, Jugé que la décision est inopposable aux frères [J], es qualité de personnes physiques,
- Rejeté la demande des frères [J] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Jugé qu'à défaut de régularisation de la formalité substantielle d'envoi du contrat signé par le mandataire au mandant, le contrat de mandat n'est pas accepté et n'existe tout simplement pas,
- Débouté en conséquence et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres chefs de demande et de défense de l'ensemble de ses demandes de commissions ou d'indemnités,
- Maintenu l'exécution provisoire de droit de la décision,
- Condamné la société Quatuor à payer la somme de 2.500 euros à la société [J] au titre de l'article 700 du code de procédure civile et Débouté cette dernière du surplus de sa demande,
- Condamné la société Quatuor aux dépens de l'instance.
La société Quatuor a interjeté appel le 3 mai 2023.
Les dernières conclusions de la société Quatuor sont en date du 25 septembre 2023. Les dernières conclusions de MM. [Z] et [U] [J] et de la société [J] sont en date du 2 avril 2024.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 avril 2024.
PRÉTENTIONS ET MOYENS :
La société Quatuor demande à la cour de :
- Réformer en toutes ses dispositions le jugement en ce qu'il a :
- in limine litis Jugé que la décision est inopposable aux frères [J], es qualité de personnes physiques,
- Jugé qu'à défaut de régularisation de la formalité substantielle d'envoi du contrat signé par le mandataire au mandant, le contrat de mandat n'est pas accepté et n'existe tout simplement pas,
- Débouté en conséquence et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres chefs de demande et de défense la société Quatuor de l'ensemble de ses demandes de commissions ou d'indemnités,
- Condamné la société Quatuor à payer la somme de 2.500 euros à la société [J] au titre de l'article 700 du code de procédure civile et débouté cette dernière du surplus de sa demande,
- Condamné la société Quatuor aux dépens,
En conséquence :
Et statuant à nouveau :
- Constater la validité du contrat de mandat de vente exclusif signé entre la société Quatuor et la société [J] le 4 février 2021,
- Dire et juger que la société Quatuor a parfaitement accompli les termes de sa mission,
En conséquence :
- S'entendre la société [J] condamner à payer à la société Quatuor la somme principale de 48.750 euros à titre d'indemnité forfaitaire valant clause pénale,
- S'entendre la même condamner au paiement d'une somme de 5.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- Débouter la société [J] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions en ce qu'elles sont dirigées contre la société Quatuor,
- Voir ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir nonobstant toutes voies de recours et sans constitution de garantie,
- Dire et juger le jugement à intervenir commun et opposable à MM. [Z] et [U] [J],
- S'entendre condamner la société [J] en tous les dépens.
MM. [Z] et [U] [J] et la société [J] demandent à la cour de:
- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement,
En conséquence :
In limine litis :
- Juger l'action irrecevable et inopposable à MM. [J] [Z] et [U],
- Condamner la société Quatuor d'avoir à verser à MM. [J] [Z] et [U] chacun la somme de 2.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile outre dépens,
- Débouter la société Quatuor de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de la société [J],
- Condamner la société Quatuor d'avoir à verser à la société [J] la somme de 2.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
- Condamner la société Quatuor aux dépens de première instance au titre des dispositions des articles 696 et suivants du même code,
A titre subsidiaire, si la cour retenait le principe d'une rémunération acquise en présence d'un mandat exclusif et compte tenu des violations des règles de droit de la consommation applicables et d'ordre public :
- Condamner la société Quatuor à verser à la société [J] une somme de 48.750.00 euros à titre de dommages-intérêts conformément aux dispositions de l'article 1231-5 du code civil,
- Ordonner la compensation des dettes respectives,
- Débouter la société Quatuor de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de la société [J],
En toutes hypothèses :
- Condamner la société Quatuor d'avoir à verser à la société [J] la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile en indemnisation des frais irrépétibles d'appel,
- Condamner la société Quatuor aux dépens d'appel au titre des dispositions des articles 696 et suivants du même code,
- Débouter société Quatuor de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de la société [J].
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé à leurs dernières conclusions visées supra.
DISCUSSION :
Sur l'opposabilité du jugement à MM. [J] :
La société [J] et MM. [J] demande à titre principal la confirmation du jugement. Le jugement n'a statué que sur l'inopposabilité de la décision à MM. [J] et pas sur une éventuelle irrecevabilité de l'action engagée par eux. La cour n'examinera donc que le recours formé contre la décision d'inopposabilité prise par le premier juge.
MM. [J] ont été régulièrement attraits à la procédure. Il importe peu, pour ce qui concerne l'opposabilité de la décision, qu'ils ne soient intervenus dans les faits qu'en leur qualité de représentants légaux de la société [J].
Il y a lieu de rejeter la demande visant à déclarer le jugement, et l'arrêt, inopposables à MM. [J].
Le jugement sera infirmé sur ce point.
Sur la régularité du mandat :
La société [J] et MM. [J] font valoir qu'aucun contrat signé par les deux parties n'aurait été communiqué à la société [J] et que cette dernière n'aurait ainsi pas pu connaître l'acceptation du mandataire résultant de sa signature. Selon eux, la société [J] n'aurait ainsi pas pu identifier le point de départ du délai de rétractation.
Par lettre du 25 mars 2022, la société [J] s'est prévalu de ces arguments et a indiqué qu'en tant que de besoin elle se rétractait.
La société Quatuor produit devant la cour un exemplaire du contrat de mandat exclusif de vente. Il y est indiqué qu'il a été signé le 2 février 2021 par M. [U] [J], le 4 février 2021 par M. [Z] [J], tous deux représentant la société [J], et le 4 février 2021 par M. [F], représentant de la société Quatuor. Cet exemplaire du contrat comporte un formulaire de rétractation. Il est précisé au contrat que le délai de rétractation court à compter du lendemain du jour de la conclusion du mandat et expire le dernier jour à minuit.
Il résulte de la lettre de la société Immosign en date du 7 septembre 2023 et des pièces qui y sont jointes que M. [U] [J] a signé le contrat le 2 février 2021 à 19h 49 minutes et 38 secondes, M. [Z] [J] le 4 février 2021 à 11 heures trente neuf minutes une seconde et M. [V] [F] l e 4 février 2021 à 17 heures dix minutes vingt six secondes. La procédure a été terminée à cette dernière date. Chacun des signataires a alors reçu un courriel l'informant que les documents avaient bien été signés et qu'il pouvait les consulter et les télécharger en cliquant sur un lien mentionné au courriel. La société Immosign a précisé devant la cour que les liens était encore accessibles aux signataires.
Il apparaît ainsi que les représentants de la société [J] ont bien reçu les contrats une fois signés ainsi que la date exacte de la signature, et donc du départ du délai de rétractation.
La société [J] et MM. [J] font également valoir que le registre des mandats de la société Quatuor comporterait une rature et qu'il ne serait donc pas régulier. Ils en déduisent que le mandat serait nul.
Le mandant doit tenir un registre des mandats :
Article 72 du Décret n°72-678 du 20 juillet 1972 fixant les conditions d'application de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et fonds de commerce :
Le titulaire de la carte professionnelle portant la mention :
" Transactions sur immeubles et fonds de commerce " ne peut négocier ou s'engager à l'occasion d'opérations spécifiées à l'article 1er (1° à 5°) de la loi susvisée du 2 janvier 1970 sans détenir un mandat écrit préalablement délivré à cet effet par l'une des parties.
Le mandat précise son objet et contient les indications prévues à l'article 73.
Lorsqu'il comporte l'autorisation de s'engager pour une opération déterminée, le mandat en fait expressément mention.
Tous les mandats sont mentionnés par ordre chronologique sur un registre des mandats conforme à un modèle fixé par arrêté du ministre chargé de l'économie.
Le numéro d'inscription sur le registre des mandats est reporté sur celui des exemplaires du mandat, qui reste en la possession du mandant.
Ce registre est à l'avance coté sans discontinuité et relié. Il peut être tenu sous forme électronique dans les conditions prescrites par les articles 1365 et suivants du code civil.
Les mandats et le registre des mandats sont conservés pendant dix ans.
Le non-respect de son formalisme légal, qui a pour objet la sauvegarde des intérêts privés du mandant, entraîne une nullité relative, laquelle peut être couverte par la ratification ultérieure des actes de gestion accomplis sans mandat.
Il apparaît que le registre des mandats de la société Quatuor est tenu sous forme électronique. L'édition sécurisée du registre avec historique fait apparaître que le mandat de la société [J] a été mentionné le 2 février 2021 sous le numéro 9537 au titre d'une réservation. Cette mention est barrée. Le registre fait également mention d'un mandat de la société [J] dont l'objet est un mandat de vente exclusif en cas de démarchage. La date du mandat est indiqué comme étant les 2 février et 4 février 2021. Cette mention n'est pas barrée. Les deux mentions ont le même numéro d'ordre, 9537.
Le contrat signé comporte le même numéro de mandat, 9537.
Il apparaît que le registre des mandats a bien été tenu de façon chronologique et que le numéro de mandat y figurant a été repris sur le mandat lui même.
Le fait que le processus d'inscription sur le registre comporte une étape de réservation jusqu'à la validation de la signature du mandat puis une étape d'inscription définitive ne constitue pas une irrégularité dans le tenue du registre.
Il résulte de la lettre de la société Quatuor à la société [J] du 17 juillet 2021 qu'elle lui a transmis une offre d'acquisition de la société Bechet. La société [J] a accepté cette offre le 20 juillet 2021, MM. [J] la signant en indiquant « Bon pour accord ».
Il résulte de la lettre de la société [J] en date du 14 février 2022 qu'elle a indiqué à la société Quatuor qu'elle avait signé un mandat exclusif le 4 février 2021 et que ce mandat l'avait engagée en exclusivité durant trois mois jusqu'au 4 mai 2021. La société [J] indique ne pas avoir souhaité donner de suite favorable à la proposition de rachat de la société Bechet et qu'ayant été contactée en direct par les établissements Bigard, il lui avait paru plus que légitime d'en parler à la société Quatuor et de l'inclure dans ce nouveau projet de rachat, malgré le fait qu'elle n'y était nullement obligée. La société [J] a exposé dans cette lettre que la transaction avec la société Bigard a abouti mais que l'intervention de la société Quatuor n'avait été que partielle. Dans cette lettre la société [J] estimait la juste valeur du travail réalisé effectué par la société Quatuor à la somme de 15.000 euros.
Il apparaît que le contrat de mandat a reçu un début d'exécution, exécution qui s'est, à la demande du mandant, poursuivie après la fin de la période d'exclusivité.
Il y a lieu d'infirmer le jugement en ce qu'il a dit que le contrat de mandat n'existait tout simplement pas.
Sur la clause pénale :
Il résulte du contrat de mandat que le mandataire s'est engagé à rechercher et à présenter à la société [J] un acquéreur pour la société [J].
La rémunération du mandataire était prévue en cas de réalisation de l'opération avec un acheteur présenté par le mandataire ou un mandataire substitué ou dirigé vers lui.
Il n'est pas justifié que l'acheteur final, la société Bigard, ait été présenté par la société Quatuor ou qu'il ne soit manifesté pendant la période d'exclusivité du mandat.
Les interventions de la société Quatuor à l'appui de la vente au profit de la société Bigard ne se sont donc pas faites dans le cadre du mandat de recherche et de présentation d'un acquéreur.
Le mandat avait une durée limitée au 31 juillet 2022. Il prévoyait une indemnité forfaitaire pour le cas où le mandant, pendant la durée du mandat, traiterait directement ou par l'intermédiaire d'un autre mandataire la vente des biens ou, dans les 12 mois suivant l'expiration du mandat, traiterait directement ou par l'intermédiaire d'un autre mandataire avec un acheteur présenté à lui par le mandataire ou un mandataire substitué.
Il est cependant justifié que c'est la société [J] qui a dirigé la société Bigard vers la société Quatuor. La société Quatuor est donc intervenue dans la transaction comme la société [J] l'a reconnu dans sa lettre du 14 février 2022. Cette intervention est restée incomplète.
Mais cette intervention ne résulte pas d'une présentation par la société Quatuor ou un mandataire substitué par cette dernière. Les conditions de mise en 'uvre de la clause pénale ne sont donc pas remplies.
La société Quatuor ne fonde sa demande que sur l'indemnité forfaitaire valant clause pénale prévue au contrat. Il y a lieu de rejeter sa demande.
Sur les frais et dépens :
Il y a lieu de condamner la société Quatuor aux dépens d'appel et de rejeter les demandes formées en appel au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour :
- Infirme le jugement en ce qu'il a :
- in limine litis, Jugé que la décision est inopposable aux frères [J], es qualité de personnes physiques,
- Jugé qu'à défaut de régularisation de la formalité substantielle d'envoi du contrat signé par le mandataire au mandant, le contrat de mandat n'est pas accepté et n'existe tout simplement pas,
- Débouté en conséquence et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres chefs de demande et de défense de l'ensemble de ses demandes de commissions ou d'indemnités,
- Confirme le jugement pour le surplus,
Statuant à nouveau et y ajoutant :
- Rejette les demandes des parties,
- Condamne la société Quatuor transaction aux dépens d'appel.